La voix, "un timbre qui continue à être sculpté tout au long de la vie"

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00:00 * Extrait de « Les Matins de France Culture » de Guillaume Erner *
00:06 Oui, si vous suiviez puisque chaque voix a un timbre bien caractéristique.
00:10 Et si dans votre poste un présentateur est remplacé, eh bien vous l'entendez.
00:16 Bonjour Jean Habitbol.
00:17 Bonjour.
00:18 Vous le savez particulièrement puisque vous êtes fauniatre et vous pludiez les voix de notre vie.
00:24 Expliquez-nous tout d'abord d'où vient notre voix.
00:27 Alors, la voix c'est, vous étiez dans le ventre de notre maman, dans un liquide aquatique assez chaud d'ailleurs.
00:33 Et déjà les vibrations à ce moment-là, vous avez entendu les vibrations de votre mère.
00:37 Et cette vibration vient impacter votre cerveau et vient déjà donner un élément de bonheur ou un élément de tristesse.
00:44 En fonction de ce que la maman va ressentir, on a fait des IRM fonctionnels
00:49 et on a montré effectivement qu'un tout petit fœtus ressent déjà à l'intérieur de lui-même le stress
00:55 par une sécrétion de cortisol, celle qu'on arrive à mettre au niveau, si vous voulez, du liquide amniotique.
01:00 Mais également au niveau de l'IRM cérébral, qu'une maman qui est déprimée, eh bien l'enfant va parler un peu plus tard.
01:06 Alors qu'une maman qui est joyeuse et qui écoute la musique pendant cette grossesse, eh bien l'enfant va parler plus tôt.
01:11 Ça veut dire qu'on entend beaucoup plus de choses que la parole dans une voix ?
01:15 Absolument. Si je vous fais par exemple "pam pam pam pam", pas besoin de dire ce que c'est, c'est Beethoven.
01:20 Donc à quelques secondes près, vous reconnaissez une voix.
01:23 La voix que vous allez reconnaître, c'est qu'il y a un timbre derrière.
01:26 Ce timbre a été façonné, sculpté depuis votre toute petite enfance et va continuer à l'être pendant toute votre vie.
01:33 Jusqu'au moment où des gens que vous aimez, qui ont disparu, le fait de les écouter également va impacter cette vie et va impacter votre voix.
01:41 Et ça veut dire aussi qu'on peut moduler, on peut agir sur cette voix avec beaucoup de comédiens ?
01:46 Parce que je sais que vous travaillez avec certaines personnes pour la scène, Jean Habitbol. Comment ça fonctionne ?
01:52 Alors la voix, c'est simple. La force de la voix, c'est le souffle pulmonaire.
01:57 Il faut un vibrateur, c'est comme un instrument de musique, c'est les deux cordes vocales.
02:00 On n'a que deux cordes vocales, on n'a pas cinq en deux comme sur un piano.
02:02 Et puis les résonateurs, si je vous dis un, deux, trois ou je pince-mordais un, deux, trois, la voix n'est pas la même.
02:08 Donc ce conduit vocal que nous avons va vous donner la voix.
02:11 Cette personnalité vocale, vous l'avez, mais le timbre, la façon dont vous allez parler, les harmonies que vous allez apporter,
02:17 et surtout le fait absolument extraordinaire, c'est le silence entre les mots.
02:23 Car la voix, c'est le rythme, la respiration. Et puis dans ce rythme, le silence qui lui, dans le non-dit, va dire énormément de choses.
02:30 Bon, on va entendre une voix, je ne vous dis pas laquelle.
02:33 Paris, Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré, libéré par lui-même.
02:47 Je n'ai pas besoin de vous dire de qui il s'agissait Jean Abitbol.
02:51 Vous en parlez d'ailleurs dans votre livre Les voix de notre vie chez Grasset.
02:55 La voix de De Gaulle, quelques commentaires.
02:58 Alors la voix de De Gaulle, c'est un sujet passionnant.
03:01 Passionnant parce que grâce à l'amiral De Gaulle, que j'ai eu la chance de connaître,
03:06 eh bien l'amiral m'a raconté un peu la voix du général, comme il disait.
03:10 Il avait une voix au départ qui était une voix un peu aiguë.
03:12 Il a été écouté Jaurès, qui Jaurès était un tribun.
03:16 Il prenait tranquillement la voiture de l'époque pour aller l'écouter,
03:19 mais il se mettait au fond de la salle pour qu'on le voit à peine,
03:22 pour entendre cette voix comme ça, qui est une voix timbrée.
03:25 Car il a toujours, et il a toujours dit que la voix était l'instrument essentiel d'un leader.
03:31 Preuve en est, c'est qu'en 1968, quand il est apparu à la télévision,
03:35 on voyait son visage à l'époque.
03:37 J'étais étudiant, tout jeune étudiant, je l'écoutais, je dis oui d'accord, c'est un vieux qui parle.
03:41 Et puis quand l'écran était noir et qu'il a parlé, qu'on n'entendait qu'une seule voix,
03:45 l'imaginaire de la voix qui parle, parle beaucoup plus fort.
03:50 Preuve en est, la radio France Culture, par exemple, est une radio de voix parlée.
03:54 Et vous écoutez ça avec beaucoup plus d'entrain parce que vous laissez votre imaginaire écouter,
03:58 mais également savoir ce qui va être dit derrière.
04:01 - Comment peut-on travailler sa voix, Jean-Habitbol ?
04:03 - La voix se travaille d'abord naturellement.
04:06 Vouloir parler et être quelqu'un d'autre, parce qu'on veut imiter quelqu'un d'autre, c'est se perdre soi-même.
04:11 Une belle voix, c'est une voix qui est sincère, qui est authentique.
04:15 Et avec André Dusselier, qui est un comédien remarquable, on en a souvent parlé,
04:19 eh bien oui, une voix de comédien, il joue un rôle, mais ce rôle, il l'interprète en interprétant un texte.
04:24 Mais une voix se travaille avec une orthophoniste, bien sûr,
04:28 et puis avec la façon dont on va placer sa voix, dont la respiration va être placée
04:32 et dont l'environnement dans lequel vous êtes va jouer également.
04:36 Preuve en est, les enseignants.
04:37 - Mais une voix aussi, ça s'érite.
04:40 - Oui, si vous forcez sur votre voix, si vous l'avez mal placée, si vous avez un rhume,
04:44 si vous toussez, il y a deux ennemis à la voix, il n'y en a pas énormément.
04:48 Le premier, c'est la toux violente.
04:50 Et je l'ai connu pendant ce Covid qui a été terrible,
04:54 puisque le nombre de patients que j'ai vus avec des polypes des cordes vocales
04:57 ou avec des hémorragies des cordes vocales, secondaire à ces toux violentes qui ont duré deux mois.
05:02 Et oui, à ce moment-là, c'est le premier ennemi.
05:04 Deuxième ennemi, c'est le reflux gastrique avec les vomissements qui brûlent les cordes vocales.
05:08 Et puis bien sûr, les laryngites virales, mais ça, c'est bien autre chose.
05:10 Là, on parle de choses mécaniques simples.
05:13 - Et alors, en général, on se dit que l'on peut se mettre d'accord sur ce que l'on appelle une belle voix.
05:19 Pour vous qui êtes fauniatre, genre à bitbol, qu'est-ce que c'est ?
05:23 - Alors, une belle voix, elle impacte sur trois éléments simples.
05:27 Et ça, on l'entend surtout chez les comédiens, mais chez la personne qui va vous parler.
05:33 La première, j'en ai déjà parlé, c'est l'authenticité.
05:35 Mais la seconde, c'est la façon dont vous allez terminer votre phrase.
05:39 Si vous parlez comme ça, il est évident que vous allez irriter l'autre.
05:42 Donc, c'est une voix dans laquelle il y a du charme et une séduction.
05:45 Il y a une sincérité. Il y a des consonances graves.
05:49 Chez une voix d'homme, ce qui est beau, c'est les graves.
05:51 Mais si les graves sont seules, c'est comme un diamant.
05:54 Les crains de la voix, ça va être justement les aigus qui vont percer derrière.
05:58 Et chez la femme, c'est pareil.
06:00 La voix est une voix aiguë au départ, mais les crains de cette voix, c'est les graves qu'il y a derrière.
06:03 Et ce relief que nous avons dans la voix, c'est comme en armée, comme dans la musique.
06:07 Ils nous font un relief. Les mineurs, les majeurs, c'est un peu pareil.
06:11 - Et alors, ceux qui savent particulièrement moduler leur voix, les imitateurs ?
06:16 - Les imitateurs, c'est différent.
06:17 Les imitateurs vont prendre la voix de l'imité, mais ils restent eux-mêmes.
06:20 Ils ont leur signature. Ils vont faire les mimiques de l'imité.
06:24 Mais ce qui est passionnant chez l'imitateur, c'est qu'il va imiter, par exemple, Charles Aznavour,
06:28 par exemple, Johnny Hallyday ou un homme politique.
06:31 Il faut qu'il prenne les mêmes mots que celui-ci.
06:34 On ne pourra pas entendre M. Aznavour qui parlerait comme quelqu'un qui est, par exemple, M. De Gaulle.
06:40 Ce n'est pas possible. C'est-à-dire qu'il faut, d'autre part, le rythme et il faut la tonicité, c'est-à-dire le timbre.
06:46 Ce sont des gens qui écoutent et c'est l'oreille qui pilote la voix.
06:52 C'est leur oreille qui fait qu'ils sont d'excellents imitateurs.
06:54 Et en regardant la mimique des imités, on s'aperçoit que tout cela joue.
06:58 - Mais alors, les cordes vocales, s'agit-il d'un muscle ou quelque chose ?
07:03 - Alors, là, j'ai eu cette chance d'avoir examiné pas mal d'imitateurs.
07:07 Et dans la majorité des cas, ils ont des cordes vocales asymétriques.
07:10 C'est-à-dire que la corde vocale droite et la corde vocale gauche n'ont pas la même dimension.
07:14 Heureusement, en médecine, c'est que 95% des cas. 5%, ce n'est pas le cas.
07:18 - C'est combien d'ailleurs une corde vocale ?
07:19 - Pardon ?
07:20 - Est-ce que c'est grand une corde vocale ?
07:21 - La corde vocale de l'homme, c'est 23 mm. De la femme, c'est 20 mm.
07:25 La corde vocale de la femme permet justement de monter plus dans les aigus parce qu'elle est plus courte.
07:30 Elle va beaucoup plus dans les aigus, comme le tout petit nourrisson.
07:32 Et à ce moment-là, effectivement, vous avez la force peut-être la même,
07:37 mais le timbre et le registre vocal n'est pas le même entre l'homme et la femme
07:40 du fait, certes, de la longueur des cordes vocales, mais également de la façon dont ils vont le placer.
07:44 - Et ça veut dire aussi qu'on a des prédispositions par rapport à ces cordes vocales ?
07:49 Mais alors, ce qui est étonnant, tout à l'heure, je vous ai fait entendre pour le 7h14 la voix de Claude Dupont,
07:55 donc une voix qui a quelques années sur France Culture.
07:57 Comment cela se fait-il que les voix paraissent dater ?
08:01 - Alors, une voix va se modeler à l'époque dans laquelle vous vivez.
08:05 Si on prend la voix Paris, ce sont des tribuns, ce sont des gens qui ont appris à parler sans micro.
08:12 Donc la voix était une voix projetée. Aujourd'hui, vous pouvez parler doucement.
08:15 On n'a pas besoin de forcer la voix. Donc le timbre lui-même, la force la même de la voix est différente.
08:19 Et puis, on est dans une période de zapping.
08:21 Aujourd'hui, le zapping est tel que vous n'entendez pas, vous allez zapper, vous allez passer à autre chose.
08:26 Donc on va aller très vite. Quand on écoute certaines personnes qui vous interviewent,
08:30 ça va tellement vite qu'on a à peine le temps de comprendre.
08:32 Enfin, pour moi, en tous les cas, parler jamais.
08:34 Et ce zapping fait qu'on va de plus en plus vite.
08:36 J'aimerais vous dire beaucoup de choses, donc il faut que je vous dise très vite,
08:38 parce que si je ne vous dis pas, et je m'essouffle.
08:40 - Justement, il y a un lien entre la voix, sa tessiture et, par exemple, la prononciation,
08:45 la bonne prononciation, la bonne élocution.
08:47 - Tout à fait. C'est-à-dire qu'on est aujourd'hui dans une perte de la prononciation,
08:51 une certaine perte également des mots.
08:53 Et à force de les voir, les raccourcir, on les a tronqués.
08:56 Et à la limite, on ne permet plus au silence de s'installer entre les mots.
09:02 - En conclusion, puisque vous êtes fauniatre, Jean-Habitbol,
09:04 je suis obligé de vous demander comment il faut faire pour bien conserver sa voix.
09:08 - Alors, très simple. Pour conserver sa voix, il faut rester soi-même.
09:12 Il faut avoir une voix qui parle avec le cœur, avec ce que l'on ressent, son émotion.
09:17 Et puis, il faut la protéger.
09:18 - La voix, c'est votre instrument. - Justement, comment la protège-t-on ?
09:20 - Alors, on la protège avec un petit feffroi, avec une écharpe, des choses toutes bêtes.
09:23 Avec une infusion au thym, avec un petit tronc.
09:26 Et puis, on met un peu de miel, deux à trois fois par jour,
09:28 quand on est un professionnel comme vous, pour éviter que la voix se dessèche.
09:31 Que si je vous parle, sachez que c'est 240 fois par seconde que vous frottez vos mains.
09:38 Si elle n'est pas lubrifiée, il est évident que vous la cassez.
09:40 - Merci beaucoup, Jean-Habitbol.
09:42 On vous retrouve dans le livre que vous publiez chez Grasset, "Les voix de notre vie".

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