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"Les séquelles elles ne partent jamais. C'est plutôt la manière dont on vit avec."
Thomas a survécu à 4 viols, à des âges et dans des circonstances différentes. Il a libéré sa parole à l'occasion de la création du #MetooGay et revient pour nous sur ses traumatismes, mais aussi sur ce mouvement.
Transcription
00:00 Violer un homme homosexuel quand on est un homme hétérosexuel,
00:03 c'est à une autre valeur que violer une femme qu'on désire.
00:05 Alors aujourd'hui, je suis venu parler suite au hashtag #MeTooGay,
00:09 où j'ai témoigné dans le cadre d'épisodes de viols que j'ai pu connaître
00:13 durant ma jeunesse et assez récemment.
00:15 Mon premier viol n'a pas été douloureux,
00:16 n'a pas été un viol, en tout cas dans mon esprit.
00:20 Ça a mis du temps en fait à émerger comme tel.
00:22 Le second, c'était mon petite amie de l'époque qui m'avait pénétré pendant mon sommeil.
00:27 Donc je me suis réveillé et il était en moi.
00:32 Pour lui, il avait envie, j'étais là, j'étais son copain, c'était normal.
00:37 Le viol pour moi, c'était la même racine, viol, violence.
00:41 Ce n'était pas désagréable puisque je me suis réveillé doucement en fait.
00:44 C'était comme une étreinte et c'était le fait de ne pas m'avoir demandé qui m'a gêné.
00:50 On me laissait entendre que je suis ton copain, tu devrais aimer ça.
00:54 Mais non, je n'étais pas consentant et j'aurais pu dire non,
01:00 c'est juste qu'on ne m'a pas posé la question.
01:02 Alors si ce deuxième viol était insidieux, le troisième était particulièrement violent
01:06 puisqu'il s'était déroulé dans un cadre assez spécial puisque c'était chez moi.
01:11 Il n'y avait pas de violation de domicile puisque cet individu, je l'ai invité.
01:14 Je contacte via l'application Grindr, discussion, mais vraiment comme une autre.
01:19 Le nombre de fois où j'ai eu des rapports de la sorte, tout s'était très bien passé.
01:22 Une fois arrivé chez moi, il est monté et d'un seul coup,
01:26 je me retrouve au sol, la tête sur le carrelage et il me pénètre comme ça,
01:32 à même le sol et m'insulte tout le long du rapport dans l'oreille.
01:37 Ce n'était même pas en hurlant, c'était vraiment en chuchotant,
01:39 comme s'il essayait vraiment de rentrer en moi,
01:41 mais sous tous les aspects, que ce soit physiquement ou mentalement.
01:45 J'ai l'impression qu'il cherchait à m'écraser de son poids.
01:47 En fait, j'étais tétanisé, j'ai essayé de le repousser un instant,
01:51 mais à un moment, tout le long, ça a été des insultes homophobes.
01:56 Que j'étais une chienne, que j'étais une pute.
01:59 À un moment, il m'avait traité de femelle, comme si c'était une insulte.
02:03 Je crois que cet homme n'était pas homosexuel,
02:06 il n'avait pas un vrai désir homosexuel.
02:08 Il voulait vraiment plutôt détruire des homosexuels.
02:11 Je sentais qu'il avait fini, mais il continuait à m'écraser, à m'insulter.
02:15 Et je me suis dit, ça ne va jamais finir, je vais mourir.
02:17 Et non, il s'est relevé et j'ai juste eu le temps de me retourner.
02:22 J'étais sur le ventre, au sol, sur le carrelage froid.
02:24 Je me suis retourné, il avait un préservatif,
02:28 sauf que je ne l'ai pas vu le mettre.
02:29 Donc, ça veut dire qu'il est rentré, il avait déjà le préservatif enfilé.
02:33 Il avait déjà prévu de me faire ça.
02:38 Et je pense que ce préservatif n'était pas pour me protéger moi,
02:42 c'était pour se protéger lui.
02:44 Parce que, comme il a pu le dire, j'étais quelqu'un de sale, de dégueulasse.
02:50 Et la responsabilité, forcément qu'on y pense.
02:56 On aurait pu faire les choses autrement,
02:57 on aurait pu poser plein de tâches de questions.
03:00 On aurait pu réagir en contactant immédiatement Grindr en disant
03:02 "je viens de me faire violer, le profil a été supprimé".
03:06 Je n'ai pas fait tout ce travail-là.
03:08 Et pendant longtemps, ça a eu un impact sur mes relations.
03:12 Et ma méfiance aussi vis-à-vis des hommes hétérosexuels,
03:15 puisque j'étais convaincu, et encore maintenant je suis convaincu,
03:17 que c'était un homme hétérosexuel, que je suis assez du gay.
03:20 Ma quatrième agression était un viol proprement lié au désir.
03:24 C'était un homme que j'avais rencontré aussi par le même biais que le précédent.
03:28 Tout va bien, ça se passe vraiment comme un date.
03:31 Et au début, j'avais envie d'avoir un rapport avec lui.
03:32 Et le viol a se déroulé au milieu, en fait,
03:36 où il a commencé à faire des choses que je n'aimais pas.
03:39 Je lui ai signalé.
03:40 Il a continué, j'ai répété non.
03:42 Il a continué, j'ai répété non.
03:44 Et j'ai dû dire non moins cinq fois.
03:46 Et à un moment, en fait, vous savez que ça ne sert à rien.
03:49 La tétanie revient.
03:51 Parce que, en fait, dans mon esprit, j'avais envie de réagir.
03:56 Mais je savais que si j'allais réagir, j'allais commettre des choses vraiment très violentes.
03:59 Et en fait, à ce moment-là, ma réaction, ça a été de ne rien faire.
04:04 Et je suis resté comme ça, et j'ai subi.
04:06 Au-delà de la violence du geste, il y a aussi une déception vis-à-vis de vous-même.
04:13 Vous vous dites, on est reparti.
04:15 On est reparti pour une quatrième fois.
04:17 On a forcément un sentiment de culpabilité quand ça vous arrive quatre fois.
04:25 Forcément, vous venez en tête des explications irrationnelles.
04:29 Soit j'attire vraiment ce genre de spécimen.
04:34 Soit j'ai cherché.
04:36 Pendant longtemps, je me suis convaincu d'avoir une tendance masochiste.
04:41 Ce que je cherchais, c'était un partenaire qui m'écoute.
04:44 Ce que je cherchais, c'était un moment passionné.
04:50 Durant une nuit, parce que j'avais envie, et j'ai le droit d'avoir envie.
04:53 On a des idées vraiment très sombres vis-à-vis de soi-même.
04:57 Un nombre de fois où je pensais en finir parce que je me sentais...
05:02 Je ne pouvais plus supporter d'écouter et d'engranger tout ça pour tout le monde.
05:08 Parce que je culpabilisais de détruire, peut-être aussi ma famille en parlant.
05:14 Mes parents ont une réaction assez vive, ce qui est tout à fait normal.
05:20 Surtout mon père, je sens qu'il a lui aussi culpabilisé.
05:23 Et parce qu'ils culpabilisent, on culpabilise.
05:25 C'est un cercle sans fin.
05:27 Et j'ai cherché à le briser en expliquant qu'il ne pouvait rien faire,
05:32 parce qu'il n'était pas là durant ces moments-là.
05:34 La seule chose qu'il aurait pu faire, c'était m'écouter.
05:36 Et c'est ce qu'il a fait, donc il n'a pas culpabilisé.
05:39 Les séquelles, elles ne partent jamais.
05:41 C'est plutôt la manière dont on vit avec.
05:44 C'est juste qu'à certains moments, on a des choses qui se réveillent,
05:48 on a des centres de cicatrices qui ne partiront pas.
05:51 En fait, on peut les traiter, on peut les soigner,
05:54 on peut en prendre soin et on peut ne pas chercher à les déguiser.
05:58 Parce que c'est aussi en les déguisant qu'on les maltraite, je pense.
06:02 Quand on a une sacrée plaie, il faut parfois la laisser au soleil pour qu'elle cicatrise.
06:07 C'est la même chose avec le mitouge.
06:10 Il faut parler pour se dire aussi qu'en fait, on n'est pas seul.
06:15 Et surtout qu'on est écouté.
06:17 Aujourd'hui, je vais très bien.
06:19 Je vais beaucoup mieux.
06:21 Je suis profondément convaincu qu'il manque une pièce du puzzle pour comprendre le viol.
06:26 On est en train d'écouter les victimes, il faut continuer.
06:29 D'autres victimes ont commencé à s'exprimer aussi.
06:31 On a d'autres catégories de la population dont on n'a pas encore eu le témoignage.
06:35 Parce que même si le viol se manifeste plus ou moins de manière similaire pour tout le monde,
06:40 les impacts ou la valeur qui est accordée par le violeur aux gestes du viol sont différentes.
06:46 Violer un homme homosexuel quand on est un homme hétérosexuel,
06:49 c'est une autre valeur que violer une femme qu'on désire.
06:51 C'est le début, c'est encore long.
06:53 C'est une pyramide, au sommet il y a un homme.
06:56 C'est ça.
06:58 Et en fait, nous on est considéré le plus souvent comme des hommes moindres.
07:02 Parce qu'on aurait des caractéristiques féminines.
07:05 Et les femmes du coup seraient encore en dessous de nous.
07:07 Je crois qu'avec le mitouge, on a un mouvement de cette pyramide.
07:11 Une sorte de base qui s'en va.
07:13 Mais c'est une pyramide qui ne respecte pas la loi de la gravité.
07:17 Quand la base s'en va, tout devrait s'effondrer.
07:20 Mais non, cette pyramide retombe exactement sur elle-même.
07:24 Elle a juste rétréci.
07:27 Mais parce qu'on ne le voit pas, parce qu'on est en bas,
07:29 on n'a pas l'impression que la hauteur a particulièrement changé.
07:32 C'est une question de perspective.
07:34 Mais je suis convaincu qu'on est en train de démonter brique par brique un édifice.
07:37 Ce qui est important, c'est de laisser la parole à d'autres personnes que nous.
07:42 La prochaine étape, pour moi, ce sera un mitout trans.
07:45 On voit que, quand on regarde les témoignages de personnes trans
07:49 qui commencent à s'exprimer,
07:51 mais il n'y a pas encore ce mouvement, je dirais, aussi structuré avec ce hashtag.
07:55 On se rend compte que si je donne grosso modo,
07:59 peut-être un quart des homosexuels ont connu au minimum une agression de type sexuel,
08:06 les personnes trans, elles sont au moins 50.
08:09 Et c'est vraiment effrayant.
08:11 Et parce que c'est effrayant, il faut écouter.
08:14 C'est le bon moment aussi de mettre en avant la transidentité,
08:18 de la ramener sur le débat public
08:20 et en parlant d'un problème qui les touche particulièrement.
08:23 Merci.
08:25 Sous-titrage Société Radio-Canada
08:29 [SILENCE]

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