Publication d'une étude sur l’expérience du racisme et des discriminations des personnes originaires d’Asie de l’Est et du Sud-Est en France : Simeng Wang, sociologue, chargée de recherche au CNRS et co-auteur de cette étude est l'invitée de 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-mercredi-15-mars-2023-9754961
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00:00 Saint-Heure vous dévoile ce matin une étude sur le racisme anti-asiatique en France,
00:04 étude menée par le CNRS notamment et avec le soutien de la défenseur des droits.
00:08 Bonjour Simen Wang, vous êtes sociologue et chargée de recherche au CNRS, vous faites
00:12 partie des six co-auteurs de cette étude qui est très intéressante tout simplement
00:16 déjà parce qu'il y en a très peu.
00:18 Ce sujet a rarement fait l'objet de rapports officiels ou de débats publics.
00:21 Comment ça se fait ?
00:22 Cette étude est née d'une très longue discussion avec les acteurs associatifs qui
00:29 nous avons collaboré ensemble, donc l'association des jeunes chinois de France.
00:35 Nous avons constaté ensemble que malgré le peu d'études qu'ils ont portées sur
00:42 ce sujet, c'est un phénomène non négligeable et notamment ça a été complètement amplifié
00:49 par la pandémie de Covid et donc c'est dans ce cadre-là que nous avons décidé de collaborer
00:55 ensemble.
00:56 Mais pourquoi il n'y en a pas eu avant des études ? Pourquoi il y en a très peu ?
00:58 Je pense qu'il y a d'abord déjà un mythe de minorité de modèle qui enferme les personnes
01:06 d'origine asiatique à verbaliser et aussi à dénoncer ce phénomène de racisme mais
01:12 aussi de discrimination ethno-raciale.
01:13 C'est-à-dire que les victimes minimisent et n'en parlent pas ?
01:16 Oui, c'est-à-dire que déjà il y a effectivement cette tendance de se taire, de se féminiser
01:26 en quelque sorte et donc il y a eu déjà un peu de prise de parole, de témoignages
01:33 et en même temps ce mythe conduit à un autre effet qui est aussi autant pervers qui est
01:40 celui de surcompensation.
01:42 C'est-à-dire que les personnes d'origine asiatique ont l'impression que c'est jamais
01:47 assez parce qu'il n'y a jamais assez de travailler autant, d'étudier autant, d'autant
01:53 réussir puisqu'il y a toujours une attente qu'en tant que personnes d'origine asiatique
01:59 il y a des stéréotypes dits positifs comme quoi vous êtes très travailleur, etc.
02:04 Alors juste il faut préciser quand même que ce n'est pas une étude quantitative,
02:07 on n'aura pas de chiffres, l'objet ce n'était pas de mesurer l'ampleur du phénomène,
02:10 c'est une étude qualitative pour mieux connaître ce phénomène et le comprendre.
02:14 Vous avez interrogé 32 personnes, des entretiens très longs, ils ont duré entre une heure
02:18 et quart et plus de quatre heures.
02:20 Et au final est-ce que vous diriez qu'il y a une spécificité du racisme anti-asiatique
02:24 en France ?
02:25 Oui, effectivement, il y a bien évidemment des mécanismes qui sont similaires aux autres
02:30 formes du racisme fait aux autres minorités non-raciales, mais il y a bien des spécificités.
02:38 Et dans le rapport nous avons décagé trois.
02:42 Du coup le premier c'est très en lien avec la banalisation et le caractère ordinaire
02:48 de ces traitements différenciés, donc ça prend souvent la forme de l'humour, des
02:53 blagues, des plaisanteries, entre même au sein des relations sociales de proximité,
02:59 c'est-à-dire entre collègues, entre amis, etc.
03:01 Et la deuxième spécificité...
03:03 C'est-à-dire par exemple, je vais prendre des exemples concrets, il y en a dans votre
03:06 étude, quand il y a des personnes qui disent "bol de riz" pour surnommer quelqu'un, la
03:12 personne qui le reçoit dit aussi "bon allez c'est pas grave c'est de l'humour, c'est
03:15 ça ?"
03:16 Et souvent même les auteurs du racisme ajoutent une phrase comme quoi...
03:23 Qui fait une blague et ensuite qui dit "c'était pour rire".
03:28 Et donc la deuxième spécificité c'est le faible taux de recours et de réaction.
03:35 C'est-à-dire que les personnes d'origine asiatique réagissent relativement moins
03:39 par rapport aux autres minorités non-raciales et ils recourent aussi moins à une hiérarchie
03:44 autoritaire mais aussi aux droits, etc.
03:47 Et donc...
03:48 Et pourquoi ?
03:49 Parce que je pense que justement dans le rapport nous avons essayé d'expliquer ce
03:54 phénomène par plusieurs facteurs puisque bien évidemment il y a, sans tomber dans
03:59 le culturalisme, il y a un petit peu de facteurs culturels parce que dans cette partie de l'Asie,
04:05 donc je précise les personnes d'origine asiatique que nous avons étudiées sont originaires
04:09 de l'Asie de l'Est et du Sud-Est.
04:11 C'est une partie de l'Asie qui partage, qui est quand même sous l'influence du confucianisme,
04:17 donc qui partage en commun cette culture non-conflictuelle dans les relations sociales.
04:22 C'est-à-dire que quand les deux personnes interagissent, l'idée c'est pas de mettre
04:25 confronter la personne.
04:27 Et donc il y a un peu de ça mais il faudrait aussi expliquer conjointement avec d'autres
04:33 facteurs sociaux qui renvoient souvent aux conditions matérielles des conditions existantes
04:40 en migration.
04:41 C'est-à-dire que les personnes par exemple qui maîtrisent, il y a des entraves linguistiques,
04:46 il y a des entraves administratives, il y a aussi les entraves économiques.
04:49 C'est-à-dire que ce que nous avons montré c'est que les primorévans recourent encore
04:54 moins que les descendants puisqu'ils maîtrisent encore moins bien ou parfaitement le français.
05:00 Et sans parler des conditions en migration, il faudra aussi avouer qu'il y a quand même
05:06 une lourdeur administrative quand on va porter plainte, etc.
05:09 Donc il faut suivre.
05:10 Alors pour en revenir aux caractéristiques du racisme anti-asiatique, vous nous avez
05:14 dit 1) sous forme d'humour, c'est ce qui revient souvent, 2) de faible taux de réaction
05:19 et le troisième c'était quoi ?
05:20 Le troisième c'est très en lien avec ce que nous avons dit tout à l'heure, c'est-à-dire
05:29 qu'il y a une diversité des postures à l'intérieur de ces populations d'origine asiatique.
05:35 C'est-à-dire que nous avons enquêté auprès des personnes issues de 9 pays et régions
05:41 asiatiques qui se positionnent de façon vraiment très très différente par rapport à ce
05:47 phénomène.
05:48 C'est-à-dire une personne d'origine japonaise n'aurait pas les mêmes postures par rapport
05:53 à ce phénomène qu'une personne d'origine chinoise ou d'une personne d'origine sino-campogéenne
06:00 ou vietnamienne.
06:01 Et malgré cette divergence, nous avons quand même tout de même constaté une accélération
06:10 en termes de conscientisation après la pandémie de Covid.
06:13 Puisque ce qui est très spécifique à la pandémie de Covid, 3 ans après le premier
06:21 confinement national en France, il y a un phénomène de racialisation du virus.
06:26 C'est-à-dire que ce virus a été très tôt associé à un pays d'origine aux personnes
06:31 d'apparence supposée ou réelle dite chinoise, en réalité qui touche aussi les personnes
06:38 d'origine asiatique non chinoise.
06:40 Et donc cela a permis en fait une forme de prise de conscience et aussi une forme de
06:46 solidarité panasiatique, même si on est seulement sur une lancée.
06:51 Dans votre étude, vous avez interrogé plutôt des jeunes diplômés qui, entre 20 et 40
06:55 ans, des personnes qui pour la plupart sont aujourd'hui au travail et qui ont généralement
06:59 Bac+5.
07:00 Pourquoi ce choix de personnes ?
07:02 Justement parce que jusqu'ici les études qui se sont intéressées à ce phénomène
07:10 auprès des personnes d'origine asiatique, qui ont très peu d'études, se focalisaient
07:16 surtout sur les personnes socialement défavorisées.
07:19 Et pour nous, ce qui a été très important et ce qui nous a paru assez original, justement,
07:25 c'est de s'intéresser aussi aux formes spécifiques supplies par les personnes socialement
07:29 favorisées.
07:30 Quoi par exemple ?
07:31 Par exemple, il y a une majorité d'enquêteurs qui sont soit des cadres dans les entreprises,
07:39 soit qui exigent des professions libérales intellectuelles ou des professions libérales.
07:46 Et donc nous avons essayé de montrer que finalement c'est un phénomène qui traverse
07:52 toutes les strades de la société.
07:54 C'est-à-dire que les personnes qui sont diplômées ou qui sont même issues des classes
07:58 ne protègent pas des discriminations et du racisme.
08:02 Merci Simen Guang, sociologue et chargé de recherche au CNRS.
08:06 Je n'ai pas précisé que cette étude a été réalisée en collaboration avec l'Association
08:09 Jeunes Chinois de France.
08:10 Et je signale également votre livre "Illusions et souffrances, les migrants chinois à Paris".
08:15 Merci d'être venu ce matin sur France Inter.