Ils s'appellent Cédric, Claude , Allan Lambin, Gaye et Wissam : tous morts après une intervention de police. Depuis, leurs familles se sont engagées dans un combat pour connaître les circonstances de leurs décès et obtenir justice. Il se sont confiés à la journaliste Ines Belgacem qui réalise le documentaire de Streetpress « Violences policières, le combat des familles » diffusé sur la plateforme francetvslash. Pourquoi a-t-elle choisi de réaliser un documentaire sur le sujet et dans quel dessein ? A-t-elle rencontrer des difficultés durant son enquête ? Comment est-elle parvenue à gagner la confiance des familles pour recueillir leurs peines et leur combat ? Comment les proches font-ils pour rester debout face à l'injustice dont se rend coupable l'état ? Ines Belgacem est l'invitée de Nadiya Lazzouni.
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NewsTranscription
00:00 Et je travaille sur cette question des violences policières,
00:02 toujours plutôt du côté des familles,
00:03 puisque moi, mon travail, c'est de documenter les luttes
00:06 et documenter, du coup, le combat de ces familles.
00:09 Et je me suis rendue compte, année après année de travail,
00:15 déjà qu'il y avait un certain nombre de choses
00:16 qui rassemblaient ces familles,
00:18 et qu'ensuite, le schéma se répétait encore et encore,
00:21 et que la liste des noms des morts de la police
00:23 continuait à s'allonger.
00:24 Et je me suis dit que, du coup, il y avait un travail à faire
00:27 en prenant plusieurs familles et en expliquant
00:30 ces choses qui les rassemblent.
00:32 -On les entend pas, ces familles de victimes des violences policières ?
00:35 -On les entend très peu.
00:36 En fait, ce qui est compliqué pour elles,
00:39 c'est de faire sortir leur histoire du fait divers.
00:42 C'est-à-dire que leurs proches meurent,
00:46 là, il y a des articles, parce qu'il se passe quelque chose,
00:48 souvent, il y a même pas le nom de la personne dans les gros titres.
00:51 Par exemple, Cédric Chouviat, c'était le livraire à scooter
00:55 mort au pied de la tour Eiffel.
00:57 Et ensuite, elles, tout continue.
01:00 Leur histoire continue, elles essaient de comprendre,
01:02 d'avoir des réponses, elles les ont pas.
01:04 Elles vont devant les tribunaux.
01:06 Mais tout ça n'existe pas forcément dans les médias,
01:10 parce que les médias attendent toujours le petit...
01:13 Comment dire ? Le sursaut d'actualité,
01:16 l'événement qui fait qu'on va en parler.
01:18 Mais eux, des fois, pendant...
01:21 Pour la famille de Ouissamel Yamni, par exemple,
01:23 qui est mort à Clermont-Ferrand il y a plus de 10 ans,
01:26 ça fait 10 ans qu'ils sont en attente d'avoir un procès.
01:29 Et il n'y a ni classement de l'affaire, ni nom de lieu.
01:34 Et ça, pendant 10 ans, personne ne le raconte.
01:36 -Et ça t'a demandé, justement, combien de temps
01:38 pour réaliser ce documentaire ?
01:40 -C'est un peu faussé, parce que moi, je travaille sur ces histoires-là
01:42 depuis longtemps.
01:44 Mais en gros, ce projet, on l'a commencé il y a 2 ans.
01:47 On l'a écrit.
01:48 J'ai beaucoup discuté avec les familles
01:50 pour bien leur expliquer, moi, ce que j'avais dans la tête.
01:52 Il y a eu une grosse pré-enquête aussi
01:55 pour bien connaître toutes les affaires,
01:57 être sûr de fact-checker tout ce qu'il y a aussi dans le documentaire,
01:59 puisque c'est un documentaire avec des témoignages très forts
02:02 de 5 familles,
02:04 mais c'est aussi un travail journalistique
02:06 où tout est fact-checké.
02:08 Et du coup, après un an de prépa, on a commencé à tourner,
02:11 et on a tourné ça pendant un petit peu moins d'un an.
02:14 -Ouais, donc un bon 2 années,
02:16 un peu plus de 2 années, quand même, sur ce documentaire.
02:19 Et c'est quoi l'objectif, justement, de ce documentaire ?
02:23 Qu'est-ce que tu cherches à provoquer ?
02:26 -Moi, il y avait quand même quelque chose
02:29 que j'avais remarqué dans mes années de travail à "Street Press",
02:33 c'est que...
02:35 les gens ne connaissaient pas les histoires de ces familles, d'abord.
02:39 Et ensuite,
02:41 elles me croyaient pas forcément dans ce que je racontais.
02:45 Quand je leur disais, voilà,
02:47 Alan Lambin est un jeune de 19 ans
02:49 qui est mort en cellule à Saint-Malo, il y a 4 ans.
02:53 Quand j'ai raconté l'histoire,
02:54 on me dit, oui, mais il y a des vidéos de surveillance,
02:57 on doit bien savoir ce qui s'est passé, etc.
02:59 Bah, ça, c'est un exemple des galères des familles,
03:03 c'est que, par exemple, les vidéos de surveillance,
03:04 c'est parfois très compliqué à avoir.
03:07 Dans le documentaire, il y a Franck, le papa d'Alan,
03:10 qui explique qu'il a mis plus d'un an à voir la vidéo de surveillance.
03:14 Alors, on peut comprendre, c'est le temps de l'enquête,
03:17 c'est le temps que la vidéo sorte,
03:18 c'est le temps que...
03:20 Il y a plein de raisons,
03:22 mais pour une famille, un an,
03:24 pour comprendre ce qui est arrivé à un garçon de Nice-de-Mont
03:26 dans une cellule, c'est extrêmement long.
03:29 -Donc, il y a une volonté,
03:30 c'est ce que tu disais un petit peu, de libérer la parole
03:34 et également de sensibiliser l'opinion publique.
03:36 Est-ce que tu estimes que c'est un documentaire engagé
03:39 qui vise à lutter justement contre ces violences policières
03:41 ou tu te places sur un autre terrain ?
03:44 -Non, il y a un point de vue assumé
03:46 qui est donner la parole aux familles.
03:48 C'est-à-dire que...
03:51 C'est une parole qu'ils n'ont pas
03:53 et ils ont plein de choses à raconter.
03:55 Et ce documentaire, il pointe aussi un certain nombre de dysfonctionnements
03:59 dans le sens où...
04:00 c'est anormal qu'une famille ait à attendre X années
04:06 pour comprendre ce qui est arrivé à quelqu'un de leur famille qui est mort.
04:09 Encore plus quand c'est...
04:11 Par exemple, Alan, un jeune de 19 ans,
04:13 c'est fou de ne pas savoir pendant plus d'un an
04:15 ce qui s'est passé dans cette cellule.
04:17 -Est-ce que t'as rencontré des difficultés pour réaliser ce documentaire ?
04:21 On sait que le sujet des violences policières est hyper touchy.
04:23 Dire que la police tue, qui est un fait,
04:26 ça provoque des grands débats, des grandes polémiques.
04:30 Est-ce que tu t'es heurtée à certains obstacles,
04:32 à certaines résistances ?
04:34 -Franchement, non.
04:36 Comme c'est un sujet que je connais bien,
04:40 qu'il y avait un certain nombre de familles que je connaissais
04:42 ou que j'avais déjà croisé sur des reportages,
04:44 dans des manifestations,
04:45 il n'y a pas de complications.
04:50 Ça a plus été un temps de réflexion,
04:53 de savoir comment j'allais présenter les choses,
04:56 d'être en confiance aussi avec les familles.
04:59 Ça n'a pas été compliqué, mais moi, je voulais prendre le temps
05:03 d'être avec elles, de leur expliquer le projet,
05:05 qu'elles soient à l'aise aussi dans ce projet,
05:06 puisque souvent, encore une fois, c'est traité comme un fait divers
05:11 ou alors, effectivement, ça ouvre des grands débats.
05:14 Ils sont extrêmement violents pour des familles.
05:15 Par exemple, il y a eu des débats sur l'ensauvagement de la société
05:18 quand il y a eu la mort de Cédric Chouviat.
05:23 Imaginez une famille qui perd son père,
05:25 en tout cas pour Sofia Chouviat,
05:28 et qui entend des débats sur l'ensauvagement,
05:30 alors que mon père, il travaillait, il était au travail.
05:33 Ça n'a rien à voir.
05:36 -Et justement, comment, tu le disais,
05:38 il faut aller recueillir la parole
05:40 de ces familles victimes de violences polifières.
05:42 Ces familles-là, elles se confient effectivement sur leur combat,
05:45 mais également sur leur deuil.
05:47 Donc c'est vraiment une part de leur intimité qu'elles te livrent.
05:50 Comment tu...
05:51 Je vais y arriver.
05:54 Comment tu as fait plutôt pour gagner leur confiance,
05:57 c'est-à-dire ce lien de confiance ?
05:59 -Le temps et être transparente.
06:02 C'est-à-dire que moi, mon documentaire,
06:04 je l'avais vraiment bien préparé, je l'avais écrit.
06:06 On a beaucoup discuté,
06:08 et c'était ça aussi le travail de pré-enquête.
06:09 Pour moi, ça a été un besoin journalistique,
06:14 mais aussi un besoin de transparence envers ces familles
06:18 et qu'elles comprennent bien le projet.
06:20 Et c'est vrai que quand elles ont reçu le documentaire-là
06:22 il y a quelques semaines avant la sortie,
06:25 je pense que ça leur a fait bizarre de se voir
06:27 et de voir tout ça illustré, tout dans un même documentaire,
06:30 mais elles connaissaient le projet par coeur.
06:32 C'est-à-dire que le plan que je leur avais donné,
06:34 j'avais bien expliqué, "Toi, avec ton histoire,
06:36 "on va essayer de parler de ça, de ça, de ça."
06:40 Donc je pense que pour...
06:43 C'est pas vraiment compliqué, en fait.
06:45 C'est-à-dire qu'elles ont tellement besoin de parler
06:47 et on leur tend tellement pas le micro
06:50 que si elles ont un peu confiance, elles livrent beaucoup.
06:54 -Et toi, je parle d'elles et de leur difficulté ou pas à se confier.
06:59 Toi, donc, si tu es journaliste,
07:00 tu documentes les violences policières.
07:02 Comment tu fais pour mettre cette distance
07:06 et ne pas être justement aussi heurtée par autant de violences ?
07:09 Moi, par exemple, j'ai juste vu le teaser,
07:11 il y a une émotion qui m'a traversée.
07:13 C'est une injustice qui est criante.
07:15 Comment tu arrives à...
07:17 Qu'est-ce que tu arrives à mettre en place
07:19 pour pouvoir travailler sur un sujet comme celui-là
07:21 en essayant de garder une espèce de neutralité, on va dire ?
07:25 -Ouais...
07:26 Elle est compliquée, ta question, parce qu'en fait,
07:29 peu importe ce qu'on ressent,
07:31 ça sera jamais aussi fort que les familles, évidemment.
07:33 Après, évidemment, c'est des grosses charges émotionnelles
07:38 puisque les interviews étaient intenses.
07:42 J'en parle à mes proches, on en parle à la rédac.
07:46 À "Street Press", on traite souvent de sujets un peu compliqués,
07:49 dont les violences policières, comme les violences policières.
07:52 On fait en sorte d'en parler tous ensemble
07:56 pour se "décharger", entre guillemets.
07:58 Mais...
08:01 Mais voilà.
08:02 -Et pour revenir à ces familles
08:05 qui luttent face à une injustice, face à l'appareil étatique,
08:09 donc elles ont quand même un monstre face à elles,
08:12 comment, sans non plus...
08:15 On a vu un petit teaser, sans trop en dire, sur ce documentaire,
08:18 comment elles font pour rester debout ?
08:20 Comment elles font pour transformer cette tristesse,
08:22 cette colère en force pour lutter contre une injustice ?
08:27 -C'est hyper compliqué et elles...
08:31 Elles... Comment dire ?
08:33 Elles restent pas toutes debout.
08:34 C'est ça aussi qu'on oublie.
08:35 Moi, j'ai pris celles qui sont dans le combat
08:39 et qui ont un peu pris ce combat
08:43 pour avoir une raison de continuer de rendre hommage à leurs morts.
08:48 C'est une façon aussi de rester debout, aussi, d'avoir justice.
08:52 C'est une façon de rester debout.
08:55 Mais c'est extrêmement compliqué et rintant.
08:59 On parlait des témoignages de très fort
09:00 qu'il y a dans le documentaire.
09:02 Elles se sont vraiment beaucoup confiées.
09:03 Je sais que, comme plein de militants,
09:06 il s'agit de deuil, donc c'est encore plus violent,
09:09 j'aurais tendance à dire.
09:11 C'est fatigant, c'est usant pour leur santé.
09:15 Et ça se voit.
09:16 Par exemple, je vais encore prendre le cas d'Alain Lambin
09:19 et de son père, Franck Lambin.
09:22 Lui, il est triste à mourir.
09:25 Il a du mal à tenir, il est sous médicaments.
09:29 Et c'est ce combat, c'est rendre hommage à la memoire de son fils.
09:33 C'est ce combat qu'il fait tenir.
09:34 Et c'est pareil pour Zora Eliamni,
09:36 qui est la maman de Oussam Eliamni.
09:37 - Plus de 10 ans.
09:38 - Plus de 10 ans.
09:39 Et ils sont dans une attente, effectivement, interminable.
09:42 C'est extrêmement difficile à comprendre.
09:46 - Merci beaucoup, Inès Belghassem.
09:48 Journaliste, actrice de presse et réalisatrice de ce documentaire,
09:53 "Violence policière, le combat des familles",
09:55 diffusé sur la plateforme France TV/On vous invite, bien évidemment,
10:00 à aller regarder ce documentaire très, très fort.
10:04 Merci également à vous de nous avoir suivis ce direct.
10:08 Je le rappelle, pour nous développer,
10:10 ce sont de vos abonnements payants à partir de 5 euros par mois
10:13 de vos dons réguliers dont nous avons le plus besoin.
10:15 Car être à la télévision, c'est bien.
10:17 Et rester, c'est mieux.
10:18 On a besoin de concurrencer les médias, des milliardaires
10:21 et de vous proposer notre traitement de l'information,
10:25 des sujets passionnants comme celui de la question
10:27 des violences policières,
10:29 même s'il est douloureux,
10:30 mais qu'il n'a absolument pas traité dans les médias mainstream.
10:33 Ou alors sous un angle très, très partisan.
10:36 Ça commence à changer, effectivement.
10:37 D'ailleurs, vous devez savoir que c'est quand même la télé...
10:42 C'est France TV, c'est diffusé quand même sur France TV.
10:45 Ils font déjà une victoire en cela,
10:47 dans le combat des violences policières,
10:50 puisque c'est une chaîne publique.
10:51 Donc, effectivement, les lignes commencent à bouger.
10:53 En tout cas, n'hésitez pas à parler du Média autour de vous
10:56 et à venir soutenir le Média sur le Mediatv.fr.
11:00 Sous-titrage Société Radio-Canada
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