Arthur Teboul, auteur et chanteur du groupe Feu! Chatterton, est l'invité du 7h50 pour son premier recueil de poésie « Le Déversoir. Poèmes minute » (Seghers). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-15-mars-2023-4409824
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00:00 Bonjour Arthur Teboul ! Bonjour !
00:01 Merci d'être avec nous ce matin, on connaît le chanteur à succès de Feuchterton, ce
00:05 groupe de rock littéraire original qui cartonne depuis 10 ans.
00:08 Vous venez d'ailleurs de finir une tournée en France à guichet fermé avec votre dernier
00:13 album.
00:14 Mais ce n'est pas lui qu'on reçoit ce matin, ce matin c'est le jeune poète qu'on reçoit,
00:17 le Déversoir.
00:18 Votre premier recueil de poèmes est publié cette semaine aux éditions Seger.
00:22 C'est une maison emblématique des lettres françaises qu'a publié en leur temps Paul
00:26 Duard ou Louis Aragon et vous êtes le premier français à rejoindre leur prestigieux catalogue
00:31 de son vivant.
00:32 Vous écrivez en guise d'introduction dans ce livre.
00:34 Ce livre n'est rien d'autre qu'une tentative renouvelée de donner envie de poésie, de
00:39 raviver ce besoin primitif comme on a envie et besoin de faire l'amour.
00:43 Ah bon, on aurait besoin de poésie autant d'avoir envie de faire l'amour ?
00:47 Oui, je crois.
00:48 Je crois juste qu'on est encore plus intimidés à l'idée de goûter la poésie que de goûter
00:54 l'amour.
00:55 Et je crois qu'on le fait, sans le nommer, sans le savoir.
00:58 C'est le mot qui inquiète, c'est le mot qui intimide.
01:01 Pourquoi il inquiète ?
01:02 Je ne sais pas, ça peut être dû à l'école.
01:06 C'est étrange, quand on parle de poésie, c'est soit snob, soit fleur bleue.
01:09 Alors qu'en fait, toute la journée, nous vivons des instants poétiques qu'on reconnaît
01:12 comme tels mais qu'on n'appelle pas ainsi.
01:14 Vous dites qu'il faut faire un effort pour rendre la poésie sexy, pour la désacraliser.
01:18 Vous voulez sortir de l'idée que la poésie serait quelque chose de très compliqué,
01:21 réservé à des élites surcultivées ou à des étudiants romantiques qui traînent
01:25 dans le cinquième arrondissement entre Henri IV et Louis Le Grand.
01:27 C'est bien autre chose, vous dites.
01:29 Et c'est bien plus facile, en fait.
01:31 Oui, c'est ça.
01:32 Et c'est encore une histoire d'intimidation parce qu'en réalité, moi, je ne le dis pas
01:35 souvent mais mes grands-pères étaient coiffeurs et facteurs.
01:40 Je viens d'un milieu assez modeste et la littérature, c'est un compagnonnage que
01:45 je me suis créé.
01:46 Parce que je n'ai pas eu peur de critiquer les poèmes et de dire, même chez Baudelaire
01:50 ou chez Rimbaud, tiens, je n'aime pas ça, ça ne me plaît pas.
01:53 C'est le papier Bible, le problème.
01:55 Et je pense que ce n'est pas faire honneur aux poètes, d'avoir peur de les secouer.
02:00 Non.
02:01 S'ils sont vivants, allons-y, ils aimeraient ça.
02:03 C'est-à-dire qu'il y en a qu'on aime, il y en a qu'on n'aime pas, il y en a où on
02:05 arrive ou il y en a où on n'arrive pas et ce n'est pas grave.
02:07 Ce n'est pas grave du tout.
02:08 La poésie est entrée dans votre vie d'adolescent comme une déflagration.
02:11 À vous et à votre bande d'amis quand vous aviez 17-18 ans, immédiatement, Rimbaud,
02:17 Rimbaud, Napoléon, Baudelaire, Lautrehamon sont devenus vos héros véritablement ?
02:21 Oui, parce que je découvrais qu'on peut activer la langue d'une autre manière.
02:25 Ce sont des formules magiques.
02:26 Moi, je vois ça comme des sortes de laborantins, des savants fous.
02:30 Et questionner la langue, c'est aussi remettre en question sa manière de vivre, interpréter
02:35 autrement notre expérience.
02:36 Et dans ce cas, on peut dériver.
02:37 C'est une rébellion en fait.
02:38 Vous dites que c'est un contre-pouvoir la poésie.
02:41 Oui, ce qui est marrant, c'est que c'est un contre-pouvoir sans pouvoir qui décide
02:44 de déposer les armes.
02:45 Et de dériver.
02:48 Aujourd'hui, nous vivons un monde quand même fonctionnel, pratique, prédateur.
02:53 On consomme les choses et même les gens pour arriver quelque part.
02:56 On accepte l'idée que tous les moyens sont bons pour arriver à nos fins.
03:00 La poésie, c'est le contraire.
03:02 C'est-à-dire, je ne sais pas ce que je fais maintenant.
03:04 Ça ne me sert pas là, maintenant, mais j'en ai besoin.
03:08 C'est la phrase de Cocteau.
03:11 Quand il a été reçu à l'Académie française, il a dit "je sais que la poésie est indispensable,
03:15 mais je ne sais pas à quoi".
03:16 C'est important de retrouver cette humilité quand même.
03:19 Il y a des choses qui nous guident.
03:20 Et quand on est enfant, on le sait très bien.
03:22 On ressent quelque chose, on ne sait pas pourquoi.
03:24 Et si on nous demande pourquoi, ça s'effrite et on ne le fait plus.
03:27 Et quand on devient vieux, adulte, sérieux, on s'arrête à cette question "pourquoi
03:31 je le fais ? Je ne sais pas, je ne le fais pas".
03:33 Comment on trouve la force de débrancher de nos vies connectées, addictes aux écrans,
03:38 à l'immédiateté, à la consommation frénétique, à ce temps qui va si vite, on a toujours
03:41 besoin de temps pour se laisser aller à un instant de poésie, au temps long, au mystère,
03:46 à la contemplation au fond.
03:48 On n'est plus du tout contemplatif malheureusement.
03:51 Alors moi je suis comme tout le monde, j'ai les mêmes travers.
03:54 C'est d'abord un pence-bête pour moi-même.
03:55 Il faut un effort.
03:57 C'est pour ça que je parle de Poème Minute.
04:00 Il faut accepter quand même les enjeux de notre époque.
04:03 On ne va pas faire un truc qui dure 4 heures et dire "méditons 5 heures de suite".
04:07 Ok, peut-être qu'on peut y arriver.
04:08 Mais ce ne sera pas très accessible et ce ne sera pas tout de suite.
04:10 Et ce sera très ponctuel.
04:12 J'aime l'idée qu'on peut créer un instant poétique en désacralisant tout ça, en disant
04:18 "faisons l'effort".
04:19 Et là par exemple, j'ai lancé un cabinet, j'en viens là.
04:22 Alors c'est ça, parce qu'il y a ce livre d'abord, ces Poèmes Minute, ce livre qui
04:26 propose 98 Poèmes Minute.
04:28 C'est quoi des Poèmes Minute ?
04:30 Des Poèmes Minute sont des poèmes écrits sous la dictée de la pensée, sur le mode
04:34 automatique comme le définissent les surréalistes.
04:36 On se laisse traverser et on écrit ce qui vient, sans volonté, sans filtre.
04:41 Parce que parfois il y a des mots qui vont venir qu'on va trouver ridicules, des idées
04:44 qui vont nous sembler bêtes.
04:45 On va se sentir vulnérable et ce ne sera pas forcément beau.
04:48 Mais ce n'est pas ça qui compte.
04:49 Ce qui compte, c'est de se laisser pénétrer par l'instant et d'accepter ce qui vient.
04:55 C'est une manière de prendre le temps, de contempler, de se plonger dans ce qui vient.
05:02 Une forme de haïku ou de méditation par les mots.
05:05 Vous savez que Christophe Castaner faisait des haïkus et de la méditation avant toute
05:10 interview politique.
05:11 C'est vrai ?
05:12 Oui, comme quoi c'est pour tout le monde.
05:13 Il n'y a pas que ce livre.
05:14 Vous proposez aussi toute cette semaine des rencontres, des consultations poétiques
05:18 gratuites.
05:19 Ça se passe dans le Marais, à Paris.
05:20 Et à tout moment de la journée, on peut venir vous voir à la pause café, à la pause
05:24 déjeuner et vous nous faites 12 minutes de consultation gratuite et en repas avec un
05:29 poème.
05:30 C'est ça que vous proposez toute cette semaine ?
05:31 Oui, j'ai commencé dimanche dernier en recevant une trentaine de personnes par jour.
05:34 Je remercie le centre d'Artforma qui m'accueille et Toré pour la décoration.
05:40 C'est important parce que c'est une aventure collective.
05:41 Et de trouver des gens qui rendent concret les rêves, c'est important de s'entourer
05:47 de gens qui poussent le rêve pour le rencontrer.
05:50 Comment ça se passe ? Moi je veux venir vous voir.
05:52 En 12 minutes, vous arrivez à me faire… On parle ? C'est psychanalytique ?
05:57 Non, on ne parle pas.
05:58 Ce sont des poèmes en présence et pas sur commande.
06:00 Le côté sur-mesure et sur-commande, c'est encore une chose qu'on a tous les jours.
06:04 On voit exactement ce qu'on veut.
06:05 Là, vous venez, vous vous asseyez en face de moi, j'ai un bureau.
06:08 L'ambiance est tamisée pour qu'on plonge dans… quand même se faciliter la tâche
06:12 dans un instant un peu plus contemplatif.
06:15 Et le temps de l'écriture, je vous demande de regarder un tableau sur le mur parce que
06:20 ça me déstabilise qu'on me regarde faire.
06:22 Et j'écris en votre présence, en quelques minutes, ce qui me passe par la tête.
06:26 Je cachette ça, je vous lis le poème et ensuite, il est à vous, vous partez avec.
06:32 Et chaque personne différente vous inspire quelque chose de différent ?
06:35 Oui, alors ça, je pourrais en parler longtemps parce que c'est une chose que je suis en
06:37 train d'explorer du fait que je sois dans cette semaine d'écriture.
06:40 C'est très étrange de voir à quel point on peut avoir un rapport profond avec des
06:44 gens sans se parler pour peu qu'on soit dans une très grande attention, une délicatesse.
06:49 Et c'est très très étrange.
06:51 J'écris un poème sans vraiment connaître la personne, sans savoir quoi que ce soit.
06:54 Et parfois, on est au bord des larmes dans ce tête-à-tête parce qu'il y a quelque
06:58 chose qui résonne de manière étrange.
06:59 Bien sûr, on se cherche les signes.
07:01 On a envie de trouver des signes, tout résonne.
07:03 Nous sommes comme ça les êtres humains.
07:04 On cherche du sens.
07:05 C'est beau, on a le droit.
07:08 Est-ce que l'actualité vous inspire aussi ? Parce que vos poèmes que j'ai lu ne sont
07:14 pas que éthérés et hors sol, ils sont très connectés.
07:17 Il y est question de cette consommation, de cette société occidentale qui va mal,
07:23 de cette société individualiste, seule, égoïste.
07:27 Il y est, on lit ça.
07:29 Oui, il y a un ministre du commerce qui traverse le livre.
07:32 Oui, il y a une sorte de dystopie comme ça, un peu inquiétante.
07:36 Ça dépend en réalité du moment auquel j'écris.
07:38 Ça fait sept ans que j'écris des poèmes comme ça, automatiques.
07:40 Donc c'est un muscle, une discipline.
07:42 Ceux que j'ai écrits pendant le confinement, je les reconnais tout de suite parce qu'ils
07:46 sont imprégnés de cette forme d'angoisse, d'incertitude, de dystopie politique.
07:51 Il y a une section, huit, il y a des camarades.
07:55 Il y a quelque chose, un environnement.
07:57 Ça dépend des fois.
07:59 Disons que le fait que ce soit pas vraiment volontaire comme forme poétique, je ne décide
08:03 pas de ce qui vient, mais c'est un peu comme se tirer les cartes à soi-même.
08:06 Je constate de fait, puisque nous vivons dans ce monde, qu'ils sont imprégnés du monde
08:11 d'aujourd'hui.
08:12 Ce qui est évident, je tiens à le dire, c'est que justement la poésie ne doit pas être
08:15 un truc qui parle que des fleurs, des ruines et des soleils.
08:18 Tout est poétique.
08:19 Tout peut prendre une dimension poétique.
08:21 Ce micro, cet ordinateur, cette lumière.
08:23 À nous d'intégrer ça dans ce langage.
08:26 Michel Houellebecq disait pendant le confinement, on ne se réveillera pas après le confinement
08:30 dans un monde nouveau.
08:31 Ce sera le même en un peu pire.
08:32 Vous êtes d'accord avec lui sur ça ?
08:34 Je n'ai pas envie d'écouter ça.
08:37 En fait, c'est le confinement qui me l'a appris cette période-là.
08:39 La joie, il faut la prendre.
08:41 Je me suis beaucoup complais dans ma mélancolie, qui est, on va dire, mon terreau.
08:46 Et avec le temps et les épreuves, j'ai changé parce qu'on perd de l'énergie.
08:52 Le cabinet, c'est une tentative de créer un espace de faire.
08:58 Je crois maintenant qu'il vaut mieux mal faire que de ne pas faire.
09:01 C'est facile d'avoir les mains propres quand on n'a pas de mains.
09:04 Avant, je préférais rester comme ça, avec un idéal auquel on ne se confronte jamais.
09:08 Mais voilà, je ne sais pas comment va le monde.
09:11 Visiblement, il ne va pas très bien quand même.
09:13 Je ne sais pas, pas parce que je ne m'y intéresse pas, mais parce que j'essaye d'agir à mon échelle, humblement,
09:19 pour créer des choses qui donnent un peu de lumière.
09:23 Aller chercher cette joie.
09:25 - Pensez-vous, vous qui soignez tellement vos tenues, vous êtes encore très chic ce matin,
09:29 qu'un poète doit forcément être élégant, dandy, beau de l'air l'été.
09:33 Pensez-vous que le style fait l'homme ? Et même le style d'apparence ?
09:37 - Non, je ne pense pas.
09:38 Je ne pense pas. Moi, je fais ça parce que mes grand-mères étaient couturières.
09:41 J'ai un soin particulier pour la confection, les choses bien faites.
09:47 En réalité, comme vous voyez là, je ne suis pas obligé de dire les coutures, mais c'est un costume de frip.
09:53 C'est du long terme, ce sont des choses...
09:55 - Mais c'est choisi.
09:56 - C'est choisi, oui, bien sûr.
09:59 - C'est travaillé.
10:00 - Oui, c'est travaillé. C'est sûr qu'il y a un sens.
10:04 Oui, ça m'intéresse.
10:05 C'est une recherche d'harmonie et de symboles.
10:08 - Arthur Teboul, qu'est-ce qu'il faut lire quand on est triste ?
10:11 Quel poète on doit lire ?
10:12 Quel recueil de poèmes on doit lire quand on est triste ?
10:14 Qu'est-ce qui pourrait nous consoler ?
10:16 - Je pense forcément à Christian Bobin, qui est un poète, un grand poète.
10:22 - Qui vient de nous quitter.
10:22 - Qui vient de nous quitter, avec qui j'ai eu la chance de correspondre.
10:26 J'ai eu des moments très courts, mais très forts.
10:31 C'est un merveilleux compagnon de route parce que justement, il déploie dans le calme une grande force de résistance.
10:39 Et donc à chaque fois qu'on le lit, on n'est pas galvanisé parce qu'il n'y a pas cette excitation.
10:44 Mais on est plein d'une confiance dans la possibilité d'avancer.
10:49 - Quand on est heureux, on doit lire qui ?
10:51 - On est heureux ? Aragon, parce qu'il va nous plomber un peu peut-être.
10:55 - Et quand on est amoureux, on lit quoi ?
10:58 - René Char. René Char est un très beau mot d'amour.
11:02 - Vous ne m'avez pas parlé d'Apollinaire.
11:03 - Ah, Apollinaire ! Quand on est amoureux, Apollinaire !
11:08 - On ne va pas se quitter, Arthur Teboul, sans vous entendre nous dire quelques mots de poésie.
11:12 Vous avez eu la gentillesse de nous écrire un poème minute là, juste avant de rentrer dans ce studio ce matin.
11:17 Je vous écoute. On vous écoute.
11:20 « Avant d'assouvir le prétendu bienfait du cours des choses, allons nous promener dans le couloir.
11:25 Là-bas, tout bruit, et l'on sent la sève monter dans les cervelles.
11:28 Tout s'active. Nous pouvons faire des allers-retours.
11:32 Ce n'est pas interdit. À nous d'y croire. D'affermir cette volonté.
11:36 À deux, c'est plus facile. Nous pouvons écouter la sève monter,
11:39 et le bruissement des paroles échangées à la hâte dans le couloir.
11:42 Sans se presser. La vitesse viendra ensuite. La vitesse viendra de toute façon.
11:48 Faisons un instant comme si elle n'allait pas se pointer.
11:51 Un fourmiment nous parcourt. Ce jeu est propice à l'éclosion d'une incidence, d'une coïncidence, d'une surprise.
11:58 Alors, après, nous plongerons à nouveau, et nous n'aurons pas oublié ce petit jeu,
12:02 et nous n'aurons pas oublié la sève qui monte à la tête, et la certitude dans le couloir qui mène au direct,
12:07 qui mène à la chambre d'enfant. Nous garderons le pistil dans la poche intérieure.
12:13 Saskia de Ville : Merci Arthur Teboul. Le déversoir, c'est quelques minutes de contemplation.
12:17 Aux éditions Segers, si vous êtes à Paris et que vous avez le temps,
12:21 vous êtes aussi toute cette semaine aux 127 rue de Turin dans le Marais,
12:24 où on peut aller chercher son poème individualisé. Merci beaucoup et très belle journée à vous.
12:28 Arthur Teboul : Merci, merci beaucoup.