Tous les dimanches, Aymeric Pourbaix et ses invités abordent l’actualité d’un point de vue spirituel et philosophique dans #EQE
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00:00 Bonjour à tous, bienvenue dans Enquête d'Esprit.
00:02 Nous sommes le dimanche des Rameaux, au début de la grande semaine sainte qui mène à Pâques,
00:06 en passant par la Croix du Christ.
00:08 La Croix justement est la scène la plus représentée de l'histoire des hommes,
00:13 et c'est d'autant plus étonnant qu'il s'agit d'un supplice infamant réservé au pire criminel
00:18 et appliqué à l'innocent par excellence qu'est le Christ.
00:21 Pourquoi le christianisme en a-t-il fait son emblème,
00:24 un emblème paradoxal en plaçant la Croix au centre de sa liturgie,
00:28 de sa pensée et de ses églises ?
00:30 Quel sens y a-t-il à faire de la Croix l'insigne de la chrétienté ?
00:34 Et pourquoi aujourd'hui a-t-on tendance à minimiser ou à nier l'existence de cette Croix
00:39 et de la passion du Christ serait-elle redevenue un objet de scandale pour le meilleur et pour le pire ?
00:44 On en parle aujourd'hui avec l'abbé Thomas Chapuis, il est prêtre dans l'Oise,
00:48 avec Laurent Dandrieu, journaliste, culture et essayiste,
00:51 avec François Pelletier, artiste, peintre,
00:54 et également bien sûr Véronique Jacquier est avec nous, elle est journaliste.
00:58 On en parle dans cette émission qui est en partenariat avec l'hebdomadaire France Catholique.
01:03 Tout de suite les infos, Eloi Rochebrune.
01:05 Bonjour Eloi Rochebrune et on commence avec vous par la grande fête des Rameaux ce dimanche.
01:22 Bonjour Aymeric, bonjour à tous. Les chrétiens entrent aujourd'hui dans la semaine sainte
01:25 avec la fête des Rameaux, brin d'olivier, palme, branche de buis.
01:29 Les fidèles ont porté des rameaux lors d'une procession pour selon la tradition
01:33 se mettre en marche vers Pâques à la suite du Christ dans la capitale vénézuélienne Caracas.
01:40 Les rameaux ont été récoltés avant par les fameux palmeros dans les hauteurs de la ville.
01:45 Une expédition éprouvante sur plusieurs jours, le récit de Clémence Barbier.
01:51 Dans le parc national qui bord de Caracas, aux alentours de 1h30 du matin,
01:56 les palmeros partent à l'aventure. Ils vont récolter le palmier sacré,
02:01 une tradition vieille de plus de deux siècles qui se transmet de génération en génération.
02:07 C'est la plus belle chose que nous ayons.
02:09 C'est pourquoi nous devons trouver un moyen d'enseigner à ces enfants qui sont sur le chemin
02:12 pour qu'ils puissent faire ce que nous faisons.
02:15 A l'époque, la fièvre jaune faisait des ravages.
02:18 Un prêtre avait alors demandé aux fidèles de chercher les rameaux dans les montagnes,
02:23 leur promettant de perpétuer la pratique si la maladie disparaissait.
02:27 Depuis, tous les ans, à l'approche de la fête des rameaux,
02:30 les plus jeunes apprennent les techniques de taille auprès de leurs aînés.
02:35 Il m'enseigne une tradition.
02:38 Et quand il n'est pas là, je peux l'enseigner à quelqu'un d'autre.
02:43 Des pratiques qui ont été reconnues par l'UNESCO en 2019 dans son programme bioculturel
02:49 et qui gardent un aspect très spirituel.
02:51 Un aspect religieux qui est également transmis et pratiqué ici.
02:59 Nous croyons que nos ancêtres palméroses nous ouvrent le chemin et nous libèrent de tout danger.
03:03 Ils nous suivent dans le chemin et nous libèrent de tout péligre.
03:08 Après plusieurs jours de récolte,
03:10 les palméroses redescendent les montagnes avec les rameaux sur les épaules.
03:14 Ça les est fatigués, pour eux c'est une forme de chemin de croix.
03:18 Arrivé en ville, ils sont accueillis en triomphe.
03:21 Les rameaux sont bénis par un prêtre.
03:24 Le lendemain, ils seront distribués pour une procession rassemblant des milliers de fidèles
03:29 avant la messe des rameaux.
03:32 À l'approche de Pâques, pendant les deux semaines dites de la Passion,
03:35 les statues des saints et les crucifix sont recouverts par un voile dans les églises.
03:39 Alors quel est le sens de cette pratique ?
03:41 La réponse de l'abbé Thierry Laurent, curé de Saint-Roch.
03:44 Les deux semaines qui nous séparent de Pâques,
03:47 nous nous privons de la consolation de les voir,
03:50 de les regarder, de les invoquer, de les prier en quelque sorte, pratiquement,
03:55 pour ne regarder plus intérieurement que la parole de Dieu qui nous est donnée dans la Passion,
04:01 c'est-à-dire le Christ dans sa Passion qui va suivre le chemin de la croix.
04:05 Mais pourquoi voiler aussi la croix puisqu'on veut avoir les yeux fixés sur Jésus-Christ ?
04:09 C'est parce que nous allons la dévoiler, cette croix,
04:12 nous allons entendre les paroles qui nous sont transmises dans l'Évangile,
04:15 suivre la Passion et au Vendredi Saint,
04:18 tous les prêtres dans toutes les églises du monde vont prendre une croix, voiler,
04:25 et la dévoiler petit à petit, ça se fait en trois étapes,
04:28 ça vient du fond de l'église jusqu'au cœur de l'église.
04:32 Nous rejouons l'histoire qui s'est déroulée il y a 2000 ans dans le Christ
04:39 et donc racontée dans les Évangiles pour y entrer,
04:43 pour nous le rendre présent et nous-mêmes nous rendre présents
04:47 à ce moment si important de l'Histoire.
04:49 Le pape François a été hospitalisé mercredi dernier pour une bronchite infectieuse.
04:55 À 86 ans, c'est sa deuxième hospitalisation.
04:58 En 2021, on lui avait retiré une partie de son intestin.
05:03 La Convention citoyenne sur la fin de vie s'achève aujourd'hui.
05:06 Les évêques de France, dans le cadre de leur Assemblée plénière à Lourdes,
05:10 ont rappelé leur engagement en faveur d'une aide active à vivre et non à mourir.
05:15 Écoutez à ce propos Mgr Pierre-Antoine Bozot, évêque de Limoges.
05:19 Nous sommes une voie parmi d'autres, mais une voie légitime,
05:22 et donc nous prenons cette liberté de nous exprimer dans le débat public
05:25 et nous sommes sollicités en tant que tels d'ailleurs,
05:27 donc nous nous répondons volontiers quand on nous interroge
05:30 et même quand on ne nous interroge pas.
05:32 Nous, nous pensons que la personne n'est pas isolée,
05:34 elle vit dans une communauté,
05:36 et que si on érige en idole, j'allais dire, en norme absolue, la liberté individuelle,
05:43 faisant dire qu'au fond, chacun serait maître absolu de sa propre vie,
05:47 nous ne tenons pas compte de la communauté dans laquelle nous vivons.
05:50 Si jamais était légalisé l'euthanasie et le suicide assisté,
05:54 les personnes vulnérables, évidemment, seraient comme contraintes
05:59 à s'interroger sur la légitimité de vivre.
06:03 Quatre ans de prison ferme pour l'incendiaire de la cathédrale de Nantes,
06:06 en janvier 2021, ce Rwandais de 42 ans avait allumé trois feux dans l'édifice.
06:12 Il est aussi mis en cause pour le meurtre du père Olivier Maire en juillet 2021,
06:17 qu'il avait accueilli lors de sa libération sous contrôle judiciaire.
06:22 On termine notre journal avec cette magnifique mosaïque du Christ miséricordieux,
06:26 qui orne désormais le tympan de la basilique de Pontmain en Mayenne,
06:30 qui fête cette année ses 150 ans.
06:32 Elle a été inaugurée et bénie le samedi dernier par Mgr Thierry Scherrer, évêque de Laval.
06:39 C'est la fin de votre journal.
06:40 Emeric, c'est à vous pour la suite d'Enquête d'Esprit.
06:44 Merci Éloi Rochebrine pour ces informations.
06:47 Comment représenter le Christ dans sa passion et sa mort sur la croix ?
06:51 Pourquoi aussi représenter une telle souffrance, un supplice si atroce ?
06:56 On en parle aujourd'hui dans Enquête d'Esprit avec l'abbé Thomas Chapuis.
06:59 Bonjour mon père, merci d'être avec nous.
07:02 Vous êtes prêtre dans l'Oise, vous avez près de 90 paroisses, si le compte est bon.
07:06 Vous êtes aussi combien ?
07:08 - 85 je crois. - 85, on approche des 90.
07:11 Vous êtes aussi responsable de la commission d'arts sacrés de votre diocèse.
07:15 Avec nous également Laurent Dandrieu.
07:17 Bonjour, merci d'être avec nous.
07:18 Bonjour, merci de me recevoir.
07:20 Vous êtes rédacteur en chef des pages Culture à Valeurs Actuelles,
07:22 critique cinéma reconnu et essayiste, notamment en matière d'art.
07:26 Vous êtes l'auteur de Les Peintres de l'Invisible, publié au Cerf en 2016.
07:30 Et vous nous parlerez notamment aussi de cinéma,
07:32 avec La Passion du Christ de Mel Gibson, qui fit scandale à l'époque, c'était en 2004.
07:38 Avec nous également François Pelletier.
07:39 Bonjour.
07:40 Bonjour.
07:40 Merci d'être avec nous.
07:41 Vous êtes artiste peintre, auteur de plusieurs chemins de croix pour des églises,
07:45 notamment celle de Bias dans le Lot et Garonne,
07:48 ainsi que de la monumentale fresque de l'Apocalypse
07:50 dans le magnifique cloître de l'église de Saint-Émilion,
07:53 à la Collégiale de Saint-Émilion.
07:55 Et à travers vos œuvres, vous souhaitez aussi,
07:57 vous nous en parlerez, marier la tradition et le moderne.
08:01 Et puis bien sûr, Véronique Jacquet est avec nous.
08:02 Bonjour Véronique.
08:03 Bonjour à tous.
08:04 Alors, vous nous parlerez de la liste,
08:06 et elle est longue, des supplices endurés par le Christ dans sa Passion et sur la Croix.
08:12 Ce sera dans un instant.
08:13 Pour commencer, Père Thomas Chapuis,
08:15 à la fin de cette Semaine Sainte,
08:17 on l'a entendu lors de l'Office de la Passion du Vendredi Saint,
08:20 les chrétiens, les fidèles vénèrent le bois de la Croix.
08:23 C'est-à-dire qu'ils ne vénèrent pas uniquement le Christ,
08:25 mais le bois, l'instrument de supplice.
08:28 Pourquoi, justement, alors que c'est un instrument de torture
08:31 qui a été infligé à un innocent ?
08:34 D'abord, c'est par réalisme.
08:36 Et nous nous percevons bien...
08:37 On voit la photo à l'antenne.
08:38 Voilà, exactement.
08:40 L'ampleur du sévice subi par notre Seigneur.
08:44 Et parce que sur ce bois,
08:46 c'est le bois qui est le trône qui a porté notre victoire.
08:50 Et ce signe porté courageusement et avec foi par les chrétiens
08:57 nous rappelle l'ampleur de l'abaissement du Fils de Dieu par amour pour nous.
09:02 Elle est le signe, la révélation, le dévoilement du grand mystère
09:07 de l'amour du Christ pour ses enfants.
09:11 Le lieu de l'expiation de nos péchés,
09:14 le lieu qui a manifesté quelque chose du visage de Dieu
09:18 dans l'incarnation de son Fils.
09:19 C'est-à-dire que l'amour passe nécessairement par des souffrances ?
09:23 C'est-à-dire que le chemin que le Christ nous invite à suivre
09:27 n'est pas d'abord celui du bonheur.
09:29 Le bonheur est un fruit.
09:31 Mais le chemin que le Seigneur nous invite à suivre et qui est le sien,
09:34 c'est celui de l'amour.
09:35 Et l'amour qui se donne,
09:37 pas juste un sentiment affectif passager,
09:39 mais la réalité d'un amour qui se donne,
09:42 celui d'une mère pour ses enfants,
09:44 celui d'un père pour son fils.
09:47 L'ampleur de l'abaissement que suppose l'amour réel et concret,
09:54 qui n'est pas juste une idée,
09:55 mais qui se confronte au bois dur,
09:58 plein d'épines, aride de la croix.
10:01 Et c'est le grand mystère de la vocation chrétienne.
10:04 Nous ne prêchons pas simplement le bonheur,
10:06 voilà, c'est un thème totalement New Age,
10:09 mais nous nous prêchons l'amour.
10:12 L'amour qui se donne.
10:13 L'amour véritable.
10:15 Alors, comment réagissent nos contemporains à cet emblème de la croix ?
10:19 Eloi Rochebruine a posé la question dans la rue.
10:21 Écoutez la réponse.
10:23 Excusez-moi, être crucifié sur une croix,
10:25 ce n'est pas forcément être...
10:27 Ce n'est pas forcément porteur de joie et de bonne humeur.
10:30 Et plutôt de...
10:31 Je ne sais pas, lyncher quelqu'un de base,
10:34 ce n'est pas très humain.
10:36 Il a plus été porteur du malheur,
10:40 de ce que l'humain a pu faire,
10:42 plutôt qu'un porteur d'amour et d'unification et autres.
10:46 Ce n'est pas un torture de mort, il est mort pour nous.
10:50 Et il nous rachète par sa mort.
10:52 C'est un symbole de vie pour moi.
10:54 Le plus grand signe d'amour pour toute l'humanité.
10:57 C'était annoncé dans l'Ancien Testament
11:00 qu'il s'abaisserait jusqu'à la mort et la mort de la croix,
11:03 et au plus bas qu'on pouvait trouver à ce moment-là, je crois,
11:09 et encore maintenant du reste.
11:11 Je crois que les horreurs, on les cultive maintenant, hélas.
11:15 C'était un instrument de torture à son époque,
11:17 à l'époque des Romains, au Moyen-Âge.
11:20 Maintenant, ça ne l'est plus.
11:22 Et puis oui, paradoxalement, ça pourrait l'être,
11:25 mais dans la religion chrétienne, Jésus est mort sur la croix.
11:29 C'est un symbole de foi, mais ça rappelle aussi la souffrance qu'il a eue.
11:33 Je trouve que ça se conjugue plutôt bien.
11:35 Laurent Dandrieu, vous êtes journaliste, journaliste culture.
11:37 Je le rappelle, une réaction.
11:39 Est-ce que finalement, la croix, c'était il y a 2000 ans,
11:42 mais est-ce qu'aujourd'hui, on utiliserait par exemple
11:45 le symbole de la chaise électrique pour le christianisme
11:48 ou de la guillotine au moment de la Révolution ?
11:51 Je pense que le christianisme, c'est une religion de l'incarnation
11:55 et donc on rend hommage au sacrifice du Christ tel qu'il s'est déroulé,
11:59 effectivement, et il s'est déroulé sur une croix et pas autrement.
12:03 Et effectivement, c'est assez révélateur de cette complexité du christianisme
12:12 qui vénère un instrument qui est effectivement un objet d'infamie
12:19 et en même temps, l'instrument de notre rédemption,
12:24 de la même manière que le Christ est un homme souffrant,
12:28 en l'occurrence, et souffrant atrocement.
12:30 Et en même temps, cette souffrance est glorieuse
12:33 puisqu'elle nous rachète et qu'elle nous ouvre les portes de la vie éternelle.
12:37 Donc il y a toujours ce double aspect des choses
12:39 et je pense que la croix est un parfait symbole.
12:42 François Pelletier, vous êtes artiste, artiste-peintre.
12:45 Il a fallu quatre siècles aux chrétiens pour représenter la croix.
12:49 La première, une des premières représentations,
12:52 c'est à l'église Sainte Sabine à Rome.
12:53 On va voir les photos qui s'affichent sur l'écran.
12:56 Est-ce qu'il y a une part de dolorisme dans cette représentation de la croix,
13:01 un plaisir malsain d'exalter en quelque sorte le sacrifice et la souffrance ?
13:06 Non, je ne pense pas.
13:07 C'est vrai que l'homme a eu du mal à, je dirais,
13:12 arriver à représenter l'incarnation.
13:14 Les deux premiers siècles, le Christ est juste représenté par des poissons et des agneaux.
13:17 Puis à la fin du second siècle, il est représenté comme un jeune homme,
13:21 bon berger, mais pas de croix, surtout pas de croix.
13:23 Puis ça vient et je crois qu'il s'agit pour un artiste d'arriver à le transposer.
13:29 Et quand je regarde sur mes chemins de croix, je fais la croix en or.
13:32 Pourquoi ? Parce que la première chemin de croix m'a été demandée par un prêtre
13:35 qui avait beaucoup de dévotion pour Saint-Marie,
13:39 je l'ai écriva, qui dit toujours
13:42 "La croix est en même temps mon instrument de torture et son trône de gloire."
13:46 Alors vous, vous êtes artiste, vous lisez ça dix fois, vingt fois.
13:49 Vous vous posez la question "comment faire ?"
13:51 Et c'est pour ça que je fais la croix en or, parce qu'en même temps elle l'écrase,
13:54 il y a des vagues sur certaines étapes du chemin de croix,
13:58 mais en même temps qu'elle l'écrase, elle est quand même en or,
14:00 parce que c'est ça qui va nous permettre de...
14:02 - De concilier les deux aspects en quelque sorte.
14:04 - Oui, c'est difficile pour nous d'arriver à, je dirais,
14:08 représenter cette ambiguïté, enfin cette double facette de la croix.
14:14 - Une dernière question avant une pause publicité, Laurent Dandrieu.
14:17 La croix a malheureusement, ou en tout cas a été détournée parfois de son sens originel,
14:22 dont on vient de parler, et pour devenir un objet de décoration.
14:25 On se souvient de Johnny, par exemple, qui avait un crucifix avec une guitare dessus.
14:29 On en voit une à l'écran.
14:32 Finalement, la croix, elle devient un symbole universel,
14:34 mais pour le meilleur et pour le pire ?
14:36 - C'est effectivement le risque.
14:38 C'est qu'à partir du moment où ce symbole a été démultiplié à l'infini,
14:42 qu'on le trouve partout, sur tous nos murs,
14:45 à tous les croisements des chemins de campagne,
14:48 il court le risque non seulement de se répandre, mais aussi d'être banalisé.
14:51 Moi, j'avais été assez frappé par une réflexion que faisait Mel Gibson
14:55 au moment de la sortie de son film, où vous savez,
14:57 on lui avait reproché la très grande violence des images.
15:01 Et il l'avait justifié d'abord par un souci de réalisme,
15:05 mais aussi pour dire que c'était une espèce d'électrochoc
15:08 qu'il voulait administrer aux chrétiens pour justement les sortir de cette habitude
15:12 d'avoir ce crucifix suspendu au mur,
15:16 qu'à force de voir partout, on ne regardait plus.
15:18 Et qu'il voulait nous ramener à la réalité de cette souffrance.
15:23 Je pense que vraiment, il y a un double enjeu
15:25 dans la représentation de la croix par l'art.
15:27 C'est-à-dire, d'une part, il faut sortir de la routine
15:30 et si je puis me permettre, sans être trop pire et révérencieux,
15:33 faire du neuf avec du vieux,
15:35 essayer de renouveler un sujet qui est par nature difficilement renouvelable.
15:39 Et puis, effectivement, il y a cet autre enjeu qui est de représenter
15:43 cette nature double, visible et invisible, homme, Dieu,
15:48 être souffrant et être glorieux en même temps.
15:50 Et ça, c'est peut-être le plus compliqué.
15:52 On en parle juste après cette pause publicitaire.
15:55 Comment renouveler notre regard sur la croix ?
15:58 Faut-il que la croix redevienne un objet de scandale ?
16:01 Vous restez avec nous.
16:02 De retour dans Enquête d'Esprit, nous parlons de la croix,
16:06 la croix du Christ à l'aube de cette grande semaine sainte
16:10 qui mène à Pâques, mais qui passe aussi par la Passion.
16:13 Et comment est-ce que l'art s'en est saisi de cette croix
16:16 pour la représenter du Christ en majesté au Christ souffrant ?
16:19 On en parle avec l'abbé Thomas Chapuis, les prêtres d'Anloise,
16:22 avec Laurent Dandrieu, journaliste culture à Valeurs Actuelles,
16:25 avec François Pelletier, artiste peintre,
16:27 et Véronique Jacquier, bien sûr, journaliste,
16:30 en partenariat avec l'hebdomadaire France Catholique.
16:33 Alors, il y a cette phrase d'une sainte, Angèle de Foligno,
16:37 qui dit « ce n'est pas pour rire que je t'ai aimée »,
16:40 c'est ce que dit le Christ donc à Saint-Angèle.
16:42 Véronique, pour bien comprendre de quoi on parle
16:44 quand on parle de la croix et du supplice,
16:46 quelles sont les souffrances subies par Jésus
16:50 lors de sa Passion et de sa croix ?
16:52 Il n'y a pas que la crucifixion en soi.
16:54 La Passion du Christ commence le jeudi saint, le jeudi soir.
16:58 Il y a cette incroyable, cette intense souffrance morale
17:01 qu'il va subir, à savoir qu'il se retrouve seul
17:04 dans le jardin des Oliviers, donc déjà,
17:06 l'épreuve de la solitude, les apôtres dorment,
17:08 il n'y a personne pour veiller avec lui,
17:10 et il sait ce qu'il va vivre le lendemain,
17:13 donc c'est absolument effroyable.
17:15 Et il pense aussi à la masse des péchés des hommes
17:17 pour lesquels il va mourir.
17:19 C'est une agonie morale, en fait, le jeudi saint,
17:23 ces tournements qu'il endure à Gethsémanie.
17:26 Et d'ailleurs, des gouttes de sang vont perler
17:28 du front du Christ, signe justement de ce tourment.
17:31 Ensuite, il y aura la trahison de Judas,
17:34 l'arrestation de Jésus, la nuit passée en prison,
17:37 et puis le lendemain, le vendredi, vendredi saint,
17:39 les gifles et les coups donnés, et puis la flagellation.
17:42 Alors la flagellation, un supplice en soi absolument atroce,
17:47 puisque les coups ont été donnés via des lanières
17:49 lestées de morceaux de plomb.
17:51 Jésus reçoit plusieurs centaines de coups,
17:54 tout le corps est marqué,
17:56 et il perd énormément de sang.
17:59 Les soldats romains, par la suite, vont enfoncer
18:02 dans sa tête une couronne d'épines pour se moquer de lui
18:05 et de sa royauté, puisqu'ils avaient entendu
18:08 le Christ répondre à Ponce Pilate,
18:10 "Tu le dis, je suis roi".
18:12 Donc il y a en plus l'épreuve de la moquerie,
18:15 toujours cette grande souffrance morale et psychologique.
18:17 Et donc, Jésus est ensuite chargé de sa croix.
18:21 Ce n'est vraisemblablement pas la croix telle
18:24 qu'elle est toujours représentée d'ailleurs.
18:26 C'est-à-dire que le poteau vertical était par avance
18:29 planté sur le lieu de l'exécution.
18:32 Il n'empêche que le Christ est déjà
18:34 terriblement supplicié par l'épreuve de la flagellation,
18:38 et quand on le charge du poteau horizontal,
18:40 ses homoplates sont complètement écrasés.
18:43 Il faut s'imaginer que ce linteau horizontal
18:45 pèse entre 37 et 75 kg.
18:49 Alors, il a 600 m à parcourir jusqu'au lieu du calvaire,
18:53 le chemin est accidenté,
18:55 Jésus tombe deux fois, la troisième fois,
18:57 il tombe de tout son long, son visage touche le sol,
19:00 il faut imaginer que ses genoux sont des plaies ouvertes.
19:04 Et quand il arrive sur le lieu de son exécution,
19:06 il est dépouillé de son vêtement,
19:08 les mains puis les pieds cloués
19:11 avec des clous allant de 13 à 18 cm.
19:16 C'est une douleur indicible, évidemment, pour le Christ,
19:19 puisqu'en clouant les mains,
19:20 on touche le nerf médian notamment.
19:22 Alors, ajoutons à tous ces supplices la soif,
19:26 les crampes musculaires, l'asphyxie bien entendu,
19:30 et l'infection des plaies,
19:31 le tout avant que Jésus ne remette son esprit à son Père.
19:35 Voilà tout ce que révèle et porte la croix,
19:37 finalement, derrière la crucifixion.
19:39 Merci Véronique.
19:40 Évidemment, cette liste est absolument insoutenable,
19:42 mais ça montre bien aussi la réalité
19:44 de ce qui s'est passé à ce moment-là,
19:46 il y a 2000 ans.
19:46 Et on comprend bien, on l'a dit,
19:48 que les chrétiens aient mis plusieurs siècles
19:49 avant de représenter ce supplice.
19:51 François Pelletier, néanmoins, ce qui est étonnant,
19:53 c'est qu'à partir du moment où les chrétiens,
19:55 l'Église, choisit de commencer à représenter
19:58 le Christ sur sa croix,
19:59 on le représente en majesté.
20:01 Absolument.
20:01 Comment expliquer, là encore, ce paradoxe ?
20:04 Justement, en effet, au Moyen-Âge,
20:06 le Christ a les yeux ouverts sur la croix
20:08 et il est habillé.
20:09 Habillé, non pas par pudeur,
20:10 parce que le Moyen-Âge n'est pas spécialement pudique,
20:13 mais simplement parce que s'il est vivant,
20:15 il s'habille comme tout le monde.
20:16 Et donc, dans cette vision-là,
20:18 il y a cette vision déjà de la résurrection,
20:20 elle est sur la croix même.
20:22 Et après, ça devient, je dirais,
20:25 après la Renaissance, où il y a un réalisme
20:28 peut-être excessif, pour moi, qui rentre,
20:31 on le voit à ce moment-là devenir très souffrant,
20:33 jusqu'à un dolorisme fatigant de la fin du XIXe siècle.
20:37 Et quand je vois ce que vient de dire Bernoulli-Jacquet,
20:40 je vois cette barre qui ne porte que le T du taux.
20:46 Je m'en sers justement pour essayer de renouveler
20:48 cette idée du chemin de croix,
20:50 c'est-à-dire que mon taux en or fait les chemins de croix.
20:53 Sur les deux chemins de croix que j'ai faits,
20:54 c'est ça qui fait un chemin,
20:56 et à la mort, on voit la croix.
20:57 Enfin, avec la verticale, ça veut dire que c'est sa mort
20:59 qui nous ouvre les cieux.
21:01 C'est-à-dire qu'il faut toujours essayer de trouver
21:03 des interprétations plastiques à un fait théologique,
21:07 à quelque chose.
21:09 C'est comme ça qu'il faut, à mon avis, travailler.
21:11 J'ai des prêtres qui me conseillent théologiquement,
21:13 je ne suis pas théologien,
21:14 et par contre, j'essaye de trouver des solutions plastiques
21:17 pour que l'on ait...
21:19 Et alors, maintenant, c'est vrai qu'on le montre plus souffrant,
21:22 mais à partir de sa mort, je lui fais toujours un visage reposé.
21:25 Il est venu pour nous sauver,
21:27 il a fait ce pour quoi il est venu.
21:29 Eh bien bon, maintenant, on ne va pas faire du dolorisme en suivant,
21:32 je lui fais un visage reposé après sa mort.
21:35 - Père Thomas Chapuis, est-ce que cette représentation
21:37 du Moyen Âge, en gros, du Christ en majesté sur la croix,
21:40 est-ce que ça parle encore aujourd'hui à nos contemporains ?
21:45 - C'est une question difficile.
21:46 Je ne sais pas si ça parle encore à nos contemporains.
21:48 Ce qui est certain, c'est que la croix, c'est d'abord une exaltation.
21:51 Il y a une certaine convenance à ce que la croix
21:53 ne soit pas une chaise électrique,
21:54 excusez-moi de dire les choses un peu brutes.
21:57 D'abord, parce que dans toute la symbolique biblique,
22:01 ça devient comme un arbre de vie,
22:03 et il n'est pas source uniquement de la mort du Christ.
22:06 Il est, pour notre profit,
22:08 l'accès à une victoire sur le péché et sur la mort.
22:12 Il est l'exaltation à la fois de Dieu,
22:14 mais aussi de l'homme dans sa plus simple expression,
22:18 la laideur de notre propre péché,
22:21 qui est capable de tant de cruauté,
22:23 mais aussi la laideur de notre corps
22:25 quand il est abîmé par le péché.
22:27 Et en même temps, l'exaltation aussi de notre dignité,
22:29 malgré tout cela, alors qu'on essaye de réduire le Christ
22:33 et Jésus à une humiliation,
22:37 sort de cette croix une immense dignité,
22:41 une immense noblesse dans le cœur ouvert
22:45 et transpercé du Christ.
22:46 C'est la noblesse de l'amour qui va jusqu'au bout
22:49 et de la miséricorde,
22:52 de la bonté, de la noblesse de l'âme,
22:55 qui, elle, ne se laisse pas réduire au péché qui la défigure.
22:58 Et donc, il y a quelque chose de cette gloire qui est exaltée.
23:02 Et d'ailleurs, on peut regretter peut-être
23:06 que souvent la croix finisse par être parfois
23:10 un simple objet de décoration,
23:12 alors mu par la piété peut-être à l'origine, sans doute,
23:15 mais pas simplement une décoration,
23:17 parce qu'à l'origine, l'exaltation de la croix
23:21 ou la représentation du crucifix
23:24 se tient au cours de la liturgie.
23:26 On en avait un écho tout à l'heure
23:27 pour l'office de la Passion du Vendredi Saint,
23:30 qui est un des plus beaux offices,
23:31 un des plus archaïques aussi d'un point de vue liturgique.
23:34 C'est vraiment dans le cadre de la liturgie
23:37 qu'on exalte à la fois la pauvreté de l'abaissement
23:42 et la laideur du péché,
23:44 mais aussi la gloire de la divinité
23:47 qui, en la personne du Christ,
23:50 révèle aussi toute la beauté de son amour,
23:53 la réalité de la bonté de Dieu,
23:56 qui ne se limite pas aux choses trop humaines, un peu mondaines,
24:00 mais qui montre...
24:01 C'est sûr que là, on n'est pas du tout dans la mondanité.
24:03 Effectivement, quand on voit ce que nous a dit Véronique tout à l'heure...
24:08 Véronique Jacquet, oui ?
24:09 Oui, mais justement, quand on parle de croix glorieuse,
24:11 qu'est-ce qu'il faut comprendre quand on regarde un crucifix ?
24:14 Pas forcément à la messe,
24:16 mais quand on rentre dans une église,
24:19 est-ce qu'on doit justement s'arrêter sur le supplice
24:22 ou est-ce qu'on doit s'arrêter sur le trône de gloire,
24:25 mais ce qu'il y a derrière, c'est-à-dire la résurrection ?
24:28 Est-ce qu'il faut faire vraiment un choix ?
24:30 Est-ce qu'il faut faire un choix d'ailleurs ? Je ne sais pas.
24:32 En tout cas, ce qu'on peut dire, c'est qu'à la fin du Moyen Âge,
24:36 c'est plutôt les souffrances qui ont pris le dessus,
24:38 les souffrances du Christ qui ont été représentées,
24:41 Laurent d'Andrieu, ça émerge après les grands drames,
24:46 la peste par exemple, les guerres.
24:49 Pourquoi est-ce que les représentations, elles aussi,
24:52 évoluent jusqu'à montrer davantage ces souffrances ?
24:55 Je pense que tout simplement parce que la représentation de la croix
24:58 est un outil mystique, en fait.
25:00 Et ça correspond à chaque époque à la tendance dominante
25:04 de la mystique de l'époque.
25:06 Et donc, effectivement, il y a des époques où on préfère
25:09 insister sur le côté glorieux de la croix et des époques
25:12 où on préfère insister sur le côté souffrant.
25:15 Et puis, vous savez tous qu'il y a eu cet essor baroque
25:19 au XVIIe siècle qui correspond, qui est une mise en œuvre
25:23 de ce qui avait été étudié et décidé au Concile de Trente.
25:28 Donc, il y a vraiment un lien entre la représentation artistique
25:32 et les courants mystiques dominants.
25:37 Et je pense que c'est important de comprendre que, effectivement,
25:42 la croix n'est certainement pas seulement un outil de décoration,
25:46 mais non seulement quelque chose de liturgique,
25:48 mais c'est aussi un instrument mystique
25:53 et un instrument de contemplation.
25:54 Il y a une représentation, moi, que j'ai découverte
25:57 assez tardivement, mais qui m'a beaucoup frappé,
25:59 c'est les représentations de Sainte Catherine de Sienne
26:01 recevant les stigmates.
26:03 On pourrait s'attendre à ce qu'elle reçoive les stigmates
26:05 du Christ en croix lui-même.
26:07 Mais non, elle reçoit les stigmates,
26:09 on voit ça dans un très beau tableau de Becafumi
26:10 qui est au Getty Museum,
26:13 elle reçoit les stigmates d'une représentation artistique.
26:16 C'est un tableau ou un crucifix qui lui transmet les stigmates.
26:20 Ça veut dire que la représentation artistique
26:25 de la croix a un effet spirituel très fort.
26:30 On va montrer à l'écran ce fameux retable d'Isenheim,
26:35 parce qu'il est particulièrement éloquent
26:38 de cette représentation du Christ en croix qui souffre
26:41 puisque le Christ est difforme, il se tord de douleur.
26:43 On est en 1512, au début de la Renaissance.
26:46 Père Thomas Chagpuy, pourquoi à ce moment-là,
26:48 on décide de davantage montrer l'humanité souffrante,
26:53 mais très dégradée du Christ ?
26:54 Dans le cas du retable d'Isenheim,
26:56 il y a une raison très concrète
26:58 qui nous dévoile un peu cette signification,
27:00 à savoir que ce retable est dans un hôpital
27:04 où les gens souffrent d'une maladie terrible
27:07 qui est liée à l'ergot de seigle
27:09 et qui provoque beaucoup de lésions sur la peau,
27:12 des amputations, c'est très laid.
27:15 Il s'agit de montrer comment le Christ
27:19 porte lui-même nos propres souffrances,
27:22 de faire une identification entre le Christ
27:26 et celui qui souffre.
27:27 C'est profondément mystique, mais c'est aussi réel.
27:30 D'une certaine manière, le Christ s'est uni
27:32 à la souffrance de tous les hommes,
27:35 ou plutôt porte la souffrance de tous,
27:37 pour que beaucoup puissent bénéficier
27:39 en échange de sa vie.
27:41 Et donc, certes, le Concile de Trente
27:45 avait souhaité que les croix, un crucifix,
27:48 et pas simplement une croix glorieuse,
27:50 mais c'était déjà dans les canons de l'Église bien avant,
27:53 la croix porte le Christ pour signifier liturgiquement
27:57 que l'Eucharistie était la présence réelle
28:01 de tout le mystère du sacrifice du Christ parmi nous.
28:04 Mais qui plus est, nous le déployons aussi
28:07 en en comprenant la signification.
28:09 Je crois que c'est Pascal qui dira
28:11 « J'ai versé telle goutte de sang pour toi »
28:14 Qui fait dire au Christ.
28:15 Qui fait dire au Christ, voilà, pardon.
28:18 Mais on avait compris.
28:19 Oui, Véronique Jacquet.
28:20 Oui, alors précisez-nous ce que ça signifie
28:22 quand le Christ dit que pour le suivre,
28:24 il faut prendre sa croix.
28:27 Alors, c'est une expression étonnante
28:30 parce qu'elle est située, évidemment,
28:32 elle est placée dans les paroles du Christ
28:33 avant la crucifixion.
28:34 Donc, elle doit se comprendre à la lumière de la croix.
28:38 Non pas qu'il faille porter exactement
28:40 la même croix que lui,
28:41 mais s'unir à cette...
28:44 Qu'est-ce qui fait la gloire du Christ
28:46 dans les évangiles chez saint Jean ?
28:47 Qu'est-ce qui fait la gloire du Christ ?
28:49 C'est d'obéir, de faire la volonté du Père
28:52 qui est d'aimer jusqu'au bout.
28:54 Et donc, porter sa croix,
28:55 c'est accepter avec le Christ
28:56 d'aimer quoi qu'il en coûte.
28:59 Ce n'est pas choisir la souffrance,
29:01 c'est choisir la charité.
29:04 Et c'est cela que signifie porter sa croix.
29:07 Moi qui suis prêtre,
29:08 je comprenais mal quand au séminaire,
29:11 on me disait « Devenir prêtre,
29:14 c'est choisir la croix ».
29:15 Moi, j'avais dans l'idée
29:18 que devenir prêtre,
29:19 c'était tout ce qui faisait
29:21 l'exercice de la vie quotidienne du prêtre,
29:23 les sacrements,
29:25 tout ce dont j'avais envie.
29:27 Mais petit à petit, avançant,
29:30 je vois combien, en fait,
29:32 ce que je choisis quand je deviens prêtre,
29:34 c'est je choisis de suivre le Christ.
29:38 Je cherche son visage,
29:39 je cherche à obéir à sa volonté.
29:41 C'est ce qui fait ma joie.
29:42 Et le reste,
29:43 c'est parfois un peu crucifiant.
29:45 Alors, on va faire un bond dans les siècles
29:48 parce que du retable d'Issenheim,
29:50 qu'on vient de voir,
29:51 de Matthias Grünwald,
29:53 qui montre ce Christ souffrant,
29:54 à La Passion du Christ de Mel Gibson,
29:57 il y a quand même des ressemblances.
29:59 La Passion du Christ, c'était en 2004.
30:01 Regardez cet extrait,
30:03 il est particulièrement saisissant.
30:04 Attention pour les âmes sensibles.
30:07 [Musique]
30:12 [Musique] - Oh, mon Dieu.
30:17 [Musique]
30:20 [Musique] - Oh.
30:22 [Musique]
30:29 [Musique] - Oh.
30:31 [Musique]
30:59 [Musique]
31:14 Voilà, Laurent Dandrieu,
31:16 vous êtes critique cinéma.
31:17 Je le rappelle, ce procédé,
31:18 cette contre-plongée avec une larme
31:21 de Dieu le Père qui tombe sur la croix du Christ,
31:23 c'est particulièrement éloquent et ingénieux.
31:26 Mais pourtant, ce film a fait scandale.
31:28 Il y a eu des polémiques à travers la presse,
31:31 dont évidemment, vous avez...
31:33 auxquelles vous avez participé et contribué.
31:35 Enfin, en tout cas, vous avez suivi ça de près.
31:37 Non, mais voilà, la question, c'est...
31:40 Pourquoi est-ce que ce film a fait scandale, finalement ?
31:43 Pourquoi est-ce que montrer la croix
31:44 dans ces supplices atroces
31:46 qu'on nous a décrits tout à l'heure
31:47 a fait scandale au XXIe siècle ?
31:49 - Il y a eu plusieurs raisons annexes
31:52 qui, à mon avis, ont servi de prétexte.
31:54 Et l'une des raisons prétextes,
31:56 c'était l'ultra-violence.
31:58 On a reproché à Mel Gibson une ultra-violence
32:02 qui serait une forme de dolorisme,
32:04 voire de voyeurisme.
32:07 Ce qui était une accusation assez amusante
32:11 venant de la part de journalistes
32:12 qui, le reste du temps, en sensent des polars
32:15 où les moglobines coulent à flots,
32:17 les cervelles giclent sur les murs,
32:19 et donc ça n'avait pas beaucoup de sens.
32:20 Donc il était clair que c'était le signe d'autre chose.
32:24 Ce qui était étonnant,
32:25 c'est que ces polémiques ont été finalement
32:28 souvent les plus fortes venant de milieux catholiques.
32:30 Et moi, j'ai pris conscience à ce moment-là
32:33 qu'il y avait un certain nombre de chrétiens,
32:35 de catholiques qui étaient mal à l'aise
32:37 avec la passion, avec la souffrance du Christ,
32:39 et qui, finalement, rêveraient
32:42 d'un catholicisme post-passion
32:44 où, puisqu'il y a eu la résurrection,
32:46 on n'aurait plus besoin de passer par la croix
32:49 et de s'embêter avec le spectacle de ses souffrances.
32:51 On n'aurait plus qu'à parler de résurrection directement
32:54 et arrêter d'embêter le monde avec tout ça.
32:58 Et je pense que c'est un contresens
33:01 évidemment flagrant, puisque c'est cette souffrance
33:03 qui nous ouvre les portes de la vie éternelle.
33:06 Mais je pense qu'il y avait effectivement à l'origine de ça
33:09 ce profond malaise vis-à-vis de cette idée
33:12 que c'est le sacrifice du Christ
33:13 qui nous ouvre les portes du paradis.
33:16 Alors réaction d'un artiste peintre,
33:18 François Pelletier, puis du père Thomas Chapuis.
33:20 Oui, je pense que...
33:25 Par rapport à ce film, pour moi c'est oui et non.
33:27 C'est-à-dire que j'aurais aimé, puisqu'on en parle,
33:30 qu'il y ait la résurrection avec.
33:31 Elle est en préparation selon...
33:33 Il faut accepter...
33:34 Elle est quand même montrée préalablement,
33:36 mais elle est montrée à la fin du film.
33:38 Oui, mais je crois que tout à l'heure
33:41 Laurent Dandrieu a posé une chose très juste.
33:44 C'est-à-dire que la représentation de la croix que nous avons
33:48 émane de la société des chrétiens de ce moment-là.
33:52 Et qu'il faut se poser la question actuellement, pour moi,
33:55 de quelle représentation il faut
33:57 par rapport à la chrétienté qui nous reste,
34:00 par rapport à ce qui peut aujourd'hui parler,
34:04 dans notre manière de représenter la croix,
34:05 de représenter la passion,
34:07 qui peut amener les gens à la comprendre de fond.
34:11 C'est un vrai gros problème.
34:13 C'est-à-dire que pour moi, il faut vraiment les deux.
34:15 Il faut garder ce côté, bien sûr, de la souffrance et de la croix,
34:19 mais il faut ne pas oublier, je dirais, la résurrection,
34:24 et vraiment la notion d'espérance.
34:26 Or, actuellement, on peut dire qu'on en a besoin.
34:28 Et je pense qu'il faut vraiment donner l'espérance qu'il y a dans la crucifixion.
34:33 - Père Thomas Chapuille.
34:34 - Moi, je me réjouis que ça ait choqué un petit peu.
34:36 [Rires]
34:37 - Donc, il faut que ça fasse scandale, finalement.
34:39 - Dans les Écritures, pour Saint Paul, c'est évident que c'est d'abord un scandale
34:43 pour les Juifs et une folie pour les païens.
34:45 Et ça doit le rester.
34:47 On est en train de vivre un drame.
34:49 Ce n'est pas juste une belle image.
34:51 Nos représentations artistiques ont cela de beau
34:57 qu'ils nous font rentrer dans un imaginaire plus large
35:01 que la simple surface de ce qui est représenté.
35:03 Je crois que c'est vrai aussi de ce film,
35:05 qui, pour certains aspects, c'est vrai, est assez sanguinolent.
35:09 - Mais l'Évangile, lui, ne donne pas un luxe de détail.
35:13 - Non, il ne donne pas un luxe de détail,
35:15 mais en même temps, si on veut plonger dans la laideur du péché humain,
35:21 on ne se risque pas grand-chose à aller jusque-là.
35:25 On est parfois encore plus sordide que cela.
35:29 Si ça choque un petit peu, tant mieux.
35:31 Il ne faut pas chercher à choquer pour choquer,
35:33 ce ne serait vraiment pas un bon procédé pour l'art.
35:35 Mais que la croix ne devienne pas pour nous, chrétiens,
35:38 l'objet toujours aujourd'hui d'un scandale,
35:40 d'une vraie interrogation,
35:42 de ce mystère qui est quand même abyssal.
35:47 Ce n'est pas un petit confort, la croix.
35:50 Le christianisme, ce n'est pas un petit confort.
35:53 Laurent Dandrieu ?
35:54 - Oui, juste, le critique de cinéma reprend la parole.
35:57 C'est vrai que ce n'est peut-être pas la supériorité,
35:59 parce qu'il n'y a pas une hiérarchie des arts,
36:00 mais l'avantage du cinéma par rapport à la peinture,
36:03 c'est que la peinture doit représenter
36:05 la totalité du phénomène de la passion en une image.
36:08 Et donc, effectivement, avec le côté glorieux
36:10 et le côté souffrant en une seule image,
36:12 et c'est très difficile.
36:14 Moi, quand je pense à cette image d'Olbein, le jeune, en 1521,
36:19 je crois qu'il représente le Christ mort,
36:21 et l'image qui avait frappé Dostoevsky,
36:24 qui avait dit "il a l'air tellement mort qu'en fait,
36:26 on pourrait perdre la foi uniquement,
36:28 parce qu'on n'arrive même plus à concevoir
36:30 qu'il puisse aller jusqu'à la résurrection".
36:32 Et l'avantage du cinéma, c'est qu'effectivement,
36:34 vous avez un déroulé narratif qui vous permet
36:36 de montrer successivement les deux étapes.
36:40 - Alors, retour à la peinture, justement,
36:42 avec le peintre Maurice Denis.
36:44 On est au début du 20e siècle,
36:46 et là, une vision peut-être plus apaisée,
36:48 mais néanmoins réelle, du chemin de croix,
36:51 qu'il a peinte dans sa chapelle de sa maison
36:54 à Saint-Germain-en-Laye.
36:55 Regardez ce reportage signé Éloi Rochebrune.
36:58 - Cette chapelle rachetée en 1914
37:01 et entièrement restaurée par Maurice Denis
37:03 est devenue, comme le peintre le désirait,
37:05 un réceptacle de la passion du Christ.
37:08 Sur les deux murs latéraux, un chemin de croix,
37:11 14 stations en demi-lune, de la condamnation de Jésus
37:14 jusqu'à sa mise au tombeau.
37:16 - C'est le premier chemin de croix qu'a fait Maurice Denis.
37:18 On est au début de la guerre de 14.
37:20 Ce qui est formidable dans ce chemin de croix,
37:22 c'est qu'il y a vraiment un caractère très cinématographique,
37:24 c'est-à-dire qu'on est comme dans une bande dessinée,
37:26 et on a ici à chaque fois le sentiment
37:28 à la fois d'un temps arrêté
37:30 et en même temps d'une action en train de se faire.
37:34 - La mort sur la croix est aussi représentée
37:36 sur cette verrière monumentale derrière le maître-hôtel.
37:39 - Le point d'orgue de ce décor,
37:41 c'est cette monumentale verrière,
37:43 donc dans la baie d'Axe de la chapelle,
37:45 qui décline la vie de Jésus.
37:47 Et cette crucifixion, elle est l'aboutissement
37:49 de toute cette vie de Jésus
37:52 qui se donne par amour pour les hommes.
37:55 Vous voyez ce filet de sang
37:58 qui coule le long de la jambe
38:00 et qui s'écoule jusqu'au pied du Christ
38:02 où Madeleine vient recueillir le sang sacré.
38:05 - Une scène assez similaire à celle que l'on retrouve
38:07 sur l'un des tableaux les plus connus de l'œuvre de Maurice Denis,
38:10 le Sacré-Cœur crucifié,
38:12 une île sur toile, datant de 1916.
38:15 - Un Christ au cœur illuminé d'amour.
38:20 Le Sacré-Cœur du Christ ici,
38:22 qui est comme un soleil
38:24 qui monte dans ce grand ciel,
38:27 synonyme d'espérance, évidemment,
38:30 pour les endeuillés de la guerre
38:32 et notamment pour les femmes.
38:34 - Le Sacré-Cœur crucifié est aussi en arrière-plan
38:36 du dernier autoportrait de Maurice Denis,
38:38 lui qui rêvait, étant jeune, de devenir moine-peintre,
38:41 pour, disait-il, célébrer les miracles du christianisme.
38:44 - On peut se rendre dans la maison de Maurice Denis,
38:47 devenu un musée à Saint-Germain-en-Laye.
38:49 Pour les quelques minutes qui nous restent,
38:51 on va parler d'espérance à travers la croix
38:53 parce qu'on voit bien que ce soit Maurice Denis
38:55 avec la guerre 14 ou aujourd'hui,
38:57 quand on parle de violence, de guerre,
38:59 ça fait référence à notre actualité.
39:01 Comment est-ce que la croix, les uns les autres,
39:03 peut nous donner, encore une fois paradoxalement,
39:06 une espérance pour aujourd'hui ?
39:08 François Pelletier ?
39:10 - La guerre de 14, qui a été quand même une vraie césure,
39:12 il y a eu des gens qui ont choisi Maurice Denis,
39:14 qui a choisi l'espérance,
39:16 et Duchamp qui a choisi le nihilisme.
39:18 C'est vraiment l'art contemporain, c'est-à-dire,
39:20 c'est du nominalisme. Bon, de toute façon, tout ça,
39:22 ça n'a plus aucune importance.
39:24 Et je crois que notre travail...
39:26 Monseigneur Réa me disait un jour,
39:28 les artistes sont les prophètes de l'espérance.
39:30 J'espère que c'est ça, notre boulot.
39:32 Notre boulot, c'est d'essayer de dire aux gens,
39:35 "Attendez, attendez, c'est pas si simple."
39:38 C'est pour ça qu'il faut une certaine...
39:40 Une certaine...
39:42 Oui, il faut que l'amour que l'on met dans nos toiles
39:44 soit visible.
39:46 Il soit visible, et pour moi, qui suis plutôt un coloriste,
39:49 la couleur est importante. C'est vraiment important.
39:52 Quand je refais des croix contemporaines,
39:54 on fait des croix contemporaines, on en a fait une exposition à Paris,
39:56 avec Augustin Frisenroche et ma fille.
39:59 On a mis de la couleur, on a mis des choses pour dire,
40:02 "Attendez, attendez, ça finit pas en noir et blanc,
40:04 cette affaire-là."
40:06 Je crois que c'est...
40:08 Quand vous êtes peintre professionnel, vous avez une responsabilité.
40:11 Sinon, je peindrais pour moi dans mon atelier,
40:13 et personne ne le verrait.
40:15 Si je montre ce que je fais, si je le fais,
40:17 c'est que j'ai une responsabilité par rapport à ceux qui le regardent.
40:19 Ça, c'est fondamental.
40:21 À partir de là, comme je suis un artiste chrétien,
40:24 j'ai ce devoir, je dirais,
40:26 de donner l'espérance aux gens qui le regardent.
40:29 Et je crois que c'est vraiment une chose
40:31 qu'il faut qu'on arrive à faire.
40:33 - Laurent Dandrieu, l'espérance à travers la croix.
40:36 - Je crois que la croix, c'est pas très original,
40:38 mais c'est vraiment le signe par excellence
40:40 que la mort n'a pas le dernier mot
40:42 et que le vide et le néant ne sont pas
40:44 le dernier mot de l'existence.
40:46 Et puis, à un point de vue aussi peut-être plus humain,
40:48 mais très utile au quotidien,
40:50 c'est aussi l'occasion de se dire
40:53 qu'un échec apparent
40:55 peut être extrêmement fécond
40:58 et être porteur de triomphe à venir.
41:02 - Pierre-Thomas Chapuis.
41:04 - Dans les représentations de la croix,
41:06 je ne sais pas si vous avez remarqué,
41:08 mais même dans les écritures,
41:10 la croix n'est jamais seule.
41:12 Il y a toujours un personnage
41:14 ou plusieurs personnages qui nous aident
41:16 à comprendre la situation de ce passé.
41:18 - La Vierge Marie, Saint Jean,
41:20 le Saint-Humeillon.
41:22 - Et puis, les artistes, de manière très habile
41:24 et très juste, comme Maurice Denis ou Franz Angelico,
41:26 nous le voyons peut-être passer à l'image,
41:28 se sont plus aussi assis placés.
41:30 - Rembrandt, un côté un peu plus sculptural.
41:33 Mais je nous invite, nous, chrétiens,
41:35 pendant ce temps de la Passion,
41:37 à nous mettre à côté de la croix
41:39 et d'en recevoir les grâces qui lui sont propres.
41:41 La paix enfin advenue pour le monde,
41:44 l'acte de foi, l'espérance profonde,
41:48 la douceur. Je pense à Marie contre le Sacré-Cœur
41:52 où Jean Cocteau a fait une lithographie
41:54 où on voyait Saint Jean qui était contre les pieds de Jésus.
41:56 C'est très affectif, peut-être.
41:59 Mais en même temps, c'est le corps.
42:01 Le corps a sa dignité, le corps a sa beauté.
42:04 Il vient nous rejoindre.
42:06 Le Christ vient nous rejoindre dans son corps
42:08 pour nous faire part à sa vie.
42:10 Et ça, c'est quand même une grande espérance,
42:11 une grande joie, en fait, profondément.
42:13 - Peut-être un tout dernier mot, Véronique Jacquier.
42:15 - À vous écouter, ce qu'on comprend,
42:17 c'est qu'il y a un grand défi pour l'Église.
42:19 C'est la promotion des artistes,
42:20 la promotion de l'art au sein de l'Église,
42:22 ne serait-ce que pour montrer que l'Église est pleinement vivante.
42:25 - Absolument. Je crois que la création dans l'Église
42:28 montre que l'Église est vivante
42:29 et qu'on essaye justement de transmettre encore ça aujourd'hui.
42:32 Parce que la transmission,
42:33 ça reste quand même quelque chose de fondamental.
42:35 - Voilà, merci à tous d'avoir contribué à comprendre,
42:40 essayer de comprendre ce mystère abyssal de la croix
42:43 à travers l'art notamment.
42:45 Abbé Thomas Chapuis, Laurent Dandrieu,
42:47 je rappelle le titre de votre ouvrage
42:48 "Les peintres de l'invisible au Cerf" en 2016.
42:50 François Pelletier, je renvoie à votre site
42:52 favolus.com pour découvrir vos œuvres.
42:56 Puis Véronique Jacquet, que faut-il lire cette semaine dans France Catholique ?
42:59 - France Catholique propose une très belle méditation
43:03 sur les sept dernières paroles du Christ en croix.
43:06 Donc à retrouver sur abonnement sur france-catholique.fr
43:10 - Voilà, et puis je signale aussi un ouvrage de référence sur le sujet
43:13 "La mort et la résurrection du Christ dans l'art".
43:15 C'est chez Pierre Tecky de Marie-Gabrielle Leblanc,
43:17 historienne d'art réputée,
43:19 que l'on peut retrouver dans toutes les bonnes librairies,
43:22 évidemment sur Internet.
43:23 Et puis à noter que sur CNews, vous pourrez retrouver
43:26 certaines des cérémonies de la semaine sainte,
43:29 du Tridon Pascal, comme on dit, à partir du vendredi saint.
43:32 15h, le chemin de croix en direct,
43:34 ce sera depuis Lyon et la basilique de Fourvière.
43:37 19h, l'office de la Passion, toujours en direct sur CNews.
43:40 Et puis à 21h, le samedi 8 avril, la vigile pascale, en direct également.
43:45 Le dimanche de Pâques, ce sera toujours depuis Fourvière,
43:48 mais sur C8 à 11h, la messe de Pâques en direct.
43:51 Merci d'avoir suivi cette émission,
43:53 merci à Aurélie Loukano et à toute la réalisation.
43:55 La semaine prochaine, nous parlerons du linceul de Turin.
43:58 Est-il un signe de la résurrection, justement ?
44:00 Mais pour l'heure, l'info continue sur CNews.
44:03 [SILENCE]