Hier matin, plusieurs drones se sont abattus sur des immeubles de Moscou. L'Ukraine n'a pas encore revendiqué l'attaque. Pierre Servent, spécialiste des questions de défense et de stratégie militaire, est l'invité du 7h50, pour évoquer ces attaques et faire un point sur la guerre en Ukraine. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-31-mai-2023-8708918
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00:00 Il est 7h48, Léa Salamé, votre invitée ce matin est spécialiste des questions de
00:09 défense et de stratégie militaire.
00:12 Bonjour, bonjour Pierre Servan.
00:13 Bonjour Léa Salamé.
00:14 Merci d'être avec nous ce matin pour tenter de dissiper un peu le brouillard de la guerre
00:18 comme disait Klaus Witz.
00:20 La guerre des drones titre ce matin le Parisien en une.
00:23 Hier, la Russie a affirmé avoir abattu 8 drones qui visaient Moscou.
00:27 Attaque spectaculaire et inédite puisqu'il y avait déjà eu une attaque de drones sur
00:31 Moscou mais ça visait le Kremlin.
00:32 Là, ça vise clairement des immeubles d'habitation en Russie.
00:35 Avant de vous demander qui peut être derrière, d'abord expliquez-nous ce qu'il faut penser
00:39 de ces nouveaux engins volants utilisés de manière intensive dans la guerre d'Ukraine.
00:44 Quels sont les avantages et les limites des drones dans une guerre ?
00:48 Alors les avantages, le drone c'est un véhicule aérien ou naval puisqu'il y a des drones
00:54 navals dans lesquels il n'y a pas de pilote, il n'y a pas d'homme dans la machine donc
00:58 c'est téléopéré à distance et ça permet soit de faire du renseignement et notamment
01:04 avec des drones qu'on appelle MALE, alors non pas qu'il y ait des drones femelles mais
01:07 c'est M A L E, moyenne altitude longue endurance.
01:10 Pendant 24 heures, par exemple, ce type de drone va pouvoir surveiller une zone et les
01:16 images sont répercutées en direct sur l'opérateur qui télécommande en quelque sorte ce drone.
01:22 Et il peut voler pendant 24 heures celui-là ?
01:24 24 heures le MALE, effectivement, il a une longue endurance et donc il est relativement
01:28 indétectable, il vole à assez haute altitude et il va pouvoir passer sur une zone et rapporter
01:34 des images très précises.
01:37 Et puis il y a les drones armés qui sont très importants, c'est le même type de
01:41 drone qui va pouvoir faire de la surveillance et en fonction de l'exploitation du renseignement
01:45 visuel qui est donné en temps réel, l'ordre va être donné ou non de tirer des missiles
01:51 pour détruire une cible, ce que les américains ont beaucoup fait pendant la guerre d'Afghanistan,
01:55 non sans erreur de tir parfois, parce qu'il faut savoir que le pilote de ce type de drone
02:00 armé se trouvait au Texas à plusieurs milliers de kilomètres de la cible.
02:05 Et il appuyait sur le bouton et le missile tombait ?
02:08 Absolument, le missile tombait et donc en Afghanistan notamment Obama, Barack Obama
02:13 a beaucoup utilisé cette arme, cela lui a été reproché parce qu'on a accusé Barack
02:18 Obama, l'administration américaine à cette époque, d'utiliser ce type d'armement
02:22 pour faire des exécutions extrajudiciaires, c'est-à-dire de viser des citoyens américains
02:27 devenus djihadistes et donc de les frapper, de les tuer.
02:31 Sans que personne ne voit, parce que le drone n'a pas de preuve.
02:34 Voilà, sans pouvoir discriminer dans la masse.
02:35 Et puis par ailleurs, il y a eu des erreurs de tir également.
02:39 Donc souplesse d'emploi, surveillance et rapidité de tir derrière le renseignement
02:45 qui a été recueilli par le drone.
02:47 Et ces drones sont utilisés de manière intensive par les Russes et aussi par les Ukrainiens,
02:54 c'est-à-dire que c'est vraiment devenu une arme de guerre quotidienne.
02:58 Oui, dès les premières semaines de la guerre, vous avez des jeunes Ukrainiens, alors pas
03:03 du tout habitués au monde militaire, qui ont basculé du jour au lendemain comme n'importe
03:07 quel jeune Français aujourd'hui passionné par les drones.
03:11 Ils ont basculé dans la guerre, ils ont bidouillé des drones civils pour les transformer en
03:16 porteurs de grenades, d'obus et avec notamment l'aide de Starlink d'Elon Musk, avec un
03:23 système de radar pour améliorer la conduite de ces drones, également pour lutter contre
03:29 le brouillage russe.
03:30 Parce que vous comprenez bien que si c'est téléopéré, si vous coupez le signal, le
03:35 drone se perd.
03:36 Donc dès le départ, une partie de la réussite de l'Ukraine dans sa résistance, ce sont
03:42 les drones de fabrication artisanale en quelque sorte qui l'ont permis.
03:46 Il y a les drones de fabrication artisanale utilisés par les Ukrainiens, ils en ont acheté
03:50 aussi des drones.
03:51 Alors on sait que les Russes, c'est les Iraniens qui leur fournissent, est-ce que les
03:53 Ukrainiens se fournissent chez qui ? Chez les Turcs ?
03:55 Chez les Turcs.
03:56 Ils ont effectivement de longue date acheté aux Turcs des drones armés de missiles qui
04:03 ont fait énormément de dégâts dans les forces russes.
04:06 Entre parenthèses, je n'ai jamais entendu Moscou accuser Ankara d'être co-belligérant
04:10 alors qu'ils ont fourni à l'Ukraine des matériels tout à fait sophistiqués.
04:14 Et ce qu'il faut savoir, c'est qu'avant la guerre, la Turquie et l'Ukraine avaient
04:18 signé un accord de coopération pour créer des drones de nouvelle génération grâce
04:23 au savoir-faire ukrainien en matière aéronautique.
04:26 Depuis l'Union soviétique, les Ukrainiens sont très forts sur l'aéronautique.
04:29 Exactement.
04:30 Et donc ce que vous voyez en ce moment, y compris des drones qui sont allés frapper,
04:34 drones ukrainiens qui sont allés frapper à 650 kilomètres sur des bases aériennes,
04:39 à Angles à la fin de l'année dernière, c'est parce qu'ils ont modernisé des vieux
04:43 drones soviétiques en les boostant.
04:44 Alors l'attaque d'hier, qui peut être derrière ? Les Russes ont accusé les Ukrainiens,
04:48 les Ukrainiens ont dit évidemment qu'on n'a rien à voir avec ça.
04:50 Faut les croire les Ukrainiens ?
04:52 Alors, faut les croire.
04:54 C'est le brouillard de la communication dans le brouillard de la guerre.
04:57 Ce qui est intéressant, c'est que la semaine dernière sur le plateau d'El-Seyi, il y
05:02 a Ponomarev qui est le chef politique de la Légion pour la liberté de la Russie, qui
05:08 est une branche militaire, une branche politique, une branche militaire, et c'est notamment
05:11 cette branche militaire qui a pénétré dans la zone de Belgorode il y a quelques jours
05:15 avec des moyens lourds et des blindés lourds.
05:16 Et interrogé, il a dit "vous savez, il y a en Russie des groupes de partisans russes
05:23 anti-Poutine".
05:24 Ponomarev, lui, il est en Ukraine, il est russe, il y a des combattants autour de lui
05:29 qui sont rattachés à la brigade.
05:30 Donc l'attaque d'hier, ça pourrait être des milices russes anti-Poutine ?
05:34 Écoutez, Ponomarev a dit "il y a des groupes de partisans russes en Russie, ce sont eux
05:41 qui sont sans doute derrière l'attaque sur le Kremlin et vous allez voir, il va y avoir
05:45 d'autres répétitions dans les jours qui viennent".
05:47 Donc évidemment, je fais un lien entre les...
05:50 Ils représentent quoi ? Ces milices russes, ces russes qui seraient anti-Poutine et qui
05:56 pourraient agir soit à l'attaque de Belgorode la semaine dernière, soit éventuellement,
05:59 on n'a rien éprouvé, l'attaque des drones hier sur Moscou.
06:03 Ça pèse quelque chose ou c'est picroquelin ?
06:06 Alors, sur ceux qui sont en Ukraine, il y a deux groupes très différents, deux russes
06:11 qui sont dans la brigade internationale.
06:13 On estime à quelques centaines de combattants qui sont en Ukraine dans cette brigade, mais
06:19 qui sont quand même parvenus à Belgorode à faire un raid lourd avec des blindés lourds
06:24 et légers et infliger un camouflet militaire et surtout psychologique à Poutine de façon
06:30 marquable.
06:31 Maintenant, sur la question de savoir, ceux qui sont en Russie, des groupes de partisans,
06:35 alors là, il y a zéro information sur qu'est-ce que ça représente concrètement.
06:40 En tout cas, que ce soit des Russes anti-Poutine ou des Ukrainiens, cette attaque voulait
06:45 provoquer un choc psychologique, c'est-à-dire symboliquement, c'est la première fois que
06:48 des immeubles d'habitation sont visés à Moscou.
06:51 Donc, pour Vladimir Poutine qui essaie d'expliquer que ce serait une opération militaire, vite
06:54 close, qu'il allait réussir en trois minutes à faire tomber l'Ukraine.
06:59 Là, la guerre, elle se transporte à Moscou.
07:02 Il y a clairement un choc psychologique.
07:04 Évidemment, Prigogine, le chef de Wagner et tous ses fans ont critiqué hier l'absence
07:12 de défense anti-aérienne qui aurait pu brouiller ces drones.
07:15 Ça crée un choc, à votre avis, c'est quand même un mauvais point pour la Russie, ce
07:20 qui s'est passé hier ?
07:21 Oui, c'est un mauvais point, c'est-à-dire que ça donne quand même le sentiment, il
07:24 y a une petite charge militaire, gros impact psychologique, vous l'avez dit.
07:28 Tout ça, après l'affaire de Belgorod, ça ne change pas l'équilibre militaire sur le
07:34 terrain, mais ça veut dire que les frontières sont poreuses au sol et dans les airs.
07:39 Et pour Poutine, ce n'est pas franchement une grande victoire parce que même si les
07:42 drones ont été interceptés dans leur phase finale, s'il y en a certains qui sont venus
07:47 d'Ukraine, parce qu'on parle de type de drone qui peut faire un millier de kilomètres,
07:51 ça veut dire que ces drones se sont « baladés » dans le ciel russe, pour être abattus
07:57 dans les zones, notamment les quartiers résidentiels qui sont protégés par des systèmes de défense
08:02 solaire.
08:03 Donc par quelques boucs, vous le preniez, ce n'est pas génial.
08:05 Et Poutine d'ailleurs a une petite phrase en disant « oui, ça a très bien marché,
08:08 mais enfin il y a encore des choses à améliorer ». Oui, effectivement, il y a encore des
08:10 choses à améliorer.
08:11 On en vient maintenant à l'autre grande question concernant l'Ukraine.
08:13 Zelensky a promis une grande contre-offensive militaire.
08:16 Printemps, été, le printemps s'achève.
08:18 Elle va commencer ? Elle a commencé ?
08:20 Elle a commencé il y a un mois.
08:22 Elle a commencé il y a un mois.
08:24 Si vous documentez depuis un mois toutes les attaques, soit sur le territoire russe,
08:29 mais de tous les côtés, aussi bien au nord, Koursk, au sud, Krasnodar, les incursions
08:36 sur Belgorod, les frappes de drones à caractère psychologique, des frappes également sur
08:42 Sébastopol, donc zone occupée par les Russes, il n'y a pas une journée qui se passe sans
08:46 que vous ayez un train qui déraille, un transformateur électrique qui crame, un bâtiment où il
08:51 y ait tout d'un coup un incendie étrange, un dépôt de carburant qui explose, plus
08:55 tout le reste.
08:56 Donc il y a une sorte de préparation psychologique qui est destinée à rendre un peu fou le
09:02 Kremlin qui ne sait pas à quel sein se vouer.
09:05 Et regardez simplement l'incursion sur Belgorod au sol avec des blindés lourds et légers.
09:09 Qu'est-ce que ça introduit comme doute dans la tête du Kremlin ? C'est est-ce que les
09:13 Ukrainiens seraient prêts à lancer une mini-offensive en territoire russe pour arriver dans le dos
09:19 de nos troupes qui sont dans le Donbass ? Je ne le crois pas, ça me paraît compliqué,
09:24 mais ce que les Ukrainiens en voient c'est des palanqués de questions à l'état-major
09:28 russe qui est dans le brouillard encore une fois et le brouillard s'épaissit de ce point
09:34 de vue-là.
09:35 Donc c'est une sorte, si vous voulez, d'élément avant-coureur de la fameuse offensive.
09:41 - Juste une question très rapide, vous avez déclaré Pierre Servan alors qu'en ce moment
09:44 la loi de programmation militaire est examinée par les députés à l'Assemblée Nationale
09:47 que vous regrettiez que les Français s'intéressent si peu aux questions de budget militaire alors
09:50 qu'on est en train d'augmenter de manière considérable le budget de l'armée.
09:53 - Ah oui, alors c'est vraiment, si vous voulez, un trou que je connais depuis très très
09:57 longtemps.
09:58 C'est à la fois un trou parlementaire, il n'y a pas suffisamment d'intérêt des Français
10:01 pour ce qui se passe au Parlement.
10:02 Et alors en plus sur les questions budgétaires de défense, c'est un peu le désert des tartares.
10:07 C'est maintenant qu'il faut s'en occuper, il faut que les Français se saisissent de
10:11 ces questions.
10:12 - Le Monde de Demain, 12 repères pour comprendre les conséquences de la guerre en Ukraine
10:15 chez Robert Laffont.
10:16 Merci Pierre Servan, bonne journée.
10:17 - Merci Léa Salamé.