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Chères lectrices, chers lecteurs,

Voici la captation de la rencontre de Vincent Wackenheim autour de sa monographie La mort dans tous ses états : modernité et esthétique des danses macabres (1785-1966), paru aux éditions L'atelier contemporain.

Discussion animée par Caroline Dhennin, et enregistrée le mardi 23 mars 2025.

Vous souhaitant de belles lectures,

L'écume

La Quatrième :

"Rassemblant 104 Danses macabres modernes et plus de 1000 images commentées, ainsi que 11 focus thématiques, l’ouvrage de Vincent Wackenheim témoigne de la vitalité et de la pérennité d’une forme graphique ancienne que de nombreux artistes, de toutes nationalités, revisitèrent dès le XVIIIe siècle. Le fil conducteur est ici de montrer comment ceux-ci, selon les orientations stylistiques de leur temps, ont réinterprété des images iconiques installées dans les imaginaires depuis le XVe siècle, en y intégrant, à partir d’une structure originelle marquée par l’histoire religieuse, des thématiques nouvelles, sociales et politiques, tragiques et burlesques, conséquences aussi des deux guerres mondiales."
Transcription
00:00Bonsoir à tous. L'Écume des Pages est très heureuse ce soir d'accueillir Vincent Wackenheim
00:06pour son nouvel ouvrage « La mort dans tous ses états ». Alors pour vous présenter,
00:11je voudrais dire avant toute chose que vous avez fait des études de droit d'histoire et de littérature,
00:16que vous avez été éditeur chez PRA, aux éditions Lirocher, à la Documentation
00:22Française, que vous êtes aussi romancier, publié chez Des Rolles, aux dilettantes pardon,
00:31chez des gens très importants, le temps qu'il fait, voilà, et que vous avez aussi beaucoup
00:38publié de notes critiques à la NRF. Mais là ce soir, avant toute chose, je voulais aussi remercier
00:44votre éditeur pour ce travail incroyable, parce qu'il faut avoir le courage de publier un tel
00:50texte fantastique, donc bravo à l'éditeur, bravo aux belles lettres, bravo aux équipes de
00:56L'Entre-Livres, vraiment vous formez un tout exceptionnel. Et donc ce livre, messieurs,
01:02dames, ce livre 3,6 kg, 7 ans pour l'écrire, une vraie merveille, écrit par Vincent Wackenheim.
01:10Alors il faut aussi qu'on passe un petit coup de chapeau au CNL qui nous a aidés,
01:18dans des périodes où on met parfois en cause l'utilisation de l'argent public dans ces domaines
01:24là, le CNL a aidé, et la Fondation Antoine de Galbert a également aidé à la publication,
01:29sans lesquelles ce livre n'existerait pas, parce qu'il contient mille images en quadricori,
01:36donc sans l'aide de mécènes, l'ouvrage n'aurait pas paru. Alors je vais revenir un peu en arrière,
01:47en vous rappelant, si vous ne le savez pas, que nous fêtons cette année un anniversaire important,
01:53qui est le 600e anniversaire de la création de la plus vieille danse macabre connue,
02:02parce que c'est un peu difficile, cette danse macabre a été achevée en 1425 au cimetière des
02:11Saints Innocents, donc à un kilomètre et demi d'ici, autour de la fontaine Goujon actuellement,
02:20et l'objet de ce livre a été pour moi de montrer comment une forme aussi codifiée que celle des
02:29danses macabres, qui couvrait les églises et les cimetières notamment d'Europe, comment est-ce que
02:35cette forme a été, comment dirais-je, comment des artistes plus contemporains, au 19e et au 20e siècle,
02:42ont emparé de cette forme très cadrée, très codifiée, très connue de tout le monde, pour la
02:50tordre, la réutiliser, la magnifier, la déformer, en abuser, dans des domaines extrêmement différents,
02:57tels critiques sociales, de dérision, de dureté, il y en a eu beaucoup pendant les guerres de 14,
03:03il y en a eu pendant la guerre de 14, de 40, de 14, oui, pour moi ça a été une révélation de
03:10voir que ces images ont été totalement réutilisées, aussi grâce à l'utilisation de
03:19technologies, c'est-à-dire que ces danses macabres ont suivi les évolutions techniques, notamment au début du 19e
03:26siècle, la lithographie, qui naît à cette période-là, et ce, j'en cite trois dans l'ouvrage,
03:34notamment au travers des gravures extraordinaires de Rolandson, qui était un artiste incroyable,
03:42qui a dessiné une danse macabre en deux volumes. Donc, ce que vous expliquez très clairement dans le début du livre,
03:51c'est que l'église au Moyen-Âge, ensuite la passion pour l'évanité, et à partir de 1785,
04:01un retour en force. Alors, comment avez-vous choisi ces deux dates ? Alors, les deux dates sont
04:09celles de 1785, je m'attends pour tout vous dire, à ce que quelqu'un me dise, pas du tout, il y en a
04:17une en 1782, mais vous verrez que l'année 82 est importante. Il y en a une autre qui aurait été
04:27dessinée quelque part, que je n'ai pas trouvée, parce que tout est possible dans ce domaine. Mais celle de 1785,
04:33pour moi, était une forme de point de départ. Elle a été gravée, dessinée puis gravée, par un artiste
04:39protestant suisse qui s'appelle Schellenberg, et qui, pour moi, marque le tout début de ces
04:46danses macabres modernes. Pour vous donner une idée de sa modernité, et c'est là que je reviendrai sur 1782,
04:53en 1782 a eu lieu le premier accident de Montgolfière. Vous vous souvenez que Louis XVI avait encouragé,
05:01avec, non sans courage et quelques difficultés, des hommes à tenter cette aventure extraordinaire
05:11que de s'élever dans le ciel avec un ballon. Et il y a eu malheureusement un accident, et
05:19cette première Montgolfière a pris feu en 1782, et c'est le premier accident de
05:28Montgolfière qu'on connaît. En 1785, Schellenberg introduit dans sa danse macabre cette notion,
05:36de la même façon qu'il introduit le suicide, une scène de suicide, une scène de jeu et une scène
05:44de duel. Autant de thèmes qu'on ne retrouvera absolument pas dans les danses macabres du Moyen
05:50Âge. Je vous ai mis, vous voyez cette image que je vous ai fait passer et qui est censée un peu exprimer
05:57le nœud du livre. Vous avez sur la partie gauche donc une danse macabre qui s'appelle la danse
06:05macabre des femmes, qui date de 1486, qui est totalement traditionnelle où on voit la mort,
06:10mais qui n'est pas violente. Venir se saisir de chacun des membres de la société du moment.
06:18Là c'est un extrait, vous avez un fou et vous avez une dame. Et vous voyez sur la partie droite,
06:24une danse macabre, la première danse macabre de Maserelle. Maserelle était un graveur flamand,
06:30qui en 1916, étant pacifiste, est allé rejoindre Romain Rolland, Pierre Jean Jouve et toute cette
06:39petite troupe à Genève, se protégeant ainsi d'une incorporation dans l'armée. Et Maserelle
06:47a inventé le roman graphique. Et il a là dessiné, je ne sais pas si c'est un bois ou un linoleum,
06:56parce qu'il n'était pas très riche à l'époque et le bois est une donnée fort onéreuse. Mais
07:04vous voyez sur cette image que la mort, donc on est aussi dans une danse macabre, c'est-à-dire que
07:08la mort vient saisir un individu de la société, mais il vient la saisir d'une façon extrêmement
07:16brutale et socialement extrêmement connotée. Ça, ça n'existe pas au Moyen-Âge. Et donc c'est
07:22cette évolution, cette prise en compte d'un climat social, et on verra des danses macabres faites par
07:32exemple par un Suisse qui s'appelle Bill, qui est d'une férocité totale par rapport au pouvoir.
07:38C'est-à-dire qu'on part du principe, au Moyen-Âge, que la mort fait simplement son travail divin,
07:42alors que là, au 19e et au 20e, la mort devient une puissance agissante, néfaste, qui s'empare de
07:51l'individu d'une façon individuelle. Vous vous souvenez peut-être des images des danses macabres
07:57qui sont des suites de choses comme ça. C'est-à-dire que ça, ça peut courir, je l'ai dit, sur 80 mètres.
08:02Et c'est une farandole. Et quand arrive l'industrie du livre, c'est pour ça que j'insiste sur le fait
08:11que l'histoire des danses macabres est accrochée aux techniques. La farandole, elle va être, à partir
08:18du moment où le livre existe, séquencée en images uniques. La plus connue des danses macabres est
08:25celle de Holbein, qui date de 1538, imprimée à Lyon, qui séquence les images. C'est-à-dire que ça n'est
08:33plus une farandole, c'est un individu pris par la mort, les uns derrière les autres.
08:39Donc, on ne considère plus la mort sous son aspect égalitaire de la farandole, mais on la considère
08:46de façon individuelle. C'est pour ça que le lien avec les vanités, et les vanités c'est beaucoup plus
08:52intellectuel qu'une danse macabre. Une danse macabre, c'est une création populaire. C'est une image
08:57qu'on pouvait s'acheter dans des foires aussi importantes que celles de Troyes. Les vanités, ce sont
09:03une expression picturale de la bourgeoisie flamande, très codée, pas si facile à comprendre par rapport
09:10à une danse macabre, qui est d'une lecture immédiate. Et donc, cette fragmentation, cette
09:17utilisation de technique, le bois, et cette fragmentation de cette image qui avant était
09:25une farandole, va générer des danses macabres qui vont être totalement différentes et qui vont se
09:30centrer sur un couple, l'homme ou la femme, l'homme avec un grand H, et la mort. La mort venant dire à
09:38l'individu, puisque tu bois, puisque tu manges trop, puisque tu forniques, tu vas mourir. C'est-à-dire que la
09:46morale est beaucoup moins, comment dirais-je, beaucoup moins égalitaire que ne l'était celle du
09:52Moyen-Âge. Voilà, ça me semble être un élément important. J'ai lu dans, je ne sais plus quel ouvrage,
09:59je ne sais plus quel historien, est-ce que c'est Duby ou est-ce que c'est Louis Malle, qu'on ne peut
10:03pas comprendre le Moyen-Âge si on n'a pas saisi les danses macabres. Alors, elles vont disparaître,
10:09elles vont disparaître au moment de la réforme, puisque les protestants sont contre, évidemment,
10:16tout aspect quelque peu magique de cette opération. Donc, elles vont être détruites ou elles vont
10:24être aménagées, dans le sens qu'on va enlever l'image du pape, il y avait dans toutes les
10:28danses macabres du Moyen-Âge, au tout début de la progression, il y a le pape. Il y a le pape,
10:33l'évêque, puis le roi, puis la reine, puis... Et ça s'enchaîne les uns derrière les autres. Là,
10:40c'est une forme évidemment sociale qui est impossible à comprendre pour un réformateur.
10:49Donc, les réformateurs vont soit supprimer le pape, ils vont rajouter les femmes, qui n'existaient
10:54pour certaines pas dans les danses macabres traditionnelles, et ils vont à terme les
10:59détruire, les badigeonner. La contre-réforme catholique va faire exactement la même chose,
11:03de la même façon que la contre-réforme va supprimer dans les églises les jubés. Le seul
11:08jubé que vous pouvez encore voir à Paris, c'est celui de Saint-Étienne-du-Mont, qui est très bon,
11:13parce qu'il est extrêmement aérien. On ne le discerne presque pas, alors que l'église traditionnelle du
11:19Moyen-Âge sépare les fidèles du culte. Et le prêtre dit la messe face à l'autel, et pas du tout
11:28face, entre guillemets, au public. C'est Vatican II qui va développer l'idée que la messe se fait
11:35vers le public. Et donc, cette destruction, ces changements de mentalité, l'apparition, on l'a dit,
11:43des vanités, puis au dix-huitième de la raison, fait que cette forme graphique qui avait, comment
11:48dirais-je, massivement occupé l'espace public va juste disparaître. On va détruire celle de Bâle,
11:55il y a un désintérêt absolu pour le Moyen-Âge dans ces périodes-là, on va détruire celle de
12:00Bâle, dont on ne gardera, vous pouvez toujours aller les voir, que les éléments humains au
12:06détriment des éléments squelettiques, si j'ose dire. Celle des saints innocents, de la même façon,
12:14pour des raisons d'urbanisme, parce qu'il faut construire, va être détruite. Et dans les églises,
12:19on les badigeonne. Et actuellement, depuis un petit moment déjà, on les retrouve, on va les
12:25rechercher et on va les remettre en exergue. Donc c'est pour ça que pour moi, en faisant cette
12:31recherche et ce livre, ça a été passionnant de voir comment est-ce que cette structure qui était
12:38tombée dans une forme de désuétude totale, c'est-à-dire que des auteurs du 18e n'ont que mépris
12:44pour le Moyen-Âge. C'est censé être une période d'obscurantisme, on n'imagine pas du tout que
12:49l'économie est une chose qui existe au Moyen-Âge, que la littérature existe au Moyen-Âge. Non, on
12:54estime que c'est les temps des barbares. Il faudra attendre le 19e et aussi des luttes, comme
13:01toujours, entre des écoles d'historiens, c'est-à-dire que les Allemands décident que c'est eux les
13:06champions des danses macabres, alors que les Français disent non, la plus ancienne c'est nous,
13:09c'est les Saints Innocents. Mais il faudra attendre cette période pour qu'il y ait une sorte de
13:13revival historique, donc on va s'intéresser à l'archéologique. Ça devient un objet de curiosité,
13:20mais aussi ça va devenir un objet de création. Certaines vont rester totalement accrochées à
13:30celles de Holbein de 1538, j'en ai mis une page parce qu'elle est fondatrice dans le livre,
13:35et d'autres vont partir dans des délires extravagants. Et certaines sont extrêmement
13:41drôles, parce que déjà au Moyen-Âge, une danse macabre peut être un élément extrêmement ironique.
13:46Rappelez-vous la lecture de Bactine ou la lecture d'un FDF ou de Sébastien Brandt ou d'Erasme,
13:53l'humour est extrêmement présent au Moyen-Âge. Dans une danse macabre du Moyen-Âge, vous pouvez
14:00avoir, et ceci au vu et au su de tous, vous pouvez montrer une abaisse que la mort vient chercher en
14:09lui faisant remarquer qu'elle est enceinte. Voilà, cette forme d'humour existe au Moyen-Âge et a
14:17éclaté au 19e puis au 20e. Alors je me suis arrêté, parce que vous parlez de date et donc de jalons,
14:23je me suis arrêté en 1966 pour une bonne et une mauvaise raison. Une bonne et une mauvaise et
14:33une troisième raison. La troisième raison, c'est que j'avais promis à mon éditeur un livre qui
14:38faisait 600 pages et il en fait 930. Donc il a quand même à un moment un tout petit peu toussé,
14:46tout gentil éditeur qu'il est. Donc il a quand même à un moment fallu s'arrêter et j'ai trouvé
14:53plus honnête, ça c'est la raison intellectuelle, de s'arrêter à une danse macabre connue qui est
15:00celle de Gris Haber, qui était graveur à cette époque-là d'Allemagne de l'Est et qui a créé une
15:08danse macabre exactement dans la même logique que celle de Ball. Donc il y avait une sorte de
15:13cohérence, de joliesse si on veut dire, d'achever l'histoire en 1966. Ensuite, il y a une raison un
15:20peu technique qui fait que plus vous vous rapprochez des temps actuels, plus malheureusement vous devez
15:26payer des droits aux ayants droit et ça rend l'opération un tout petit peu complexe. Donc j'ai
15:33évoqué dans le dernier chapitre qui s'appelle vivacité des danses macabres leur pérennité.
15:37Vous connaissez tous Tommy Hunger. Tommy Hunger a fait une danse macabre qui s'appelle Rigor
15:44Mortis, qui est d'une cruauté absolue, montrant des danses de femmes et de squelettes, tout ceci
15:53dans un érotisme non contenu. Et donc ça c'est vraiment, ce sont des images très prenantes mais
16:01j'ai préféré m'arrêter en 1966 et peut-être laisser le temps aussi au temps pour faire la
16:07recherche sur des périodes plus contemporaines parce que c'est très dur. Là j'ai retrouvé une
16:12danse macabre parue en 2024, en octobre, qui s'appelle Danse de la mort, qui était exposée,
16:21la maison d'édition a fait un leporello et elle était présentée chez ce libraire galeriste que
16:28vous connaissez et dont j'ai oublié le nom, qui est Rue Jacob de mémoire. Metamorphose, Michel Scoglio Milo.
16:35Voilà, il y a un artiste qui en a donc fait une, il y a très très peu de temps, il y a moins d'un an.
16:45Donc l'image et la logique, c'est ça que je trouve fabuleux. Comment est-ce qu'une image aussi,
16:50dans un monde qui est totalement déchristianisé aujourd'hui, enfin totalement non, mais largement
16:55déchristianisé, comment est-ce que cette image qui à l'origine est totalement chrétienne a été
17:02réutilisée et perdue aujourd'hui ? Ça je trouve que intellectuellement c'est un cheminement qui est passionnant.
17:10Avant de passer au 18e et 19e siècle, je voulais vous dire qu'en France par exemple, il y a
17:18Kermaria Aniscuit et La Fierté loupière qui ont deux danses macabres exceptionnelles.
17:24Et chose aussi, vous le savez tous, mais je le redis, pourquoi il y a eu des danses macabres, c'est
17:30parce que la moitié de l'Europe est morte en cause de la peste. Donc ça, il faut aussi garder ça à l'esprit.
17:36Dans votre livre, vous parlez de la France, de l'Allemagne, de l'Angleterre, comment on délimite en fait ces recherches ?
17:44Alors il y a une première délimitation, tout simplement, qui est le monde chrétien. Donc vous excluez déjà toute l'Asie,
17:51à cette période-là, toute l'Afrique et toute l'Amérique du Sud, ça fait déjà beaucoup. Vous excluez aussi les Etats-Unis,
18:02je n'en ai trouvé que deux aux Etats-Unis, qui datent du début du XIXe, et qui sont toutes des reprises de danses macabres anglaises.
18:10Et j'esquisse l'idée, parce que pour tenter d'expliquer pourquoi il n'y a pas de danses macabres aux Etats-Unis,
18:17les Etats-Unis ça commence en 1830 quoi. J'esquisse l'idée que dans un pays aussi, à l'époque, je ne veux pas parler d'aujourd'hui,
18:30mais aussi pris par des notions de modernité à tous les points de vue, l'industrie, la famille, tout est différent,
18:39même si on vit en communauté, mais le monde est différent. Je pense que les Américains n'ont pas voulu s'encombrer
18:47de cet héritage quand même très fermé qui leur a été donné par ces danses macabres. Donc je n'en ai pas trouvé.
18:55Enfin, j'en ai trouvé une en 1951 d'un dénommé Jean Charlot, qui est un dessinateur français qui a eu peu de succès en France
19:05et qui s'est exilé au Mexique, où il est devenu le spécialiste des peintures murales au Mexique et un des spécialistes de Posada.
19:15Pour ceux qui connaissent les images de Posada, ça n'est qu'une énorme danse macabre ce truc-là,
19:22même s'il n'en a jamais vraiment formellement, il n'en a décidé aucune de façon aussi structurée que celle que je présente.
19:31Donc mon univers se rétrécit. J'ai évacué un certain nombre de territoires. La Russie, je n'en ai pas trouvé,
19:38si ce n'est une danse macabre des planches sous Staline qui sont d'une très grande cruauté.
19:45Et mon écosystème, c'est la France, les Flandres, l'Angleterre, la Suisse, l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal, j'en ai trouvé une,
19:56l'Italie avec ses extraordinaires cartes postales d'un dénommé Martini, qui fait une danse macabre mais extraordinaire.
20:06Entre 1914 et 1916, aimé des surréalistes, qui est d'une inventivité, d'une méchanceté.
20:14Alors lui, son ennemi, évidemment, étant italien, c'est les Autrichiens, c'est les gens qui veulent piquer Trieste, Venise, etc.
20:23Donc ma zone, elle est là. Alors il y a une dominante germanique, oui, mais ceci à toutes les périodes.
20:31Il y a une dominante germanique au Moyen Âge, il y a une dominante au XIXe, et il y aura une dominante après la guerre de 1914,
20:43puisque le fameux mouvement dit expressionniste allemand va en produire de très grandes quantités, et souvent de très grandes qualités.
20:53Alors qu'en France, on n'en fait plus des comme ça. Il faut imaginer la différence de mentalité entre la France en 19 qui a gagné la guerre
21:05et qui n'est absolument pas révolutionnaire. Le pouvoir en 19, il tient les manettes, puisqu'il n'y a aucune raison de faire la révolution puisqu'on a gagné.
21:15Ce n'est pas tout à fait la même chose en Allemagne, comme vous le savez, où les spartakistes, entre 19 et 21, l'Allemagne vit quand même dans une grande effervescence politique,
21:30et à ce moment-là, des artistes expressionnistes vont créer des danses macabres qui sont d'une très grande beauté, d'une très grande violence, qu'on ne retrouve pas en France.
21:39Donc ça, c'est drôle de voir comment l'Allemagne vit là-dedans. Il y a aussi une danse macabre très connue qui est celle de Röthel.
21:48Röthel était un graveur allemand qui a assisté à la révolution de 1848 quand il y a eu une tentative, alors pas d'instaurer la république parce que ça n'a jamais été jusque-là,
22:04mais on a créé, ils ont créé, Röthel a créé une danse macabre qui s'appelle nocheintotentanz, donc encore une danse macabre, où ils distillent l'idée que les révolutionnaires ont été inspirés par la mort.
22:23C'est-à-dire que c'est la mort qui est camouflée en agitateur politique et qui va monter les populations contre le pouvoir,
22:33leur disant « nous sommes tous égaux ». Et la conclusion de cette danse macabre, qui fait six planches, c'est de dire « certes, nous sommes tous égaux, mais devant la mort et pas dans la vie ».
22:42Et cette danse macabre de 1848, publiée en 1849, de Röthel, elle va faire le tour de l'Europe. Elle va être publiée dans tous les journaux français, dans des formats plus petits, avec les textes traduits.
22:57Elle aura un succès, il y aura des cartes postales. C'est un très très gros succès et elle va être jugée totalement réactionnaire par les intellectuels français.
23:06Il n'y aura qu'un seul homme pour la défendre, qui est Baudelaire. Il y a des textes de Baudelaire sur Röthel, qui sont sur ces fameux textes qu'il n'a jamais publiés sur l'art en Allemagne.
23:19Il y a des textes de Baudelaire, parce que chez les gens qui aiment Baudelaire, c'est un grand combat. Les intellectuels plutôt à gauche voudraient que Baudelaire soit un révolutionnaire, ce qu'il n'a jamais été.
23:31Il a décrit la révolution de 1848 comme une vaste blague, par provocation peut-être, je ne sais pas. Mais il aurait aimé que Röthel, qui est connu pour cette danse macabre,
23:43fasse le fontispice de la deuxième édition des Fleurs du Mal, qui est donc expurgée des poèmes qui ont été condamnés. Il espérait pouvoir confier le fontispice à Röthel, qui malheureusement était mort dans un hôpital psychiatrique.
24:03Donc il l'a confié d'abord à Braquemont, ça a été un désastre, puis il a voulu la confier à Röthel, mais ça a capoté. Röthel va utiliser ce dessin pour illustrer ce qu'on appelle les épaves, l'édition uniquement des poèmes interdits.
24:23Mais ça montre l'intrusion et la connaissance de cette forme graphique en Allemagne. J'ai trouvé un cadre relativement terrifiant qui date de 1944 et qui est à la gloire de la SA.
24:43Vous vous souvenez que la SA, pouvoir politique qui faisait de l'ombre à Hitler, a été saccagée lors de la nuit des longs couteaux. Mais Hitler a quand même contribué à la rendre dans l'histoire populaire et vivace.
24:59Donc il y a un artiste qui a fait une danse macabre sur la SA, qui montre le mal étant les communistes et le bien étant la SA totalement sur le modèle de la danse macabre de Röthel. C'est poignant de vérité et ça montre comment est-ce que cette trace narrative, ce fil narratif a occupé les esprits de nombre d'artistes.
25:25On pourrait citer, alors il y a des artistes, si vous vous demandez s'il y a des artistes connus qui ont fait des danses macabres, oui, Kubin en a fait deux.
25:35Mazerelle et Klinger en a fait deux. Klinger c'est un des graveurs les plus merveilleux de la période du tournant du siècle.
25:55Donc certains artistes, oui, se sont emparés de cette forme. Après vous avez Munch a fait des représentations de la femme et la mort, il y en a beaucoup. Ça, ça ne rentre pas, je ne l'ai volontairement pas fait rentrer dans mon corpus.
26:11Je n'ai voulu mettre dans ce corpus que des danses macabres qui sont des suites d'images et qui ont été publiées, donc qui étaient accessibles. L'écume des pages de 1880 pouvait commercialiser une danse macabre.
26:27Et ce qui m'amuse, moi, et ce que je n'ai toujours pas résolu, c'est d'imaginer ce qui pouvait motiver un individu qui, au lieu de s'acheter un roman de Gavaldar, s'achète une danse macabre à l'écume des pages du moment. C'est extraordinaire.
26:41Il rentre chez lui à la maison, il montre à sa femme. Regarde, chérie, ce que je me suis acheté aujourd'hui. C'est surprenant parce que ce sont quand même des images qui sont d'une dureté.
26:49Alors, elles peuvent être très belles, mais ce sont des images qui sont d'une dureté sociale, politique, humaine, métaphysique, extrêmement forte. Vous ne pouvez pas afficher ça.
27:01Quand j'en avais chez moi à la maison, ma femme m'a dit c'est bon, ça va peut être aussi mettre des roses parce que ce sont des images dures à regarder.
27:11Certaines sont extrêmement violentes. Vous voyez ça, c'est pas une image totalement gratuite. Donc, pour moi, c'est un mystère. Cette floraison de danse macabre, ça demeure un mystère.
27:28Quand on regarde la souffrance en face, si c'est important de pouvoir se confronter.
27:34Ce qui m'étonne, c'est que ce sont des objets commerciaux. Parce que sur certaines, je vois encore, notamment sur celles qui viennent d'Allemagne, je vois le prix.
27:44C'est pas très cher. Un numéro de l'assiette au beurre, ça coûte l'équivalent de 3 ou 4 euros aujourd'hui. Et c'est tiré. L'assiette au beurre est tiré à 100 000 exemplaires.
27:54Donc, vous avez des gens qui voient des images macabres comme ça en feuilletant leur magazine. Il y a une planche dans l'assiette au beurre qui est redoutable, qui s'appelle la marchande de plaisir.
28:06Alors, on ne discerne pas tout de suite. C'est la planche numéro 4 de la série des danses macabres. On ne distingue pas tout de suite le côté macabre.
28:14Seulement, la scène représente un bon bourgeois, alors très bon bourgeois. Il est affalé dans son fauteuil. Il a l'air assez content de lui. Il est bouvard et pécuché à lui tout seul.
28:24Et il est affalé avec sa canne. Et une dame qui s'appelle une marchande de plaisir vient lui présenter, je vais être cru, une jolie jeune fille nue, mais toute nue, sublissime, ravissante.
28:38Et la marchande de plaisir, c'est la mort. C'est-à-dire qu'on voit son visage simplement. Seul son visage est sous la forme d'un crâne. Le reste, on ne s'en rend pas compte.
28:48Et on comprend en regardant l'image et en décryptant que c'est dans une danse macabre parce que les deux vont mourir. Elle, elle a la syphilis et lui, il va l'attraper.
29:00Ils vont mourir tous les deux. Mais cette image est d'une dureté soudée dehors. Elle est charmante. La jeune fille est toute belle et tout. Le monsieur, on a envie de se moquer de lui.
29:09La scène paraît drôle. Et quand on la regarde en prenant un peu de temps, elle est d'une méchanceté. Aujourd'hui, on n'ose plus faire des choses comme ça.
29:22La moitié des images qui sont là-dedans, aujourd'hui, ne pourraient plus paraître.
29:28Vous avez aussi fait beaucoup de sélection littéraire dans votre ouvrage.
29:33Alors j'ai voulu, ça aussi c'est une forme de méthodologie. J'ai choisi de faire un ouvrage qui est quand même, on va dire de référence pour utiliser un mot simple, dans le sens qu'il est classé par artiste.
29:47On commence en 1785 avec M. Schellenberg et puis on va jusqu'en 1966 avec M. Grishaber et on reproduit des planches, on fait un commentaire, on donne une bibliographie, on fait une partie technique sur la technique utilisée, les formats, que ce soit un livre sérieux.
30:03Et j'ai craint à un moment que, je ne veux pas dire la lecture parce qu'il ne se lit pas, mais que sa consultation puisse être quelque peu lassante.
30:14Alors j'ai entrelardé cette succession de 104 dossiers par 11 focus qui sont thématiques, parce que je voulais montrer que la modernité est le fil conducteur du silence macabre.
30:28Et j'ai cherché donc les éléments de modernité que sont le train, l'avion, les navires à vapeur, la bicyclette, l'automobile, le jeu, le suicide.
30:42Enfin tous ces éléments qui me semblaient plus modernes que ceux qui figuraient dans les danses macabres anciennes.
30:49Et pour montrer que je ne trompe pas mon lecteur, si dans le texte c'est possible, j'ai cherché dans la littérature qui correspond exactement à la date de publication de ces danses macabres, des textes littéraires correspondants.
31:07Donc pour certains d'entre eux c'est facile, si c'est sur le joueur, vous lisez Tudor Stoyevski, vous trouvez des extraits.
31:15Mais c'est mettre en regard ces extraits de littérature qui étaient lus par les gens, et montrer que oui, il y a une légitimité à les estimer comme étant des éléments de la modernité.
31:30Pour le train, tout le monde connaît les textes de Zola dans La bête humaine, lorsque le train, vous vous souvenez de ce train qui part tout seul sans conducteur à la fin du roman, chargé de militaires, et on sent la France qui va au désastre.
31:44C'est des textes qui sont très très forts.
31:48Alors je me suis aussi amusé à aller rechercher les textes classiques de la littérature fin de siècle, les poèmes de Rollina, il y a des choses assez space quand même.
32:00Mais c'est toujours dans le souhait de montrer que ça n'est pas qu'une idée à moi cette affaire, je m'assieds sur de la réalité tangible du matériel littéraire.
32:15Vers la fin, il y a aussi des allusions à la guerre de Corée, aux conflits nucléaires.
32:21Bien sûr, les conflits interviennent fortement.
32:27J'ai trouvé au musée d'art et d'histoire du judaïsme une planche d'un dénommé Pins, qui était prof de gravure en Israël, qui a fait en 44 une planche qui est une danse macabre.
32:43La danse macabre, par définition, elle n'est pas dans l'univers juif.
32:48Donc il crée une danse macabre qui montre autour d'une scène qui représente l'apocalypse, il fait une série d'à peu près dix ou douze vignettes qui encadrent son propos.
33:01Mais elle est très poignante, elle est très poignante.
33:05Et j'ai trouvé, alors il y a une série d'un photographe qui s'appelle Kesting qui était à Dresde au moment des bombardements de Dresde.
33:15Vous vous souvenez que Dresde a été bombardée par les Anglais, notamment, de façon relativement...
33:22Enfin c'est leur Hiroshima à eux, c'est essayer de montrer que le climat qu'on va pouvoir vaincre l'Allemagne en s'attaquant aux civils.
33:30Dresde n'était absolument pas un nœud militaire.
33:33Il n'y avait pas un soldat, il n'y avait que des hôpitaux, des bibliothèques, des musées et des endroits de culture.
33:38Et ça a été rasé par les Britanniques pour créer un électrochoc et faire que la population ne défende plus le Grand Reich avec...
33:47Vous vous souvenez qu'on envoyait des soldats, ils avaient 12 ans, et puis des gens âgés pour aller attaquer les chars russes.
33:55Donc pour casser ce moral-là, les Anglais ont bombardé.
33:59Mais enfin, la destruction a été absolue.
34:01Alors on ne sait pas chiffrer exactement le nombre de morts qu'il y a eu à Dresde.
34:04Les plus militants, si j'ose dire, vont dire qu'il y a eu 300 000 victimes.
34:11D'autres historiens tournicotent plutôt vers 120 000 victimes.
34:15On ne sait pas exactement.
34:16Mais enfin, lui, il fait une danse macabre en photographiant des squelettes dans l'intégralité des monuments détruits de Dresde.
34:26Elle est poignante, cette danse macabre.
34:28Elle est très belle.
34:29Enfin très belle, oui, mais elle est poignante.
34:34De nos jours, même si vous ne faites pas le tome 2, vous trouvez des danses macabres ?
34:38Oui, je vous ai dit, j'en ai trouvé une en 1924.
34:44J'ai cité celles de Tom Higgler.
34:45J'en ai trouvé de cartoonistes américains, anglais.
34:51Vous savez, c'est comme quand vous cherchez les voitures rouges, vous les envoyez tout le temps.
34:57Moi, c'est pareil.
34:58J'en ai trouvé partout, dans tout mon parcours.
35:03Et j'ai l'œil vif encore pour en trouver.
35:05La difficulté de les introduire, c'est pour ça aussi que je me suis arrêté en 1966, c'est qu'il faut quand même attendre un peu que le temps passe.
35:13Il faut laisser à un plus jeune le soin de faire ce travail méthodique pour n'en pas louper.
35:21Alors, l'outil Internet, oui, il est fabuleux pour ça.
35:25On travaille plus facilement.
35:29Le sourcing est plus aisé aujourd'hui qu'il l'était en 1950.
35:34C'est une certitude.
35:35Donc, je ne pense pas.
35:37Je sais que j'en ai loupé deux dans ce corpus.
35:40Je ne vous dirai pas lesquels.
35:41Je sais que j'en ai loupé deux, mais c'est quand même l'effet du hasard.
35:45L'outil peut être assez performant pour trouver des...
35:51Donc, s'attaquer à la façon dont on les a traités jusqu'à aujourd'hui.
35:55Le bornage aujourd'hui n'est pas facile à faire.
35:57Je m'arrête en 2024, en 2025, c'est pas très évident.
36:01Donc, c'est pour ça que j'ai préféré m'arrêter en 1966.
36:04Devenez un artiste préféré.
36:06Oui, oui, oui.
36:07J'aime beaucoup.
36:08J'aime beaucoup, beaucoup, beaucoup un dessinateur qui a beaucoup d'amateurs, qui s'appelle Lucien Laforge.
36:17Qui est...
36:19C'est un peu comme Tommy Hengor.
36:21Tommy Hengor, il a fait tout à la fois des dessins pour enfants.
36:24Vous savez, vous avez...
36:26Si vous êtes parent, vous avez lu à vos enfants les Trois Brigands.
36:29Tous.
36:30Bon.
36:31Tommy, il faisait des livres pour enfants.
36:33Il faisait ce qu'on appelle des Liederbuch, c'est-à-dire des recueils.
36:37Il illustrait des recueils de chansons publiées notamment en Allemagne.
36:41Et à côté de ça, il a fait des dessins fustigeant la bourgeoisie américaine,
36:47parce qu'il avait vécu à New York un temps, qui sont d'une méchanceté totale.
36:52Laforge, qui est mon petit préféré, c'est un peu la même histoire.
36:56Il a fait une édition en 24 à la sirène des Contes de Perrault, qui est sublime.
37:01Il a fait un abécédaire, qui est merveilleux, en couleur.
37:05Et il a fait aux éditions Lutetia, qui était Boulevard Raspail,
37:10une danse macabre, qui est un hommage à Holbein, et qui est très très belle.
37:14Voilà, c'est celle-là.
37:19Donc celle-là s'appelle La mort et l'aveugle.
37:21Elle est toute mignonne.
37:23Donc voilà, mon petit bébé préféré, c'est lui.
37:27Alors, ce sont des livres qui ne sont pas faciles à trouver,
37:29parce que Laforge a beaucoup de...
37:33Beaucoup de gens collectionnent Laforge,
37:35parce qu'il y a des images en couleur qui sont...
37:37L'abécédaire de Laforge passe en vente à des prix inimaginables.
37:40Ce sont de très très beaux livres.
37:42Voilà, mon petit préféré.
37:45Vous avez des questions ?
37:50Pour moi, c'est plutôt une remarque.
37:52Vous parliez de la grande violence.
37:54Effectivement, dans ce marquage, c'est ce qu'on voit en premier,
37:58mais il y a quand même un humour dévastateur.
38:00Bien sûr !
38:01La mort décanne, la mort ironise.
38:03Enfin, on est quand même toujours...
38:05On est toujours sur la lune de crête.
38:07Un humour noir décapant.
38:09Mais bien sûr. Mais de toute façon,
38:11la mort, c'est comme la sexualité.
38:14Si la nature n'avait pas conçu l'érotisme,
38:21personne ne ferait l'amour.
38:24Et donc, il n'y aurait pas d'enfant.
38:26Donc, c'est une domination.
38:28Ce n'est pas quelque chose...
38:30Ce n'est pas libre par rapport à une sexualité.
38:32On l'a subi.
38:34Donc, c'est normal qu'il y ait des histoires drôles sur la sexualité
38:38pour se défaire de cette affaire-là.
38:40La mort, c'est pareil.
38:42Comme vous n'y pouvez rien.
38:44Moi-même, je pense mourir un jour.
38:46Quand, je ne sais pas.
38:47Mais je pense mourir un jour.
38:49Donc, pour vivre avec cette idée de tous les jours,
38:52il n'y a qu'une seule solution, c'est d'en rire.
38:54Et les danses macabres, elles font ça.
38:57Dis-toi.
38:58Madame, pardon.
39:00Est-ce qu'on peut rapprocher ces représentations des mystères ?
39:04Bien sûr.
39:05Parce que, on a...
39:06Ça aurait été trop long.
39:08A l'origine,
39:10si ça s'appelle danses macabres,
39:12ce n'est pas pour rien.
39:13Ce n'est pas à cause de la farandole.
39:15C'est parce qu'au Moyen-Âge,
39:16c'était représenté comme des mystères.
39:18Et en Allemagne, au XIXe,
39:21il y a eu des nouvelles représentations.
39:23Il y a eu une continuité.
39:25Le mystère était représenté sur le parvis de l'église,
39:28avec la mort au milieu,
39:30et autour, c'est pour ça que ça s'appelle danses,
39:32une ronde de personnages.
39:34Et la mort vient,
39:36mais sous la forme d'un théâtre.
39:38La mort vient interroger chaque personnage,
39:41et elle lui dit que c'est son tour de mourir.
39:43Donc, c'est une certitude.
39:45Après, les historiens,
39:47et là, je ne suis pas assez calé, moi,
39:49pour avoir une opinion,
39:51se posent la question de savoir d'où elle vient,
39:53cette danse macabre.
39:54On pense qu'elle vient du monde musulman,
39:57et qu'elle aurait transité par l'Espagne,
40:00comme beaucoup de choses,
40:02pour arriver en Europe.
40:04Mais cette représentation
40:06d'une danse macabre physique
40:09était très classique.
40:11Et j'ai montré dans la préface
40:14une peinture un peu naïve
40:18qui représente encore une danse macabre
40:20faite comme ça, à la fin du XIXe,
40:22où un peintre montre qu'il a vu
40:24des danses macabres se faire de cette façon-là,
40:26dans son patelin,
40:28dans la Bretagne profonde.
40:30Voilà.
40:32Oui, oui.
40:34Oui, bien sûr.
40:36Bien sûr.
40:38Bien sûr.
40:40Parce que là, aussi,
40:42il faut se souvenir toujours que,
40:44nous, on a une conception de la mort,
40:46la mort parfaite, c'est celle qui est immédiate.
40:48On rêve, moi, vous, je ne sais pas,
40:50on rêve, je vais dire tous,
40:52de mourir d'un accident rapide.
40:54Tac, c'est fini.
40:56AVC, infarctus, voilà.
40:58Enfin, on rêve.
41:00Non, pas vous.
41:04Au Moyen-Âge, ce n'est pas comme ça du tout.
41:06La bonne mort au Moyen-Âge
41:08est celle que l'on prépare.
41:12Et on se met en conformité
41:14avec ses amis, on vient vous visiter.
41:16D'où l'immense succès
41:18des ouvrages
41:20qui font des succès de librairies.
41:22L'écume des pages
41:24au XVe siècle
41:26vivait de la vente
41:28de livres qui préparaient à bien mourir.
41:32L'angoisse, pour un chevalier,
41:34c'est de mourir au combat.
41:36Donc l'Église, à un moment,
41:38les chevaliers ont dit, nous, à la croisade,
41:40on n'y va plus, parce qu'on risque
41:42de mourir n'importe quand.
41:44Donc l'Église dit, ça ne fait rien,
41:46on va vous faire un petit passeport
41:48avec le bon Dieu,
41:50c'est-à-dire qu'on vous donne
41:52l'absolution avant.
41:54Comme ça, si vous mourrez en combat,
41:56même chose dans les tournois,
41:58même chose, l'angoisse absolue
42:00pour un homme du Moyen-Âge,
42:02c'est de mourir au bordel.
42:04Parce que ça, c'est péché suprême.
42:06Il ne peut pas mettre sa conscience
42:08en harmonie
42:10avec
42:12le fait
42:14d'être en sainteté
42:16par rapport à son éventuelle résurrection.
42:18Puisqu'une danse macabre
42:20au Moyen-Âge s'achève toujours
42:22par une scène de résurrection.
42:24Celle de Holbein, 1538.
42:26Première image, Adam et Ève.
42:28Dernière image, la résurrection.
42:30Et au milieu, la cohorte de personnages.
42:40Oui, tout à fait.
42:44Oui, tout à fait cousin.
42:52Non.
42:54Alors, au XIXe,
42:56les libraires,
42:58notamment un libraire à Rouen,
43:00s'emparent de ce sujet.
43:02Donc on trouve des éditions
43:04savantes, dudit
43:06des Trois Morts et des Trois Vifs,
43:08de la même façon qu'on trouve la danse macabre des femmes,
43:10facilement reproduites.
43:12Mais je n'ai pas trouvé...
43:14C'est comme si le combat était ailleurs,
43:16au XIXe.
43:18Je n'ai pas trouvé
43:20de reprise.
43:22Mais parce qu'aussi, le dit des Trois Vifs
43:24et des Trois Morts,
43:26c'est de la littérature.
43:28Il n'y a pas d'image.
43:30Enfin, s'il y aura des images.
43:32Mais il n'y a pas d'image à l'origine.
43:34Madame ?
43:36Est-ce qu'on peut dire
43:38qu'un éloignement de la mort au fil du temps
43:40la rend moins facilement
43:42abordable ?
43:44Vous voulez dire
43:46aujourd'hui ?
43:48C'est-à-dire que dans nos sociétés, maintenant,
43:50la mort est prise à distance.
43:52Oui, tout à fait.
43:54On avait des abattoirs dans les villes.
43:56On était plus proche de la mort.
43:58On accompagnait des délégués funéraires
44:00qui travaillaient.
44:02On avait un temps consacré à la mort.
44:04Et même le veuil,
44:06qui est beaucoup plus long,
44:08tout ça a beaucoup changé.
44:10Nous sommes tellement liés
44:12à la proximité de la mort.
44:14Moi, j'ai rapproché
44:16sa réunion
44:18entre ses danses
44:20et ses représentations, et la proximité de la mort.
44:22Bien sûr.
44:24Mais si je voulais trouver
44:26un contre-exemple,
44:28en 1950,
44:30j'ai trouvé plein de danses macabres,
44:32alors que la distance avec la mort,
44:34elle existe déjà.
44:36Sauf qu'il y a eu la guerre.
44:38Sauf qu'il y a eu la guerre, oui.
44:40Mais l'angoisse de la mort, vous citiez...
44:42J'ai trouvé trois artistes qui font des danses macabres
44:44qui sont totalement liées
44:46au risque de conflit nucléaire
44:48après la guerre de Corée.
44:50C'est...
44:52On représente la mort, quoi.
44:54Qui, elle, devient alors totale, quoi,
44:56puisque c'est assez facile de lancer une bombe.
44:58Et voilà.
45:00Mais...
45:02Moi, j'ai été étonné
45:04avec ce livre,
45:06pas de son succès, parce que
45:08c'est pas ça, mais...
45:10C'est toujours compliqué
45:12de faire des livres comme ça, parce qu'ils sont très chers
45:14à faire.
45:16Il a eu un succès auprès des libraires
45:18qui l'ont pris
45:20à ce qu'on appelle l'office,
45:22que je n'imaginais pas.
45:24C'est-à-dire qu'il a fallu à un moment fixer un chiffre de tirage,
45:26donc on en a fait 1200,
45:28ce qui est beaucoup et pas beaucoup.
45:30Il ne sera pas réimprimé,
45:32parce qu'on n'a pas les sous pour le faire.
45:34Et...
45:36Non, mais c'est pas pour ça que je le disais.
45:38C'est quand même étonnant.
45:40Et ce que je veux dire, c'est qu'il y a...
45:42Et mon éditeur,
45:44pas moi, voit dans ce qu'on appelle
45:46les réasseurs, donc les commandes
45:48de livres chez les libraires
45:50qui l'avaient déjà pris à l'office,
45:52qui sont plutôt importants,
45:54ce qui montre qu'à priori, les libraires ont vendu
45:56les premiers. Donc il y a
45:58un public pour ça,
46:00pour cet intérêt.
46:02Parce que c'est un livre qui est, pour moi, intéressant
46:04parce qu'il traite d'images graphiques.
46:06Moi, j'aime beaucoup la graveur,
46:08j'aime beaucoup les images,
46:10donc il y a déjà un intérêt technique.
46:12Mais ensuite, il y a
46:14un intérêt pour le sujet
46:16qu'on n'en démord pas.
46:18Rappelez-vous des succès
46:20colossaux en librairie
46:22aux êtres jeunes.
46:24Du bouquin de Vauvel
46:26sur la mort, ou du bouquin
46:28de Solidariès.
46:30C'est incroyable.
46:32Alors que ce ne sont pas des livres faciles,
46:34ça ne se lit pas comme ça, ça se lit
46:36le crayon à la main et en se disant
46:38qu'est-ce qu'il dit, etc.
46:40Ces thématiques ont une résonance
46:42et ce qui me plaisait,
46:44c'est de trouver leur résonance graphique.
46:46C'est vrai que vous touchez quelque chose
46:48de sensible.
46:50Oui, sensible.
46:56J'ai fait ce dernier chapitre
46:58sur les danses macabres Bonnert.
47:00J'ai un ami en Alsace
47:02qui s'appelle Bonnert
47:04qui en a fait une
47:06avec cinq planches
47:08qui est parue il y a un an.
47:10On l'aime ou on ne l'aime pas,
47:12elle est très nouvelle.
47:14Elle est très novatrice
47:16et qui part dans sa danse macabre
47:18de tous les éléments qui ont
47:20provoqué des morts
47:22en grand nombre.
47:24La Kalchikov,
47:26le Zyklon B, etc.
47:30Et il l'appelle danse macabre.
47:32Le nombre de romans policiers,
47:34à un moment je voulais faire les gardes
47:36de l'ouvrage en représentant
47:38des couvertures d'ouvrages
47:40qui s'appellent danse macabre.
47:42Si vous tapez sur Amazon
47:44ou sur Rakuten
47:46ou sur tous les vendeurs de bouquins
47:48d'occasion, vous tapez danse macabre,
47:50vous en avez des floppés.
47:52Des S.A.S.
47:54Il y en a un qui s'appelle
47:56danse macabre en Bulgarie.
48:00Pourquoi danse macabre ?
48:02Il y a des morts comme dans tous les S.A.S.
48:04Mais pourquoi danse macabre ?
48:06C'est un titre qui fonctionne.
48:08C'est un titre qui fonctionne.
48:10J'ai fait une radio ce matin
48:12sur Radio Aligre.
48:14Je leur ai demandé de passer
48:16la version de
48:18Saint-Saëns
48:20qui date de
48:221072 de mémoire.
48:24La version courte,
48:26c'est-à-dire piano et chanté.
48:28Avec le poème de Casalys.
48:30Casalys est connu que grâce à Camille Saint-Saëns.
48:32Sinon ce serait un poète
48:34juste pour les universitaires.
48:36Cette musique a eu un succès
48:38européen et mondial.
48:40On en a fait tout de suite
48:42une version pour piano
48:44pour que ça puisse être joué
48:46dans les salons.
48:48C'est l'usage au XIXe.
48:50Un succès
48:52qu'on n'imagine pas.
48:54Elle est très belle.
48:56Avec cette phrase de Casalys,
48:58le poème s'arrête, part
49:00et vive la mort et l'égalité.
49:02Tout est dit.
49:04Tout est dit.
49:06Ce sont ces belles paroles.
49:10Merci d'être venu
49:12écouter cette vidéo.

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