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L’émission de France 5 ce dimanche révèle comment l’opinion publique a été manipulée pour discréditer l’ex-épouse de l’acteur américain.

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00:00 Bonjour Karim Rissouli, la fabrique du mensonge décrypte et démolit les thèses
00:04 conspirationnistes et les fake news. Vous vous êtes intéressé au vaccin, au Brexit,
00:08 à Vladimir Poutine, des sujets très sérieux. Pourquoi avez-vous choisi cette fois,
00:12 ce qui peut sembler une act-people, les accusations de violences conjugales
00:16 portées mutuellement par Johnny Depp et son épouse Amber Heard ?
00:20 C'est une act-people au départ et on s'y est intéressé parce que justement on s'est rendu compte
00:24 assez vite que c'était loin d'être uniquement une act-people.
00:27 C'est l'histoire d'un procès de deux stars, le comédien le mieux payé d'Hollywood à l'époque
00:33 et une jeune actrice montante, mariée pendant cinq ans, sur fond de violences conjugales, un divorce.
00:38 Deux stars qui se déchirent.
00:39 Moi j'étais passé un peu à côté de cette histoire au moment où elle est arrivée,
00:43 au moment des violences conjugales, au moment du procès entre les deux.
00:45 Et on s'est rendu compte qu'en réalité ça avait été peut-être le premier procès post-MeToo.
00:51 Donc le premier procès qui mettait en cause aussi fortement la parole des femmes à travers Amber Heard.
00:58 Toutes les femmes étaient visées quelque part et donc c'est pour ça qu'on s'y est intéressé.
01:02 J'avoue qu'après avoir regardé cette fabrique du mensonge,
01:04 mon point de vue sur cette affaire a totalement changé. Est-ce aussi votre cas ?
01:08 Alors oui, c'est totalement mon cas. Au moment du procès j'étais passé un peu à côté.
01:11 Parce que vous disiez que c'était un fait divers ?
01:13 Oui, c'était un fait divers, deux stars dont je me foutais un peu.
01:16 Comme beaucoup de gens de ma génération, j'adorais Johnny Depp à l'époque de 21 Jump Street
01:20 ou de films comme ça, ou de séries comme ça.
01:23 Mais je me souviens dans la rédaction de C'est Politique ou de C'est Ce Soir,
01:27 les deux émissions où je travaillais au moment du procès,
01:30 il y avait les pros Johnny Depp et les pros Amber Heard, avec une grosse majorité de pros Johnny Depp.
01:35 Et oui.
01:36 Et je regardais ça comme ça d'assez loin.
01:38 Et je me rends compte avec le recul et après cette enquête que tout le monde s'est fait berner.
01:44 L'opinion publique a été manipulée, on peut dire ?
01:46 Oui, manipulée par ce qu'on appelle des groupes masculinistes.
01:49 Alors qu'est-ce que c'est ça ?
01:50 Ce sont des hommes revanchards, disons, qui ne supportent pas qu'il y ait un rééquilibrage
01:58 des relations entre les hommes et les femmes.
01:59 Ce sont des hommes qui veulent prendre leur revanche sur les féministes, sur le mouvement #MeToo.
02:04 Et qui détestent les femmes aussi.
02:05 Qui détestent les femmes.
02:06 Qui pensent qu'il y a un ordre naturel des choses où les hommes doivent dominer les femmes.
02:09 Et qui ont vu tout part de la défaite de Johnny Depp dans un premier procès en Angleterre.
02:15 Il avait porté plainte pour diffamation contre The Sun ?
02:17 Contre The Sun, journal tabloïd britannique, qui parlait de la violence de Johnny Depp contre son ex-femme.
02:23 Il porte plainte contre The Sun et finalement, il est reconnu coupable de...
02:27 Enfin, pas reconnu coupable, mais en tout cas, The Sun a réussi à prouver que 12 chefs d'accusation de violence sont réels.
02:33 Donc, il n'y a pas de sujet là-dessus.
02:35 Et à partir de ce moment-là, ces groupes masculinistes vont considérer que si un mec comme Johnny Depp peut se faire condamner,
02:40 alors tous les hommes sont en danger.
02:42 Et c'est le début d'une spirale infernale pour Amber Heard.
02:46 Et ça va devenir vraiment atroce.
02:48 Elle va être harcelée sur les réseaux sociaux.
02:50 Je pense que c'est un miracle qu'elle soit encore vivante, Amber Heard.
02:52 Elle a été harcelée, elle a été tournée en dérision, il y a des menaces de mort, des menaces de viol.
02:57 C'est quelque chose d'assez hallucinant.
03:00 Ce qu'on appelle des raids numériques, qui n'ont pas été malheureusement réservés qu'à Amber Heard.
03:05 Des femmes en sont victimes quotidiennement de ces raids numériques.
03:09 Et c'est pour ça que cette affaire révèle un phénomène beaucoup plus large.
03:12 Et l'avocat de Johnny Depp s'est servi des masculinistes pour installer un nouveau récit dans la tête du public.
03:17 Oui exactement.
03:19 Ça, on n'a pas la preuve matérielle.
03:22 Mais ce qu'on raconte, c'est que des éléments qui étaient uniquement des éléments de justice,
03:27 des éléments d'avocats, se sont retrouvés sur des chaînes YouTube conspirationnistes,
03:30 des chaînes YouTube de masculinistes, pour changer le récit.
03:34 Et je pense que même encore aujourd'hui, il y a beaucoup d'adolescents, d'adolescentes,
03:39 ou de jeunes hommes ou de jeunes femmes qui pensent que finalement, Johnny Depp avait peut-être un peu raison,
03:44 qu'Amber Heard n'était pas une oie blanche, comme ils disent.
03:47 Une femme vénale, une menteuse.
03:48 Oui, une femme vénale qui voulait se faire profiter de sa relation avec Johnny Depp.
03:52 Une femme qui n'était pas une victime parfaite.
03:54 Et en fait, je pense que ce que ça montre aussi, c'est que même 5 ans, 6 ans après #MeToo, en 2023,
03:59 en France et partout dans le monde, si la femme n'est pas une victime absolument parfaite,
04:02 alors elle n'est pas une victime acceptable.
04:04 On écoute un extrait de la fabrique du mensonge.
04:06 Des milliers d'autres Américains cherchent à assister à l'audience.
04:09 Et en tapant "Procès Depp Heard",
04:11 ils tombent facilement sur les chaînes des youtubeurs masculinistes recommandées par l'algorithme.
04:16 La stratégie, c'était de diffuser une tonne d'informations pour dominer les résultats de recherche.
04:22 Comme ça, si vous tapez "Procès Johnny Depp - Amber Heard" sur les réseaux sociaux,
04:26 vous aviez plus de chances de trouver du contenu négatif
04:29 parce que ceux qui s'organisaient au nom de Johnny Depp avaient déjà inondé le terrain.
04:36 Résultat, des milliers de personnes visionnent du contenu fabriqué par les masculinistes.
04:41 Des milliers de personnes, potentiellement influencées sans le savoir.
04:45 - Mais alors c'était quel genre de contenu, précisément ?
04:48 - Ce sont des contenus qui, beaucoup, tournent en dérision.
04:52 Ce qu'il faut savoir, c'est que ce procès, il y a eu un procès en diffamation en Angleterre.
04:55 Il y a eu un procès en diffamation aux Etats-Unis, suite à une tribune du Washington Post.
05:01 Et le procès a été diffusé en direct sur YouTube, par beaucoup de YouTubers masculinistes, justement.
05:06 Ce sont des contenus où, il y avait le procès diffusé en direct,
05:09 où chaque témoignage d'Amber Heard était tourné en dérision.
05:12 Mais ça va jusqu'à des témoignages où elle raconte un viol, par exemple, de Johnny Depp.
05:18 Où tout est tourné en dérision. Et ça va aussi être des vidéos qui vont être montées.
05:22 Où, par exemple, les avocats avaient versé au dossier des scènes de violences
05:26 entre Johnny Depp et Amber Heard, de violences conjugales entre les deux.
05:30 Et ces masculinistes vont faire des montages qui montrent uniquement la violence d'Amber Heard et pas celle de Johnny Depp.
05:35 Bon, ça, on peut dire que c'est quelque chose d'assez classique.
05:37 Le problème, c'est que là, je disais des milliers dans le commentaire,
05:41 c'est certainement des centaines de milliers, voire des millions de personnes
05:43 qui ont été influencées et touchées par ces contenus, qui ont été falsifiés, disons.
05:47 Et malheureusement, parmi eux, beaucoup d'adolescents et d'adolescentes,
05:51 parce que le réseau social TikTok a été le réseau social le plus utilisé par ces YouTubers masculinistes.
05:56 - Les masculinistes qui ont finalement gagné, puisque le verdict, diffamation mutuelle,
06:01 mais les dommages subis par Johnny Depp sont supérieurs.
06:04 - C'est elle qui a dû payer davantage.
06:05 Et par ailleurs, c'est elle qui n'a plus de carrière.
06:08 Aujourd'hui, Amber Heard, elle vit sous une fausse identité en Espagne.
06:12 Johnny Depp, il va reprendre sa carrière.
06:15 Il a des films, des tournages qui sont prévus à Hollywood et en France dans les prochains mois.
06:19 Donc voilà, ce qui est assez frappant, c'est que voilà, on est cinq ans après Me Too
06:23 et que c'est peut-être le premier procès de ce qu'on appelle le « back clash ».
06:26 Le « back clash », ça veut dire « retour de bâton » en français.
06:29 C'est-à-dire le fait que quand il y a une révolution sociétale, comme celle Me Too, par exemple,
06:33 il y a après une poussée réactionnaire et conservatrice.
06:36 Et ces hommes revanchards se sont servis de Johnny Depp,
06:40 alors il était bien d'accord avec ça, pour essayer de prendre leur revanche.
06:43 - Est-ce qu'après chaque numéro de La Fabrique du Mensonge, Karim Rissouli,
06:46 vous recevez des messages sur les réseaux sociaux de la part de ceux dont vous venez de démonter les théories ?
06:50 - Alors oui, oui. J'essaie de ne pas regarder mes réseaux sociaux pendant une petite semaine,
06:55 après une diffusion en général.
06:57 La dernière fois, c'était sur les réseaux d'influence russes, dans les numéros de La Fabrique.
07:03 Bon, là, je pense que ça peut être un peu violent pour moi, pour la réalisatrice du documentaire,
07:08 pour celles et ceux qui témoignent dedans.
07:10 Il y a à chaque fois des raids numériques.
07:12 Je pense qu'étant un homme, je vais être un peu épargné par ces hommes.
07:16 Mais oui, oui, c'est souvent assez violent.
07:19 - C'est pareil pour C'est ce soir ? Ou vous êtes régulièrement accusé par certains d'être une émission d'opinion,
07:24 clairement à gauche, à cause des invités que vous choisissez ?
07:26 - Oui, alors C'est ce soir, c'est quand même plus doux.
07:29 Mais oui, il y a de la violence entre guillemets sur les réseaux,
07:33 mais qui vient un peu de partout.
07:34 C'est-à-dire que lundi soir, je peux être trop anti-Macron,
07:38 le mardi, je vais être trop anti-Mélenchon.
07:41 - Donc ça va, finalement, ça s'équilibre ?
07:42 - Finalement, ça va. Si je fais la synthèse de tous les messages que je reçois, je me dis que je suis à la bonne place.
07:46 - Vous vous êtes convaincu de proposer chaque soir un débat équilibré ?
07:48 - Ah oui, j'en suis convaincu.
07:50 J'en suis convaincu, et il faut réchauffer une statistique de nos 3200 invités par an, je pense.
07:55 Oui, je pense qu'on fait un débat équilibré.
07:58 Mais comme je le dis souvent, un bon débat équilibré, selon moi, sur les services publics,
08:03 c'est pas mettre une parole raciste contre une parole antiraciste.
08:07 Le débat se situe toujours dans la nuance, dans les antagonismes un peu réfléchis.
08:12 - Pas de regret d'avoir arrêté la présentation de ces politiques ?
08:15 - Aucun regret. Aucun regret.
08:16 D'abord parce que je travaillais beaucoup trop et que je pense que j'allais dans le mur.
08:20 Donc je suis très heureux d'avoir passé la main à Thomas Négaroff.
08:23 - Tu fais bien le job ?
08:24 - Je fais très bien le job. C'est pour ça que j'ai encore moins de regrets d'avoir arrêté.
08:27 Je pense que c'est mieux pour ses politiques et que c'est mieux pour moi.
08:29 - Deux émissions qui prouvent que le débat apaisé est encore possible à la télé.
08:32 - Je l'espère.
08:33 - C'est une bonne nouvelle.
08:34 - Je pense, oui.
08:35 - Merci beaucoup, Camille Ressi.

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