[2/2] René Bousquet, les ambiguïtés du « premier flic de Vichy »
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Écoutez la suite du récit raconté par l’historienne Virginie Girod sur "le premier flic de Vichy", René Bousquet. Alors que l’Allemagne nazie poursuit sa macabre "solution finale", René Bousquet négocie le sort des juifs en France pour ménager l’opinion publique. Alors qu’en 1943, le haut fonctionnaire est critiqué pour son laxisme face aux résistants, il en aide certains, dont François Mitterrand. Après la guerre, il fait partie des 108 ministres et hauts fonctionnaires de Vichy jugés par la Haute cour de justice. Contrairement à Pierre Laval, il échappe à la peine de mort. En reprenant une vie "normale", René Bousquet s’insère dans les milieux de gauche antigaullistes et se rapproche de François Mitterrand. C’est par l’impulsion de l’historien et avocat Serge Klarsfeld, au début des années 90, que la justice se replonge dans le passé trouble de cet homme profondément ambigu.
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00:00 Bienvenue au cœur de l'histoire, je suis Virginie Giraud.
00:04 Dans le premier épisode de ce récit consacré à René Bousquet, le haut fonctionnaire a
00:09 connu une ascension fulgurante grâce au soutien des radicaux socialistes du sud-ouest et à
00:14 Pierre Laval.
00:15 Avec l'avènement du régime de Vichy, Bousquet est promu secrétaire général à la police.
00:21 Il a pour mission de garantir la souveraineté et l'honneur de la police face à l'occupant.
00:25 En février 1943, les Allemands exigent de la France de nouvelles déportations de Juifs.
00:40 Bousquet, comme à son habitude, négocie.
00:43 La police arrête de sa propre initiative 1496 Juifs étrangers, essentiellement des
00:50 vieillards et des enfants.
00:51 Elle n'interviendra plus pour les déportations depuis Drancy et si les Allemands veulent
00:56 des Juifs français, ils viendront les chercher eux-mêmes.
01:01 Dans les procès-verbaux allemands des réunions, on constate que Bousquet s'oppose toujours
01:06 à l'arrestation de Juifs français par la police française.
01:09 Il ne faut pas y voir une volonté de protéger les Juifs de France, Bousquet, comme Laval,
01:15 est obsédé par l'opinion publique.
01:17 Les Français s'étaient déjà montrés hostiles au port de l'étoile jaune et les
01:21 Parisiens ont été choqués par la rafle du Veldiv.
01:25 Arrêter des hommes en pleine possession de leurs moyens est acceptable en temps de guerre,
01:30 mais pas les femmes, ni les enfants, ni les vieillards.
01:32 L'épiscopat aussi désapprouve les choix de Vichy.
01:36 Or, si les Français doutent de ce régime qui croyait vraiment redresser la France,
01:42 il s'écroule.
01:43 Bousquet est un antisémite dans un régime antisémite.
01:47 Mais il y a plus radical que lui.
01:49 Alors que l'Allemagne négocie la déchéance de nationalité des Juifs naturalisés français
01:54 avant 1927 avec le soutien de plusieurs hauts fonctionnaires de Vichy, Bousquet pousse
02:00 pour que la mesure ne soit pas appliquée aux Juifs naturalisés avant 1932.
02:04 Encore une fois, c'est plus l'homme ambigu qui ménage sans cesse la chèvre et le chou
02:09 qui s'exprime qu'un humaniste.
02:11 Les rafles ne concernent pas que les Juifs.
02:16 Les Allemands sont aussi obsédés par l'arrestation des communistes et tous les ennemis du Reich.
02:21 Vaste catégorie où l'on peut mettre les résistants et les opposants de toutes sortes.
02:25 En novembre 1942, les forces alliées débarquent en Afrique du Nord.
02:38 Les Allemands envahissent alors la zone libre et exigent une rafle à Marseille pour nettoyer
02:43 la ville de la Pègre des espions et des résistants.
02:46 Pour eux, Marseille, c'est le Chicago français.
02:48 Encore une fois, c'est Bousquet qui est à la manœuvre.
02:52 Il fait venir des policiers de la France entière pour contrôler 400 000 personnes et évacuer
02:59 les habitants du Vieux-Port.
03:01 Des policiers témoigneront à postériori de leur malaise en poussant des familles à
03:05 la rue après leur avoir laissé seulement deux heures pour préparer leur valise.
03:08 Le 1er février 1943, les soldats du génie allemand font sauter le quartier du Vieux-Port.
03:16 Vichy se réjouit de voir cette zone insalubre détruite.
03:19 Pendant cette vaste opération, la police française a arrêté 6000 personnes.
03:24 1600 vont être déportés.
03:27 La moitié est composée de Juifs.
03:30 A la gare, alors que la police entasse les prisonniers dans des wagons de train, Bousquet
03:36 arpente les quais avec Karl Auberg, le chef supérieur de la SS et de la police allemande.
03:41 Le fonctionnaire est très élégant avec son long manteau noir bordé de fourrure.
03:47 Il s'approche des portes des wagons, pleins de prisonniers, et ordonne de faire descendre
03:53 ceux qui se sentent mal.
03:54 Ce jour-là, il sauve une centaine de personnes.
03:58 Là encore, difficile d'y voir de l'humanisme, il veut plutôt montrer à Auberg que c'est
04:03 lui qui commande sur son territoire.
04:05 En cette année 1943, René Bousquet reste difficile à cerner.
04:18 Les collaborateurs les plus convaincus du régime de Vichy se plaignent de lui.
04:23 Il est trop mou avec les terroristes, c'est-à-dire les résistants, et il a aussi des sympathies
04:28 pour les francs-maçons, il n'envoie pas assez de français au STO, le service du travail
04:33 obligatoire, et ils ne savent pas que Bousquet se débrouille pour obtenir de faux papiers
04:38 à quelques résistants qui gravitent dans son cercle de politiciens du sud-ouest.
04:42 Parmi eux, il y a un certain François Morland, dont le véritable nom est François Mitterrand.
04:49 En octobre 1943, le torchon brûle entre Pétain et Laval, qui ne se supportent plus car ils
04:56 se disputent le pouvoir.
04:57 Résultat, une partie des soutiens de Laval au gouvernement sont renvoyés.
05:02 Bousquet est remplacé par Joseph Darnan, un fasciste et un antisémite convaincu, chef
05:08 de la milice.
05:09 Bousquet brûle ses archives avant de céder son bureau à son successeur.
05:13 Malgré tout, les archives des autres services administratifs français et allemands permettent
05:19 de tenir des comptes.
05:20 Bousquet a permis la déportation de 60 000 Juifs.
05:24 En juin 1944, alors que les Alliés sont sur le point de reprendre Paris, Bousquet sait
05:36 qu'il doit faire face à son destin, mais il le fait toujours en fin stratège.
05:40 Il quitte le sud-ouest pour la capitale, où il est arrêté par les Allemands.
05:45 L'estime de Karl Auberg, le chef supérieur de la police et des SS, lui permet de séjourner
05:50 en résidence, surveillé en Bavière.
05:52 Il semblerait qu'il obtienne ainsi le titre de déporté en Allemagne.
05:57 Alors que l'armistice est signé, les Américains lui proposent de venir dans leur pays pour
06:02 prendre un nouveau départ.
06:03 Bousquet refuse, il choisit de rentrer en France, où il est incarcéré à Fresnes.
06:09 Il sait que des procès d'épuration se préparent et il veut organiser méthodiquement
06:14 sa défense.
06:15 Le 18 novembre 1944, le gouvernement provisoire de la République française dirigé par le
06:22 général de Gaulle crée la Haute Cour de Justice, chargée de juger les 108 ministres
06:26 et hauts fonctionnaires de Vichy, régime désormais considéré comme illégitime,
06:31 nul et non avenu.
06:33 Cela signifie concrètement que Vichy est considéré comme une parenthèse politique
06:38 où des traîtres ont confisqué le pouvoir et salient la France.
06:42 Dans les mois qui suivent la fin de la guerre, la violence est partout.
06:46 Les Français ont soif de vengeance et s'acharnent sur les Colabos et les Putaboches.
06:50 On les rase et on les expose à la vindicte du peuple.
06:54 Cette violence se fait souvent de manière désordonnée dans la rue.
06:58 Pour les hauts fonctionnaires, c'est la justice qui se chargera de l'épuration.
07:03 Pétain, qu'on considère comme un vieillard sénile, est frappé d'indignité nationale.
07:08 Pendant l'épuration, c'est considéré comme un crime.
07:12 Il est condamné à mort, mais la peine ne sera pas appliquée en raison de son âge.
07:17 Il meurt en 1951 à 95 ans alors qu'il se trouve en résidence surveillée.
07:22 Pierre Laval est condamné pour haute trahison.
07:25 Il est fusillé le 15 octobre 1945 après une tentative de suicide ratée.
07:30 Joseph Darnan, le chef de la milice qui a remplacé Bousquet à la tête de la police,
07:35 est condamné à mort pour le même motif et fusillé le 10 octobre 1945.
07:39 Les débuts de l'épuration sont sans pitié.
07:43 Et puis les années passent et les Français se lassent du sang et de la guerre.
07:47 Le procès de René Bousquet commence le 21 juin 1949.
07:56 Il est parmi les derniers membres du régime de Vichy à comparaître devant cette cour.
08:01 Le jury est alors composé d'une majorité de parlementaires centristes qui appartiennent
08:06 d'une manière ou d'une autre à ces réseaux amicaux et professionnels.
08:09 Il y a donc peu de gaullistes et de communistes qui semblent avoir été progressivement écartés
08:14 du jury.
08:15 Parmi les jurés, il y a le radical socialiste Jean Beylet, un ami de longue date de Bousquet
08:22 qui est le rédacteur en chef de la Dépêche du Midi, un journal autour duquel gravitent
08:26 les anti-gaullistes du sud-ouest.
08:27 Le début de l'acte d'accusation de Bousquet est presque un éloge dithyrambique.
08:33 Toute la cour reconnaît ses qualités de préfet au début de la guerre.
08:37 Ce sont ses décisions au secrétariat général à la police qui posent problème.
08:41 Il aurait sciemment apporté son aide à l'Allemagne et nuit à la défense nationale.
08:46 Il faut déterminer si Bousquet a, oui ou non, trahi la France.
08:50 Le procureur général, monsieur Fret d'Amicourt, homme de gauche, proche du Front populaire,
08:57 se montre complaisant.
08:58 Certains historiens pensent que Bousquet aurait pu être initié à la franc-maçonnerie.
09:03 Cela expliquerait pourquoi il ne les aurait jamais poursuivis pendant la guerre et pourquoi
09:09 il aurait pu recevoir le soutien de ses frères pendant son procès.
09:12 Cela reste à l'état d'hypothèse pour le moment.
09:15 Il aurait aussi pu bénéficier d'un soutien du corps des hauts fonctionnaires par pure
09:20 solidarité de classe.
09:21 Mais ce n'est pas suffisant pour s'en tirer.
09:23 Bousquet a profité de ses trois années en prison pour mûrir sa défense.
09:28 Il s'emploie à minimiser sa responsabilité dans toutes les décisions qu'il a prises.
09:34 Il se vend comme un patriote, un républicain qui a fait ce qu'il a pu pour préserver
09:39 l'honneur de la France et les Juifs français.
09:41 A la barre, Bousquet s'adonne à de longs monologues qui charment son auditoire.
09:47 Après trois jours de procès, il est acquitté du chef d'atteinte aux intérêts de la
09:51 défense nationale, mais convaincu de crimes d'indignité nationale.
09:55 Sa peine est donc de cinq ans de dégradation nationale.
09:59 Bousquet sort du tribunal en homme libre, mais sans sa légion d'honneur.
10:03 La presse ne s'en émeut pas plus que ça.
10:05 A cette époque, beaucoup de politiciens, de résistants de la dernière minute et de
10:13 hauts fonctionnaires, aux comportements troubles, se rachètent une virginité en politique.
10:17 Ceux que l'on ne peut pas recycler à cause des faits de collaboration trop évidents
10:22 partent dans le privé.
10:23 Il est temps pour René Bousquet de commencer sa carrière de banquier d'affaires.
10:28 Il intègre la Banque d'Indochine où il travaille avec d'anciens collabos et d'anciens
10:33 résistants.
10:34 Cette banque permet notamment de financer la guerre en Indochine.
10:37 Bousquet montre encore une fois qu'il est un excellent négociateur, un homme de l'ombre
10:42 qui sait gérer des dossiers complexes.
10:44 L'une de ses fonctions est de transformer cet établissement colonial en banque d'affaires
10:50 métropolitaine.
10:51 Parallèlement, Bousquet entre au conseil d'administration de la Dépêche du Midi
10:56 et noue une relation avec sa propriétaire Evelyne Bellet, la veuve de son vieil ami
11:00 Jean Bellet.
11:01 Ils gravitent désormais dans les milieux de gauche antigaulliste et se rapprochent de
11:06 François Mitterrand.
11:07 On ignore s'ils sont de proches amis ou s'ils ont seulement une estime réciproque,
11:12 mais dans les années 1970, Bousquet figure sur les photos des amis de Mitterrand présents
11:18 dans la résidence de Lachez.
11:19 Bousquet sentit trop bien aux yeux de certains militants pour la reconnaissance de la Shoah
11:27 comme l'historien et avocat Serge Klarsfeld, fils d'un déporté mort à Auschwitz.
11:32 Celui-ci se bat pour faire condamner les anciens nazis et leurs sympathisants qui sont passés
11:37 entre les mailles des filets de l'épuration.
11:39 Serge Klarsfeld exhume des archives de 1942 démontrant l'implication de Bousquet dans
11:46 les rafles de cette année-là et souhaite lui intenter un nouveau procès pour crime
11:50 contre l'humanité.
11:51 A la même époque, en 1978, Louis d'Arquier de Pellepoix, antisémite notoire, réfugié
11:58 en Espagne, franquiste et ancien directeur du commissariat général à la question juive
12:03 sous Vichy, livre un témoignage accablant à l'Express.
12:07 Il attribue l'entière responsabilité du Veldiv à Bousquet tout en tenant des propos
12:12 révisionnistes sur les chambres à gaz.
12:14 Les tentatives de Klarsfeld pour rouvrir le dossier Bousquet échouent d'abord.
12:19 Il semblerait que l'ancien patron de la police de Vichy soit protégé par Mitterrand
12:25 qui ne veut pas rouvrir les blessures du passé.
12:27 Après un long bataille médiatique, Klarsfeld obtient gain de cause.
12:32 Au début des années 1990, la justice se décide à replonger dans le passé trouble
12:38 de René Bousquet.
12:39 L'instruction commence.
12:41 Le 8 juin 1993, un homme se présente au concierge du 34 avenir Raphaël dans le 16ème arrondissement
12:51 de Paris.
12:52 Il doit remettre un document du tribunal au domicile de René Bousquet.
12:57 Le concierge le laisse monter au 6ème étage de l'immeuble.
13:01 L'homme sonne à la porte de l'ancien fonctionnaire de Vichy, désormais âgé de
13:05 84 ans.
13:06 Bousquet ouvre et l'homme tire quatre coups de feu.
13:10 Il a fallu quatre balles pour que Bousquet s'écroule.
13:13 L'assassin est un déséquilibré en mal de notoriété nommé Christian Didier.
13:28 Il dit avoir tenté de tuer Klaus Barbie, l'officier SS surnommé le Boucher de Lyon,
13:33 en vain et se vante de ne pas avoir raté Bousquet.
13:37 Il raconte le meurtre avec délectation devant les caméras.
13:40 Évidemment, pour une partie de l'opinion publique, des politiciens qui auraient eu
13:45 un intérêt à ne pas voir le procès Bousquet se rouvrir auraient armé sa main.
13:50 Mais un nouveau procès Bousquet n'aurait pas servi à grand chose.
13:58 Il s'était compromis avec l'ennemi, personne n'en doutait plus.
14:01 Les archives allemandes et françaises livrent la vérité crue.
14:05 René Bousquet était un technocrate et un patriote de son temps.
14:09 Il était un homme de gauche, séduit par les idées antisémites et xénophobes, un
14:14 amoureux de l'ordre, de la force et du prestige.
14:17 Il ne s'est pas battu pour sauver des vies, mais il a louvoyé avec cynisme pour le bien
14:22 de sa carrière.
14:23 Il aimait certainement la France, mais beaucoup moins les français.
14:27 C'est la fin de ce récit en deux parties consacré à René Bousquet.
14:41 Merci de l'avoir écouté.
14:43 Au cœur de l'histoire est un podcast original, Europe 1 Studio.
14:47 J'aime vous raconter des histoires à l'oreille et si je peux le faire, c'est aussi grâce
14:51 à la formidable équipe qui m'accompagne.
14:53 A la production, Camille Bischler, à la réalisation, Clément Ibrahim, à la direction artistique,
15:00 Julien Tharaud et Adèle Imbert, à la composition des musiques originales, Julien Tharaud et
15:05 Sébastien Guidis, à la communication et à la diffusion, Kelly De Croix et Romain
15:11 Vintillas.
15:12 Et moi, la voix et la plume d'Au cœur de l'histoire, je vous donne rendez-vous très
15:15 vite sur votre plateforme d'écoute préférée.
15:17 A bientôt.
15:18 [Musique]
15:20 [SILENCE]