• il y a 20 heures
À une semaine de l'ouverture du procès de Joël Le Scouarnec, l'appel des victimes sur les manquements de l'institution judiciaire. Écoutez l'interview de maitre Marie Grimaud, avocate au barreau de Paris et avocate des parties civiles dans le procès Le Scouarnec.

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00:007h-10h, RTL Matin, Céline Landreau et Thomas Soto.
00:04Il est 8h15, l'interview de Céline Landreau. Près de 300 victimes, souvent des enfants, des ados, violés ou agressés sexuellement par un même homme, le chirurgien Joël Lesquarneck.
00:13C'est un procès d'une dimension inédite qui va s'ouvrir dans 10 jours devant la cour criminelle de Vannes.
00:17Alors ce matin, Céline, vous avez choisi de donner la parole à Marie Grimaud.
00:21Elle est avocate au Barreau de Paris et elle défendra une partie des victimes. Bonjour et bienvenue à vous.
00:25Bonjour. Bonjour et merci d'être avec nous ce matin.
00:28Ce chiffre, d'abord, 11 ans. 11 ans, c'est l'âge moyen qu'avaient les victimes de Joël Lesquarneck au moment des faits.
00:34Des enfants, donc. Un enfant ne rêve pas de justice, de dignité humaine, de considération, de protection. Il en a besoin, c'est tout.
00:43Et si par malheur, un jour, la vie le confronte au pire par le fait d'un homme, alors il y a droit.
00:47La société toute entière le lui doit. C'est bien là la moindre de sa dette envers lui pour ne l'avoir pas protégé.
00:54Ces mots maîtres, ce sont ceux de 37 victimes de Joël Lesquarneck que vous représentez et qui crient leur colère aujourd'hui dans une tribune publiée par le journal Libération.
01:02Car ils considèrent aussi être victimes de l'institution judiciaire.
01:07Une maltraitance qui commence, en fait, dès le début de cette enquête, dès les premières auditions pour eux.
01:13C'est vrai qu'à la violence est rajoutée une autre violence à laquelle ils n'étaient pas préparés et à laquelle personne n'est préparé.
01:21C'est la violence de l'institution judiciaire, de l'œuvre de justice.
01:24Et au cours de ces quasiment cinq dernières années, ils ont eu à subir, je dirais, parfois le manque de formation de certains policiers aussi dans l'annonce qui a été faite.
01:36C'est ce que j'allais vous demander, ça se traduit comment ? En audition, par exemple, en quoi ils sont maltraités ?
01:41En audition, il y a une lecture extrêmement brutale des éléments des journaux intimes de Monsieur Le Squarneck qui sont d'une cruauté énorme.
01:52Dans lesquels il a tout consigné.
01:54Exactement, et dans lesquels vous avez accès aussi à son agir, à son intention criminelle.
01:59Et donc c'est révélé comme ça avec brutalité. Vous sortez de cette audition, me disent mes clients, sans accompagnement, se retrouvant sur le trottoir, ne sachant où aller, que faire avec ces révélations-là et reprendre une vie.
02:13Parce que certains apprennent à ce moment-là qu'ils ont été victimes de viol. Ils ne le savaient pas forcément.
02:18Pas forcément, c'est-à-dire que c'était fait par un homme avec l'autorité médicale, avec des gestes qu'il disait médicaux, et qu'il est compliqué quand vous avez 9 ans, 10 ans, 11 ans, de comprendre ce qu'il se passe.
02:29Il y a une effraction au niveau de votre corps, mais une impossibilité à le penser à ce moment-là comme une agression, comme un viol.
02:36Et plusieurs années plus tard, avec toutes les difficultés de la vie que cette effraction a amené sur leur corps, ils vont être confrontés à cette réalité.
02:44Et c'est une réalité avec les mots du violeur et de l'agresseur, donc extrêmement forts.
02:49Et ils vont être laissés seuls avec ça. Seuls, l'enquête va durer très longtemps avant que ça bascule à l'instruction, ce qui fait qu'ils n'ont pas accès à un avocat immédiatement.
02:58Ça va durer quasiment, je dirais, une année et demie. L'instruction va s'ouvrir. Là aussi, errements, difficultés à trouver des avocats, une mauvaise orientation.
03:09Aussi, avec des associations comme France Victime, beaucoup de mes clients m'ont dit qu'ils ont été malmenés, mal conseillés. C'est une violence institutionnelle.
03:18Il y a la violence de l'instruction que vous évoquez, et puis il y a les manquements, les errements peut-être aussi de la justice.
03:25La justice qui, écrit-il dans cette tribune, a bien vite oublié l'avoir laissé filer il y a 20 ans, Joël Lescornec.
03:32On rappelle qu'il a été arrêté en mai 2017 dans cette affaire à Jonzac, en Charente-Maritime, après le témoignage d'une petite voisine.
03:39Mais en 2004, le FBI alertait déjà les autorités françaises en prévenant qu'il faisait partie d'un réseau pédopornographique.
03:46Il est condamné l'année suivante à 4 mois de prison avec sursis, et personne n'alerte, ne l'empêche de continuer à pratiquer dans les hôpitaux au contact d'enfants.
03:57On est également dans une période où tout ce qui est détention, diffusion, consultation d'images à caractère pédopornographique
04:04est plutôt une infraction délaissée par la justice à ce moment-là.
04:08Ils ne mesurent pas l'ampleur des personnalités, les risques de passage à l'acte.
04:13C'est traité comme une petite délinquance, et on en a l'exemple parfait.
04:18Donc aucun suivi, aucune dénonciation du parquet auprès des autorités, de l'ordre des médecins de cette condamnation-là.
04:25Pas de relais en tant que tel, mais c'est à l'image de la manière avec laquelle la justice traite et traite encore ses auteurs d'infractions d'images à caractère pédopornographique.
04:35Mais ça a des conséquences très lourdes, ça veut dire qu'entre 2005 et 2017, il continue, Joël Lescornec, à faire des victimes, plus d'une quarantaine supplémentaires.
04:44Exactement, il n'y a pas à ce moment-là de réflexion sur est-ce qu'il peut avoir fait des passages à l'acte ?
04:50Est-ce qu'il n'y a pas lieu de perquisitionner plus loin ?
04:52Ce sont des méthodes d'enquête qui n'amènent pas à aller plus loin, à aller rechercher des victimes.
04:57Vous savez, en France, dans les enquêtes en matière de viols, d'images à caractère pédopornographique, on n'a pas les moyens d'aller rechercher des victimes.
05:06Pourquoi dans ce dossier on en a 300 ? C'est parce que dans le cas de la dernière perquisition, des listes ont été découvertes.
05:12Parce qu'il consignait tout ? Il était un peu monomaniaque ?
05:15Exactement, il est fétichiste, obsessionnel, et donc il a livré lui-même, quelque part, la piste sur laquelle il fallait aller.
05:23Mais la justice d'elle-même ne l'aurait pas fait.
05:25Et c'est aussi ce que dénoncent mes clients, c'est-à-dire que la justice va souvent considérer la victime comme un objet.
05:32Finalement, elle traite la victime comme Monsieur Lescornec a pu traiter ses victimes comme des objets.
05:38Ce sont les faits passés qu'on vient d'évoquer pendant quelques minutes.
05:42Il y a l'avenir aussi qui inquiète vos clients, mettre ce procès qui va commencer dans dix jours.
05:46Procès hors normes, comme on dit, et qui du fait du nombre de victimes ne va pas se dérouler tout à fait comme un procès classique.
05:52Pour être très clair, les victimes vont être installées dans une autre salle, dans un autre lieu, à Vannes, c'est l'ancienne fac de droit,
05:58avec un écran pour pouvoir suivre les débats. Ils ont le sentiment d'être parqués. Là aussi c'est une violence, ils le vivent comme tel ?
06:06Le message est clair, ne venez pas. C'est comme ça qu'ils l'entendent.
06:13C'est du jamais vu que des victimes des partis civils ne soient pas dans la même salle que l'accusé.
06:21C'est une première en France.
06:22Mais d'un point de vue pratique, c'était possible de faire autrement, vraiment ?
06:25Il y avait lieu de le penser ce procès. Il n'y avait quand même pas de surprise quant à l'arrivée, à un moment ou à un autre, de ce procès-là.
06:33Il y a quand même une partie des faits qui ont été avoués par M. Le Squarneck.
06:36Il n'a pas été pensé. Nous avons, pour la première fois en France, un accusé qui n'aura pas, pendant 4 mois ou de manière sporadique,
06:45l'ensemble des partis civils face à lui. Il n'aura pas à ressentir les colères, les émotions, il n'aura pas à faire face à ces 300 perdus.
06:57Et ça c'est totalement inédit.
06:59Il faut savoir que même cette salle, elle est quasiment à 10 minutes à pied.
07:02Que pour l'instant, cette salle n'est pas totalement finie.
07:05Nous ne savons même pas, nous, avocats, si nous aurons un micro pour pouvoir poser des questions, depuis cet amphithéâtre, à M. Le Squarneck.
07:13Si vous pourrez donc être à côté de vos clients pendant la durée de ce tour.
07:16Exactement. Soit on est dans une salle, soit nous sommes dans l'autre.
07:18Aujourd'hui, ils ont quand même le sentiment que sur des restrictions budgétaires, on leur a demandé d'être là à minima, d'être déconsidérés.
07:27Marie Grimaud, aujourd'hui, Joël Le Squarneck est déjà en prison, à l'isolement, condamné à 15 ans pour d'autres faits de viols et d'agressions sexuelles.
07:34Il encourt cette fois jusqu'à 20 ans de prison.
07:36Vos clients disent ne pas attendre grand-chose de lui, de ce qu'il expliquera à la cour.
07:39Mais que ce procès questionne ce qui doit l'être encore sur la pédocriminalité dans notre société.
07:45Est-ce que vous espérez qu'il soit, comme l'a peut-être été le procès Pellicot, une sorte d'électrochoc ?
07:51Pour être un électrochoc, il faut que le monde journalistique s'en empare pleinement de ce sujet-là aussi.
07:57Parce que nous n'avons pas la violence judiciaire, mais il y a eu une violence médiatique extraordinaire dans ce dossier-là.
08:03Et ils avaient besoin de l'exprimer.
08:06Aujourd'hui, pour pouvoir en prendre conscience, il faut aussi que le monde médiatique, le monde journalistique, traite ce dossier-là,
08:13traite ce type de dossier autrement que comme des faits divers.
08:16Et lorsque nous le traitons autrement que des faits divers, alors on pourra avancer et poser les bonnes questions.
08:20Merci beaucoup Marie Grimaud, avocate de 37 des victimes de Joël Le Squarnec, dont le procès débutera le 24 février.
08:28La grande détresse et la colère des victimes de Joël Le Squarnec qui se sentent malmenées, maltraitées par la justice.
08:34La justice les traite, traite les victimes comme Joël Le Squarnec traiterait les victimes, c'est-à-dire comme des objets.
08:39Les mots très forts de Marie Grimaud à votre micro.

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