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Chroniqueuse : Julia Vignali


L'espionnage est au cœur de beaucoup de conversation en ce moment avec notamment la guerre en Ukraine ainsi que la fuite sur le programme de surveillance du Pentagone. Julia Vignali reçoit François Waroux, auteur de « James Bond n'existe pas » et officier traitant de la DGSE. 

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Transcription
00:00 Bonjour François Varou, merci d'avoir accepté l'invitation de Télématin.
00:03 Vous avez travaillé au sein de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, la DGSE, jusqu'en 1995.
00:10 Votre livre, Thomas le disait, s'appelle "James Bond n'existe pas".
00:13 Pourquoi il n'existe pas ? Il y a vraiment une vraie différence entre l'image qu'on se fait de ce métier et la réalité ?
00:18 Vous savez, oui tout à fait. Si le James Bond des films actuels faisait mon métier, il ferait un très très mauvais officier traitant.
00:29 Pourquoi ? Alors officier traitant d'ailleurs, pas espion. J'ai appris ça dans votre livre, on ne dit pas espion. Vous le prenez mal même si on dit espion.
00:36 Mais parce que pour nous, en tout cas pour moi, ça a une connotation péjorative.
00:41 Pourquoi ?
00:42 L'espion c'est l'ennemi, c'est l'autre. C'est l'autre qui nous surveille, qui nous contrôle.
00:48 Mais nous nous sommes, c'est un terme peut-être plus noble de dire officier traitant.
00:54 Et pourquoi James Bond aurait été un très mauvais officier traitant ?
00:57 Parce que James Bond, il vous donne un coup de poing, vous tombez par terre, il pilote des hélicoptères, voire des Airbus A380, pourquoi pas.
01:08 Il descend une montagne à 45% de dénivelé avec une jolie pépé à côté de lui et il en ressort mais avec un costume cravate impeccable.
01:19 Et c'était pas votre quotidien ça ?
01:20 Ah non, pas du tout, pas du tout.
01:21 Non pas du tout, hélas.
01:22 D'où, d'où ? C'est un peu comme le Père Noël. Le Père Noël n'existe pas, n'est-ce pas ?
01:26 James Bond non plus, ok. Mais vous, vous existez. Vous avez existé sur différentes identités.
01:31 La belle affaire, bien sûr que j'existe, bien sûr.
01:33 Oui, et vous avez donc été formé au renseignement, puisqu'on peut s'y former.
01:36 Vous avez tout d'abord fait l'école militaire de Saint-Cyr.
01:38 Mais comment on fait pour postuler, pour devenir officier traitant ? Comment ça se passe ?
01:42 Écoutez, je n'ai pas trouvé cet emploi-là à Pôle emploi, déjà.
01:46 Ça commence comme ça, c'est pas en traversant la route, comme disait notre cher président Macron, non, non.
01:53 Comment j'ai fait, c'est ça votre question ?
01:55 Alors vous, vous êtes passé par Saint-Cyr. Je sais qu'il y avait déjà des portes ouvertes à la DGSE.
01:59 Mais quelqu'un qui se dit "j'ai les qualités pour être un bon officier traitant", comment il doit s'y prendre ?
02:04 Non, non, enfin, j'ai été attiré par ce métier-là, effectivement, à travers les films qu'on voit.
02:10 Mais demander à un jeune, à n'importe quel jeune, de travailler dans l'illégalité, par exemple, avec la question de l'État,
02:16 mais ça va lui plaire. Enfin, je trouve qu'il y a un côté plaisant, inattendu d'ailleurs, quand on fait ce métier-là.
02:22 Et on est formé, alors on est recruté.
02:25 On est formé pour rester monsieur tout le monde. Vous avez devant vous un jeune homme, n'est-ce pas, comme moi,
02:33 qui doit passer inaperçu dehors. Il ne faut pas qu'il regarde à droite et à gauche, ça ne se fait pas, ça.
02:40 D'accord, donc il faut être évidemment discret. Je vais vous demander quelles sont les qualités d'un bon officier traitant.
02:45 Il faut être comme l'huître et son rocher. Je ne sais pas si c'est Napoléon qui a dit ça, peut-être.
02:50 C'est-à-dire que quand on regarde un rocher, vous voyez des huîtres sans les reconnaître.
02:55 Vous, vous passez dans la rue sans les reconnaître. Alors, votre question, c'est comment fait-on pour être officier traitant ?
03:00 Oui, moi je me dis s'il y a des jeunes qui nous regardent.
03:02 D'abord, on est formé pendant une année environ à la centrale.
03:07 Moi, je dis la centrale, c'est-à-dire l'endroit où on travaille, ou bien la piscine. On dit aussi la piscine.
03:14 C'est le même endroit ?
03:15 Oui, parce qu'à Porte des Lilas, il y a une piscine. Alors voilà, c'est tout.
03:19 Exactement. On aimerait tellement que vous nous racontiez des anecdotes, comme vous le faites dans le livre,
03:24 puisque de 1983 à 1986, vous êtes en couverture en Éthiopie. Vous avez effrolé, évidemment, la mort plusieurs fois.
03:31 Vous racontez notamment qu'on vous a offert deux belles salades qui auraient beaucoup coûté la vie.
03:35 Oui, oui. Alors, les salades, c'était un cadeau royal à l'époque, parce que c'était pendant la famine de 83, 84, 85.
03:44 Et d'ailleurs, le monde entier a connu cette famine à travers des chansons.
03:52 "We are the world", je ne sais pas si vous vous rappelez.
03:53 Exactement, c'était en 83, ça.
03:55 Voilà, voilà. Et c'était une famine qui était d'ailleurs exploitée par Bengistu Aïlié Mariam. C'était son nom, Bengistu Aïlié Mariam.
04:05 Je s'insiste sur le thème Mariam. Il n'y avait rien de mari là-dedans, mais voilà.
04:09 Et c'est quoi cette histoire de salade ?
04:11 Eh bien, un soir ou un jour, on me présente, on frappe à la porte et on me présente, pas à moi, mais au gardien de la maison.
04:22 On lui donne deux salades. On m'apporte les salades.
04:25 Tout de suite, on se méfie de ce genre de truc, parce qu'à l'époque, offrir deux salades, c'était, comme je disais tout à l'heure, un cadeau royal.
04:33 Bon, alors, je me suis dit, ce n'est pas normal. Il y a quelque chose qui ne colle pas là-dessous.
04:39 Je les ai données aux lapins, comme j'avais à l'époque cinq enfants, mon époux et cinq enfants.
04:45 J'ai donné les salades aux lapins. J'avais acheté deux lapins.
04:50 Eh bien, le lendemain, quand je voulais donner d'autres salades, ils étaient morts, les lapins.
04:55 Je rigole, mais moi, je n'irais pas rigoler. Je me dis, j'ai bien fait quand même.
04:58 Vous voulez dire qu'il fallait même surveiller les salades ?
05:00 Mais bien sûr, bien sûr.
05:01 Et puis, très étonnant, dans votre livre, j'apprends à quel point le métier des boueurs est un métier stratégique.
05:06 Pour les officiers traitants que vous êtes, certains ont infiltré le métier des boueurs. Expliquez-nous pourquoi.
05:11 Il n'y a pas que les boueurs, il y a les femmes de ménage et les secrétaires.
05:14 Pourquoi ? Parce que c'est plus facile de faire l'environnement d'une femme de ménage
05:21 que celle d'un chef d'établissement ou d'un ingénieur, parce qu'ils pourraient peut-être se méfier.
05:26 Car, lui aussi, l'ingénieur ou le chef d'établissement, il passe d'ailleurs souvent par la centrale
05:31 pour le sensibiliser à ses problèmes de surveillance, alors que la femme de ménage, c'est un métier comme un autre.
05:40 Mais c'est un métier très stratégique, puisqu'elle peut vous donner de sacrées informations.
05:45 Stratégique, le terme est un peu fort, mais de toute façon, si on lui dit de faire les poubelles,
05:50 elle va trouver ça peut-être curieux, mais nous, ce n'est pas curieux, c'est même intéressant.
05:54 Donc, il faut faire très attention à ce qu'on jette dans nos poubelles.
05:57 C'est aussi vrai pour les fabricants de parfums, par exemple, c'est pareil.
06:02 – Dans le JDD d'hier, Sébastien Lecornu, ministre des Armées, a cité Emmanuel Macron
06:06 qui a indiqué dans la loi de programmation militaire que les moyens,
06:09 les services des renseignements français allaient augmenter de 60%.
06:12 Aujourd'hui, c'est le terrorisme et la cybercriminalité qui représentent en fait
06:16 les deux axes principaux sur lesquels travaillent les services de renseignement.
06:19 Est-ce que c'était nécessaire, cette augmentation de budget,
06:21 par rapport, je ne sais pas, au moyen du KGB ou de la CIA ?
06:25 – Mais bien sûr, parce qu'il ne faut pas oublier que le meilleur renseignement,
06:29 la quintessence du renseignement qui est fourni par les services spéciaux,
06:33 se fait auprès d'autres hommes.
06:36 Alors bien sûr, il y a le renseignement technique qui est une autre affaire,
06:39 ça fait part des satellites, etc. Mais rien ne vaut le renseignement humain.
06:44 – Et ça, ça coûte cher.
06:45 – Et ça coûte cher, finalement.
06:47 Infiltrer un réseau comme par exemple les réseaux islamiques,
06:50 mais vous savez, ce n'est pas donné à tout le monde d'abord,
06:53 et puis ça demande une préparation très longue, voire des années.
06:57 Il faut nourrir, il faut préparer les officiers traitants,
07:01 il faut les former, etc.
07:02 – Bien sûr, et tout ça coûte cher.
07:03 – Lesquels d'ailleurs forment après leurs agents.
07:05 Les agents qui sont les sources, et ce sont ces personnes-là qui prennent,
07:09 peut-être, je dirais peut-être non, peut-être plus de risques que l'officier traitant.
07:14 – Eh bien en tout cas, merci beaucoup François Varou d'avoir été ce matin à nos côtés.
07:17 Je vous recommande ce livre si vous aimez l'espionnage.
07:21 James Bond n'existe pas, c'est paru chez Maraï Editions. Merci beaucoup.
07:24 Merci beaucoup.

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