• il y a 15 heures
Chères lectrices, chers lecteurs,

Voici la captation de la rencontre de l'écrivaine Carmen Bramly autour de son cinquième roman, Tout est chaos (paru aux Presses de la Cité).

Discussion animée par Édouard Leroy, et enregistrée le mercredi 5 février 2025.

Vous souhaitant de belles lectures,

L'écume

La Quatrième :

« Le métier de publicitaire a beaucoup à voir avec mes activités extraprofessionnelles. Dans les deux cas, je mets en scène, j’invente un contexte, un cadre, pour décomplexer une pulsion, consumériste dans un cas et sexuelle dans l’autre. »
À 24 ans, Paloma Madar est conceptrice-rédactrice pour le département luxe d’A.T.K., prestigieuse agence publicitaire. Elle apprend les ficelles du métier sous la houlette de son responsable, le charismatique et singulier Benjamin Esposito.
Le soir, entre rencontres sans lendemain et amants épisodiques, elle consomme les hommes à l’envi.
Mais l’ambiance s’envenime au sein de l’agence quand son mentor adulé est accusé de harcèlement sexuel.
Paloma se trouve alors aux prises avec un dilemme qui provoque chez elle une remise en question existentielle.
Transcription
00:00Célèbre quelque chose ce soir, l'apparition de ton livre Carmen, donc les retardataires s'il y en a pourront s'installer, il y a des places devant.
00:10Et puis on va pouvoir commencer si vous êtes prêts. Carmen, tu es prête ?
00:17Alors c'est une soirée un peu particulière parce que
00:20les cunes des pages
00:22sont très honorées que tu aies répondu à notre invitation et puis c'est une
00:27soirée un peu particulière parce qu'elle est familiale et pleine d'amis dans la salle, donc
00:32je suis
00:34particulièrement touché que tu aies accepté de venir faire
00:38l'apparition de ton livre
00:40et ta dédicace par aiguille.
00:42Merci de m'avoir invité.
00:43C'est un plaisir.
00:45Alors Carmen, tu as publié ton premier roman à 15 ans.
00:50C'était il y a 15 ans car tu as eu 30 ans.
00:53Comment est-ce qu'on en est arrivé là ?
00:55Oula !
00:57On va entrer tout de suite en état.
00:59Je peux appeler mon petit ?
01:01Je t'en prie.
01:03Comment on est arrivé là ?
01:05Déjà, il a fallu écrire, mettre des mots, des uns après les autres,
01:09raconter des histoires.
01:13Mais je ne sais pas trop pourquoi j'écris.
01:15Je crois que j'ai besoin de raconter des histoires.
01:19C'est le seul moment où tout a l'air très réel.
01:22Bizarrement dans la fiction.
01:24Thérapie.
01:26Du coup, ce n'est pas commun d'avoir commencé un premier roman à 15 ans
01:31et à 30 ans d'en avoir 5.
01:33Parce que j'étais, en préparant la rencontre,
01:35je m'attendais à un primo romancier.
01:37Et en fait, tu as déjà 15 ans de bouteille.
01:40C'est quand même assez impressionnant
01:42de voir en plus un livre aussi abouti.
01:45Ça a forcément fait quelque chose
01:47d'être arrivé comme ça à 5 romans.
01:50Tu as l'impression déjà d'être une auteure ou une autrice ?
01:54Non, j'ai l'impression que c'est plutôt...
01:56J'ai plutôt l'impression d'être
01:58comme quelqu'un qui fabrique des tables.
02:00Donc c'est plus, je peux faire autant de tables que je veux.
02:03Chaque table a l'air d'être la première table.
02:05Mais il y a plutôt un côté
02:09presque de travail manuel.
02:11C'est-à-dire qu'à chaque roman,
02:13je me dis, comment est-ce qu'on fait ?
02:154 pieds, un machin, il faut que ça tienne.
02:17Comment on raconte ?
02:19Comment est-ce qu'on sculpte ensuite ?
02:21Est-ce qu'on rajoute des petites fioritures et des petites roses ?
02:23Ou est-ce qu'on fait un truc bien brut ?
02:25Et donc, il t'a pris combien de temps à peu près
02:27d'écriture ?
02:29Alors il a eu un processus très bizarre.
02:31Je l'ai écrit une première fois.
02:33Et ensuite,
02:35j'ai attendu quelques mois
02:37et je l'ai réécrit en deux mois
02:39mais intégralement.
02:41D'accord.
02:43Parce qu'en fait, la première version
02:45c'était un peu comme un brouillon.
02:47Un brouillon de 200 pages.
02:49J'avais un peu les personnages
02:51mais j'ai eu besoin ensuite de faire une espèce
02:53de ligne droite pendant deux mois et de faire que ça.
02:55Pour vraiment
02:57raconter leur histoire, les faire exister
02:59plus pleinement.
03:01Et qu'il y ait un côté un seul souffle.
03:03On le sent,
03:05il y a un côté jet
03:07dans tout tes chaos.
03:09Et d'ailleurs, ça me permet de
03:11parler du premier chapitre qui s'intitule
03:13Balance Karmique.
03:15Alors tu nous présentes un personnage
03:17qui cherche à être quelqu'un de bien.
03:19Ce qui paraît,
03:21à mon avis, un peu suspicieux.
03:23Est-ce que c'était une manière
03:25de préparer le lecteur
03:27à tout ce qui allait suivre ?
03:29Au chaos ?
03:31C'est une manière très ironique
03:33de se présenter au monde. Ça part d'un constat
03:35assez sain quand on travaille dans la pub.
03:37On perd du point de karma par jour.
03:39Parce qu'à force de vendre des rouges à lèvres
03:41et exalter l'ego
03:43de chaque individu et de chaque consommateur,
03:45tu perds des points là-dedans.
03:47Donc elle, elle fait la liste
03:49de tout ce qu'elle doit faire tous les jours
03:51pour récupérer ses points.
03:53C'est intéressant parce que là,
03:55en t'écoutant, tu dis « elle ».
03:57Parce qu'à la première
03:59lecture de ton livre,
04:01j'ai essayé de voir
04:03qui était Carmen.
04:05Et je suis content
04:07que tu dises bien « elle ».
04:09Parce qu'on n'est pas sur un récit
04:11de vie, c'est sur un roman.
04:13Oui, il n'y a jamais de confusion
04:15entre le personnage et moi.
04:17Et bizarrement, c'est le passage au jeu
04:19qui l'a le plus éloigné de moi.
04:21Avant, je pouvais écrire des textes
04:23en mettant « elle », mais c'était comme si je mettais
04:25un peu un miroir déformant devant moi
04:27et que je racontais une vision peut-être
04:29fantasmée ou idéalisée
04:31de ce que j'aurais aimé vivre.
04:33Et bizarrement, le passage au jeu
04:35lui a permis d'exister intégralement
04:37et de manière très indépendante de moi.
04:39Je me suis même fait violence parce que
04:41Paloma peut avoir un côté...
04:43Elle arrive à voir
04:45le monde
04:47de manière assez cynique et qui n'est pas
04:49du tout en maîtrise de caractère.
04:51Moi, j'ai plutôt un côté enfant émerveillé, tout est génial.
04:53J'arrive sur un shooting photo
04:55pour une pub, je suis émerveillée,
04:57c'est merveilleux.
04:59J'ai dû me faire un peu violence pour elle
05:01l'écrire et qu'elle existe et qu'elle ait cette
05:03vision très différente de la mienne.
05:05Oui, j'ai eu
05:07la sensation que
05:09il y avait une frontière
05:11entre la réalité et la fiction.
05:13Mais est-ce que
05:15pour toi,
05:17tu penses qu'un lecteur qui ne te connaît pas
05:19peut te poser justement cette question ?
05:21Est-ce qu'elle parle
05:23de sa vie à elle ou
05:25est-ce que c'est juste un personnage ?
05:27Parce que vous verrez dans le roman,
05:29pour ceux qui ne l'ont pas lu,
05:31il y a des russéguiers,
05:33il y a des...
05:35J'entends si des meilleurs...
05:37Le bouton blanc, pour ceux qui connaissent.
05:39Jusqu'où
05:41a été
05:43le lisant ?
05:45J'ai rigolé sur beaucoup de pages parce que
05:47j'ai pu faire des petits clins d'œil
05:49avec ta vie. Mais est-ce que tu penses que quelqu'un
05:51qui ne te connaît pas du tout et qui le lit pour la première fois
05:53peut se dire
05:55l'auteur parle d'elle ?
05:57De toute manière, c'est en travers
05:59de l'époque, en général, on a l'impression que les gens
06:01parlent d'eux tout le temps. On a beaucoup
06:03de mal à imaginer que les gens puissent
06:05s'évader dans de la fiction.
06:07Et en fait, c'est normal que
06:09oui, je glisse
06:11des choses qui me sont familières
06:13dans ce livre, mais pour leur donner une forme
06:15d'étrangeté à travers la fiction,
06:17et Paloma a un autre rapport que moi
06:19à ces lieux. Un lieu où j'ai grandi
06:21et où j'ai passé mon enfance
06:23devient un lieu où elle va sur
06:25un shooting photo. Donc c'est plutôt
06:27ce genre de choses-là qui m'amusent
06:29et je pense que tout le monde le fait.
06:31Moi, c'est ce que j'ai bien
06:33ressenti, mais
06:35pour moi qui te connais,
06:37les petits moments de nostalgie,
06:39c'était très agréable. Alors on va
06:41rentrer dans le vif du sujet et on va parler
06:43d'un des personnages
06:45principaux, Benjamin Esposito,
06:47que j'aime bien prononcer.
06:49Alors, il m'a...
06:51Tu vois,
06:53je me suis posé la question.
06:55Il m'a troublé par son
06:57assurance et son dilettantisme.
06:59Et
07:01pour ceux qui ne l'ont pas lu, je vais
07:03m'en parler, mais pour ceux qui l'ont lu,
07:05est-ce qu'il ne mérite pas
07:07tout ce qui lui arrive ?
07:09Alors oui, c'est la fameuse phrase,
07:11tous ceux qui font ce métier débile, idiot,
07:13méritent tout ce qui leur arrive.
07:15Lui, de Méritriens, c'est un garçon
07:17très touchant.
07:19C'est un homme, il a 45 ans, mais
07:21ce que j'aime chez lui, c'est que
07:23c'est une figure de rebelle, mais assez
07:25différente de ce qu'on peut imaginer d'un rebelle classique.
07:27Il ne va pas taguer les murs
07:29de son agence de pub, il n'insulte personne,
07:31il ne se drogue pas, il ne boit pas, il n'est pas dans des excès.
07:33C'est quelqu'un qui considère
07:35que, dans un monde très
07:37polarisé, où tous les discours
07:39sont complètement poussés aux extrêmes,
07:41la voix du milieu est une
07:43voix contestataire. Et en cela,
07:45il est rebelle, et donc c'est
07:47quelqu'un qui remet les gens un peu à leur place,
07:49qui refuse de parler le langage
07:51de la publicité, qui refuse de se conformer
07:53à tout ce qu'est cette agence de pub.
07:55Et c'est en ça qu'il est insupportable
07:57et qu'il faut, à un moment donné, le dégager.
07:59Mais même
08:01dans sa manière de
08:03voir le monde, son rapport
08:05avec sa compagne, etc.
08:07Je l'ai trouvé
08:09un peu
08:11passif.
08:13Il est complètement passif parce que
08:15d'une certaine manière,
08:17c'est quelqu'un qui s'en veut de quelque chose
08:19et qui se fait payer.
08:21Si une femme lui fait un bébé dans le dos,
08:23il l'accepte parce qu'ils sont coupables,
08:25mais c'est une forme de culpabilité qui se traîne
08:27qui a à voir avec sa psychologie
08:31et qui le rend en effet assez passif
08:33dans tout. Il accepte les choses
08:35qui lui arrivent
08:37parce qu'ils sont coupables.
08:39Malgré cette culpabilité,
08:41il a quand même une grande influence
08:43sur Paloma.
08:45Est-ce que, pareil, dans le milieu de la pub,
08:47t'as eu du moins
08:49quelqu'un qui avait un peu...
08:51Parce qu'il y a...
08:53J'ai imaginé l'homme
08:55que j'aurais aimé rencontrer
08:57à mes débuts dans la pub.
08:59Ça fait 8 ans
09:01que je travaille dans une agence
09:03et j'aurais rêvé rencontrer Benjamin.
09:05T'as des mots très touchants
09:07dans le texte.
09:09Tu parles, tu dis même
09:11que Paloma,
09:13elle est amoureuse
09:15de lui au tout début.
09:17Je l'ai trouvé
09:19à la fois
09:21étonnant, ce Benjamin.
09:23Elle est amoureuse de lui,
09:25mais de manière très platonique
09:27parce que Benjamin est un mec bien.
09:29Lui, à 45 ans,
09:31elle, c'est une gamine de 24 ans.
09:33Il arrive à mettre les bonnes distances,
09:35les bonnes limites.
09:37Il est très chaste dans son rapport à elle.
09:39Il lui interdit de franchir certaines lignes.
09:41C'était aussi une manière d'inverser
09:43les rapports de force
09:45et de montrer comment ça peut jouer
09:47dans l'autre sens.
09:49Tu l'as très bien fait.
09:51Je l'ai senti évoluer
09:53entre le moment
09:55où elle dit que c'est quelqu'un de bien
09:57et la fin du livre.
09:59Est-ce que
10:01tu rencontres le construisant ?
10:03Tu as fait beaucoup d'aller-retour avec le personnage.
10:05Je l'ai lu
10:07d'une certaine manière au début,
10:09mais ce n'était pas une avancée.
10:11Ce n'est pas une avancée linéaire.
10:13C'est une avancée assez chaotique.
10:15Quand
10:17son mentor adoré
10:19est injustement accusé
10:21de harcèlement sexuel,
10:23son monde voleux éclat.
10:25Elle ne peut plus avoir
10:27une trajectoire droite.
10:29Son monde n'avait de sens.
10:31Elle avait trouvé sa place dans le monde
10:33et dans cette agence que parce qu'il était là.
10:35Le fait qu'il ne soit plus là,
10:37pour le dire grossièrement, tout part aux couilles.
10:39Oui.
10:41Mais
10:43du coup...
10:45Attendez la suite.
10:47Alors,
10:49vu qu'on parle de
10:51sexualité, la question de la sexualité
10:53est omniprésente dans le livre.
10:55Tu en parles beaucoup.
10:57Mais
10:59entre les personnages,
11:01j'ai trouvé que la question du sexe
11:03était lourde.
11:05Il n'y avait que tension.
11:07Il y avait
11:09de la force et
11:11vraiment lourd.
11:13Est-ce que tu trouves qu'aujourd'hui,
11:15la sexualité,
11:17au moment des rapports, ont perdu
11:19de légèreté ?
11:21Je ne vais pas
11:23parler pour moi, mais pour Paloma.
11:25D'une certaine manière, la légèreté
11:27lui est comme interdite, ou elle se l'interdit.
11:29Elle est à la fois
11:31très volage, mais avec une
11:33forme de gravité.
11:35Elle a une espèce de...
11:37Je ne vais jamais porter de jugement sur sa sexualité,
11:39mais on pourrait parler
11:41d'hyper-sexualité.
11:43Elle a comme un vide à remplir,
11:45rien ne la contente, et en même temps,
11:47elle n'est pas du tout dans ce qu'on peut attendre d'une fille
11:49totalement délurée. C'est un truc qu'elle n'aime pas,
11:51qui la dégoûte. Elle a juste besoin
11:53de se remplir de mecs.
11:55Oui, mais c'est...
11:57Voilà, la pauvre.
11:59Ça a l'air très cru, dit comme ça,
12:01mais à la lecture, ça l'est moins, je vous rassure.
12:05Mais même dans
12:07les rapports qu'ils ont les uns avec les autres,
12:09avec la sexualité, par exemple, Benjamin,
12:12il a un rapport
12:14sexuel, il se retrouve avec un enfant.
12:16C'est pas simple
12:18entre les personnages.
12:20Du coup, je me suis demandé,
12:22est-ce que c'était une envie
12:24de décrire quelque chose de...
12:26Alors, la sexualité, elle a un autre rôle,
12:28c'est que Paloma travaille
12:30dans une agence de publicité, dont le rôle
12:32normalement devrait être de créer du désir.
12:34L'idée, c'est de rendre absolument tout
12:36désirable.
12:38Or, elle décrit ce monde comme
12:40complètement aseptisé
12:42ou très chaste.
12:44Elle décrit
12:46sa bosse comme dénuée
12:48de tout désir. Elle n'est pas
12:50tenue par rien.
12:52Elle, elle essaye de recréer
12:54en dehors de cette agence
12:56ce désir. Elle se décrit comme un être de désir.
12:58Après, est-ce qu'elle désire vraiment ?
13:00Est-ce qu'elle a plutôt
13:02un vide à combler, un manque ?
13:04C'est...
13:06D'ailleurs, ça me fait penser
13:08dans le livre, je ne sais plus
13:10à quelle page, mais tu fais une...
13:12Paloma explique
13:14avec les différents
13:16régimes politiques,
13:18les différentes manières
13:20d'avoir de la sexualité. Est-ce que tu pourrais nous en parler un peu ?
13:22Alors,
13:24Paloma a une théorie, c'est qu'il y a
13:26les communistes de l'amour,
13:28il y a les trotskistes
13:30de l'amour et il y a les capitalistes
13:32de l'amour. Pour raconter
13:34très simplement, les capitalistes
13:36de l'amour sont des gens qui vont investir dans leur
13:38partenaire, comme si c'était
13:40avec un besoin de retour sur investissement.
13:42Ils sont
13:44très protectionnistes, mais eux,
13:46peuvent aller un peu voir ailleurs.
13:48C'est libre-échange.
13:50Et ensuite, il y a les communistes de l'amour
13:52qui sont plutôt dans un truc d'amour
13:54en groupe.
13:56On peut laisser entrer n'importe qui,
13:58le corps social est le corps de tous.
14:00C'est vraiment...
14:02Et il y a les trotskistes.
14:04Les trotskistes,
14:06ils sont plutôt là pour
14:08infiltrer le système
14:10des sentiments et le détruire de l'intérieur.
14:12C'est un autre...
14:14Et toc !
14:16Bam !
14:18Et il y a les non-alignés. Donc, Benjamin se dit
14:20faire partie.
14:22J'ai trouvé très intéressant.
14:24Je pense que tu dois le développer, cette théorie.
14:26Je vais en faire cinq thèses.
14:28Alors,
14:30je dois t'avouer qu'en
14:32avançant dans le livre,
14:34je suis ressorti avec
14:36beaucoup d'interrogations et notamment le sujet
14:38majeur du texte qui est la question du harcèlement
14:40sexuel.
14:42Et
14:44face aux questions de différents
14:46personnages, face au sujet et surtout à la manière
14:48qu'ils ont eu de réagir, je me suis
14:50demandé si le terme
14:52n'était pas dévoyé aujourd'hui.
14:54Alors, je ne sais pas s'il est
14:56dévoyé. Parce qu'en fait, le problème, c'est qu'aujourd'hui,
14:58tout est mis tout le temps au même niveau.
15:00On ne peut pas mettre au même niveau
15:02un regard lubrique
15:04d'une agression sexuelle, d'un viol.
15:06Donc, je... Enfin,
15:08il y a des gens, bien sûr, qui sont victimes de harcèlement sexuel.
15:10C'est évident.
15:12Ensuite,
15:14là, dans cette histoire, c'est une histoire
15:16fallacieuse parce que
15:18MeToo, c'est un mouvement important.
15:20Mais ce que je voulais, c'était aussi de
15:22manière satirique montrer
15:24une autre facette qui peut être un revers
15:26de médaille. Et, en fait,
15:28c'est un peu comme si
15:30cette agence de publicité qui est en matriarcat
15:32se vengeait, en la personne
15:34de Benjamin, de tous les hommes.
15:36Elles ont pris le pouvoir.
15:38Il n'y a que des femmes.
15:40C'est un univers de femmes très féminin où
15:42Paloma dit que les hommes ravent les murs
15:44en priant pour que ce ne soit pas la pleine lune
15:46et qu'elles n'aient pas toutes leurs règles en même temps.
15:48Et donc, du coup...
15:50Oui.
15:52Et donc, du coup, il apparaît,
15:54dans un truc presque magique,
15:56comme une victime sacrificielle.
15:58C'est bon.
16:00Ça me donne l'impression de la victime sacrificielle
16:02parce que, justement,
16:04j'ai senti
16:06s'en dévoiler toute l'histoire.
16:08C'est la stagiaire
16:10qui traduit
16:12Benjamin,
16:14qui fait ce signalement
16:16d'harcèlement sexuel. Mais, justement,
16:18est-ce que
16:20l'utilisation, aujourd'hui, du mot,
16:22est-ce qu'il a perdu
16:24son sens au point que
16:26il n'y a plus
16:28la gravité qu'il devrait avoir ?
16:30Je suis très d'accord.
16:32Surtout qu'en plus, il y a des nuances.
16:34Par exemple, le harcèlement sexuel d'ambiance.
16:36Tu peux être virée pour ça.
16:38Le harcèlement sexuel d'ambiance,
16:40si je décide
16:42d'avoir des calendriers avec des hommes nus
16:44sur mon bureau et que je les exhibe
16:46dans mon open space,
16:48ça peut être vécu comme un harcèlement sexuel d'ambiance.
16:50Ou, si je suis un peu démocratique,
16:52si je suis une petite danse,
16:54ça peut en faire partie.
16:56Beaucoup de choses en font partie.
16:58Le problème, c'est qu'aujourd'hui, il y a beaucoup trop
17:00de termes et certains, en effet,
17:02perdent leur gravité.
17:04Là, ça va très loin pour
17:06Benjamin.
17:08C'est ça qui est terrible
17:10et qui me fait me demander
17:12est-ce que sa passivité,
17:14il ne mérite pas
17:16tout ce qu'il arrive ?
17:18Justement, il y a un côté face à ça.
17:20Il y a aussi un autre problème,
17:22c'est qu'il est victime de l'ère du temps
17:24qui est quelque chose contre lequel on ne peut pas vraiment battre.
17:26C'est un peu un David contre Goliath.
17:28David, il sait que Goliath,
17:30il ne peut rien faire contre.
17:32Donc, au lieu de s'épuiser, de s'acharner,
17:34il aspire.
17:36Mais c'est terrible.
17:38Je ne t'ai jamais dit que ça.
17:40Ça s'appelle « Tout est chaos ».
17:42C'est un programme.
17:44C'est parce que
17:46dans le livre,
17:48j'ai eu,
17:50je n'ai pas eu cette sensation,
17:52peut-être que du coup,
17:54j'ai tout sauté.
17:56J'ai eu la sensation qu'il était touché
17:58par ce qui arrivait et qu'il se rendait compte
18:00de ce qu'il avait fait
18:02que cette stagiaire
18:04lui avait parlé d'harcèlement sexuel.
18:06Mais,
18:08je ne sais pas.
18:10Je suis resté
18:12vraiment avec beaucoup d'interrogations
18:14de comment est-ce qu'aujourd'hui,
18:16la définition de ces termes en entreprise,
18:18etc., on parle d'harcèlement sexuel
18:20dans l'ambiance,
18:22c'est devenu...
18:24Ce sont devenus
18:26des gros sujets, en effet.
18:28Il y a aussi une peur, je pense,
18:30de beaucoup de personnes
18:32de faire quelque chose de mal
18:34ou d'avoir fait quelque chose de mal.
18:36Parce qu'aujourd'hui, avec MeToo, il y a aussi beaucoup de choses
18:38très rétroactives.
18:40Je l'ai vécu avec des amis masculins
18:42autour de moi qui, à 30 ans,
18:4435 ans, se sont dit
18:46peut-être qu'à 15, 16,
18:48je ne sais pas.
18:50Et donc, j'ai voulu, bien sûr,
18:52capitaliser,
18:54parce que c'est un ressort dramatique génial
18:56sur cette ère du temps
18:58qui est pleine d'anxiété,
19:00d'angoisse. Et l'histoire de Benjamin,
19:02en fait, j'ai presque eu envie d'en faire
19:04un truc biblique, c'est-à-dire que la stagiaire, c'est un peu
19:06Salomé qui va danser pour demander
19:08la tête de Saint-Jean-Baptiste sur un plateau
19:10à cette reine, qui serait la bosse
19:12et qui a vraiment envie de la voir sur un plateau.
19:14Mais d'une ailleurs, ça reste quand même courageux
19:16de ta part, parce que tu trompes quand même
19:18le parti
19:20adverse,
19:22en disant que
19:24ils peuvent être aussi
19:26victimes
19:28du coup
19:30de cette partie
19:32judiciaire.
19:34C'est...
19:36Est-ce que c'est encore beaucoup le cas aujourd'hui ?
19:38Je sais pas,
19:40c'est vraiment une fiction,
19:42donc je ne cherche pas à dénoncer, mais vraiment
19:44à raconter cette histoire qui m'est venue
19:46de manière assez
19:48évidente, je sais pas comment dire,
19:50c'est-à-dire que j'ai commencé à écrire une histoire
19:52qui se passait au milieu de la publicité
19:54et petit à petit, cette histoire-là
19:56a pris forme.
19:58J'aime beaucoup les relations entre
20:00mentors initiés, donc c'est quelque chose
20:02que j'ai tout de suite mis en place et
20:04l'histoire du MeToo, c'est un peu
20:06imposé à moi, sans que ce soit
20:08prémédité, la manière
20:10dont je voulais en parler.
20:12Et surtout, je pense pas que
20:14tout n'est pas noir ou blanc,
20:16c'est pas parce qu'on écrit un livre sur un MeToo
20:18injuste, ou en tout cas
20:20au contour très fallacieux,
20:22qu'on est contre MeToo.
20:24L'idée, c'était de
20:26rajouter, si y avait une idée,
20:28de rajouter un récit
20:30à ce qui est MeToo
20:32et un récit un peu
20:34cynique, ironique, et prendre
20:36le revers de la médaille en disant que
20:38oui, bien sûr, qu'il peut y avoir aussi des victimes collatérales
20:40et montrer
20:42l'espèce de grand sacrifice
20:44de cet homme qui paye pour tous.
20:46Il paye son courage
20:48de l'agneau, en tout cas.
20:50Oui, il paye son gros courage de l'agneau.
20:52Les personnages
20:54féminins du livre,
20:56les caractères, elles sont
20:58assez impressionnantes les femmes,
21:00tu décris, un peu comme
21:02les précédentes questions, est-ce que tu
21:04t'es inspirée
21:06de gens que tu connaissais, ou c'était
21:08vraiment complètement
21:10une construction ? Alors, c'est un mélange de
21:12plein de choses. Je voulais pas parler de mes collègues
21:14parce que, contrairement à Paloma, je suis très épanouie
21:16dans la pub, et je les aime
21:18beaucoup, et ça fait pas des ressorts dramatiques
21:20fous de dire, vraiment, elle est géniale
21:22et qu'est-ce qu'elle est belle et vraiment douée et intelligente
21:24sur 200 pages.
21:26Donc, du coup,
21:28je me suis inspirée d'autres choses,
21:30j'ai noirci beaucoup
21:32de tableaux, et moi, j'ai moi-même grandi
21:34dans un matriarcat, donc c'est quelque chose que je connais
21:36et je pense que j'ai
21:38voulu le transplanter dans une agence de publicité.
21:42Et le monde de la pub, du coup,
21:44tu l'as rendu très vivant, le monde de la pub,
21:46beaucoup de descriptions...
21:48Alors, je travaille dans le luxe
21:50comme Paloma, et en effet
21:52c'est un monde très féminin,
21:54et où les rôles de pouvoir sont tenus par des femmes.
21:56Donc, on est entre femmes
21:58pour vendre plein de choses merveilleuses.
22:00Notamment des bagues...
22:02Du rouge à lèvres.
22:04Du parfum, beaucoup de parfum.
22:06Et je me suis demandé l'histoire de la bague
22:08qui parle, si je ne me trompe pas.
22:10T'as eu cette idée réellement ?
22:12Alors, les idées
22:14que j'ai utilisées dans le livre, c'est souvent des confessions
22:16que j'ai perdues,
22:18ou juste
22:20des idées que j'ai eues comme ça et que j'ai pas osé
22:22proposer, et donc
22:24je me suis un peu amusée avec mes vieux papiers
22:26et puis j'en ai inventé d'autres.
22:28Mais en effet, vos bijoux parlent pour vous,
22:30je pense que c'est quelque chose que j'ai dû présenter à mes débuts.
22:32Et dans le livre,
22:34ce que j'ai beaucoup aimé,
22:36c'est que tu glisses plein de petites
22:38références littéraires
22:40aussi, tu parles de
22:42Guy Debord, etc. Est-ce que
22:44dans le milieu de la pub, tu t'en sers aussi, de ce genre de...
22:46Alors, quand je suis arrivée dans la publicité,
22:48déjà, j'avais rien à y faire.
22:50Je venais de déjà écrire une Hippocancane,
22:52un master de lettres anglaises
22:54sur Joyce et Pound, donc vraiment,
22:56j'étais complètement perdue, et ce qui m'a permis
22:58de comprendre la pub, c'est Guy Debord.
23:00Comprendre les images, la construction
23:02des images,
23:04comprendre la société du spectacle,
23:06et c'est à partir de là que j'ai pu
23:08le réutiliser
23:10pour faire des bonnes campagnes.
23:12Et il vend plein de parfums.
23:14Alors,
23:16je vais m'enchaîner parce que je sais que tu en avais parlé
23:18à la lecture,
23:20à une certaine page.
23:22Tu parles,
23:24je cite, page 57,
23:26si je ne me trompe pas,
23:28tu parles d'un petit brin à lunettes
23:30qui est libraire. Je me suis demandé
23:32est-ce que ce personnage
23:34est le potentiel héros de ton prochain livre ?
23:36Oui, c'est lui.
23:38Tout sera sur lui. Ça s'appellera
23:40Un petit brin à lunettes,
23:42libraire.
23:44Très bien.
23:46Je peux t'interviewer pour qu'on commence.
23:49D'accord, c'est un point
23:51à ma question.
23:53J'imagine que dans le public,
23:55il y a des questions
23:57vis-à-vis du livre, ceux qui ont déjà
23:59pu le lire.
24:03C'est toujours la première la plus difficile.
24:05Maman ?
24:13Tu ne veux pas qu'on parle de la sexualité de Paloma ?
24:19C'est ça ?
24:23Super.
24:25S'il y a d'autres membres de ta famille
24:27dans le public, peut-être ?
24:29Aucun.
24:31Est-ce que t'as commencé
24:33avec l'autofiction ?
24:35Est-ce que c'est parce que
24:37c'est ton cinquième roman
24:39que t'es vraiment
24:41témoigné de l'autofiction ?
24:43A mon premier livre,
24:45c'était étonnant, j'avais 15 ans.
24:48J'avais l'impression d'être complètement
24:50enfermée dans ma vie, pas capable de rien faire.
24:52Je n'avais pas d'amis, je me sentais un peu nulle.
24:54J'ai créé un personnage
24:56qui pouvait me faire vivre par procuration
24:58tout ce que je ne pouvais pas vivre.
25:00Le livre se passait à une nuit du Nouvel An
25:02parce que je n'avais eu que des Nouvel An pourris.
25:04Il se passait sur l'île de Bréa parce que je rêvais
25:06de faire un super Nouvel An sur l'île de Bréa.
25:08C'était vraiment que de la projection.
25:10Aujourd'hui,
25:12la manière de raconter,
25:14je vais plutôt chercher dans des souvenirs,
25:17ce n'est plus du tout un truc projectif
25:19vers le futur.
25:26Du coup, je pense que ça s'est fait assez naturellement.
25:28Je pense que le déclic aussi
25:30sur ce livre, la différence, c'est qu'avant,
25:32d'une certaine manière, j'écrivais pour
25:34qu'on m'aime. Aujourd'hui,
25:36j'écris pour raconter l'histoire.
25:38Du coup, ça ne change pas.
25:42Je fais moins de citations.
25:46Oui.
26:02C'est inspiré d'un livre
26:04que j'ai lu à 8 ans et qui ne m'est jamais
26:06sorti de la tête, c'était Le Lion de Kessel.
26:08Et la fin du Lion de Kessel,
26:10ça finit par le personnage principal,
26:12qui s'appelle Pamela.
26:18Et c'est Pamela
26:20qui était avant une petite fille formidable
26:22avec son lion dans la savane
26:24et qu'on voit en petite tenue d'écolière anglaise
26:26et qu'on va emmener et qui va se banaliser.
26:28Et c'est un truc qui m'a tellement marquée
26:30parce que c'était aussi la première héroïne
26:32féminine littéraire
26:34que je rencontrais et que je découvrais
26:36dans un livre et qui m'inspirait.
26:38Et je pense que je suis restée bloquée là-dessus
26:40et que le parcours de Paloma
26:42est assez similaire au parcours
26:44de Pamela.
26:46C'est finalement un truc
26:48que je n'ai pas réglé.
26:52Je suis arrivé à la moitié du livre.
26:54Vas-y.
26:56Et en fait, moi, ce qui m'a marquée
26:58dans cette première moitié,
27:00c'est que Paloma, à un moment,
27:02c'est comme si elle manquait de courage.
27:04Et vraiment, ça m'a interpellée.
27:06Le fait qu'elle ait du mal
27:08à réagir, qu'elle ait du mal
27:10à exprimer ses émotions,
27:12à dire son indignité.
27:14Parce que justement, au tout début de l'histoire,
27:16on sent qu'elle aime beaucoup son Benjamin,
27:18qu'elle est absolument fascinée par lui,
27:20que c'est un peu son mentor.
27:22Et au moment où il disparaît,
27:24où il a potentiellement besoin d'elle,
27:26en fait, elle est profondément absente.
27:28Et du coup, j'avais du mal
27:30à comprendre son comportement,
27:32en tout cas, si tu pouvais un peu éclairer
27:34ou si tu as des ressorts psychologiques.
27:36Alors, Paloma est précaire.
27:38Paloma est en freelance
27:40dans une agence de pub
27:42depuis un an.
27:44Ses parents ne peuvent pas vraiment l'aider.
27:46Ils sont des petits restaurateurs dans le 10e.
27:48Elle a un peu grandi avec les huissiers.
27:50Donc, elle a pas de...
27:52Elle sait que si elle se risque
27:54à faire quoi que ce soit, elle risque sa place,
27:56elle risque tout.
27:58Elle n'a pas vraiment d'autre point de chute.
28:00Elle fait des études de philo,
28:02elle s'est retrouvée là par hasard.
28:04Donc, c'est...
28:06Le défendre,
28:08c'est risquer beaucoup. Et Paloma est très rationnelle.
28:10Et puis,
28:12Paloma est une anti-héroïne.
28:14Donc, forcément, elle ne fait pas le truc
28:16héroïque qu'on attend. Et ensuite,
28:18elle doit vivre avec et qui est le plus dur.
28:20Mais c'est aussi
28:22une autre manière
28:24d'accueillir le chaos.
28:28D'ailleurs, je ne t'ai pas posé la question.
28:30Pourquoi
28:32tout est chaos ?
28:34Parce que tout est chaos.
28:36Je lis un journal.
28:38C'est un peu facile.
28:40Parce que...
28:42Pourquoi tout est chaos ?
28:44Parce que ce que j'aime dans le chaos, c'est qu'il y a
28:46une énergie,
28:48qui est un peu l'énergie de la défaite.
28:50Mais on peut en sortir,
28:52on peut en faire quelque chose de beau.
28:54Et surtout,
28:56parce que pendant toute la période où j'écrivais le livre,
28:58chaque fois que je sortais,
29:00les petites fois où je sortais, j'entendais
29:02la chanson de Myriam Palmer,
29:04Désenchantée, et donc tout est chaos.
29:06En boucle. Et c'est vrai qu'au bout d'un moment,
29:08ça reste.
29:10Et que c'est un...
29:12Surtout, c'est un hymne générationnel, mais qui traverse
29:14les générations. Donc, on sent que tout le monde,
29:16d'une certaine manière, se revendique du chaos.
29:18J'ai même des clients qui me font
29:20des brifs en disant le chaos.
29:22Donc, c'est un truc très
29:24omniprésent.
29:26En tout cas, malgré le titre Tout est chaos,
29:28je l'ai trouvé très maîtrisé dans le livre
29:30et en tout cas bien dans la création
29:32des personnages.
29:34S'il n'y a pas d'autres questions
29:36dans le public, j'aimerais qu'on applaudisse
29:38Carmen, s'il vous plaît.

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