• il y a 6 mois

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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Marguerite Caton, bonjour.
00:08 Bonjour Guillaume et bonjour à tous.
00:10 Je ne sais pas pourquoi mais tout le monde parle d'Europe ce matin.
00:12 Oui, il y a quelques jours du scrutin.
00:13 Une dernière mise en garde s'impose pour tous ceux qui n'ont pas encore choisi la liste qu'ils veulent soutenir.
00:19 Gare aux fausses nouvelles, aux intelligences artificielles qui se font passer pour une personnalité.
00:24 Gare aux semeurs de troubles et d'angoisse.
00:26 Ce pourrait bien être une opération de déstabilisation, disons-le tout net, une opération russe.
00:31 Bonjour Frédéric Charillon.
00:33 Bonjour.
00:33 Vous êtes professeur de sciences politiques à l'université Paris-Cité, spécialiste des relations internationales.
00:39 Vous avez publié "Guerre d'influence, les Etats à la conquête des esprits", c'était chez Odile Jacob.
00:45 Est-ce qu'on peut parler à l'heure actuelle d'attaques de grande ampleur ?
00:48 De grande ampleur, pas encore.
00:49 Il y a plutôt quelque chose qui ressemble à du harcèlement, qui tient lieu de messages d'avertissement permanent sur le fait que ça pourrait être pire.
01:00 C'est un peu comme ça, je crois, qu'on peut le voir.
01:02 Parce qu'on a des avertissements qui nous viennent d'autres services de renseignement, notamment britanniques et autres,
01:08 qui nous disent "attention, ça peut à un moment passer au stade supérieur", c'est-à-dire le sabotage, y compris avec des dégâts physiques et humains, pour le moment.
01:16 Et heureusement, on n'en est pas là.
01:18 On en est plutôt à des signaux qui ne sont pas faibles, qui sont des signaux de plus en plus formés,
01:25 qui visent à installer un climat d'insécurité et de doute.
01:28 Je crois que c'est plutôt à cette étape que nous sommes aujourd'hui.
01:32 Cela, on verra, Yurova, la vice-présidente tchèque de la Commission européenne, charge des valeurs et de la transparence,
01:38 elle a donné mardi une conférence de presse.
01:40 Trois grands pays sont attaqués en permanence par la Russie, la France, la Pologne, l'Allemagne.
01:46 Le premier type d'attaque, c'est la désinformation.
01:48 Le site Euromore, les opérations d'Opal Ganger, Matrioshka, Portal Combat.
01:52 Comment fonctionnent ces campagnes, Frédéric Charillon, et que sont-elles supposées créer dans l'esprit des internautes ?
01:57 D'abord, elles n'ont pas lieu qu'en Europe, c'est ça qui est assez intéressant.
02:00 Ça touche aussi l'image de ces pays, notamment de la France.
02:03 Ailleurs, évidemment, la France a vu ça en Afrique.
02:06 C'est-à-dire qu'on voit en permanence, d'ailleurs il y a encore eu un petit échange acrimonieux entre l'ambassade de France en Afrique du Sud,
02:14 il y a quelques heures, et leurs collègues russes qui sont dans le même pays.
02:20 On essaie de toucher l'image d'un pays pour montrer qu'il est en pleine contestation, que tout va mal dans ce pays, que ça ne va pas du tout.
02:28 Et évidemment, on attaque aussi ce pays sur son territoire même, c'est-à-dire sur son opinion publique,
02:34 pour essayer d'installer l'idée que rien ne va.
02:39 Alors, il y a plusieurs objectifs qui ne sont pas de la même ampleur.
02:42 D'abord, il y a une guerre très longue d'informations contre les démocraties libérales.
02:46 Vous avez cité les trois pays, Pologne, Allemagne et France,
02:49 ils sont sans doute perçus comme des maillons faibles par la Russie,
02:54 qui ne s'attaquent pas à d'autres pays qui pourraient peut-être répliquer plus difficilement, plus durement.
03:00 C'est une guerre de long terme contre des démocraties libérales, voilà,
03:03 pour essayer de montrer que la démocratie, c'est le chaos,
03:06 pour ne surtout pas donner envie à d'autres opinions publiques ailleurs, y compris d'ailleurs en Russie, d'aller vers la démocratie.
03:12 Ça, c'est quelque chose de long terme.
03:13 Ensuite, on est dans un contexte depuis deux ans et demi qui est beaucoup plus particulier,
03:17 qui est évidemment le contexte de la guerre ukrainienne.
03:18 Donc là, il s'agit de frapper les pays qui sont en première ligne dans l'aide à l'Ukraine.
03:23 La Bologne, elle se réarme considérablement et soutient considérablement l'Ukraine.
03:28 L'Allemagne donne financièrement beaucoup pour le soutien à l'Ukraine.
03:32 Et la France, de plus en plus maintenant, envisage même d'ailleurs d'envoyer des hommes en Ukraine.
03:38 Donc, ce n'est pas un hasard. Et donc, ces attaques visent en particulier à déstabiliser.
03:42 Mais dans un jeu un peu du chat et de la souris, c'est-à-dire vous avez fait cette annonce, vous allez voir ce que nous, nous pouvons faire.
03:48 Et puis alors, en plus, il faut ajouter peut-être une troisième temporalité encore plus resserrée,
03:52 c'est que nous, en France, nous allons organiser dans quelques jours les Jeux olympiques.
03:56 Et donc, forcément, dans ce contexte-là, nous avons des craintes sécuritaires.
04:01 Nous avons une fébrilité qui n'est évidemment pas ordinaire
04:05 parce que nous allons accueillir un événement international avec beaucoup de monde.
04:08 Nous allons être sous le regard du monde.
04:10 Et donc, nous craignons pour la sécurité. Et nos adversaires le savent très bien.
04:14 Et ils ont mené d'ailleurs une campagne mettant en avant les risques sécuritaires,
04:18 racontant que 25% des gens qui avaient acheté des billets pour les Jeux olympiques les avaient rendus.
04:23 Évidemment, c'était de la désinformation.
04:25 On peut citer aussi une opération en Pologne, pour le coup, vendredi, suite à une cyberattaque de l'agence de presse.
04:31 Il y a une fausse dépêche qui a été diffusée. Elle annonçait la mobilisation de 200 000 soldats pour l'Ukraine.
04:36 Voilà, le conflit ukrainien est au cœur de ces campagnes.
04:39 Alors, le deuxième niveau d'attaque, si on peut dire, c'est la déstabilisation.
04:42 A ce titre, la France a été tout particulièrement visée.
04:44 Des étoiles de David taguées au mois d'octobre, des mains rouges sur le mémorial de la Shoah en mai.
04:48 Tout récemment, des faux cercueils de faux soldats français,
04:51 faux spambords d'Ukraine recouverts du drapeau devant la tour Eiffel.
04:55 Est-ce qu'on est capable, à l'heure actuelle, de savoir, de remonter jusqu'au commanditaire de ces trois événements ?
05:00 Ça dépend vraiment des cas de figure.
05:03 Alors, il y a des caméras de surveillance.
05:05 Donc, on est capable de savoir, quand on a les images, qui a fait ça, qui a tagué, etc.
05:12 On a des moyens, on a des bons services de renseignement qui fonctionnent bien
05:15 et qui sont capables de remonter jusqu'à des individus.
05:17 Maintenant, ensuite, l'étape suivante, qui est d'établir formellement un lien entre ces individus et un État,
05:24 c'est beaucoup plus difficile parce que ce genre d'opération, évidemment,
05:27 passe par de multiples interfaces, intermédiaires, jeux de miroirs,
05:30 qui font qu'un pays qui sait faire ce genre d'opération,
05:33 et la Russie est un pays qui sait faire ce genre d'opération,
05:35 prend ses précautions.
05:36 Mais, il y a quand même un contexte.
05:38 C'est-à-dire qu'on a, par exemple, un ancien président russe, Medvedev,
05:42 qui a toujours des fonctions importantes en Russie, dans les instances de sécurité,
05:45 qui a prévenu, qui a dit qu'il allait...
05:49 Alors, il n'a pas parlé d'estabilisation de ce type, il a dit que la Russie ne se priverait pas de soutenir,
05:54 de façon formelle, officielle, mais aussi de façon clandestine,
05:58 des partis politiques, qu'il n'a pas nommés, dans le monde occidental,
06:02 et qui partageraient peut-être les mêmes visions que la Russie.
06:07 Alors, il faut voir aussi que toutes ces opérations vont aussi dans le sens
06:10 d'un certain nombre de partis politiques, c'est-à-dire les questions de sécurité,
06:13 la crainte de s'engager en Ukraine.
06:16 Donc, quand on retrouve des cercueils au pied de la tour Eiffel avec marqué "soldats en Ukraine",
06:21 "français en Ukraine" dessus, ça va évidemment nourrir la rhétorique de tous ceux
06:25 qui, dans la campagne électorale européenne, disent "c'est de la folie de vouloir envoyer des troupes en Ukraine",
06:31 etc. Donc, on a quand même un faisceau de présomption, on va dire.
06:35 - Vous parlez de partis politiques, et on se rend compte que la Russie va plus loin que la simple déstabilisation.
06:39 Nos voisins allemands et belges ont démantelé un réseau de corruption, de propagande,
06:43 au sein même du Parlement européen.
06:45 La tête de liste du parti d'extrême droite allemand, l'AfD, a dû se retirer de la campagne.
06:50 Il y a au cœur de l'affaire un média, Voice of Europe.
06:53 Est-ce qu'on peut craindre qu'une part du personnel politique européen soit à la solde des Russes actuellement, Frédéric Charillon ?
06:59 - Oui, pour des raisons d'ailleurs différentes.
07:02 C'est-à-dire que, dans le renseignement, il y a toujours le modèle qu'on appelle MICE,
07:07 qui veut en même temps dire "souris" au pluriel en anglais, mais qui fait donc inévitablement penser à la taupe dans le monde de l'espionnage.
07:13 C'est-à-dire les quatre raisons, c'est un acronyme, M-I-C-E,
07:17 c'est "quelles sont les raisons pour lesquelles quelqu'un travaillerait pour une puissance étrangère ?"
07:21 M, comme monnaie, pour l'argent.
07:23 I, pour l'idéologie, parce qu'il y a des gens qui croient très fortement et très fermement,
07:28 personnellement et sincèrement, que quelqu'un comme Vladimir Poutine va sauver l'Occident.
07:32 C, c'est plutôt la corruption, la compromission qu'on pourrait avoir, par exemple,
07:39 après avoir passé un moment avec une créature dans un voyage,
07:43 et dont on a les images après, et on exerce un chantage sur la personne.
07:47 Et le E, c'est l'ego, c'est-à-dire quand vous avez une puissance étrangère qui vous flatte,
07:50 et qui vous fait sentir que vous devriez être beaucoup mieux traité que ça dans votre propre pays.
07:54 Bon, vous avez toute une série de raisons pour lesquelles, effectivement, des personnels politiques
08:00 peuvent être amenés à choisir de travailler ou de servir les intérêts d'une puissance étrangère.
08:05 La Russie sait parfaitement jouer sur ce clavier à quatre lettres,
08:09 ils ne sont pas les seuls, même si on a eu le Qatargate, on a eu beaucoup de choses au Parlement européen,
08:14 d'autres pays insistent plus sur l'argent, c'est vrai.
08:17 La Russie est plus habile à combiner ces quatre raisons potentielles de travailler pour elle.
08:23 - Une dernière question, très brièvement.
08:25 Hier dans "Challenge", l'ancien patron de la Annecy, Guillaume Poupard,
08:27 disait que le bon moment pour attaquer, c'est la dernière minute à quelques heures du scrutin.
08:31 Est-ce qu'on peut craindre quelque chose de ce type-là, Frédéric Charillon ?
08:34 - Alors, il faut craindre. On doit être sur nos gardes en permanence.
08:39 Cela dit, il y a plusieurs échéances, on l'a dit, il y a les élections,
08:43 il y a ensuite les Jeux olympiques, et quel est le bon moment pour attaquer ?
08:46 Ça, je ne sais pas, il faut espérer qu'il n'y aura pas cette attaque.
08:50 Il faut espérer aussi que l'opinion publique ne sera pas dupe
08:52 s'il y a quelque chose qui se passe juste avant le scrutin.
08:54 - Merci beaucoup, Frédéric Charillon.

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