"J'avais 5 ou 6 ans, j'étais sur une balançoire avec ma soeur [...], il y a des gens qui sont passés, qui nous ont vu et qui ont dit un truc genre : tiens, voilà des singes qui se balancent".
La mannequin et chanteuse Imany a subi du racisme dès son plus jeune âge et encore aujourd'hui dans sa vie de maman et d'artiste. Elle nous raconte.
La mannequin et chanteuse Imany a subi du racisme dès son plus jeune âge et encore aujourd'hui dans sa vie de maman et d'artiste. Elle nous raconte.
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00:00 J'ai déjà été victime de racisme avec mon fils.
00:01 Je vois qu'il y a un type qui nous suit.
00:03 Finalement, il nous rattrape.
00:04 Et pour nous cracher au visage,
00:06 il y a encore des sales négros qui vont bouffer nos allocs.
00:09 C'était un cinglé !
00:10 Mais moi, je dois expliquer à mon gamin,
00:11 à 4 ans et demi, c'est quoi un sale négro.
00:13 Je me rappelle la première fois où j'ai subi le racisme.
00:17 J'avais 5 ou 6 ans, je pense.
00:18 Et j'étais sur une balançoire avec ma sœur.
00:22 Et on se balançait comme de petites gamines.
00:25 Et en fait, il y a des gens qui sont passés,
00:27 qu'on ne connaît pas, qui nous ont vus
00:28 et qui ont dit un truc du genre
00:30 "Ah tiens, voilà des singes qui se balancent."
00:33 Quelque chose comme ça.
00:34 Au début, tu ne trouves pas ça si dur.
00:36 Et puis, tu commences à poser des questions autour de toi
00:38 et tu vois les réactions de tes parents,
00:41 qu'ils ne le prennent pas bien et tu comprends que...
00:44 que ce n'est pas normal.
00:45 Mon père m'a pu s'élever en me disant que j'étais une femme
00:48 et que ça allait être plus compliqué pour moi.
00:50 Et qu'il fallait travailler deux fois plus que les autres
00:52 pour avoir deux fois moins.
00:53 Je suis d'origine comorienne.
00:55 Et c'était important aussi pour mon père que je sache
00:58 que mes origines allaient peut-être poser un problème.
01:00 J'ai été repérée vers l'âge de 16-17 ans.
01:03 Je me suis fait arrêter par un scout
01:05 pour une émission qui était graines de star à l'époque.
01:08 La prod travaillait avec l'agence de mannequins qui s'appelait Beautys.
01:11 Il fallait être validé par l'agence de mannequins
01:13 pour qu'elles puissent dire "Ok, si cette fille gagne,
01:16 on pourra la faire travailler."
01:17 Donc l'agence de mannequins m'a validé.
01:19 Mais la boîte de prod ne m'a pas validé.
01:20 Ils n'avaient pas envie d'avoir une mannequin noire.
01:22 J'étais un peu dégoûté, j'étais un peu choqué.
01:24 Bon, à la base, je ne voulais pas être mannequin.
01:25 J'étais une femme qui s'arrête dans la rue et qui me demande
01:29 si je veux être mannequin, je crois que c'est une blague.
01:30 Après, je me retrouve là, je trouve ça intéressant.
01:32 Puis finalement, on me dit "Ah non, ils ne veulent pas de noirs."
01:34 Mais vraiment, moi, quand j'ai commencé la mode,
01:35 on entendait tout le temps.
01:36 "Non, non, cette saison, tel créateur,
01:38 ils ne veulent pas de noirs sur leur défilé.
01:40 Il n'y a pas de noirs sur le défilé."
01:41 Il y a déjà trop de noirs sur le plateau.
01:43 On a peur que les gens commencent à régler leur télé.
01:46 J'ai été mannequin quand même.
01:47 Ma boucueuse, qui n'avait aucun problème avec le fait que je sois noir,
01:50 m'a beaucoup défendu.
01:51 Je pense que ce qui a changé peut-être ma vision des choses,
01:54 c'est quand j'ai commencé à voyager et que je suis allé aux États-Unis.
01:58 C'est drôle, mais je ne me suis jamais senti aussi noir
02:00 que quand je suis arrivé en Amérique.
02:01 Il y avait vraiment ce truc du "black power", du noir américain.
02:05 C'est là que j'ai senti vraiment qu'il y avait une différence de traitement.
02:08 Je ne pense pas que le racisme aux États-Unis est le plus fort.
02:11 Par contre, il n'est plus clair.
02:12 J'ai l'impression que le racisme en France, il est beaucoup plus insidieux.
02:15 Il est beaucoup plus vicieux.
02:16 J'ai subi moins de racisme aux États-Unis qu'en France.
02:18 C'est clair.
02:19 Moi, aux États-Unis, j'étais d'abord perçue comme une Française, je pense.
02:22 Et pas comme une Comorienne, pas comme une Africaine.
02:25 D'abord comme une Française, ce qui n'est pas le cas en France.
02:27 Je suis née ici, mais le réflexe est de demander toujours "d'où tu viens ?"
02:31 Ce qui n'est pas le cas d'une fille qui n'est pas noire.
02:34 Une fille blanche, on ne peut pas lui demander quelles sont ses origines.
02:36 Mais quand tu es noir, on va toujours te demander "tu viens d'où ?"
02:38 Tu vas dire "moi, je viens de Marseille".
02:40 Non, non, mais tu viens d'où ?
02:42 J'ai déjà été victime de racisme avec mon fils.
02:44 Je vois qu'il y a un type qui nous suit.
02:45 Je sens direct qu'il y a quelque chose de pas bien.
02:48 Que le type a l'air bizarre, donc j'essaye un peu de le semer.
02:51 Finalement, il nous rattrape.
02:53 Et pour nous cracher au visage,
02:56 quelque chose du type "encore des sales négros qui vont bouffer nos allocs".
03:01 Alors, moi, mon réflexe a été de dire "bah ouais, d'ailleurs, on va aller s'acheter une Porsche avec, viens".
03:07 Je dis ça à mon fils.
03:09 C'était un cinglé.
03:10 Et ça, vous voyez qu'il était fou.
03:12 Mais moi, je dois expliquer à mon gamin à 4 ans et demi, c'est con un sale négro.
03:15 Voilà.
03:20 Déjà, il faut expliquer le mot "négro", d'où ça vient.
03:22 Et donc, on lui explique déjà très froidement, étymologiquement,
03:25 et qu'est-ce qu'il a voulu dire.
03:27 Et tu lui expliques avec des mots qu'il peut comprendre,
03:29 qu'il y a des gens qui sont malveillants
03:32 et qui ont décidé de l'insulter alors qu'ils ne le connaissaient pas,
03:37 et qu'il ne connaissait pas, et qu'il ne faut pas le prendre sur soi.
03:39 Ça veut juste dire que cette personne, elle n'est pas bien dans sa tête,
03:43 elle n'est pas bien dans sa peau,
03:44 et il ne faut pas l'accepter, cette insulte, comme une vérité.
03:46 Bien sûr, ça m'inquiète pour plus tard.
03:48 Surtout, c'est un petit garçon.
03:50 Et moi, je pense surtout aux violences dans la rue,
03:53 les violences policières, les statistiques qui existent
03:56 et qui disent qu'un homme noir a 8 fois plus de chances
03:59 de se faire contrôler par la police qu'un homme blanc.
04:01 Moi, je me rappelle la première fois que mon petit frère,
04:03 il s'est fait fouiller pour rien par la police à un arrêt de bus
04:07 devant tout le monde, devant ses copains.
04:08 Il était le seul noir.
04:09 Il avait 14 ans, et ça me rappelle encore, ça m'a marqué au fer.
04:12 Alors que j'avais développé quelque chose pour moi-même qui fonctionne,
04:18 je me rends compte qu'il va falloir que je développe quelque chose pour mes enfants.
04:22 En plus, forcément, j'ai une tendance à vouloir les protéger.
04:25 Ce qui est arrivé à mon fils, moi, j'avais envie de me retourner
04:28 et tabasser le mec, sauf que je ne peux pas montrer ça à mon fils.
04:31 Et je suis obligé d'avoir une attitude sereine
04:34 pour que lui-même, il ait une attitude sereine.
04:36 Je vois que mon fils, il l'a plutôt bien vécu
04:38 parce qu'il a vu que je l'avais bien réagi.
04:41 Mais je m'inquiète pour l'avenir pour lui.
04:43 Parce que pour l'instant,
04:45 je n'ai pas l'impression que ça aille dans le sens qu'il faut.
04:49 Et en attendant, je suis quand même obligé de dire à mon fils des choses comme ça,
04:52 mais je ne pensais pas que j'allais le faire à 4 ans et demi.
04:54 Ça, c'est vrai.
04:54 Mais quand j'ai commencé la musique, moi, au départ, je faisais des chansons folk
04:58 et je racontais des histoires.
04:59 Et mes histoires, elles étaient tristes d'ailleurs.
05:01 Et moi, je me souviens que le producteur a dit,
05:03 non, mais une chanteuse noire qui chante des chansons comme ça,
05:07 personne ne va y croire.
05:08 Et avec ton physique, en réalité,
05:10 personne ne va croire en tes chansons tristes.
05:14 En gros, mets un short et monte sur la table.
05:16 Ce sera plus crédible.
05:18 Mais il y a des journalistes,
05:19 je ne vais pas citer les journaux, mais c'est des grands journaux français
05:22 où on va dire la nouvelle blague sur la scène folk.
05:25 Déjà, rien que le principe de la musique noire,
05:28 la musique blanche, c'est quoi ?
05:29 En fait, c'est Mozart, c'est Beethoven.
05:31 C'est quoi la musique blanche ?
05:32 C'est quoi la musique noire ?
05:33 La musique, c'est la musique.
05:34 Je ne sais pas si j'étais confronté au communautarisme,
05:36 mais moi, je me souviens, par exemple,
05:38 il y avait une fille qui m'avait demandé,
05:39 "Emmanuelle, tu ne sors toujours qu'avec des Noirs, comment ça se fait ?"
05:41 En fait, si je sortais avec des Blancs, ça n'aurait choqué personne
05:44 du point de vue d'un Blanc.
05:45 Mais quand je suis Noir et que je ne sors qu'avec des Noirs,
05:47 eh bien, il y a un problème.
05:49 Je veux rester qu'entre nous.
05:50 Alors que si je demande à cette même copine
05:52 si elle est déjà sortie avec des Noirs, elle va me dire non.
05:54 Mais ça, ce n'est pas choquant,
05:55 puisque la norme, c'est d'être Blanc.
05:57 Dès qu'on est dans la sphère blanche,
05:59 ce n'est pas du communautarisme.
06:00 Quand on ne se mélange pas aux Blancs,
06:03 c'est là que ça devient du communautarisme.
06:05 Moi, j'ai l'impression d'appartenir à la communauté française.
06:08 Et après, chacun choisit à quelle communauté il a envie d'appartenir.
06:12 C'est quand les gens refusent de se mélanger qu'il y a un problème.
06:15 On est d'accord ?
06:16 Le problème du racisme, c'est que, moi, ma condition de Noir,
06:20 elle n'existe que dans les yeux de l'autre.
06:22 Je ne me lève pas tous les matins en me disant "je suis Noir".
06:25 Je me lève tous les matins en me disant "je suis moi".
06:27 Tu peux vendre tant de disques,
06:29 tu peux chanter devant des milliers de personnes,
06:31 tu peux changer ton statut et te sortir d'une situation.
06:36 Il y aura toujours quelqu'un pour te remettre dans ta condition de Noir.
06:40 Maintenant, si j'y pense en permanence, tout le temps,
06:42 je veux dire, je ne peux pas vivre.
06:45 Je suis dans une ambiance anxiogène insupportable.
06:49 Mais maintenant, j'ai compris un truc en fait.
06:51 À partir du moment où tu te détaches de la validation des autres,
06:56 ce n'est pas du tout épuisant.
06:57 Tu as beau faire ce que tu veux, les gens,
06:59 ils ne valideront pas qui tu es.
07:01 Mais ce n'est pas grave en fait.
07:02 Parce qu'en fait, il ne faut pas le faire pour les gens,
07:03 il faut le faire pour soi-même.
07:04 Maintenant, moi, ce qui me fatigue, c'est d'être confronté
07:08 à des pseudo-intellectuels, des pseudo-experts,
07:10 des pseudo-journalistes qui t'expliquent leur vision de la race et du racisme
07:15 et qui nous parlent de victimisation.
07:18 Tout ça, moi, ça me fatigue parce que j'ai l'impression
07:20 qu'on ne va pas s'en sortir.
07:22 J'ai l'impression que finalement, c'est toujours la même chose.
07:25 La division, la division, la division, la division.
07:27 Moi, je pense que la manière dont on peut changer les choses,
07:29 c'est qu'il ne faut pas apprendre personnellement.
07:31 Il faut apprendre à ses enfants, avoir confiance en eux.
07:33 Dès qu'on n'a pas confiance en nous,
07:35 on devient un récipient qui stocke tout
07:37 et qui accepte toutes ces insultes comme une vérité.
07:39 Il faut aussi leur apprendre l'histoire, d'où ils viennent,
07:42 qu'est-ce que ça veut dire.
07:43 Il faut aussi les préparer, leur dire
07:46 "tout le monde n'aura pas ton bien à cœur".
07:48 Mais ça ne veut pas dire qu'il faut être méfiant de tout le monde.
07:50 Ce que j'expliquerais à ma fille, c'est que la vie,
07:52 elle ne sera pas du tout facile.
07:53 Il va y avoir un tas d'injustices.
07:54 Il va falloir qu'elle s'arme de courage.
07:56 Il ne faut pas qu'elle se définisse avec les mots des autres,
07:58 mais avec ces mots à elle,
08:00 qu'elle a été construite,
08:01 qu'elle a un être aimé par ses parents d'abord,
08:03 et que quand elle est perdue, il faut qu'elle s'accroche à ça.
08:06 Je lui dirais certainement d'essayer d'en profiter le plus possible
08:08 parce que ça va très vite.
08:10 Voilà.
08:11 Merci.
08:12 Sous-titrage ST' 501
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