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Anne Fulda reçoit Mathieu Laine pour son livre «La compagnie des voyants» dans #HDLivres

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00:00 Bienvenue à l'heure des livres, Mathiolène.
00:01 Vous êtes professeure à Sciences Po, professeure d'humanité politique.
00:05 Vous êtes entrepreneur également.
00:07 Vous êtes essayiste et vous venez de publier "La compagnie des voyants".
00:11 Et c'est paru aux éditions Grasset.
00:13 Alors, c'est un livre qui permet de voyager à travers les livres et d'aborder
00:17 à travers une vingtaine de chefs d'oeuvre de la littérature française et pas
00:22 seulement d'ailleurs, pas seulement française, internationale aussi,
00:26 les problèmes qui traversent le monde.
00:28 Alors, d'une certaine façon, j'aurais envie de dire que c'est un livre qui est
00:31 dans le droit fil du dictionnaire amoureux de la liberté que vous aviez écrit,
00:35 parce que finalement, vous avez décidé d'y traiter de romans et de livres qui nous
00:39 libèrent, mais qui nous libèrent de quoi, en fait ?
00:43 Bonjour Anne, c'est une vraie filiation.
00:45 C'est vrai entre le dictionnaire amoureux de la liberté et "La compagnie des voyants",
00:48 tout simplement parce que c'est une balade amoureuse, "La compagnie des voyants".
00:51 Je me suis saisi de ceux, parmi les grands romans que j'ai pu lire dans ma vie,
00:56 qui m'ont paru effectivement capables de nous libérer.
00:59 D'abord, parce que, comme le disait Roland Barthes,
01:01 la littérature ne permet pas de marcher, mais de respirer.
01:04 J'adore cette formule.
01:06 Et c'est vrai que moi, ce n'est pas une obsession, c'est une passion.
01:09 Je crois que la liberté est une valeur absolument fondamentale qu'on perçoit
01:14 un peu comme l'eau qu'on boit.
01:16 Vous savez, c'est un peu disponible, c'est un peu tout le temps là.
01:18 Donc, on se dit que c'est éternel, alors qu'en réalité, elle est menacée.
01:21 On voit bien chez nous,
01:23 chez nous en Europe, en tout cas, au-delà de la guerre.
01:26 Donc déjà, évidemment, là, pour le coup, les atteintes les pires.
01:28 Mais on voit monter les populismes,
01:31 les capacités de propositions simplistes ou d'offres politiques
01:37 qui sont prêtes demain à réduire nos libertés.
01:39 Et donc, c'est un appel à la vigilance.
01:41 Et les grands romans nous permettent de mieux comprendre cela.
01:43 Les grands romans plus que les essais, en fait, c'est ça que vous soulignez.
01:47 D'ailleurs, effectivement, on l'a beaucoup dit,
01:48 mais lors de plusieurs périodes récentes,
01:50 vu que c'est des romans qu'on a lus,
01:53 La Peste, au moment du confinement,
01:55 il y a aussi Paris est une fête, après les attentats.
01:58 Là, vous conseilleriez quoi comme livre dans cette période un petit peu troublée
02:02 ou la rue gronde ?
02:03 - Donc, il y en a 25 dans la sélection, mais c'est vrai que quand la rue gronde ainsi,
02:07 moi, j'ai relu Germinal.
02:09 C'est très intéressant de relire Germinal.
02:11 On en a le souvenir d'un livre très caricatural, très lutte des classes.
02:15 Et c'est vrai que Zola, dans son réalisme de l'époque,
02:17 vient dénoncer un certain nombre d'abus évidents du patronat
02:23 sur les mineurs de l'époque.
02:25 J'y suis d'autant plus sensible que moi, je suis un descendant de mineurs.
02:28 Donc, je vois bien cela.
02:29 Ce livre, d'abord, nous montre combien nous avons progressé
02:31 entre les conditions de l'époque et aujourd'hui.
02:33 Mais ce livre, là, pour le coup,
02:36 par-delà les caricatures et nos mauvais souvenirs,
02:39 offre aussi la possibilité de voir combien Zola
02:42 critiquait les œuvres politiques extrémistes.
02:45 Dans ce livre, il y a par exemple Souvarine,
02:47 qui préfère détruire que de construire.
02:50 Il y a Pluchart, qui est le socialiste,
02:52 qui est en réalité beaucoup plus obsédé par sa carrière
02:54 que par la défense des mineurs.
02:55 Et à la fin, ça finit mal, pardon de révéler le livre,
02:59 mais on s'en souviendra, ce n'est pas le cœur de cela.
03:01 En réalité, dans tout cela, moi, j'ai lu un appel de Zola
03:05 à une forme de modération et un découragement de sa part
03:09 aux luttes extrêmes.
03:10 Eh bien, aujourd'hui, on aurait intérêt à relire Germinal
03:14 et ça n'inciterait pas les gens à basculer dans le désordre,
03:17 le feu, la destruction telle qu'on le vit aujourd'hui.
03:20 - L'idéologie, parce que vous citez notamment
03:22 dans les romans que vous prescrivez,
03:25 Dr. Len, Romain Garry, avec Lady El,
03:29 qui est un livre qui est moins connu que beaucoup d'autres de Garry
03:33 et qui, effectivement, montre ce à quoi peut mener
03:37 l'enfermement idéologique.
03:38 - Absolument.
03:39 C'est un livre absolument fascinant.
03:41 C'est un tout petit livre que je conseille dans la seconde.
03:44 Pourquoi ? Parce que Lady El, c'est Lady Liberté
03:47 et c'est une femme qui se laisse happer par l'idéologie,
03:50 dans un premier temps.
03:52 Donc, c'est vraiment la mise sous emprise par Armand Denis,
03:54 qui est un anarchiste qui veut tout détruire.
03:56 Et on voit dans ce livre comment on peut se laisser happer
03:58 par ce genre d'idées et comment aussi on en sort.
04:00 Mais là, je ne raconterai pas la fin du livre.
04:02 - Alors, on ne pourrait pas nacher ça.
04:04 Il y a beaucoup d'autres livres que vous évoquez.
04:06 Vous évoquez comme auteur Homer, Dostoïevski,
04:10 Yurtsunar, Virginie Despentes.
04:11 On pourrait ajouter un peu de Cervantes ?
04:13 - Oui. - La force du rêve.
04:14 - Bien sûr.
04:16 Parce qu'il y a à la fois le constat sur toutes nos difficultés
04:18 pour pouvoir se saisir de ces invariants
04:20 que la littérature nous offre pour en sortir.
04:22 Mais il y a aussi comment on en sort.
04:24 Et en vérité, moi, j'ai terminé par Cervantes
04:27 avec l'idée qu'il fallait apprendre à rêver.
04:30 Et c'est vrai que dans Don Quichotte,
04:32 il n'est rien du grotesque dont on a pu se souvenir.
04:36 En vérité, quand on lit ce livre,
04:38 on se rend compte qu'il y a derrière tout cela
04:40 l'envie de porter une société vers ce qu'il a de meilleur.
04:44 Ne pas abandonner ses rêves,
04:45 ne pas considérer que tout est fini et tout est perdu.
04:48 Donc, cette capacité d'imaginaire, on en a besoin.
04:51 Et ce livre nous invite à la retrouver.
04:54 - Dernière question.
04:55 Sur une île, telle Robinson Crusoe,
04:58 vous emporteriez lequel de ces livres que vous évoquez ?
05:01 - Sans doute "Mémoire d'Adrien".
05:03 Pourquoi ? Parce que d'abord, c'est un livre sublime.
05:05 La plume est exceptionnelle.
05:07 Et puis, dans ce livre,
05:08 il y a quand même la transmission d'une grande idée.
05:12 C'est que ce qui nous sauvera, ce sont les livres.
05:15 "Ma patrie", c'était les livres, l'y tendance livre.
05:18 Et donc, rien que pour votre émission, Anne,
05:20 je crois que c'est le plus beau livre qu'on puisse prendre.
05:22 Et puis surtout, ce sont là nos valeurs.
05:23 Et derrière les livres, c'est la redécouverte de la liberté.
05:27 - En tout cas, merci beaucoup, Mathieu Laine.
05:28 Je vous conseille vraiment ce livre, "La compagnie des voyants".
05:30 Alors, les voyants, c'est ainsi que Rimbaud nommait les poètes.
05:33 - Absolument. - Ce sont ceux qui éclairent.
05:36 Et vous nous éclairez très joliment dans ce livre
05:39 qui est donc paru chez Grasset.
05:40 Merci beaucoup, Mathieu Laine. - Merci à vous.
05:42 Sous-titrage Société Radio-Canada
05:44 [Musique]
05:47 [SILENCE]