Il y a 150 ans, les députés, réunis dans l'Opéra royal du Château de Versailles, votaient les lois constitutionnelles qui allaient durablement installer la République en France. Un événement fondateur qui doit beaucoup à un député du Nord, Henri Wallon, dont l'amendement, resté célèbre pour avoir été voté à une voix près, a changé l'histoire...
Avec Bruno Fuligni, écrivain et historien.
Avec Bruno Fuligni, écrivain et historien.
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00:11Ce sont quelques lignes griffonnées sur un papier.
00:15Un brouillon qui a changé l'histoire.
00:19Nous sommes à Versailles en 1875.
00:22Un homme en quelques mots
00:24va installer la République en France.
00:27C'est l'histoire de l'amendement Vallon.
00:32Nous sommes à l'opéra du château de Versailles,
00:34une salle de spectacle d'Ancien Régime
00:37avec tous les ornements de la monarchie.
00:39C'est dans cette salle que siégeait Henri Vallon
00:42et ses collègues au moment où ils ont voté
00:45le fameux amendement Vallon, le 30 janvier 1875.
00:49Bien sûr, la salle a été transformée à l'époque
00:52pour accueillir plus de 700 représentants du peuple.
00:55La France est alors à la croisée des chemins.
00:59Pour les députés républicains dont Henri Vallon,
01:02rien n'est encore gagné.
01:04En janvier 1875, la France est censément en république,
01:08mais avec une majorité monarchiste.
01:11La République est proclamée à Paris dès le 4 septembre 1870,
01:15mais c'est une simple proclamation.
01:17Il n'y a pas d'institution durable.
01:20Il y a environ 400 monarchistes pour 200 républicains,
01:24mais les monarchistes ne réussissent pas
01:26à faire approuver la restauration de la monarchie.
01:29Donc il faut bien organiser le provisoire,
01:32mais sauter le pas vers la République, c'est difficile.
01:35Donc il y a des débats autour de lois constitutionnelles
01:38pour doter le pays d'institutions.
01:40Et tout l'enjeu est de savoir si ces institutions
01:43seront clairement républicaines ou pas.
01:46L'homme qui va convaincre cette assemblée rétive
01:49de préférer la République
01:51n'est ni une figure célèbre ni un grand orateur.
01:54C'est un député du Nord, historien de profession,
01:58dont les atouts sont ailleurs.
02:00Henri Vallon a un positionnement politique un petit peu tangent
02:04et donc tout à fait intéressant à cette époque-là.
02:06Il est républicain, mais il est modéré.
02:09Il n'est pas anticlérical, il n'est pas révolutionnaire.
02:12Donc il peut être une passerelle intéressante
02:15entre les républicains qu'on considère comme d'extrême-gauche,
02:18comme les radicaux, par exemple,
02:19et puis les monarchistes qui, eux, veulent juste
02:23un régime parlementaire le plus conservateur possible.
02:27Par ailleurs, c'est un homme qui lit et qui écrit,
02:30qui mesure bien le sens et le poids des mots,
02:34et il rédige un amendement diablement habile.
02:38Habile, parce que, finalement,
02:39lui ne parle pas du gouvernement de la République.
02:41L'amendement commence par le président de la République.
02:45On a l'impression qu'il est question du chef de l'exécutif,
02:47qui, d'ailleurs, est déjà en place.
02:48On a déjà un maréchal, le duc de Mac Mahon,
02:50qui est président de la République.
02:51Alors, bien sûr, si on vote l'amendement
02:53avec le président de la République,
02:55ça veut dire qu'on vote implicitement,
02:57mais pour ainsi dire, par ricochet, l'existence de la République.
03:01La République entre par la petite porte, en quelque sorte.
03:04Et Vallon le dit d'ailleurs clairement.
03:06Il dit, mon amendement ne proclame pas la République.
03:11Il l'a fait.
03:12Il faut sortir du provisoire.
03:14Je ne vous dis pas, proclamez la République,
03:17mais je vous dis, constituez le gouvernement
03:19qui se trouve maintenant établi
03:21et qui est le gouvernement de la République.
03:23Je ne vous demande pas de le déclarer définitif.
03:26Qu'est-ce qui est définitif ?
03:28Mais ne le déclarez pas ni plus provisoire.
03:32L'amendement bien rédigé de Henri Vallon a des chances de passer.
03:36C'est ce qui va se produire le 30 janvier 1875
03:40à une voix de majorité.
03:42Beaucoup d'encre a coulé au sujet de l'amendement Vallon
03:45et de cette République votée à une voix près.
03:48C'est vrai, 353 contre 352.
03:51Alors, évidemment, il y a plein d'histoires,
03:53comme toujours, quand il y a une voix de majorité.
03:57Par exemple, un général, le général De Chabron,
04:00donc lui aussi plutôt au départ siégeant à droite,
04:04qui hésite énormément, qui au départ s'abstient.
04:07Et puis, il a un collègue qui est convaincu par l'amendement Vallon
04:10et qui va lui parler, lui parler.
04:12Et l'autre, de Guerlasse, dépose son bulletin favorable
04:16au moment où on a terminé l'appel des députés,
04:19mais on n'a pas commencé le dépouillement du scrutin.
04:21Alors là, les députés protestent.
04:23Comment ? Pourquoi ? Vote-t-il ? Il n'est plus temps.
04:26Le président considère qu'il avait encore le temps, le droit de voter.
04:30Et cette voix-là va faire aussi la différence.
04:35Le grand paradoxe de l'amendement Vallon,
04:37c'est qu'en quelques lignes,
04:39il fixe un cadre qui va durer très longtemps,
04:42puisque la Troisième République bicamérale,
04:45avec un président élu pour sept ans par les parlementaires,
04:49va durer jusqu'à l'effondrement de la Troisième République
04:52en 1940, donc 65 ans tout de même.
04:55Et puis le septéma, lui, va durer jusqu'en 2002.
04:57Donc il y a une postérité importante de cet amendement qui est remarquable.