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00:00 On va en parler ce soir avec notre invité Vincent Gesser, politologue et sociologue,
00:04 chargé de recherche et d'études sur le monde arabe et musulman,
00:08 chercheur également au CNRS.
00:10 Bonsoir, merci beaucoup d'être avec nous sur France 24.
00:12 Tout d'abord, est-ce que vous avez été surpris par cette sortie de Kay Sayed
00:17 que de nombreuses ONG qualifient de racistes ?
00:20 Je dirais que je n'ai pas été vraiment surpris par la déclaration de Kay Sayed
00:26 parce qu'elle s'inscrit dans un prolongement de discours
00:29 qui vise à désigner des boucs émissaires des responsables
00:33 de la crise sociale, politique et économique profonde que connaît la Tunisie.
00:37 Une fois, il s'en prend aux partis d'opposition,
00:39 une fois il s'en prend aux syndicats,
00:41 d'autres fois il s'en prend aux ONG tunisiennes et étrangères
00:44 et là il s'en est pris aux migrants.
00:46 Donc on est dans une suite logique de discours,
00:48 d'une rhétorique extrêmement anxiogène
00:50 qu'on pourrait même qualifier de complotiste.
00:53 Et ce genre de discours, de sortie, parle à une partie de la population tunisienne ?
00:59 Oui, vous avez tout à fait raison.
01:01 Effectivement, je crois que ce type de racisme à la fois anti-noir
01:04 qui vise des noirs tunisiens mais aussi des noirs étrangers
01:08 est quelque chose qui existe en Tunisie.
01:10 Mais vraiment, ce qu'il faut peut-être souligner,
01:12 la nouveauté entre guillemets,
01:14 c'est qu'elle est tenue pour la première fois par un très haut responsable
01:18 pour ne pas dire le plus haut responsable de l'État
01:20 qui est le président de la République, Kay Sayed.
01:22 Et là c'est quelque chose de totalement inédit dans l'histoire tunisienne
01:26 qu'un chef de l'État tienne un discours aussi raciste,
01:30 xénophobe, identitaire,
01:32 considérant que les Africains menaçaient non seulement l'identité tunisienne
01:36 mais on oublie de le dire, dans la bouche de Kay Sayed,
01:39 l'identité arabo-islamique.
01:41 C'est vraiment la première fois qu'un chef de l'État en Tunisie,
01:44 dans toute l'histoire de la Tunisie, tienne de tels propos.
01:46 C'est malheureusement une nouveauté.
01:48 Alors comment est-ce que vous expliquez cette libération de la parole raciste
01:52 au plus haut sommet de l'État ?
01:54 Alors comme je vous l'ai dit,
01:56 c'est-à-dire que Kay Sayed est aujourd'hui confronté à une profonde crise sociale et économique
02:01 pour ne pas dire un échec.
02:03 Vous savez qu'il avait fait le coup d'État du 25 juillet 2021 sur une promesse
02:07 "Je supprime un peu de démocratie pour vous donner plus de justice sociale".
02:11 Aujourd'hui en Tunisie, il n'y a ni justice sociale ni démocratie.
02:14 Et pour expliquer cet échec, il s'en prend à des boucs émissaires
02:18 et notamment en développant cette rhétorique du parti de l'étranger.
02:21 Les opposants tunisiens, les syndicalistes tunisiens, les associations tunisiennes
02:26 sont assimilés au parti de l'étranger.
02:28 Et là, il s'en est pris carrément aux étrangers,
02:31 c'est-à-dire aux étrangers subsahariens, le maillon faible de la société tunisienne.
02:36 Donc ce n'est pas un hasard, c'est une rhétorique anxiogène,
02:40 c'est une rhétorique identitaire, c'est une rhétorique sécuritaire,
02:43 c'est une pratique de gouvernement, c'est une pratique de pouvoir
02:46 qui vise à faire oublier le principal responsable de la crise économique et sociale
02:52 qui est la Tunisie, qui est précisément le président tunisien et son gouvernement.
02:56 Donc ce que vous dites, c'est que c'est une manière aussi de détourner l'attention des Tunisiens
03:00 des véritables problèmes qui touchent le pays ?
03:04 Alors, c'est à la fois une manière de détourner, de cacher,
03:07 mais c'est aussi une pratique de gouvernement,
03:09 puisque au-delà de ces déclarations anti-africains contre les migrants subsahariens,
03:15 la Tunisie connaît depuis plusieurs mois des arrestations quotidiennes
03:19 de personnalités publiques, de personnalités de l'opposition et même de journalistes.
03:23 Aujourd'hui, toute parole indépendante dans le journalisme tunisien
03:26 est persécutée et réprimée par le régime.
03:28 Donc on n'est pas simplement dans un détournement,
03:30 on est dans une politique à part entière,
03:33 une politique à forte charge identitaire et idéologique.
03:36 Oui, quelque part, le complotisme peut être aussi une politique
03:41 et quelque part, oui, Caïssaïde relève aujourd'hui, fait du complotisme, une politique d'État.
03:47 Merci beaucoup Vincent Gesser pour votre intervention ce soir sur notre antenne.