9 millions de personnes en France vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, selon l’Insee. Soit un million de plus par rapport à 2008. Le collectif Alerte porte un plaidoyer pour mettre le gouvernement en garde contre cette situation. Quels moyens et quelles mesures peuvent être avancés par l’État pour lutter efficacement contre la pauvreté ?
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00...
00:06On parle de lutte contre la pauvreté
00:08dans notre débat avec Valérie Fayard.
00:10Bienvenue. Vous êtes la présidente de La Cloche.
00:13Noam Léandri, bonjour.
00:14Le président d'Alerte.
00:16On va présenter vos organisations, associations respectives.
00:19La Cloche, en quelques mots ?
00:21C'est une association qui a été créée
00:23pour lutter contre la pauvreté en agissant sur la question
00:26de l'isolement et du lien social.
00:28La pauvreté, c'est plein de choses.
00:30C'est la pauvreté monétaire et financière,
00:32mais c'est aussi, et de plus en plus,
00:35la question de l'isolement des personnes en précarité,
00:38du regard que la société porte sur ces personnes.
00:41C'est dramatique.
00:42Ca a des effets délétères et des effets, évidemment, sociaux,
00:46des effets démocratiques, on le voit en ce moment.
00:49L'idée de La Cloche a été créée il y a 10 ans.
00:52Comment, sur les territoires, on peut recréer du lien,
00:55de la solidarité entre les personnes ?
00:57Souvent, quand vous voyez des gens en précarité,
01:00vous vous demandez ce que vous pourriez faire.
01:02Nous, on amène des solutions.
01:04D'une part, les commerçants,
01:06comment créer un réseau de commerçants solidaires
01:09qui offrent des produits et services à des personnes en précarité.
01:13Il y a 1 200 commerçants dans les 10 villes où nous sommes
01:16qui rentrent dans ce réseau carillon.
01:18Organiser des événements pour que les gens se rencontrent,
01:21des karaokés, des ateliers cuisine, des ateliers jardinage.
01:25C'est l'objectif de La Cloche.
01:27Et Alerte ?
01:28Le collectif Alerte a 30 ans.
01:30Il réunit 37 associations, aujourd'hui, nationales.
01:33Par exemple, La Cloche,
01:34vous avez aussi le Secours catholique, Emmaüs,
01:37Médecins du monde, la Ligue des droits de l'homme.
01:40Notre rôle, c'est du plaidoyer, d'alerter les pouvoirs publics,
01:43les habitants, les citoyens sur les enjeux de pauvreté,
01:46des luttes contre l'exclusion.
01:48Aujourd'hui, on porte un plaidoyer très fort
01:51avec une campagne de communication,
01:53dans les gares, dans les abribus,
01:56pour alerter, justement, sur cet enjeu de pauvreté
01:59qui s'ancre dans le temps.
02:00Vous pouvez parfois, malheureusement,
02:03hériter de la pauvreté car les familles pauvres
02:05créent parfois des adultes pauvres.
02:07On veut lutter contre la pauvreté à la racine.
02:11Aujourd'hui, on porte ce plaidoyer.
02:13Je vais vous en dire plus tout à l'heure.
02:15On va expliquer tout ça.
02:16Déjà, on peut donner quelques chiffres.
02:19C'est l'INSEE, en 2022,
02:20qui donne le chiffre de plus de 9,9 millions
02:23en situation de pauvreté en France,
02:25près de 5 millions en situation de grande pauvreté.
02:27Est-ce qu'ils se sont aggravés, Noam Léandri, ces chiffres ?
02:31Ou est-ce qu'il y a une stabilité de la pauvreté dans notre pays ?
02:34Ce qu'on constate, malheureusement,
02:36c'est qu'en 2008, il y avait une loi pour lutter contre la pauvreté
02:40qui créait le revenu de solidarité active,
02:42qui disait que c'était une priorité nationale.
02:45Depuis 2008, la pauvreté a augmenté.
02:48On est passé de 7 millions de personnes
02:50à, aujourd'hui, 9 millions de personnes
02:52sous le seuil de pauvreté officielle mesurée par l'INSEE.
02:55Ca fait maintenant 20 ans, à peu près,
02:58qu'on voit cette courbe, malheureusement,
03:00augmenter chaque année.
03:01On a le sentiment que les réponses
03:03qui sont apportées aujourd'hui par l'Etat,
03:06par les collectivités,
03:07qui sont des acteurs, notamment les départements,
03:10ne permettent pas de réduire cette pauvreté.
03:12C'est ça qui nous inquiète.
03:14C'est pour ça qu'on veut pousser le gouvernement
03:16à réduire plus rapidement.
03:18On lui rappelle que dans une loi adoptée en 2008,
03:21il y a une obligation pour l'Etat
03:23de se doter d'un objectif de réduction de la pauvreté.
03:26Malheureusement, il n'est plus adopté.
03:29Aujourd'hui, on dit qu'on va prendre des mesures.
03:31Il y a des plans de lutte contre la pauvreté
03:34qui sont présentés tous les 5 ans.
03:36Plein de mesures extrêmement intéressantes,
03:38mais ça ne réduit pas la pauvreté.
03:40Il y a un problème.
03:41On n'a pas réussi à trouver la martingale
03:44ou à vouloir mettre les moyens,
03:46les moyens suffisants pour lutter contre la pauvreté.
03:49Vous le ressentez, à la dimension d'une association
03:52comme La Cloche, l'aggravation de la pauvreté en France ?
03:55Oui, absolument.
03:56On ressent à la fois l'aggravation, la complexification,
03:59la diversification des visages de la pauvreté.
04:02C'est-à-dire que par rapport à il y a 30 ou 40 ans,
04:05où on voyait des gens à la rue, c'était plutôt des hommes de 40 ans
04:08qui avaient eu un accident de vie,
04:10aujourd'hui, on a des publics avec beaucoup de femmes,
04:14de familles monoparentales, de jeunes, d'enfants.
04:16Il y a 6 000 enfants en France tous les soirs qui dorment à la rue.
04:20C'est un scandale.
04:21Les visages de la pauvreté se sont complexifiés,
04:24ce qui veut dire que les réponses à apporter
04:27doivent être plus subtiles, plus complexes,
04:29avec un accompagnement plus important.
04:31Pour nous, qui agissons sur le terrain tous les jours,
04:34c'est compliqué, on ne peut pas avoir une seule réponse.
04:37Mais quand on voit qu'il y a des femmes avec des enfants
04:40qui dorment à la rue tous les jours et que tout le monde s'en fout,
04:44c'est pour ça qu'on a voulu faire cette campagne.
04:46C'est pas normal que dans notre pays,
04:489 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté.
04:52En 20 ans, les 500 plus grandes fortunes de France
04:54ont vu leur patrimoine multiplié par 10,
04:57mais ça n'a rien à voir.
04:58Les deux sujets n'ont rien à voir.
05:00On est là en train de dire que c'est pas possible.
05:03Nous, qui, tous les jours, sommes sur le terrain
05:05ou qui regroupons des associations qui agissent tous les jours,
05:09ça n'est pas possible, cette espèce de...
05:11Oui, c'est ça,
05:12de ne pas vouloir se battre contre la pauvreté.
05:15Vous dénoncez la campagne.
05:17On va voir les visuels de cette campagne d'affichage.
05:19C'est la fatalité de la pauvreté que vous dénoncez.
05:22Le fait que, finalement, on a ce sentiment
05:25qu'un ascenseur social ne fonctionne plus,
05:27c'est pas nouveau dans notre pays.
05:29Je pense, par exemple, à l'ASE, l'aide sociale à l'enfance,
05:32cette espèce de cercle vicieux
05:34du fait qu'on retrouve parmi les personnes sans domicile fixe
05:38une personne sur deux est passée par l'ASE.
05:41Donc, ce sentiment
05:43qu'on est condamné à être pauvre.
05:47Quel levier vous attendez de voir activé aujourd'hui ?
05:51On peut dire qu'on va mettre plus d'argent, mais bon...
05:54Déjà, un, comme vous venez de le dire parfaitement,
05:57il y a une forme de résignation.
05:58On ne veut pas que les Français se résignent.
06:01Il y a une fatalité.
06:02La pauvreté s'ancre dans le temps, comme c'est le cas aujourd'hui.
06:06Il faut être prêt à se dire qu'on peut agir.
06:08Arrêtons avec cette fatalité, ce fatalisme, cette résignation.
06:12Il se passe plein de choses, comme avec la cloche.
06:14Sur le terrain, on voit les commerçants se mobiliser,
06:17les acteurs de quartier, associatifs, etc.
06:19Vous avez mené une enquête sur les coûts cachés de la pauvreté.
06:23C'est un bon argument pour mobiliser
06:26les acteurs publics, Etats ou collectivités.
06:28Tout à fait. On en est arrivé à devoir montrer les coûts de la pauvreté.
06:32Aujourd'hui, on n'arrive plus à toucher au cœur les pouvoirs publics,
06:36qu'il faut les toucher au portefeuille.
06:38Ce qu'on montre dans ce rapport qu'on a publié à l'automne,
06:42c'est qu'il y a un coût caché de la pauvreté,
06:4457 milliards d'euros de coûts qui ne sont pas des coûts directs.
06:48On lutte contre la pauvreté avec des minimas sociaux,
06:51des actions, des financements d'associations, etc.
06:53Mais il y a un panel de coûts cachés sur la mauvaise santé,
06:57sur l'échec scolaire, sur la récidive en prison,
07:00également sur la privation d'emploi.
07:03Tout ça représente 57 milliards d'euros de coûts
07:06sur les dépenses publiques qu'on pourrait économiser
07:09si on investissait 9 milliards d'euros par an
07:12pour réduire véritablement la pauvreté,
07:14que ce soit par de l'emploi aidé,
07:16par des minimas sociaux revalorisés
07:18pour que les gens ne soient pas obligés d'aller faire la queue.
07:22Si on vous invite, c'est pour ça.
07:24Mais il y a déjà 56 % du PIB national qui sont des dépenses publiques
07:27et on est à 3 300 milliards de dettes.
07:29Ce n'est pas une histoire d'efficacité de la dépense publique
07:32et de mettre encore de l'argent en plus.
07:35Dans cette dépense publique, qui est un chiffre important,
07:38il y a deux grandes dépenses.
07:40Premièrement, les retraites, c'est un quart de la dépense publique.
07:43Et l'éducation, qui est gratuite en France.
07:46Donc, effectivement, il y a une partie des dépenses
07:49qu'on ne va pas pouvoir réduire.
07:51On met la pression sur les plus modestes,
07:53ceux qu'on pourrait faire sortir de la pauvreté, de la misère.
07:56Il ne faudrait pas que ce soit les plus pauvres
07:59qui payent pour le reste de la population.
08:01Aujourd'hui, on a besoin de cohésion sociale.
08:04Sans ça, à quoi sert de défendre notre modèle français ?
08:07A quoi sert d'avoir une armée pour défendre notre pays
08:10si on n'a pas la capacité de défendre les plus modestes
08:13ou d'aider ceux qu'on a le plus besoin ?
08:16Je pense qu'il faut savoir ce qu'on veut,
08:18comme au bas de chez nous, devant notre porte.
08:21Quand on ouvre la porte en bas de chez soi,
08:23qu'est-ce qu'on voit ?
08:24Des personnes malheureusement à la rue ?
08:27Comme le disait Valéry, des milliers d'enfants dormant à la rue,
08:30c'est inacceptable.
08:31Quand vous croisiez avant une famille
08:33avec des enfants à la rue,
08:35il était inacceptable qu'ils puissent finir la soirée
08:38dans la rue.
08:39Il y avait une solution de secours.
08:41Aujourd'hui, ça paraît normal et c'est anormal.
08:45Il y a une initiative transpartisane au Parlement
08:48qui est en cours pour cette question des enfants à la rue.
08:51Je voudrais revenir sur cette idée de coup caché.
08:54Peut-être on peut inverser la logique,
08:57Valérie Raffaie-Rassard,
08:58se dire, quelqu'un qu'on sort de la pauvreté,
09:01qu'est-ce qu'il rapporte à notre société, à notre économie ?
09:05D'abord, avant de sortir de la pauvreté,
09:07le Secours catholique a fait une étude l'année dernière
09:10sur ce qu'apporte à la société les gens qui sont des charges.
09:14Il y a tout ce discours, cette pauvrophobie,
09:16ce discours sur les pauvres,
09:18si tu es pauvre, c'est de ta faute,
09:20on va t'obliger à faire 15h si t'es au RSA.
09:23Tout ce discours est dramatique.
09:24Le Secours catholique a fait une étude
09:27qui démontrait ce qu'apportait à la société
09:29par les petits boulots, le bénévolat,
09:31par plein de choses, les personnes en situation de pauvreté.
09:35Une fois qu'elles sortent de la situation de pauvreté,
09:38bien évidemment, on est sur de la monnaie sonnante,
09:41elles deviennent plus consommateurs.
09:43Si elles consomment, elles font marcher la machine à la croissance.
09:47On revient sur la question de la santé.
09:49Elles ont un problème de santé, elles consomment,
09:52elles payent de la TVA,
09:53elles ont retrouvé un emploi,
09:55des cotisations sociales patronales et sociales sont payées.
09:58Ca rentre dans notre étude, effectivement,
10:00la question des recettes aussi potentielles
10:03qu'on n'a pas aujourd'hui avec la pauvreté.
10:05C'est tout ça qui fait qu'à la sortie,
10:07si on investissait 9 milliards d'euros par an
10:10dans la lutte contre la pauvreté,
10:12ça serait neutre en termes de finances publiques.
10:14Les dépenses publiques sont trop élevées,
10:17mais il y a aussi les recettes, on n'en parle jamais.
10:20La question de la fiscalité,
10:21la réforme de la fiscalité, l'évasion fiscale.
10:24Combien... ?
10:25L'évasion fiscale, luttons contre l'évasion fiscale.
10:28La pression fiscale, on n'est pas les derniers en Europe.
10:31La pression fiscale sur les entreprises,
10:33elle peut...
10:34Je ne serais pas d'accord avec vous là-dessus.
10:37Les entreprises françaises souffrent encore
10:39d'un poids des charges trop important.
10:41C'est pour ça que les salaires sont bas.
10:44On ne va pas refaire tout ce débat,
10:46mais pointer du doigt les entreprises,
10:48c'est facile.
10:49Il y a peut-être quelque chose à revoir
10:51sur le plan des rentrées fiscales,
10:53et des mesures qui ont été prises dans les dernières années
10:56qui ne sont pas forcément productives.
10:58Les aides apportées aux entreprises
11:01pour l'emploi sont sans aucune condition.
11:03Nous, c'est les associations,
11:05quand on fait de l'insertion par l'activité économique,
11:08mon Dieu, le reporting qu'on doit faire,
11:10les preuves qu'on doit apporter,
11:12il faut deux ETP pour fournir les rapports.
11:14On nous demande des tas de choses.
11:17Vous inquiétez pas.
11:18Je voudrais qu'on termine sur le non-recours aux droits.
11:22Je pense que c'est effectivement très important.
11:24Je crois avoir vu passer ces dernières années
11:27une promesse gouvernementale, là aussi,
11:29pour faire en sorte que les Français
11:31qui ont potentiellement des aides
11:33puissent les avoir automatiquement.
11:35On en est où ?
11:36C'est ce que le président de la République
11:38a annoncé comme la solidarité à la source.
11:41Comme pour l'impôt sur le revenu,
11:43ça doit être automatiquement versé
11:45chaque mois aux allocataires
11:47de différentes prestations sociales.
11:49On en est encore loin.
11:50Une première étape a été franchie.
11:52Les formulaires seront pré-remplis.
11:54Il y a 20 ans, pour l'impôt sur le revenu,
11:56les formulaires étaient pré-remplis.
11:58Sur les prestations sociales, ça avance.
12:01On voudrait une forme d'automaticité plus importante.
12:04Il y a 50 % de non-recours sur le minimum vieillesse.
12:07Il y a un million de personnes âgées
12:09qui sont pauvres et qui pourraient ne pas l'être
12:11si on leur versait ce minimum vieillesse.
12:14Il y a des choses à faire plus intelligentes.
12:16C'est pour ça qu'on va écrire au Premier ministre
12:19tout de suite, en sortant de ce studio.
12:21Je mets le courrier à l'attention de François Bayrou
12:24pour lui rappeler qu'il y a une obligation dans la loi.
12:27Il faut se doter d'un objectif de réduction de la pauvreté.
12:30Il n'y en a pas eu depuis 2011.
12:32On va lui rappeler ses obligations.
12:34Merci à vous.
12:35On passe à notre rubrique, Startup, tout de suite.