À 8h20, le politologue Yascha Mounk, auteur de "Le piège de l'identité" (éditions de L'Observatoire), est l'invité du Grand Entretien. Il y dénonce ce que certains appellent le "wokisme", et qui aurait selon lui une influence désastreuse aux États-Unis. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-18-decembre-2023-5871595
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00:00 Avec Léa Salamé, nous recevons ce matin un politologue, professeur à l'université
00:04 Johns Hopkins aux États-Unis et à Sciences Po Paris.
00:08 Il est l'auteur du « Piège de l'identité, comment une idée progressiste est devenue
00:14 une idéologie mortifère » publié aux éditions de l'Observatoire début novembre.
00:20 Questions et réactions au 01.45.24.7000 et sur l'application de France Inter.
00:26 Yasha Mounk, bonjour et bienvenue sur Inter pour parler de ce dernier essai où vous
00:32 montrez comment la gauche aux États-Unis a progressivement délaissé l'universalisme
00:38 au profit d'une nouvelle idéologie mettant au cœur l'identité des individus qu'elles
00:43 soient raciales, culturelles ou sexuelles.
00:45 Une idéologie dynamique conquérante, partie des universités pour gagner les entreprises,
00:52 le monde culturel, la politique, les médias, les réseaux sociaux.
00:56 Cette idéologie, on l'appelle communément le « wokisme », mais vous préférez parler
01:01 de synthèse identitaire.
01:04 Alors pourquoi cet autre mot ? Pourquoi cette autre terminologie ? Expliquez-nous.
01:08 Oui, c'est très facile.
01:09 Normalement, quand il y a des concepts controversés dans la politique, on a un mot assez neutre
01:15 que tout le monde peut utiliser.
01:17 Alors par exemple, il y aura des socialistes en France, des gens qui n'aiment pas du tout
01:21 le socialisme, mais on peut dire que c'est le socialisme.
01:25 Avec cette nouvelle idéologie qui a conquérit les États-Unis, mais qui aussi commence à
01:32 avoir beaucoup d'influence en Europe, en France, on n'a pas un mot neutre qui nous
01:36 permette de vraiment comprendre cette idéologie pour voir quels effets elle a dans la société.
01:42 Alors moi, je n'ai aucun problème avec le mot « wok » mais il est quand même un peu
01:45 polémique.
01:46 Il est péjoratif.
01:47 Oui, il est péjoratif et du coup, je préfère un mot plus neutre comme la synthèse identitaire
01:54 parce que, comme vous avez évoqué, ce sont des idées qui mettent au milieu de la société
02:00 l'identité et qui disent qu'en fait, la manière dont on devrait se traiter les uns
02:05 les autres devrait dépendre du groupe dans lequel on est né.
02:08 Et c'est une synthèse de différentes influences intellectuelles.
02:11 C'est un peu votre faute en France.
02:13 Ça commence avec le postmodernisme, on passe au postcolonialisme.
02:17 Et à ce que les Américains nomment le « critical race theory », la théorie critique de la
02:21 race.
02:22 Oui, on va en parler des racines intellectuelles du mouvement wok et vous dites que c'est
02:26 un peu de votre faute à la France parce que vous citez notamment la French Theory d'Erida
02:31 et Foucault, surtout dans le livre.
02:33 On va y revenir.
02:34 Donc vous dites qu'ils ont été trahis par les wok d'aujourd'hui.
02:38 Mais précisons encore parce qu'il y a trois ans à peine, il y a un sondage en France,
02:41 un sondage d'Ipsos qui montrait que 86% des Français n'avaient jamais entendu parler
02:45 du mot wok.
02:46 Jamais.
02:47 Pour vous, la synthèse identitaire c'est faire de la lutte contre les discriminations
02:52 la priorité absolue et voir le monde par le prisme de l'origine ethnique, du genre,
02:57 de la religion, de l'orientation sexuelle, du handicap.
03:00 Et vous ajoutez la liste est non limitative.
03:04 C'est bien ça, c'est cette vision du monde qui fait que en un, au début de tout,
03:09 il y a l'identité, il y a ce que vous êtes, votre race, votre origine, etc.
03:12 Et la lutte contre les discriminations qui serait l'alpha et l'oméga de la pensée.
03:18 Oui, pour être clair, il y a évidemment des injustices très grandes dans notre histoire.
03:24 Il y a aussi des injustices qui restent dans nos sociétés aujourd'hui.
03:27 Et lutter contre ces discriminations, contre ces injustices, c'est quelque chose de très
03:31 important.
03:32 Mais dans l'histoire, on a fait de grands progrès quand cette lutte était universaliste.
03:37 Quand on rassemblait peut-être des gens qui étaient victimes de ces injustices, mais
03:42 la demande politique, c'était d'être incarné dans un universalisme.
03:45 De dire qu'en fait, en théorie, on dit que tout le monde est traité de la même
03:50 manière dans cette société.
03:51 Peut-être qu'en pratique, ce n'est pas le cas.
03:53 Si on pense de la manière plus extrême de l'esclavage aux Etats-Unis, par exemple.
03:59 Mais comment est-ce qu'on va aller vers une société plus juste en insistant que tout
04:04 le monde soit traité de la même manière ?
04:06 Ce qui est la définition pour moi de cette idéologie, c'est de rejeter cet universalisme
04:14 et ces règles neutres.
04:15 C'est de dire non, en fait, parce que les règles sont hypocrites, il ne faut plus essayer
04:22 de le rendre la réalité.
04:24 Et plutôt créer une société dans laquelle la manière dont nous nous traitons aujourd'hui
04:30 et la manière dont l'État nous traite tous de nous dépendent toujours du groupe
04:34 duquel on appartient.
04:35 Et là, il y a vraiment un identitarisme qui finit par dire que si vous êtes dans une
04:39 autre intersection d'identité que moi, je ne vais pas vous comprendre.
04:43 On ne peut pas vraiment être ensemble dans la même pièce.
04:47 Et ça va très loin Nicolas !
04:48 Vous prenez un exemple, vous dites qu'un grand nombre d'écoles ont adopté aux Etats-Unis
04:53 ce que vous appelez les « groupes affinitaires ». Ce qui signifie qu'en primaire, les
04:58 enfants noirs vont dans une salle, les latinos dans une autre, les asiatiques dans une troisième
05:04 et les blancs dans une quatrième.
05:05 Mais pourquoi ? Expliquez-nous ! C'est pour ne pas heurter leur sensibilité ? Parce
05:12 que se mélanger c'est le mal ? Parce que cette répartition selon les couleurs de
05:17 peau défie l'entendement ?
05:19 En France, aujourd'hui, aux Etats-Unis, un enfant latino ne peut pas faire classe à
05:26 côté d'un enfant noir ou d'un enfant blanc, comme vous dites ?
05:29 Il y a des moments où ils sont ensemble dans la classe aussi, mais certainement, il y a
05:33 beaucoup d'écoles dans lesquelles même les enfants de 8 ans, de 7 ans, de 6 ans sont
05:38 séparés dans différentes salles pour une partie de la scolarité, pour une partie de
05:43 la semaine.
05:44 Mais pourquoi ?
05:45 L'idée c'est un peu, si on regarde les vieux marxistes, ils avaient l'idée que
05:50 pour que le prolétariat puisse mieux résister aux déhumanisations des classes, il faut
05:57 leur donner une conscience de classe plus élevée.
06:00 Et c'est un peu la même idée transposée sur les identités.
06:04 Alors l'idée qui vient d'une professeuse indienne, Gayatri Spivak, c'est un essentialisme
06:13 stratégique dans lequel pour des raisons stratégiques, on essaye de faire les gens
06:18 avoir cette conscience raciale pour mieux s'opposer aux injustices.
06:22 Et du coup, il y a beaucoup de profs américains qui ont décidé qu'une bonne éducation
06:26 de gauche, une bonne éducation progressiste, ça doit donner aux enfants cette conscience
06:33 de soi-même.
06:34 Dès l'enfance, il faut les séparer et les laisser entre latino pour qu'ils comprennent
06:38 ce que c'est qu'être latino et qu'ils s'opposent ensuite plus tard aux normes
06:42 qui seraient anti-latino, c'est ça ?
06:44 C'est ça.
06:45 Et du coup, il y a beaucoup de profs qui viennent dans des classes, vraiment, quand
06:48 les enfants sont tout petits, et disent "ok, les enfants noirs vont aller dans une salle,
06:53 les enfants latino dans l'autre, etc."
06:55 Et l'idée c'est de leur rendre des anti-racistes, mais ce qui me fait le plus peur, c'est
07:00 les enfants blancs.
07:01 Parce que si on connaît un peu l'histoire, un peu les sciences sociales, ce qui est très
07:06 clair, c'est que le groupe dont nous appartions, ça dépend du moment, du contexte.
07:10 Si on se pense être français, d'être défini par un certain groupe, ça peut changer
07:16 dans l'histoire.
07:17 Mais chaque fois que je dis "ça c'est mon groupe" et vous, vous êtes dans un
07:20 autre groupe, c'est très humain, c'est très normal de préférer le propre groupe
07:24 aux autres.
07:25 Alors l'idée avec les enfants blancs, c'est de leur rendre des grands anti-racistes qui
07:29 vont se battre contre les privilèges blancs.
07:32 Je crois que c'est beaucoup plus probable qu'on est en train de créer des racistes.
07:35 - Chez les blancs ? - Chez les blancs particulièrement, oui.
07:39 - Autre exemple stupéfiant aussi, qu'on a lu avec Léa, pendant le Covid, alors que
07:44 la plupart des pays ont ciblé leur politique vaccinale en disant "on commence par les
07:49 personnes âgées, parce que ce sont les personnes les plus fragiles", et bien vous écrivez
07:53 qu'aux États-Unis ça n'a pas été le cas, parce que les personnes âgées sont
07:58 blanches de manière disproportionnée, statistiquement.
08:02 Donc on n'a pas commencé par elles.
08:05 - Oui, c'était vraiment hallucinant, je regardais toute cette session de la CDC, de
08:12 la Sancta Svoboditsi Control, qui prenait cette décision, j'ai vu tout ça en live,
08:17 et tout à fait, il y avait ce moment où il y avait finalement les vaccins, mais il
08:23 n'y en avait pas assez.
08:24 Et alors, chaque pays du monde devait décider la priorité qui pourrait accéder au vaccin
08:31 en première.
08:32 - Et les personnes plus âgées pour quasiment tous les pays, c'était "on commence par
08:35 les plus âgés".
08:36 - Oui, parce qu'en fait les plus âgés étaient beaucoup plus à risque de cette
08:39 maladie.
08:40 - Sauf aux États-Unis, parce que les plus âgés sont majoritairement blancs, et donc
08:43 c'était discriminatoire.
08:44 - Oui, et alors du coup ils ont dit "ça n'est pas possible d'adopter cette procédure",
08:49 ils ont donné le vaccin aux gens qui faisaient des travails importants, même si leur propre
08:56 modèle disait que ça amenait à des milliards de morts de plus.
09:00 - Il y a, Shamoun, que vous parlez d'une idéologie qui s'est propagée très rapidement
09:03 ces dix dernières années.
09:04 Vous expliquez par exemple que dans le Washington Post ou dans le New York Times, le nombre
09:09 d'articles évoquant, je cite, "le racisme systémique" ou encore "le racisme institutionnel"
09:14 qui font partie de cette sémantique woke a été multiplié par 10 entre 2013 et 2019.
09:21 La proportion d'articles qui associent le mot "blanc" à l'idée de privilège racial
09:25 a augmenté encore plus rapidement.
09:27 Comment expliquez-vous une telle fulgurance ? Ça veut dire aussi qu'il y a un attrait
09:32 pour cette idéologie, qu'elle est dynamique, ou peut-être qu'il y avait un manque sur
09:36 ces sujets-là pour qu'à ce point, une nouvelle génération...
09:39 Mais comme vous le montrez très très bien dans le livre, c'est-à-dire que ça percute
09:42 pas seulement le langage et les universités, ça commence dans les universités, mais maintenant
09:47 c'est partout, dans les médias, dans les gros médias américains, dans l'entreprise,
09:51 on va y venir dans un instant, c'est partout.
09:53 Mais ça veut dire qu'il y a un attrait à cette idéologie ? Elle plaît ?
09:57 Oui, certainement.
09:58 Et où il y a une piège, il y a aussi quelque chose qui tente.
10:02 Et la tentation, c'est l'idée que cette idéologie soit la manière la plus radicale,
10:10 la plus cohérente pour se battre contre les injustices et les discriminations qui sont
10:14 réelles.
10:15 Malheureusement, comme nous avons compris en parlant des enfants qui sont racialisés
10:20 dans leurs écoles, ça n'aide pas vraiment de le faire.
10:23 Mais ça montre aussi que peut-être c'est vrai qu'en France, il y a trois ans, la majorité
10:28 des Français n'avaient jamais entendu parler du wookieisme.
10:30 Je crois que ça a peut-être changé dans les derniers trois ans.
10:34 Mais ça peut aussi prendre de force très vite dans les années qui viennent.
10:39 Aux États-Unis, en 2015-2016, c'était encore une idéologie qui avait de l'influence
10:45 sur les campus américains, dans les universités américaines, mais dans la société, ça n'avait
10:51 pas beaucoup d'influence.
10:52 Dans ces dix ans, ça a complètement changé.
10:56 Et vous dites que ça ne va faire qu'augmenter.
10:58 Vous dites à ceux qui banalisent ou dédramatisent ou sous-estiment le wookieisme, vous dites
11:05 que ce n'est pas un petit mouvement de mode et que ça va se calmer.
11:08 Pour vous, on est au début, ça va durer pendant 30 ans, ça va vraiment pénétrer
11:12 les sociétés occidentales.
11:13 Je me rappelle qu'en France, à un certain moment, il y avait des gens qui disaient que
11:17 McDonald's ne va jamais arriver en France.
11:20 Et maintenant, je vois quand même beaucoup de McDonald's quand je suis en France.
11:24 C'est une influence culturelle américaine.
11:26 Je crois qu'il y a une bonne possibilité que ça va aussi prendre de plus en plus de
11:30 force en France.
11:31 Mais à la fin, ça dépend de tous ceux que nous faisons.
11:34 Il y a beaucoup de gens qui disent aussi que c'est un truc des universités américaines.
11:38 Ça, ce n'est pas nous.
11:39 Ça ne viendra pas chez nous.
11:40 Il ne faut pas en faire non plus.
11:41 Ce n'est pas français, ce n'est pas européen.
11:42 Mais il y a beaucoup de développement intellectuel et beaucoup de modes pas intellectuels qui
11:46 sont quand même arrivés en France aussi.
11:48 Mais pour moi, c'est très difficile de savoir le futur parce que ça dépend de ce que nous
11:53 faisons.
11:54 Alors un de mes buts dans le pillage de l'identité, dans ce livre, c'est d'expliquer d'où vient
11:59 cette idéologie.
12:00 Quelle est une idéologie sérieuse qu'il faut prendre sur ce rieux et comprendre et
12:05 de rendre plus facile de s'opposer à cette idéologie en donnant les meilleurs arguments
12:11 contre cette idéologie.
12:12 Et j'espère que ça peut un peu aider à éviter le même développement en France.
12:17 Parti des campus américains avait vous dit, comment avez-vous analysé ce qui se passe
12:22 précisément sur les campus américains depuis l'attaque du 7 octobre contre Israël ?
12:27 Comment avez-vous analysé aussi cette audition des présidents des plus grandes universités
12:32 américaines Harvard, U Penn, MIT ?
12:35 Ou à la question appelée au génocide des juifs, viole-t-il le règlement de l'université
12:39 oui ou non ?
12:40 La réponse a été, ça dépend du contexte.
12:43 Vu de Paris là aussi, ça semble totalement incompréhensible.
12:47 Vous qui vivez et enseignez dans ces universités, expliquez-nous.
12:53 En fait, les universités américaines paient maintenant le prix pour toute la force de
12:59 cette idéologie pendant les dernières 10 ou 15 ans sur les campus.
13:02 Je vous donne un exemple.
13:03 Sur la carte d'identité des étudiants et des profs de New York University, il y a trois
13:10 numéros.
13:11 Le premier, c'est d'appeler en cas d'urgence médicale.
13:13 Le deuxième, c'est d'appeler s'il y a un terroriste sur le campus, quelque chose
13:18 comme ça.
13:19 Le troisième, c'est d'appeler si quelqu'un a commis une microagression envers vous.
13:24 Vous pouvez donc appeler ce numéro de manière anonyme, il y aura une enquête.
13:27 Alors pendant les dernières 10 ou 15 ans, il n'y avait plus vraiment de liberté d'expression,
13:33 de liberté académique dans les campus.
13:35 Tous les trois présidents de ces universités devant le congrès, de Harvard, de MIT et
13:41 de l'Université de Pennsylvania, avaient eu des cas dans lesquels ils ont censuré
13:45 des profs pour dire par exemple qu'il y aurait deux genres biologiques pour s'opposer à
13:52 l'action affirmative qui donnerait donc des avantages aux Afro-Américains ou Hispaniques
13:59 pour avoir des places de scolarité.
14:01 Et alors, ils n'ont pas vraiment respecté la liberté de parole.
14:06 Et là, ils sont devant le congrès et ils disent, ce que je partage d'une certaine
14:10 manière, que la liberté de parole dans l'université doit être extrême, qu'on doit même tolérer
14:16 des propos vraiment hallucinants.
14:18 Mais c'est complètement hypocrite dans un contexte où tout le monde sait que ce n'est
14:22 pas la réalité dans ce campus.
14:24 Quand en réalité, ils ont créé une orthodoxie de cette idéologie.
14:30 Mais donc cette phrase qu'elles ont répétée les trois dans cette séquence assez ahurissante
14:35 où elles disent les trois, appeler au génocide des Juifs, on peut le faire, ça dépend du
14:41 contexte.
14:42 Vous voyez, elle ne vous a pas choqué parce que c'est comme ça que ça pense aux Etats-Unis.
14:45 C'est-à-dire que la liberté d'expression doit être maximale jusqu'à appeler au génocide
14:49 des Juifs.
14:50 Pour moi, je suis assez extrême dans la défense de la liberté de parole.
14:56 Et alors, qu'on distingue entre un propos abstrait politique et évidemment, l'intimidation
15:04 des étudiants qu'il y a eu, le fait qu'il y avait beaucoup d'étudiants qui ont rendu
15:10 impossible de faire des cours.
15:12 Tout ça, ça n'est pas permis.
15:14 Ça, c'est très clair.
15:15 Mais un propos abstrait politique, pour moi, doit être prémissible.
15:18 Le problème vient évidemment quand on ne tolère rien contre certains groupes et on
15:24 tolère tous contre d'autres groupes.
15:26 Et ça, c'est à cause de cette idéologie dont on parle.
15:29 Parce qu'elle voit le monde divisé entre les Blancs et les People of Color, les Pas-Blancs,
15:35 les colonisateurs et les colonisés.
15:37 Et elle finit par dire que les Juifs sont des Blancs qui sont privilégiés, qui ne
15:41 doivent pas être défendus.
15:42 Et comment ça s'est passé d'ailleurs depuis deux mois, depuis trois mois, depuis le 7 octobre
15:46 dans votre université à Johns Hopkins à New York ? Qu'est-ce que vous avez vu ? Vous
15:50 avez vu des débats brûlants ?
15:52 Dans mon université, j'ai un président d'université qui est très clair sur ses
15:59 principes et c'est aussi pas un campus particulièrement politisé parce qu'il y a beaucoup de science.
16:04 Mais certainement, il y a d'autres universités où on a vu de manière très claire qu'il
16:08 y avait des étudiants qui ont brisé toutes les règles, qui ont par exemple rendu impossible
16:14 d'avoir des cours normaux.
16:15 Et l'université n'a pas eu le courage de les punir.
16:19 Alors du coup, il y avait de plus en plus d'intimidation des étudiants qui allaient
16:24 clairement contre toutes les règles de la liberté d'expression.
16:28 Beaucoup de réactions à vos propos, Yasha Mounks, notamment sur l'application de France
16:35 Inter.
16:36 Céline, les critiques sont souvent sur la supposée idéologie woke.
16:40 Mais qu'en est-il de l'idéologie conservatrice qui censure les livres, interdit des formes
16:46 d'art, ne donne la parole qu'à certaines personnes ? N'est-ce pas là le vrai problème
16:50 ? Cassandre, dans le même sens, Donald Trump a des chances d'être élu, des livres antiracistes
16:58 sont retirés des écoles, la théorie QAnon est crue par beaucoup d'Américains.
17:02 Et c'est le wokisme qui est vraiment la priorité ?
17:05 Deux choses.
17:06 La première, c'est que je viens de discuter pendant deux heures et demie dans une grande
17:12 émission américaine avec un des grands idéologues du mouvement de droite qui veut censurer
17:19 par exemple ce qu'on peut dire dans les universités.
17:22 Son argument qu'il fait tout le temps, c'est que dans ce moment-là, il y a tous les propos
17:26 conservateurs qui sont censurés dans les grandes universités.
17:29 Il faut que nous nous défendons contre ça.
17:31 Je ne suis pas du tout d'accord avec ça.
17:33 Par exemple, je donne un cours où on discute de la liberté de parole ou de l'appropriation
17:38 culturelle que je vois de manière critique.
17:41 Mais évidemment que je donne aux étudiants des textes au deux sens parce qu'il doit
17:48 y avoir un vrai débat.
17:49 Je ne pourrais pas enseigner ce cours dans l'université de Floride à cause de ces
17:53 lois qui sont clairement illibérales de manière de conservateur.
17:58 Parce que le gouverneur de Floride, en l'occurrence, il faut que l'on me replace, le gouverneur
18:01 de Floride est un très conservateur, un ultra conservateur, un Trumpiste qui a censuré
18:07 ce qu'on peut dire ou pas.
18:08 Alors là, on est dans une logique.
18:10 La question des auditeurs, Yasha Mounk, c'est de savoir si à vos yeux, vous qui avez écrit
18:13 d'autres livres sur l'illibéralisme et les menaces du conservatisme à l'endroit
18:19 des démocraties, est-ce que vous pensez aujourd'hui que l'idéologie woke est aussi
18:23 dangereuse que les populismes, par exemple dans les démocraties occidentales ?
18:28 Ce que je suis en train de dire, c'est deux choses.
18:29 La première, c'est que l'un aide à l'autre.
18:33 Cet argument est puissant parce que c'est vrai que dans les autres universités, il
18:36 y a aussi de la censure.
18:37 Alors pour s'opposer à ce illibéralisme de droite, il faut aussi être cohérent et
18:43 honnête dans nos propres espaces qui ne sont pas de droite.
18:46 Et la deuxième chose que je veux dire, c'est qu'il y a là, de manière très claire,
18:50 une dynamique politique où cette idéologie est devenue puissante dans beaucoup d'espaces
18:56 américains, en partie parce qu'après l'élection de Donald Trump, c'est devenu très difficile
19:02 de critiquer des idées de gauche sans être aperçu autant que quelqu'un qui soutient
19:06 Donald Trump.
19:07 Moi, comme vous évoquez, je suis un hipster de la crise de la démocratie, c'est-à-dire
19:12 que j'ai commencé d'avertir sur le danger de ces populismes de droite avant que ça
19:17 soit cool.
19:18 J'ai beaucoup de soucis sur le fait que Donald Trump sera probablement le prochain
19:23 président américain.
19:24 Mais c'est aussi à cause de la force de cette idéologie dans les institutions, que
19:30 les gens se méfient de ces institutions et que Donald Trump est très probablement...
19:34 Vous pensez qu'il va être réélu ?
19:35 Je crois oui.
19:37 Et une des raisons pour ça, c'est la force de cette idéologie.
19:40 Alors par exemple...
19:41 Non mais pour comprendre, parce que je sais que c'est très important ce que vous dites,
19:44 vous pensez que Trump a de très fortes chances d'être réélu à cause notamment de la force
19:49 de l'idéologie woke.
19:50 C'est ça que vous dites.
19:51 Et notamment, aujourd'hui, il y a beaucoup d'Américains de gauche, d'Américains du
19:57 Parti démocrate qui estiment que Joe Biden est presque plus menaçant que Donald Trump
20:02 parce qu'en gros, il n'est pas assez un bon soldat dans la lutte contre la discrimination,
20:06 qu'il n'est pas assez woke, qu'il n'est pas assez de gauche, qu'il est trop pro-israélien.
20:09 En gros, toute une partie de la gauche, la gauche Ocasio-Cortez, est obsédée par l'idée
20:14 de le faire perdre à lui, lui Biden, et pourrait, quitte à faire réélire Trump.
20:18 C'est ça que vous dites en fait.
20:19 Oui, en partie, c'est des partis, des politiciens plus extrêmes du Parti démocrate, mais c'est
20:25 aussi beaucoup de gens qui se sont détournés du Parti démocrate.
20:29 Alors par exemple, selon une analyse de New York Times cet été, 10% des gens qui votent
20:35 pour les Républicains, un groupe très important, sont des gens qui ne sont majeurement pas
20:39 blancs, très jeunes, assez progressistes sur les propos sociaux, mais qui sont tellement
20:44 choqués par l'influence du wokeisme dans les grandes institutions, qu'ils n'ont plus
20:48 de confiance en ces institutions, et ils veulent voter pour Donald Trump.
20:52 Vous avez même des Latinos et des Noirs qui basculent Républicains contre l'idéologie
20:57 Moore, qui dit que ça va trop loin.
20:58 L'idée depuis 20 ans, c'était toujours que le moins de blancs qu'il y a aux Etats-Unis,
21:03 le plus qu'il y ait des Latinos, etc., les démocrates vont gagner, parce qu'ils votent
21:09 plutôt pour le Parti démocratique.
21:10 En fait, ce qui est en train de se passer, c'est que beaucoup de Latinos, beaucoup de
21:14 Noirs se détournent du Parti démocrate, parce qu'il est trop radical sur ces questions
21:21 de culture pour eux, et ils vont donc voter pour Donald Trump.
21:24 Alors pour moi, j'ai beaucoup de peur de Donald Trump et de ce populisme de droite,
21:29 mais pour se battre de manière cohérente contre une de ses idéologies, il faut se
21:34 battre contre les deux idéologies et défendre un universalisme cohérent.
21:38 Une question de Clément, parce que votre livre est un plaidoyer pour l'universalisme,
21:42 comment entrer en résistance contre ce que Clément appelle lui « une nouvelle forme
21:47 d'extrémisme » ? C'est quoi selon vous ce qui permettrait à l'universalisme de
21:53 retrouver de la vigueur ?
21:55 En fait, on a vu que quand on a fait des grands progrès dans l'histoire, contre l'esclavage
22:00 aux États-Unis ou pour les droits des homosexuels en Europe, c'était parce que les activistes
22:08 disaient qu'il fallait réaliser nos valeurs universalistes.
22:12 Il fallait reconnaître qu'il y a des discriminations et après ça se battre contre ces discriminations.
22:17 Mais ce qu'on veut faire, c'est de créer un monde dans lequel la manière dont on se
22:21 traite les uns les autres, les opportunités que nous avons tous de nous dans nos sociétés,
22:26 dépend de moi et pas de plus du groupe dans lequel on est né.
22:30 Je crois que ce même principe reste important, essentiel aujourd'hui.
22:37 Pour créer une société qui est mieux, il faut évidemment être autocritique, il faut
22:41 reconnaître les discriminations qui existent et il faut se battre pour une société où
22:46 on voit ce qu'on a en commun.
22:47 Il y a Chamin que je précise juste pour un de mes amis qui vient de m'envoyer un texto
22:51 en disant « on dirait le psy allemand de Lison Daniel que vous n'êtes pas psy mais
22:57 politologue mais vous êtes allemand d'origine et maintenant naturalisé américain et prof
23:02 politologue, prof aux Etats-Unis, ça c'était pour l'accent.
23:04 Jonas Hopkins et Sciences Po Paris pour les lieux où vous enseignez le piège de l'identité.
23:10 Comment une idée progressiste est devenue une idéologie délétère publiée aux éditions
23:15 de l'Observatoire.
23:16 Merci d'avoir été à notre micro ce matin.
23:18 Yash Abonk, 8h47.