Sophie Marceau, actrice, est l'invitée de France Inter pour présenter "La Souterraine" (Seghers), un recueil de nouvelles et de poésie dont elle est l'autrice. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-08-mai-2023-8827870
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00:00 7h48, Léa Salamé, votre invitée ce matin est actrice et réalisatrice.
00:04 Bonjour Sophie Marceau.
00:05 Bonjour Léa.
00:06 Merci d'être avec nous ce matin.
00:07 Ce n'est pas l'actrice ni la réalisatrice que nous recevons ce matin, mais c'est une
00:11 surprise, l'écrivaine.
00:12 Vous publiez dans la très prestigieuse, très littéraire maison d'édition Segers,
00:16 La Souterraine, un recueil de nouvelles et de poèmes surprenants, exigeants, où vous
00:21 montrez une grande sensibilité, un sens de l'observation, une attention aux autres,
00:26 une langue précise et vive, un livre étonnant, je le dis, où on a l'impression de vous
00:30 redécouvrir, d'accéder à la femme que vous êtes vraiment.
00:32 Qu'est-ce que ce geste littéraire dit de vous ? Vous vous êtes laissée aller à quoi
00:37 en écrivant ce livre ?
00:39 Je ne me suis pas laissée aller du tout.
00:41 Et si on découvre une autre facette, j'en suis très contente parce que j'ai l'impression
00:47 que c'est quand même celle qui est la plus proche de moi, évidemment, puisque d'écrire
00:52 ce n'est pas une interprétation, ce n'est pas de jouer le rôle des autres, que j'aime
00:56 beaucoup aussi.
00:57 Non, là, c'est un face à face avec soi-même, avec son imaginaire.
01:02 C'est aussi beaucoup un livre qui vient de l'imaginaire.
01:07 C'est vraiment une fiction, même si c'est toujours puisé dans des choses personnelles,
01:14 forcément.
01:15 Mais j'aime bien cet élargissement de la vie, c'est-à-dire un petit peu aller plus
01:22 haut, plus bas, plus large, faire travailler un peu, mélanger la fiction et la réalité.
01:28 Mais quelle place occupent l'écriture ou la lecture dans votre vie ? Quand écrivez-vous,
01:33 à quel moment ? Vous dites « j'écris parce que je n'ai pas le choix ».
01:36 Je n'ai pas le choix, j'ai surtout besoin.
01:39 C'est un moment pour moi où je me retrouve un peu, c'est là où je refais ma balance,
01:46 je refais la mise à jour.
01:47 Je ne peux pas la faire tous les jours, tous les jours, mais quand j'écris, oui, j'écris
01:53 sur des longues périodes et de façon très assidue, plutôt le matin.
01:57 Je suis sérieuse.
02:00 Ça demande du sérieux de toute façon.
02:03 C'est une mise en abyme.
02:04 C'est un travail qui est tellement riche parce qu'on apprend tous les jours, parce que,
02:12 comme vous dites, c'est l'observation des autres, du monde, on sort un peu de son petit
02:18 soi, de son petit nombril.
02:20 C'est un livre qui n'est pas un livre narcissique, qui n'est pas un livre, si vous me permettez
02:26 l'expression, d'actrice.
02:27 C'est un livre qui est…
02:28 Pour les pauvres actrices qu'elles se prennent !
02:30 Non, et on adore les actrices.
02:32 Mais ce que je veux dire, c'est qu'il faut dépasser les préjugés qu'on peut avoir
02:36 en se disant « Sophie de Marceau écrit un livre », mais je crois que le fait que la
02:39 Maison d'édition Segers vous publie, ça montre l'exigence.
02:42 Oui, j'ai une grande chance de travailler avec cette maison d'édition.
02:46 En plus, je trouve qu'on est parfaitement cohérents.
02:49 Je rentre vraiment dans leur ligne éditoriale.
02:52 C'est une maison qui s'intéresse à l'art en général, à la prose bien sûr, mais
02:55 à la poésie, à la musique, aux textes, aux artistes.
02:59 Et ça tombait très bien.
03:00 Le monde de l'enfance est très présent dans ce livre.
03:02 Dans la première nouvelle, « La Souterraine », vous faites le portrait d'une famille
03:05 issue de la classe populaire qui vit au rez-de-chaussée d'un pavillon de banlieue, roule en Renault
03:10 16.
03:11 Une famille où il est rare d'entendre parler de vacances, où les revenus permettent de
03:14 vivre jusqu'à la moitié du mois et après, on verra.
03:17 Le père fume des gitanes et aime de Gaulle, la mère aime le cinéma, ils se sont mariés
03:21 à l'église.
03:22 Et la fille cadette, Eleonore, qui vous ressemble drôlement, s'ennuie beaucoup.
03:26 Elle se sent bien seule dans son lit le soir.
03:28 Il y a chez cette petite fille de la mélancolie, de la tristesse.
03:32 On sent qu'elle a un envie d'ailleurs.
03:35 Est-ce que c'était vous ? Celui-là est peut-être le plus autobiographique.
03:39 - L'envie d'ailleurs, oui, c'est sûr.
03:41 C'est vrai que le monde a beaucoup changé quand même.
03:43 J'ai l'impression qu'en 40 ans… Aujourd'hui, on parle de vacances comme d'un truc évident.
03:49 Alors qu'est-ce que je vais faire mes vacances prochaines ? Nous, on ne parlait pas de vacances.
03:53 Les gens travaillaient tout le temps, peut-être trop.
03:56 Du coup, on était une vraie famille, mais peut-être que les gens avaient moins le temps
04:04 de s'intéresser aux autres, de prendre du temps pour parler.
04:07 La vie, ça roulait.
04:09 - Vous dites que vos parents ne se plaignaient pas ? Ils n'avaient pas le temps de se plaindre ?
04:14 - Non, même pas.
04:15 C'était concret.
04:16 Il fallait comment manger, comment arriver à la fin du mois.
04:21 Ce n'était pas dramatique non plus.
04:23 Quand je leur parle de cette époque, ils en ont plutôt de bons souvenirs.
04:28 Mais c'est vrai qu'il y avait un peu de manque d'ailleurs, un manque d'ouverture sur le monde.
04:33 Aussi parce qu'il n'y avait pas d'accès à la culture.
04:36 Aujourd'hui, on a Internet quand même malgré tout.
04:39 Et à l'époque, on n'avait pas, ça vous vous rendez compte ? Donc pour avoir un disque,
04:42 un livre, il fallait marcher, il fallait aller loin, il fallait dépenser de l'argent.
04:46 Et le budget n'était pas pour ça.
04:48 - Vous parlez d'ailleurs de votre sentiment d'inadaptation sociale qui ne vous a pas quitté
04:52 quand plus tard vous allez être invitée dans des salons bourgeois.
04:55 Il y a une nouvelle sur ça.
04:57 Vous écrivez "malgré mon récent succès, mon élévation par l'ascenseur social, j'en
05:00 étais restée en matière d'esthétique aux étages du goût triste et moralisateur des
05:04 gens pauvres.
05:05 Comment oser prendre la parole et interrompre la conversation ? Comment oser tout simplement
05:10 être écoutée, vous demandez-vous, terrassée par l'impression d'être banale ? Vous avez
05:14 eu cette impression au début ?
05:16 - Oui, beaucoup.
05:17 Et même, ça m'arrive encore.
05:19 - D'être banale ?
05:20 - Oui, parce qu'on rencontre des gens extraordinaires.
05:23 On a souvent l'impression qu'ils font plus de choses et des choses incroyables.
05:26 Mais ce n'est pas de l'envie ni de la jalousie.
05:28 Je crois aussi qu'il faut s'adapter.
05:31 Il faut être curieux, il faut écouter, regarder.
05:34 Moi, j'ai appris beaucoup parce que j'ai rencontré justement des gens et des mondes
05:39 très différents.
05:40 Mais il y a ce temps d'adaptation.
05:43 - Et il y a ce malaise, cette gêne sociale.
05:45 Vous l'avez toujours encore aujourd'hui ?
05:46 - Non, parce que je n'ai pas les codes.
05:47 Non, je ne dirais pas.
05:50 On va quand même…
05:53 Peut-être au fond de moi, il y a un petit fond qui reste certainement.
05:57 On parle beaucoup de transfuges en ce moment et de choses comme ça.
06:01 On n'oublie pas d'où on vient, le langage aussi de là où on vient.
06:05 Les mots, c'est très important.
06:07 Je ne les avais pas trop à l'époque, donc je préférais me taire.
06:10 Du coup, ça m'a permis d'écouter.
06:12 Ce qui est une qualité quand même.
06:14 Parce qu'en règle générale, les gens parlent beaucoup plus qu'ils n'écoutent.
06:17 Et je pense que ça leur fait défaut souvent.
06:20 - Il y a une nouvelle qui est un bel hommage à votre mère.
06:24 Une femme belle qui se rêvait avocate ou professeure.
06:27 Sauf qu'écrivez-vous, elle se délesta petit à petit de tous ses rêves, abandonnée
06:30 sur le bas côté et s'infligea le fardeau d'une vie de labeur, résigna à interpréter
06:34 pour le reste de ses jours le rôle mal écrit de femme.
06:38 À travers votre mère, c'est aussi le portrait d'une génération de femmes que vous faites.
06:42 Des femmes qui se sont sacrifiées, des femmes aussi qui ont mutilé leur corps, vous en
06:46 parlez, c'est le cas de votre mère, à force d'avortements clandestins.
06:50 - Oui, l'avortement n'était pas autorisé.
06:53 Donc qui c'est qui en pâtisse ?
06:54 C'est les femmes, c'est leur ventre.
06:56 Ou bien elles font plein d'enfants, ou bien elles font ce qu'il faut faire pour ça.
07:01 C'était comme ça à l'époque.
07:03 C'est sûr, ma mère aurait pu être sûre d'importe quelle femme, en fait, cette histoire.
07:09 Si on n'avait pas accès à pouvoir étudier, pouvoir s'élever, justement, forcément,
07:15 on était un petit peu obligé de donner le rôle qu'on vous donnait encore à l'époque.
07:20 Elles n'avaient pas trop le choix.
07:21 Alors c'est rajouté à ça le travail, parce qu'elles ont pu travailler.
07:24 Alors c'était le travail plus les maumes, plus un salaire bas, plus etc.
07:30 - Et c'est ça que vous racontez.
07:31 - C'est ça que je raconte parce que moi, je n'ai pas vécu ça, mais j'en ai hérité
07:36 et je sais que ça fait partie de mon corps.
07:38 Ça fait partie de moi.
07:40 Et souvent, en tant que femme, je ressens ça.
07:44 Je ressens l'histoire des générations passées.
07:47 - Dans votre corps.
07:48 Votre corps, le corps est très présent.
07:50 Il y a des nouvelles très sensuelles.
07:52 Vous parlez notamment des seins des femmes.
07:54 Vous parlez d'un homme, Antoine, qui se demande même ce qu'il peut faire sexuellement avec
07:59 ces gros seins qu'il voit autour de la piscine.
08:01 Et vous parlez aussi de la difficulté de montrer ce corps.
08:05 Vous dites "je n'aimais pas mon corps".
08:07 Et vous racontez Marie Laforêt.
08:09 Alors on la devine, vous ne l'indiquez pas, cette actrice qui un jour vous apprend à
08:13 vous dévêtir devant la caméra.
08:15 "Il faut commencer par le haut", dit-elle.
08:17 Pourquoi par le haut ?
08:18 - Parce qu'elle était très intelligente, elle était maligne.
08:22 Elle connaissait mieux la caméra que moi à l'époque parce qu'elle avait un peu plus
08:25 d'expérience.
08:26 Et franchement, elle m'a sauvée la vie ce jour-là.
08:29 Marie, elle était belle, elle était magnifique et j'étais heureuse de pouvoir l'observer.
08:36 Mais bon, je me sentais une toute petite fille.
08:39 Et puis elle avait une féminité assumée que moi je n'avais pas encore puisque je
08:45 n'avais pas appris ce que c'était que d'être une femme.
08:47 - Il faut se rappeler que vous avez 14 ans quand vous êtes là.
08:50 Vous êtes avec la boue mais vous devenez l'actrice préférée des Français d'un
08:54 coup, d'un seul.
08:55 D'ailleurs, il y a une autre nouvelle aussi où vous racontez, c'est imaginaire, qu'une
08:59 petite fille prend 20 centimètres du jour au lendemain comme si elle grandissait trop
09:03 vite.
09:04 Ce qui est aussi votre cas.
09:05 Vous vous réveillez le matin, vous n'êtes pas la même.
09:07 On a toutes un peu rêvé de ça, non ?
09:09 - Sauf que vous, vous l'avez vécu.
09:10 Un mot encore juste sur votre mère.
09:12 Elle était très belle, dites-vous, et elle disait « il n'y a pas que les riches et
09:15 les deux machins qui ont le droit d'être beaux.
09:17 S'il y a bien une justice dans ce monde, la voilà ». Vous racontez sa fierté de
09:21 vous avoir vu réussir, devenir célèbre.
09:22 Elle gardait près de la cheminée toutes les couvertures de magazine où vous étiez.
09:26 Votre succès, diriez-vous, a-t-il été une revanche pour elle ? Annie Ernaud disait
09:31 « j'écris pour venger ma classe ». Est-ce que vous, votre succès a été une forme
09:36 de manière de venger votre classe ?
09:39 - Probablement.
09:40 De façon tout à fait inconsciente.
09:42 Mais je sais que de voir dans les yeux de maman une forme de renaissance, c'était
09:52 lui rendre hommage et c'était lui dire « voilà, les choses évoluent et on va prendre soin
10:01 les uns des autres.
10:02 Et puis ceux qui n'ont pas eu la chance, il y a ceux qui arrivent derrière, peut-être
10:05 qu'ils vont aider.
10:06 Les choses évoluent ». Rendre hommage aux femmes, rendre hommage aussi, dire aux petites
10:12 filles « voilà, aimez-vous telle que vous êtes, n'ayez pas peur d'être une femme.
10:19 » N'en rajoutez pas trop non plus.
10:21 Il n'y a rien de revendicateur.
10:25 J'avais envie de dire à maman « tu vois, tu as ta place toi aussi ».
10:31 - C'est ça aussi ce livre.
10:34 Lisez ce livre stupéfiant, profond, qui dit beaucoup de Sophie Marceau, de sa mère, qui
10:38 dit aussi beaucoup des femmes en général.
10:39 C'est des vrais portraits de femmes.
10:40 Les hommes, ils sont là mais ils sont plus fragiles.
10:45 - On peut chier mais ils sont là.
10:46 - Oui, on peut chier.
10:47 C'est une belle surprise chez Segers, ça s'appelle « La Souterraine ». Merci Sophie
10:52 Marceau d'avoir été avec nous ce matin en un U.
10:54 en direct !