Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous raconte Dido Elizabeth Belle (1761-1804), la première aristocrate noire. Née d’une mère réduite à l’esclavage et d’un père officier de marine britannique, Dido est élevée en Angleterre par son grand-oncle, Lord Mansfield (1705-1793). Président de la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles, ce dernier attire l’attention en accueillant chez lui une jeune femme métisse.
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00:00 dans l'intimité de l'histoire.
00:02 - Aujourd'hui Clémentine voudrait raconter le dessin de la première aristocrate noire de l'histoire dans l'Angleterre du 19e siècle,
00:10 Dido Elizabeth Bell. Un bel exemple de tolérance dans une époque qui en manquait encore beaucoup j'imagine.
00:16 - Oui, alors si l'on veut vous allez voir. En tout cas sur un mur du Scone Palace à Perth en Écosse,
00:22 eh bien on peut voir un tableau du 18e siècle représentant deux femmes.
00:28 L'une est blanche, Lady Elizabeth Murray, elle est représentée assise lisant un livre.
00:35 Tandis que l'autre, Dido Elizabeth Bell, une jeune femme noire,
00:39 passe derrière Elizabeth tenant une corbeille de fruits.
00:44 Toutes deux sont vêtues de magnifiques robes de soie et elles portent de très beaux colliers de perles.
00:49 À l'arrière on distingue la cathédrale Saint-Paul, cette scène se passe donc à Londres.
00:54 Or, à l'époque, quand un homme ou une femme de couleur est représentée, c'est toujours en qualité de serviteur ou d'esclave.
01:03 Il est très inhabituel de représenter une femme de couleur comme l'égale d'une femme blanche et surtout
01:09 costumée à l'identique. Alors ça pose la question,
01:13 qui est cette femme et comment cette jeune femme noire, certes elle n'est pas exactement dans le même statut, la même position,
01:19 elle porte une corbeille de fruits, la femme blanche est assise et lie, mais en attendant elle a un costume
01:24 équivalent tout aussi riche. Qui était cette Dido ? Et bien elle est née en
01:29 1761 aux Antilles et elle était la fille d'un jeune officier de marine britannique, John Lindsay,
01:36 et d'une africaine nommée Maria Bell.
01:39 Ce Lindsay, il était capitaine d'un navire de guerre qui patrouillait, qui cinglait dans les mers au large des côtes du Sénégal
01:47 vers les Caraïbes, et on pense, parce qu'on ne le sait pas de façon certaine, mais on pense qu'en fait il a arraisonné
01:53 le navire négrier espagnol à bord duquel Maria Bell était prisonnière.
01:58 Il s'éprend d'elle, elle devait être d'une grande beauté, et hop il lui fait une fille que l'on baptise Dido.
02:04 Lindsay emmène les deux, la mère et la fille, en Angleterre et puis il confie sa fille à son oncle.
02:12 Et c'est là que ça devient intéressant parce que son oncle, qui est-il, c'est William Murray,
02:17 premier comte de Mansfield et Lord Chief Justice, c'est-à-dire qu'il est le juge le plus puissant d'Angleterre.
02:25 Ce monsieur et sa femme n'ont pas pu avoir d'enfant, donc ils ont déjà chez eux
02:30 Elisabeth Murray, qui est une de leurs nièces, qui vient de perdre sa mère, elle est orpheline, donc ils l'ont
02:36 récupérée chez eux. Et donc ils accueillent aussi Dido, et Dido va être élevée avec
02:41 cette femme, qui est sa cousine, à proprement parler, à Kenwood House, la somptueuse demeure sénioriale de Lord Mansfield à
02:48 Hamstead à Londres. Alors si vous voulez, à cette époque il n'est pas rare qu'une riche famille devienne tutrice légale d'un parent,
02:56 enfant, neveu, illégitime, on voit très souvent... - On perdait souvent ses parents.
03:00 - Exactement, et donc on voit ça très souvent dans les adaptations des livres de Jane Austen, mais en revanche il est
03:07 exceptionnellement rare qu'un enfant métisse, né d'une ancienne esclave, soit élevé
03:14 autrement que comme domestique. Et c'est là la grande nouveauté avec Dido, c'est qu'elle n'est ni une servante ni une
03:21 subalterne, elle reçoit la même éducation que sa cousine, elle jouit des mêmes avantages,
03:25 du même confort, elle a une très belle chambre dans la grande maison avec son lit à baldacin, et elle reçoit une allocation
03:33 annuelle. Alors là il y a une nuance intéressante, c'est qu'elle reçoit 30 livres par an,
03:38 alors qu'Elisabeth, sa cousine blanche, elle en reçoit 100. Donc là sur ce plan, la cousine Elisabeth est
03:45 substantiellement avantageée. Mais ça n'est pas lié à la couleur de Dido, c'est lié au fait qu'elle est une enfant
03:52 illégitime. Donc il y a déjà, voyez, si vous êtes illégitime et blanche, déjà vous avez moins que si vous êtes légitime et blanche. Bon,
03:59 son statut provoque une immense curiosité, une très grande incompréhension.
04:03 Il faut se mettre à la place des gens qui voyaient ça. On a conservé un témoignage de l'américain
04:08 Thomas Hutchinson, ancien gouverneur du Massachusetts, qui a été invité à dîner chez les Lindsay à Kenwood House en
04:15 1779. Et il écrivait tout ce qu'il faisait dans ses journées dans son journal. Et il écrit
04:20 "Une noire est entrée après le dîner et s'est assise avec les dames, et après le café elle s'est promenée avec la compagnie dans les jardins
04:29 l'une des jeunes dames la tenant par le bras.
04:31 Elle avait un bonnet très haut et sa chevelure était très frisée dans son cou. Elle n'est ni belle ni distinguée,
04:37 mais assez coquine." Donc voyez, la situation de Dido... - Ça veut dire quoi "assez coquine" ?
04:43 - Oh ben je pense qu'il devait la trouver... Elle devait être très belle, ou très sensuelle...
04:47 - Mais non, ni belle ni distinguée.
04:49 - Non, elle n'est ni belle ni distinguée, mais assez coquine, vous avez raison. Mais ça vous êtes un homme, c'est vous qui devez savoir ce qu'on met derrière ce genre de...
04:55 Est-ce que vous me trouvez assez coquine, Jean-Luc ?
04:58 - Parce qu'elle était un peu aguicheuse, quoi.
05:00 - Voilà, elle était un peu aguicheuse. En tout cas, le fait de voir une jeune femme de couleur
05:05 vivant sur pied d'égalité avec des blancs, fût-il de sa propre famille, aurait pu gravement, à l'époque,
05:12 choquer les invités. Et voilà pourquoi quand ils recevaient à Kenwood,
05:16 Belle ne dînait pas avec eux, mais les rejoignait à la fin du repas. C'est très exactement ce qu'a raconté Hutchinson.
05:24 Alors, Didot, par ailleurs, était très doué pour la musique et l'écriture, à tel point que Lord Mansfield lui demandait souvent d'écrire ses propres lettres.
05:31 Et lui était un esprit ouvert, qui considérait l'esclavage comme odieux, et qui dans son rôle de juge
05:38 prit un jour une décision qui fit date en donnant raison à un esclave qui avait fui son maître. C'est l'affaire
05:44 Somerset contre Stewart de 1772. C'était le début d'un puissant mouvement anti-esclavagiste qui aboutirait en
05:52 1833 à l'abolition définitive de l'esclavage en Angleterre. Alors on l'aura compris,
05:57 pas de dandinoir à la cour de George IV, mais quelques rarissimes esprits éclairés,
06:05 qui peut-être déjà caressaient le rêve prophétique
06:09 d'une cour britannique colorblind,
06:12 accueillant deux siècles plus tard une princesse à demi afro-américaine, une certaine Meghan Markle.