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Art et designTranscription
00:00 *Tic Tic Tic Tic Tic Tic*
00:02 *Musique*
00:08 France Culture, Olivia Gesper, bienvenue au club !
00:12 *Musique*
00:17 Bonjour à tous !
00:18 Un club de la danse aujourd'hui avec Chloé Lopez-Gomez.
00:21 Ex du Stadtsballett, passé par le Bolshoi, par Nice ou encore par l'Opéra du Rhin,
00:26 Chloé Lopez-Gomez publie Le Cygne Noir chez Stock.
00:29 A 32 ans, elle revient sur son parcours de danseuse noire dans le monde fermé du ballet classique.
00:35 Un système, une tradition, un archaïsme qui l'ont longtemps rejeté.
00:40 Mais elle raconte aussi dans ce livre sa détermination comme un legge pour les générations futures et l'avenir tel qu'elle l'aperçoit.
00:47 Professeure invitée aujourd'hui dans des ballets, elle donne aussi des cours.
00:51 La transmission est au cœur de ce livre et au cœur de sa vie.
00:54 Chloé Lopez-Gomez est notre invitée.
00:56 * Extrait de Le Cygne Noir *
01:04 Une émission programmée par Camille Berne et Anouk Delphineau, préparée et coordonnée par Laura Dutèche-Pérez,
01:09 réalisée par Félicie Fauger avec Élise Le à la technique.
01:13 Je vous en disais un mot hier, le prix des libraires, il a été rendu, il a été remis et on connaît désormais le nom du lauréat.
01:19 C'est Gilles Marchand pour le soldat désaccordé aux éditions, aux forges de Vulcain à retrouver dans toutes vos librairies indépendantes.
01:29 Et bonjour à vous Chloé Lopez-Gomez.
01:31 * Bonjour *
01:32 Où on peut également trouver votre livre à vous, votre livre parcours, votre livre récit qui paraît chez stock.
01:37 "Aucune place n'est jamais donnée", écrivez-vous.
01:40 "Au mieux, elle s'acquiert. Au pire, elle se conquiert.
01:44 Ouvrir les portes où les enfants s'étendent quand elles restent closes, c'est ma seule option, c'est mon seul credo."
01:50 Quelle place vouliez-vous acquérir ou conquérir ?
01:54 * Lorsque j'étais plus jeune ou là maintenant ? *
01:57 * Plus jeune *
02:00 Oui, lorsque j'étais enfant, en tout cas, je rêvais de devenir danseuse étoile en France, d'intégrer l'Opéra de Paris.
02:10 Pour moi, mon parcours n'a pas été très très simple, étant issu d'un milieu très modeste.
02:17 Ma mère était femme de ménage, mon père était maçon.
02:20 La danse classique coûte extrêmement cher.
02:24 J'étais aussi l'aînée d'une fratrie.
02:26 Mon frère cadet ainsi que ma sœur cadette ont aussi fait de la danse classique.
02:32 Ma mère a dû cumuler les ménages chez les particuliers pour nous payer notre éducation.
02:40 * Ça, ça vient d'elle d'ailleurs, juste parenthèse. *
02:43 * Elle aurait voulu être artiste, probablement danseuse. En tout cas, toute la fratrie s'est mise à la danse. *
02:48 Oui, car la danse classique est un art d'initié.
02:52 Étant plus jeune, elle avait gagné une bourse pour aller étudier au Beaux-Arts de Paris.
02:57 Malheureusement, elle n'a jamais eu l'opportunité de réaliser ce rêve car elle n'avait pas de soutien financier.
03:05 Et ni de famille, car ma mère a malheureusement grandi à la DAS, elle était pupille de l'État.
03:10 Donc c'est vrai que notre réussite est aussi une manière pour elle de s'accomplir.
03:17 * Donc, votre parcours, est-ce qu'on peut dire que c'est quand même une histoire de portes ? *
03:22 * De portes qui sont trop... *
03:24 * Des portes que vous essayez d'ouvrir et puis des portes qui se ferment. *
03:27 * Et aussi qui se ferment, oui. *
03:28 * Mais parfois, effectivement, il faut peut-être donner un petit coup de pied dedans. *
03:30 * Pas trop fort, parfois. Quoique... *
03:32 Oui, tout à fait. Comme tout à chacun, j'ai aussi eu mes difficultés, mes challenges.
03:41 Mais j'ai toujours été très déterminée. J'ai aussi très tôt compris la responsabilité que je devais avoir vis-à-vis aussi de ma famille.
03:52 Parce que contrairement à mes parents, moi, je suis née en France, j'ai grandi en France, j'ai évolué dans les écoles de la République.
03:59 Et je n'avais pas le droit à l'erreur. Mon père, qui était né au Cap-Vert, n'a malheureusement jamais eu l'opportunité de s'instruire.
04:09 C'était aussi l'aîné d'une fratrie, donc il n'avait pas les mêmes problématiques que nous, enfants de la République, nous pouvons avoir.
04:16 Ses problématiques, c'était "Est-ce que je vais manger dans deux jours ? Est-ce que je ne vais pas encore perdre l'un de mes frères ou l'une de mes sœurs par la maladie ?"
04:25 Donc il y avait aussi cette pression du côté de mon père par rapport aux études et par rapport à la réussite. Je n'avais pas le droit à l'échec.
04:33 Donc forcément, ça a forgé mon caractère et ça a aussi forgé ma détermination.
04:39 "Toute une place n'est jamais donnée", vous le dites. Il y a un mot, celui de fatalité, que vous n'acceptez pas et que vous barrez d'une grosse croix rouge.
04:47 "Être à sa place", c'est toute une quête, toute une recherche. "Être à sa place" est aussi un essai de la philosophe Claire Marin, paru aux éditions de l'Observatoire,
04:54 où justement elle montre, elle raconte, elle explore cette quête de place et l'importance du désir dans cette recherche d'une place, à soi, dans le monde, en soi, au milieu de son entourage. On l'écoute.
05:06 Il y a une illusion selon laquelle il y aurait un lieu géographique, spatial, identifiable, qui peut-être me permettrait mieux que les autres d'être moi-même.
05:18 Et je crois qu'il faut être vigilant par rapport à cette idée-là, que les choses iraient mieux si j'étais ailleurs.
05:25 Il me semble que c'est un horizon qui sans cesse se déplace au fur et à mesure qu'on croit atteindre le fameux lieu en question.
05:32 Je suis assez méfiante vis-à-vis de l'idée d'une espèce de pouvoir magique des lieux, qui serait là pour nous révéler ou enfin nous permettre d'être adéquatement qui nous sommes.
05:44 Je crois que ce lieu qui nous convient, il est avant tout intérieur, c'est avant tout une place en soi qu'on déplace avec nous, d'une certaine manière.
05:53 - C'est vrai qu'il y a des lieux qui révèlent, des lieux qui entravent. Et puis il y a peut-être cet autre lieu, ce lieu intérieur, comme le définit la philosophe Claire Marin. Est-ce que celui-là, vous l'avez trouvé ?
06:05 - Je l'ignore encore. Je suis toujours en quête de ce lieu intérieur. En revanche, je refuse d'être limitée à une boxe. Je refuse qu'on me call une étiquette aujourd'hui.
06:19 Pour moi, il me semble important de garder ma liberté, mon indépendance. Et je n'ai aucune obligation de rentrer dans le moule, de cocher des cases. Je suis maîtresse de mon destin et de mon avenir.
06:34 - Oui, ne pas rentrer dans les cases. C'est ce que vous dites. Et vous parlez de cette détermination qui a été la vôtre. Le fait que vous n'aviez pas le droit à l'erreur, pas le droit à l'échec depuis toujours.
06:43 Ce combat qui a été le vôtre, c'était peut-être un combat pour trouver sa place, sa bonne place, celle où on se sent bien. Mais c'est aussi un combat contre les préjugés.
06:52 En 2018, après trois ans au sein du Béjar Ballet de Lausanne, vous êtes la première danseuse noire à intégrer le Stadtballett de Berlin. Alors au début, c'est quoi ? C'est une énorme fierté ?
07:02 - C'est un accomplissement. C'est un accomplissement dans la vie d'une danseuse d'intégrer ce genre d'institution. Par exemple, en France, on a l'Opéra de Paris. En Allemagne, c'était le Stadtballett de Berlin.
07:15 Mais surtout, j'avais décidé de postuler suite à un changement de direction. Pour moi, c'était important de retourner dans une compagnie de répertoires de ballet.
07:25 Parce que Béjar, malheureusement, faisait que du Béjar. Mais aussi de m'essayer à de nouveaux genres, comme le contemporain.
07:32 Donc forcément, Berlin, ça a été un peu une révélation. Nous étions à peu près 300 à l'audition. Audition de deux jours extrêmement dures.
07:41 Mais dès le premier jour de cette audition, une des maîtresses de ballet, une des responsables du corps de ballet a dit qu'on ne devait pas me prendre, malgré mon talent, parce que j'étais noire.
07:53 Et qu'une femme noire n'était malheureusement pas esthétique dans un corps de ballet parce qu'elle attirerait trop l'attention.
08:02 Donc ça a été assez compliqué parce qu'au cours de ces trois dernières années, j'étais sous sa tutelle.
08:08 - Parce que vous serez prise finalement, malgré son avis négatif à elle, vous allez quand même intégrer le ballet.
08:16 - Mais elle a aussi voté pour moi, c'est ça qui est surprenant. Elle n'avait pas vraiment le choix, mais elle a dit "je vote pour elle parce qu'elle est bien, mais je pense vraiment que ça va être un problème à cause de sa couleur de peau".
08:27 Donc oui, pendant trois ans, j'ai vécu le racisme de manière ouverte et violente. Ce n'était pas du tout subtil. C'était à travers des corrections.
08:38 "On ne voit que toi quand tu n'es pas en ligne parce que tu es noire. Quand tu n'es pas musicale, on ne voit que toi parce que tu es noire". C'était des choses comme ça.
08:48 Donc ça a été très compliqué, mais dès le début, j'ai fait remonter ces abus auprès de la direction qui m'a annoncé que cette maîtresse de ballet était protégée par des contrats à vie.
09:04 - Là où votre contrat est annuel ? - Exactement.
09:08 - Enfin, sur des danseurs. - Voilà.
09:09 Donc d'un côté, il y a les institutions qui protègent ces maîtres et maîtresses de ballet. De l'autre côté, nous avons la précarité de notre contrat de un an non-renouvelable.
09:20 Donc j'ai bien compris que si j'allais plus loin, je risquais malheureusement de perdre mon travail. Et les places sont extrêmement chères dans ce milieu.
09:28 Il y a énormément de compétitions pour des places qui sont au final inexistantes.
09:34 - Donc il y a eu ces préjugés, et ces mots, ces paroles racistes, discriminatoires que vous évoquez.
09:42 Est-ce qu'il y a eu aussi une partie du répertoire défendu par le Stadt Ballet qui vous a été empêchée ? Est-ce qu'il y a des rôles que vous n'avez pas pu obtenir ?
09:55 - Pour être totalement honnête, j'ai découvert ça l'année dernière. J'étais déjà partie de la compagnie.
10:01 Il y avait un des chorégraphes qui était venu, je ne vais pas le citer parce qu'il travaille toujours au Stadt Ballet,
10:08 qui m'avait choisi en tant que principale pour performer sa pièce.
10:15 Et au final, l'un ou l'une des maîtresses de ballet, je ne sais pas si c'était elle, mais qui aurait dit "non, on ne peut pas la mettre".
10:23 Et ça, je l'ai appris par des danseurs. Parce que je suis toujours maintenant en contact avec mes anciens collègues qui me l'ont annoncé.
10:30 Donc c'est pour dire à quel point les maîtres de ballet, dans le milieu de la danse classique, ont le pouvoir sur nos carrières.
10:40 Alors que quand on est diplômé d'une université, on a par exemple un master en finance ou en économie, on ne peut pas nous l'enlever ça.
10:49 Pourtant, la danse classique c'est très subjectif. On aura beau faire les meilleures institutions, les meilleures écoles,
10:54 si notre directeur ne nous apprécie pas, ainsi que son équipe, on peut être relayé à vie au rang du corps de ballet.
11:04 Et être bien évidemment évincé de rôle. Et ça malheureusement, on ne peut pas le prouver.
11:08 Et c'est ce que vous dites très bien et ce qu'on évoquait en ouverture. C'est que souvent le problème, c'est le système.
11:13 Peut-être plus encore que les hommes, c'est l'institution qui est lourde, qui pèse, c'est ces archaïsmes et ces traditions.
11:21 Et sur ce point-là, tous ces points-là, c'est compliqué de revenir.
11:25 À un moment, vous avez choisi de prendre la parole, c'est-à-dire de médiatiser votre cause.
11:28 On imagine que c'était quand même assez risqué, risqué de rompre le silence, risqué de tout mettre sur la place publique.
11:34 Parce que sortir du rang, ce n'est pas chose facile, dans ce milieu aussi.
11:40 Oui, parce que toute notre vie, depuis notre enfance, on commence la danse classique à l'âge de 6 ans.
11:45 C'est très, très tôt, on a encore des bébés.
11:48 Et on nous apprend la rigueur, la discipline, des valeurs positives.
11:53 Mais aussi, on nous apprend à ne jamais remettre en question l'autorité.
11:57 La hiérarchie.
11:58 La hiérarchie, à ne jamais questionner les règles, même quand les règles sont mauvaises.
12:03 Donc forcément, il m'a fallu beaucoup de courage. J'étais aussi terrifiée.
12:07 Surtout, le milieu de la danse classique, c'est très petit.
12:10 J'avais peur qu'en prenant la parole, je ne puisse jamais réintégrer une compagnie.
12:14 Mais surtout émotionnellement, en fait.
12:15 C'était vraiment compliqué, parce que j'ai pris la parole en public, mais en même temps, j'étais en plein procès avec eux.
12:20 Et je continuais tous les jours à côtoyer cette maîtresse de ballet.
12:24 Donc ça a été vraiment le parcours du combattant.
12:27 Mais je me suis dit, là, actuellement, je ne parle pas juste pour moi.
12:31 Je parle aussi pour tous ces danseurs qui n'ont pas la chance de se faire entendre.
12:35 Parce que moi, j'ai vécu le racisme.
12:37 Mais à l'époque, c'était normal de se faire traiter de grosse, de se faire humilier, de se faire harceler psychologiquement et sexuellement.
12:45 Et après ma prise de parole, il y a énormément de danseurs qui ont aussi partagé leur propre histoire via les réseaux sociaux.
12:53 Voilà, il y a eu #MeToo, et puis il y a eu le mouvement #BlackLivesMatter aussi.
12:57 Et on est dans ces trois, quatre dernières années où tout à coup, les choses commencent à bouger.
13:03 Votre action, à vous, votre décision, elle a été accompagnée par un mouvement plus large.
13:10 Votre prise de parole, un mouvement qui est parti des États-Unis, qui est passé par Berlin, ou encore à Paris, ou un manifeste sur la diversité.
13:19 Un manifeste intitulé "De la question raciale à l'Opéra de Paris" sera rédigé par plusieurs danseurs, dont Guillaume Diop,
13:24 qui aborde aussi dans ce manifeste, avec les autres, des questions très concrètes.
13:29 Raconte-t-il la couleur des collants, le maquillage, tout ce qu'on n'imagine même pas au quotidien.
13:33 Et puis, il vient, lui, Guillaume Diop, d'être tout juste nommé premier danseur étoile, noir, de l'Opéra de Paris.
13:39 On l'écoute raconter ce que ça représente pour lui, cette idée de responsabilité.
13:43 C'est sûr, c'est une forme de responsabilité, parce que je me rends compte de ce que ça représente.
13:50 Ce que ça représente pour moi, mais aussi ce que ça représente pour les gens qui me ressemblent.
13:56 Et aussi, j'ai conscience que si moi, j'avais pu avoir un modèle comme ça, quand j'ai commencé la danse, ça aurait été plus simple.
14:03 Même s'il y a eu des danseurs noirs à l'Opéra, mais il n'y en a jamais qui ont atteint le titre de danseur étoile.
14:09 Donc, c'est vrai que je me rends compte que c'est une forme de responsabilité.
14:14 Il y a un moment dans ma formation de danseur où j'ai eu besoin de travailler avec des gens qui me ressemblaient.
14:21 Je pense d'être entouré de personnes de couleur qui faisaient de la danse et qui en faisaient leur métier.
14:29 Donc oui, c'est vrai que je suis allé à Alvin Ailey faire un stage.
14:32 C'est une compagnie principalement afro-américaine à New York et ça m'a fait beaucoup de bien.
14:38 Voilà, alors Guillaume Diop, c'est presque un bébé à côté de vous.
14:41 Vous avez 32 ans, il doit en avoir 23, tout juste, donc dix ans de moins.
14:46 Et là, on en revient à cette idée de porte ouverte aussi. L'importance à un moment de prendre la parole pour pouvoir transmettre et éviter aux autres ce qu'on a vécu soi-même.
14:57 Comme vous, il aurait pu intégrer une compagnie américaine où les choses sont peut-être plus simples aujourd'hui.
15:01 Mais il a choisi de revenir en France et de faire de sa différence une force.
15:06 Vous avez eu aussi ce déclic à un moment, il fallait être là où les combats étaient amenés.
15:11 Pour être totalement honnête, je suis très français dans ma manière de penser et de réagir.
15:19 Mais c'est vrai que je n'ai jamais fait ma carrière en France.
15:24 J'ai toujours, à l'âge de 14 ans, je suis partie me perfectionner au Bolshoï Ballet Academy en Russie.
15:29 Je pense que les mœurs et les critères en France de l'époque étaient quand même un peu plus compliqués, un peu plus différents qu'aujourd'hui.
15:39 Et puis le peu de danseurs de couleurs qu'il y a en France, ce sont des métisses.
15:45 Il ne faut pas oublier, moi aussi, je reste une personne métisse.
15:49 Mais il est vrai qu'à un moment donné, j'avais aussi envie de rentrer.
15:55 J'avais le mal du pays, en fait. Là, j'ai 32 ans. Je trouve que c'est assez difficile de continuer sa carrière à l'étranger.
16:04 Je pense qu'il y a aussi beaucoup de choses à accomplir en France, en termes d'éducation, en termes de transmission, en termes aussi de management de ballets compagnie.
16:17 Je pense que la France a besoin de plus de femmes dans les théâtres, dans les compagnies et plus de femmes jeunes aussi.
16:24 Donc ça, c'est un peu ma prochaine étape.
16:27 - Et les portes, est-ce qu'elles s'ouvrent pour vous aujourd'hui plus facilement, vous diriez ?
16:32 On évoquait l'Opéra de Paris, après ce manifeste, il y a eu un rapport signé Papendia et Constance Rivière sur la diversité, il y a deux ans, en 2021.
16:40 Il y a eu la mise en place aussi de garde-fous, de référents.
16:44 Et puis, il y a des débats qui restent quand même très vifs en France, notamment à ce sujet, y compris à l'Opéra de Paris.
16:51 Pas simplement autour du corps des danseurs, mais aussi sur la question des œuvres.
16:55 Est-ce qu'il faut les modifier ? Est-ce qu'il faut suspendre certaines œuvres du répertoire ?
17:00 Il a été accusé de cancel culture, le patron de l'Opéra, Alexandre Deneuve, lui qui a ouvert aussi cette réflexion.
17:06 Il a plutôt l'idée qu'il faut contextualiser et rendre vivantes les œuvres de l'époque.
17:10 Et ça nous ramène à Votre Signe Noir, ça nous ramène à Casse-Noisette et à d'autres grands titres, grandes œuvres du répertoire.
17:18 Il faut savoir les faire évoluer.
17:21 Tout à fait. Moi, je suis...
17:24 Là, en l'occurrence, il n'est pas question de dénaturer la danse classique.
17:28 La danse classique fait partie de notre culture et d'ailleurs, c'est la base de toutes les danses du monde.
17:35 Quand on est un bon danseur classique, souvent on est aussi un excellent danseur contemporain.
17:39 En revanche, je pense qu'il faut les adapter à notre époque.
17:43 À partir du moment où il y a des pratiques qui sont offensantes, comme les blackface ou le white-dating,
17:48 et qu'ils offensent une partie de la population, je pense qu'il faut juste les annuler.
17:53 Il n'y a rien de choquant, c'est juste vivre avec son époque et peut-être créer de nouvelles pièces
18:02 où il y a une plus grande représentation des personnages.
18:05 Mais au niveau ballet, je trouve qu'il n'y a rien à changer d'un point de vue chorégraphique.
18:11 - Pas d'un point de vue chorégraphique, mais ouvrir les oeuvres aussi à l'époque.
18:15 Qu'est-ce qui se passe ? Et à cette diversité finalement ?
18:19 - Oui, diversité ethnique, diversité sociale.
18:22 C'est important aussi d'avoir toutes sortes de danseurs.
18:27 Notamment, je pense à deux compagnies que je trouve exceptionnelles.
18:31 C'est encore des compagnies américaines.
18:34 Il s'agit du Pennsylvania Ballet à Seattle et le Rambert Ballet qui ont des personnes transgenres
18:42 et des personnes en situation de handicap.
18:45 Ces danseurs sont exceptionnels.
18:49 Quand on les voit, on ne se dit pas "oh mon Dieu, ce sont des mauvais danseurs parce qu'ils sont handicapés".
18:55 Non, bien au contraire, on oublie leur handicap.
18:57 Alors qu'en France, je pense que pour engager des danseurs qui sont en situation de handicap,
19:03 il faudra encore des décennies et des décennies.
19:06 - Il y a un travail fait par des chorégraphes comme Jérôme Bell aussi pour ouvrir les mentalités sur ces questions-là.
19:12 - Bien évidemment. Mais là, je parle de grosses compagnies nationales.
19:17 - Vous aimeriez travailler avec qui aujourd'hui ?
19:20 - En tant que danseuse ?
19:22 - En tant que danseuse.
19:24 - Alors, moi j'adore Wayne McGregor.
19:27 C'est un chorégraphe que je n'ai pas encore eu la chance de danser.
19:33 - Il est à l'Opéra de Paris en ce moment.
19:35 - Oui, je suis une grande fan avec le Dante Project.
19:41 C'est un chorégraphe anglo-saxon.
19:44 C'est un des premiers chorégraphes à avoir mis des danseurs noirs dans ses chorégraphies.
19:50 Alors, à avoir vraiment donné l'opportunité de performer en tant que principale.
19:55 J'adore les thématiques qu'il aborde, j'adore les décors, les costumes.
20:01 C'est très moderne.
20:03 - Voilà pour cet appel qui est lancé indirectement.
20:07 Mais quand même, on va revenir aussi et encore sur ce parcours qui est le vôtre.
20:12 Quand la parole ne suffit plus, il y a la justice.
20:15 Chloé López-Gomez, ce recours, cette action en justice contre certains responsables du Staatsballet, vous l'avez menée.
20:22 Pourquoi ? Est-ce que c'était une reconnaissance ou une réparation que vous souhaitiez obtenir ?
20:28 - Pour être complètement honnête, je n'étais pas partie pour aller en procès.
20:33 Quand je me suis plainte du racisme que je vivais, j'ai vu qu'après tant d'années, il n'y avait aucune mesure concrète qui avait été prise.
20:45 Et malheureusement, ça a affecté ma santé.
20:47 Je suis partie en dépression.
20:49 J'étais sous antidépresseur. J'étais aussi hospitalisée.
20:52 Donc le racisme, tant qu'on ne l'a pas vécu, on ne comprend pas l'impact que ça aura sur notre organisme.
21:00 Et à partir du moment où il n'y a aucune mesure qui a été prise, j'ai décidé de me battre.
21:05 Mais comme je l'ai dit, je me suis battue pour moi, mais je me suis aussi battue pour tous les danseurs qui n'ont pas la chance de se faire entendre.
21:13 - D'autant que vous avez déjà eu affaire à la justice. Enfin, pas vous directement, mais pour faire libérer votre mère qui a été mise en examen pour non-assistance.
21:21 A enfant en danger, ce de son nouveau conjoint qui a succédé dans sa vie à votre père.
21:29 Et vous le racontez dans ce livre. Vous n'avez pas du tout gardé un bon souvenir de cette période-là.
21:34 Parce que la justice n'est pas toujours juste. Parfois, il faut aussi la secouer pour qu'elle se réveille.
21:41 La loi regarde au travers du prisme des privilèges de ceux qui l'appliquent.
21:45 Constatez-vous dans ce livre tel que vous le racontez.
21:49 - Oui, du jour au lendemain, à l'âge de 18 ans, ma mère a été incarcérée.
21:55 Et en fait, ça nous a plongé, mes frères et sœurs, ainsi que moi-même, dans une grande précarité.
22:01 Parce qu'à l'époque, ils étaient tous mineurs. Le dernier, âgé de seulement 6 ans, a été placé à l'ASEUS.
22:08 Nous n'avions aucun lien avec mon père. Nous n'avions aucun lien nié avec ma famille maternelle et paternelle.
22:14 Et du haut de mes 18 ans, j'ai dû me battre pour faire sortir ma mère de prison et me battre pour récupérer mon frère.
22:21 Et là, j'ai été confrontée au système français.
22:26 La juge des enfants a imposé de moi que je trouve un 3 pièces pour accueillir mon petit frère.
22:32 Or, parallèlement, il vivait dans une salle surpeuplée de préadolescents.
22:37 Je trouvais que sa demande était aberrante quand on est confronté à la réalité du logement dans Paris et sa banlieue.
22:46 Mais je me suis battue. J'ai cumulé 3 jobs.
22:49 Donc, si vous voulez que je vous fasse un détail de mon planning, c'était de 22h30 à 5h30 du matin, je travaillais au Quick des Champs-Elysées.
22:56 Puis je rentrais chez moi, je dormais 2 heures. De 10h à 15h30, je travaillais dans une boutique de collants.
23:04 Et de 16h00 jusqu'à 22h00, je travaillais en tant qu'hôtesse d'accueil dans une étude d'avocat.
23:09 J'avais 30 minutes pour courir sur les Champs-Elysées et rebelote. Et ça, je l'ai fait pendant 6 mois.
23:14 - Et vous n'avez rien lâché si ce n'est la danse pendant cette période ?
23:17 - Oui, mais ça, pour le coup, c'était vraiment pas ma priorité.
23:21 Il y a eu des membres de ma famille qui ont grandi à la DAS.
23:25 Et malheureusement, quand on devient pupille de l'État, souvent, on peut être victime de prédateurs sexuels.
23:32 Et j'avais tellement peur que l'histoire se réitère avec mon petit frère, que toutes mes pensées allaient à l'égard de mon petit frère.
23:40 Donc la danse, je l'ai mise volontiers de côté.
23:43 - Voilà, plus que vos pensées, vos actes aussi, c'est ce que vous venez de raconter.
23:47 Toute votre énergie a été mobilisée dans cette bataille-là.
23:50 Pour savoir où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient.
23:53 Alors d'où vous venez-vous, Chloé Lopez-Gomez ? Vous avez commencé à nous le raconter un peu.
23:57 Vous revenez au début du livre sur le passé de vos parents, sur vos origines capverdiennes,
24:02 sur la figure du père Marie Volage et père Violent, qui avaient confectionné, racontez-vous, un martinet que vous surnommiez "le dragon" avec votre sœur et votre frère.
24:14 La fratrie qui n'a cessé de vouloir s'émanciper aussi, sortir de cette ordinaire dont vous avez très tôt pris conscience qu'il ne l'était pas.
24:22 Quelle émotion, quel sentiment ces années-là ont nourri en vous, diriez-vous aujourd'hui, Chloé Lopez-Gomez ? La colère ?
24:31 Pour être complètement honnête, moi ce qui m'avait le plus fait mal, c'est que je comprenais mes parents.
24:38 Je comprenais d'où ils venaient. Là, je ne peux malheureusement pas me plaindre de ma vie,
24:42 parce que je comprends que mes parents ont eu des vies extrêmement difficiles.
24:46 Et moi, contrairement à eux, encore une fois, je suis née en France.
24:50 En revanche, quand je rentrais à la maison, j'étais confrontée au choc culturel.
24:54 À l'école, on m'apprenait à devenir une jeune femme forte, à penser par moi-même, on m'apprenait aussi les règles de la société.
25:01 Et je rentrais à la maison, j'étais confrontée à mon père qui vivait encore, pour lui, en Afrique,
25:08 et qui estimait qu'il nous donnait déjà assez. Il nous nourrissait, il nous donnait un toit, il nous habillait.
25:17 Et pour lui, c'était juste suffisant. Et malheureusement, il a réitéré les erreurs de ses parents sur nous.
25:25 Donc pour moi, c'était extrêmement difficile, parce que je me voyais en tant que Française, et non personne racisée.
25:32 Et ça a été le premier à me faire comprendre que ma couleur de peau pouvait être un problème de notre société.
25:39 - Vous avez pris vos distances, à un moment, et puis les portes de l'école de danse de l'Opéra de Paris s'étaient refermées,
25:45 après un échec au conservatoire. C'est là que vous partez à 14 ans pour Moscou, que vous intégrez la mythique école du Bolchoy, en Russie.
25:53 C'est une autre école, c'est aussi une autre école de la danse, avec beaucoup de différences.
25:59 Votre parcours va continuer d'un endroit à l'autre, vous allez monter les marches, passer des étapes.
26:05 Aujourd'hui, est-ce que vous l'avez dansé, ce lac des signes, d'abord ? Est-ce que vous avez été le signe blanc ou le signe noir ?
26:10 - Alors déjà, d'ici quelques mois, je serai de nouveau le signe blanc.
26:15 - Vous ne dansez plus en fait, maintenant ?
26:17 - Non, là c'est différent, parce que là je vais danser pour un gala, je vais faire le rôle principal, donc c'est différent.
26:22 Mais tout au long de ma vie, oui, j'ai beaucoup, beaucoup performé le lac des signes dans le corps de ballet.
26:30 J'ai beaucoup aimé, ça forge le caractère, c'est extrêmement dur. Il faut les tenir, les quatre actes, c'est quand même 2h30.
26:39 Mais voilà, ce n'est pas un ballet que j'ai envie de refaire toute ma vie, je l'ai assez dansé.
26:45 - Qu'est-ce qui vous a donné des ailes ?
26:47 - Des ailes ? Dans la danse ? Moi, ce qui me fait vibrer, c'est le fait que sur scène, on puisse incarner toutes sortes de personnages
27:01 et devenir la personne que l'on rêve d'être. Une femme fatale, une spirite, une fée, une reine.
27:11 Et au final, qu'importe notre background ou nos origines, le spectateur n'a pas le savoir.
27:17 - Et aujourd'hui, c'est aussi cette idée de transmission, puisque vous êtes professeure, invitée dans différents ballets,
27:22 que vous donnez des cours en ligne sur une plateforme que vous avez lancée.
27:25 - Oui, ma plateforme Bold Step, donc c'est les pas audacieux.
27:29 - Chloé Lopez Gomes, L'audacieuse, Le signe noir, votre livre vient de paraître chez Stock. Merci mille fois.
27:34 - Merci à vous pour l'invitation.
27:36 [Musique]