"L'UE est très mauvaise pour nous" : la France et l'Europe ont-elles les moyens d'agir face aux menaces de Donald Trump ? Laurent Saint-Martin, ministre délégué français au Commerce extérieur, est l'invité de Thomas Sotto .
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00:00Et nous sommes donc en direct de Davos avec Laurent Saint-Martin, ministre du commerce extérieur.
00:07Merci d'être en direct avec nous Monsieur Saint-Martin, vous participez au Forum économique mondial
00:11où Donald Trump doit d'ailleurs intervenir en visioconférence tout à l'heure.
00:15Est-ce que vous êtes bon au bras de fer Laurent Saint-Martin ?
00:17Bonjour Thomas Soto d'abord.
00:20Écoutez, je crois qu'il ne faut pas le prendre comme une question de bras de fer
00:24tout simplement parce que personne n'a intérêt à ce que nous rentrions dans une guerre commerciale.
00:29C'est ce qu'il a l'air de vouloir faire lui, non ?
00:32Nous connaissons Donald Trump, vous savez, il a déjà fait un mandat
00:35et le président de la République Emmanuel Macron a déjà travaillé avec lui pendant 4 ans.
00:39C'est un négociateur pur et donc il brandit un certain nombre de propos
00:44qui peuvent s'apparenter à des menaces et notamment sur les sujets commerciaux
00:48mais en fait il y a beaucoup d'autres sujets.
00:50Il y a le sujet de la défense en Europe, il y a beaucoup d'autres sujets.
00:53A ce stade, moi je n'ai pas vu de mesures concrètes signées, présentées par Donald Trump
00:58concernant les barrières tarifaires sur des produits européens.
01:01Est-ce que je peux vous dire...
01:02Je me permets de vous interrompre parce qu'il a dit
01:04l'Europe est très très méchante avec les Etats-Unis, on ne leur achète pas assez de produits.
01:07Ils sont bons, en parlant des Européens, pour les droits de douane
01:10et pendant sa campagne électorale, il ne vous avait pas échappé
01:12que Donald Trump avait évoqué le chiffre de 10% de droits de douane
01:15pour les produits issus de l'Union Européenne.
01:17Est-ce que ce serait gérable, est-ce que ce serait acceptable
01:2010% de droits de douane pour les produits européens ?
01:22Mais ça serait d'abord une mauvaise nouvelle pour les Etats-Unis,
01:25ça créerait un effet inflationniste.
01:27Et vous savez que le premier investisseur international en France, par exemple,
01:31ce sont les Etats-Unis.
01:32Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que l'exportation des produits
01:35par les investisseurs américains seraient eux-mêmes pénalisés,
01:38sans parler du fait que cela augmenterait les prix
01:41une fois les prix arrivaient aux Etats-Unis.
01:44Et je ne parle pas du fait qu'il y aurait des mesures de rétorsion,
01:47c'est-à-dire que l'Europe doit réagir dans ces cas-là.
01:50Ça serait quoi ? Ça serait œil pour œil, dent pour dent ?
01:51S'ils font plus 10, on fera plus 10 ?
01:54L'Europe, en tout cas, ne doit pas se laisser faire,
01:56ça c'est très clair, et c'est la voie que porte la France.
01:59Et s'il y avait des mesures de ce type-là,
02:03il faudrait que l'Europe soit en capacité,
02:05sur un certain nombre de produits et de services,
02:07de répondre.
02:08Et d'ailleurs, on l'a déjà fait sur le premier mandat de Donald Trump,
02:11et il le sait.
02:12Mais encore une fois, ce qui est très important...
02:14On avait monté les taxes sur les Harley-Davidson à l'époque,
02:16ce qui était quand même assez symbolique,
02:17mais qui n'était pas d'une efficacité forcément redoutable.
02:20Mais ça dépendra de ce que font les Etats-Unis.
02:23Encore une fois, la position de l'Europe,
02:25il faut toujours partir de ce principe-là.
02:27Il ne faut pas que ce soit un sujet anxiogène,
02:29mais il faut expliquer que l'Europe doit savoir se défendre,
02:32et que l'Europe doit s'affirmer comme puissance économique.
02:35Mais l'Europe ne veut pas,
02:37rentrer dans une guerre commerciale
02:39qui n'arrangerait personne,
02:40et encore une fois, à commencer par les Etats-Unis eux-mêmes.
02:43Et si Donald Trump n'a pas présenté dans son premier décret
02:46des mesures d'augmentation de tarifs douaniers,
02:49c'est aussi parce qu'il sait, et son administration aussi,
02:51que cela a d'abord des conséquences pour les Etats-Unis.
02:53Donc pour vous, c'est plutôt rassurant qu'il n'ait pas mis ça dans les premiers décrets ?
02:56C'est un signe politique ? Un message qu'il vous envoie ?
02:59Oui, je le crois.
03:00Et puis surtout, ça doit être un réveil pour l'Europe.
03:02C'est ça qui est important.
03:03On peut regarder Outre-Atlantique
03:05et commenter ce que fait chaque matin Donald Trump.
03:08Mais est-ce qu'à un moment, l'Europe va d'abord se concentrer sur elle-même ?
03:12Est-ce qu'à un moment, on va profiter de cette séquence,
03:15qui est l'investiture de Donald Trump,
03:16pour se dire qu'en Europe, on doit être plus uni ?
03:19En Europe, on doit avoir une politique commerciale plus affirmée ?
03:22En Europe, on doit d'abord investir ?
03:24Oui, mais l'Europe n'a jamais été aussi polyphonique.
03:26Évidemment, tout le monde dit...
03:28Emmanuel Macron a appelé une Europe forte et souveraine.
03:31Mais il y a les pro-Trump, il y a les méfiants,
03:33il y a ceux qui ne s'entendent pas, il y a ceux qui ne sont pas d'accord.
03:35On n'a jamais été aussi loin d'une Europe unie aujourd'hui.
03:39Vous dites que l'Europe n'a jamais été aussi polyphonique.
03:42Je dis que l'Europe doit être plus que jamais au diapason.
03:45Sinon, c'est l'affaiblissement de l'Europe qui est en jeu.
03:48Et évidemment que Donald Trump, en bon négociateur,
03:52va utiliser cette faiblesse-là, dans ce cas,
03:55pour chercher des relations bilatérales,
03:57avec l'ensemble des États membres.
03:59Et donc va fragiliser l'Europe.
04:00C'est l'inverse qu'il nous faut faire.
04:02Nous devons enfin, et peut-être que c'est le réveil...
04:05Vous savez, l'Europe peut être formidable dans des moments extrêmement sensibles.
04:09Souvenez-vous, au lendemain de la crise Covid,
04:11on a été capable d'investir et de s'endetter ensemble
04:14à hauteur de 750 milliards d'euros
04:16pour faire un grand plan de relance collectif.
04:18Moi, je crois qu'en ce début d'année 2025,
04:21c'est aussi le moment pour avoir une voix unie,
04:23pour se dire qu'on doit produire en France,
04:25on doit produire en Europe,
04:27on doit réindustrialiser et produire sur notre continent
04:30pour être une force industrielle et commerciale,
04:32et jouer ce rapport de force.
04:34Sinon, on va regarder les trains passer.
04:36La réponse à Donald Trump sera forcément européenne,
04:38ou elle pourra être française
04:40si on n'est pas satisfait des mesures prises au niveau européen.
04:42Est-ce que ça sera forcément la même chose,
04:44ou est-ce qu'on pourra faire entendre notre propre voix,
04:46si vous le jugez nécessaire ?
04:47La politique commerciale est d'abord une prérogative européenne,
04:50et c'est important que ça le reste,
04:52parce que c'est justement ainsi que nous sommes forts.
04:54Et il faut que la voix de la France à l'intérieur de l'Europe
04:57soit bien entendue.
04:59Et le Président de la République a exactement la même position
05:02depuis maintenant plusieurs années là-dessus.
05:04C'est que sans Europe forte,
05:06et je vous invite à réentendre tous ces discours
05:08qui finalement trouvent aujourd'hui tout leur sens,
05:11c'est sans Europe forte,
05:13sans Europe unie là-dessus.
05:15Encore une fois, avec des niveaux d'investissement
05:17qui doivent se rapprocher des Etats-Unis.
05:19L'Europe n'a pas à rougir.
05:21Vous savez qu'il y a plus d'épargnes privées en Europe
05:23qu'aux Etats-Unis.
05:24Vous savez qu'on a un marché de 450 millions d'habitants.
05:27Donc, notre faiblesse,
05:29c'est évidemment ce que vous dites à juste titre,
05:31c'est que parfois nous pouvons apparaître comme divisés.
05:33Notre faiblesse, c'est que nous avons une gouvernance
05:35qui peut nous fragiliser.
05:37Ça, il faut réussir à le dépasser.
05:39Est-ce que vous comprenez, aujourd'hui, ce matin,
05:41ce que veut la Présidente de la Commission Européenne,
05:43Ursula von der Leyen, sur ces questions de droit de douane ?
05:46Est-ce que vous le comprenez ?
05:47Est-ce que c'est clair dans votre tête ?
05:49Ursula von der Leyen a la même position
05:51que le Président de la République,
05:53à savoir qu'elle est d'abord pro-commerce,
05:55elle est d'abord pour la liberté de circulation,
05:59elle n'est pas pour la hausse des droits de douane.
06:01Ça, c'est la première chose.
06:03Non mais ça, il vaut mieux être riche et bien portant
06:05que pauvre et malade, tout le monde est d'accord.
06:07Je vous posais une question tout à l'heure.
06:09Est-ce que ça sera œil pour œil, dent pour dent ?
06:11Vous n'avez pas répondu précisément.
06:13Si ça doit l'être, ça le sera.
06:15Bien sûr.
06:17Sinon, ça voudrait dire quoi ?
06:19Ça serait un aveu de faiblesse terrible.
06:21Il faut que l'Europe, évidemment, soit en capacité
06:23de démontrer sa capacité de réponse ferme
06:25dans ces cas-là.
06:27En revanche, je le répète,
06:29l'Europe défend depuis très longtemps
06:31et continuera à défendre
06:33justement l'inverse.
06:35On a l'obligation d'avoir un système mondial
06:37de commerce international
06:39qui permette davantage de prospérité mais aussi
06:41d'autonomie stratégique.
06:43L'Europe a un excédent commercial avec les Etats-Unis
06:45et c'est bien ce qui ennuie le président des Etats-Unis
06:47là-dessus.
06:49Il ne serait pas acceptable pour l'Europe
06:51de voir ses biens, ses produits,
06:53ses services pénalisés
06:55pour rentrer sur le marché américain.
06:57Mais vous comprenez bien qu'il n'y a pas que l'Europe
06:59en jeu et dans le viseur de Donald Trump.
07:01C'est d'abord la Chine le sujet
07:03mais c'est aussi ses propres voisins, le Mexique
07:05et le Canada. Et donc nous devons
07:07aussi regarder dans les prochaines
07:09semaines, dans les prochains mois, comment va se dessiner
07:11ce nouvel ordre mondial d'un point de vue
07:13commercial et s'adapter.
07:15Nous devons d'abord proposer
07:17un agenda positif aux Etats-Unis
07:19qui reste un pays ami, qui reste un pays allié
07:21mais nous devons nous préparer à ce genre
07:23de mesures de rétorsion.
07:25Donc on comprend le message de la fermeté avec un pays ami.
07:27Laurent Saint-Martin, il y a quelques semaines encore, vous étiez ministre du budget.
07:29Aujourd'hui le ministre de l'économie Eric Lombard
07:31annonce qu'il n'y aura pas d'augmentation
07:33d'impôts ni pour les salariés
07:35ni pour les retraités.
07:37Ca veut dire que même les plus aisés
07:39ne payeront pas plus. C'est ça la ligne du gouvernement
07:41aujourd'hui ?
07:43C'est la ligne qui a effectivement été exprimée.
07:45Vous savez, nous pouvons dans notre pays
07:47réduire le déficit public
07:49sans passer par l'impôt et notamment
07:51par l'impôt de nos concitoyens.
07:53Il y aura des mesures
07:55exceptionnelles de participation
07:57notamment des très grandes entreprises.
07:59Il y aura aussi des mesures de justice
08:01fiscale pour les plus fortunés
08:03de nos concitoyens, notamment sur le patrimoine.
08:05Mais il n'y aura pas d'augmentation
08:07des impôts, notamment de ceux qui travaillent.
08:09Donc ça veut dire que c'est équivalent à ce qu'avait proposé le gouvernement Barnier
08:11quand vous étiez au budget, c'est ça ?
08:13Parce qu'on a du mal à comprendre, on lit un peu
08:15entre les lignes.
08:17C'est à peu près la même chose.
08:19Ceux qui ont le plus de patrimoine, qui payent le plus d'impôts,
08:21payeront un peu plus, mais il n'y aura pas de nouveaux impôts.
08:23C'est ça la ligne ?
08:25Oui. La philosophie est effectivement
08:27identique. Ce n'est pas par l'augmentation des impôts
08:29et notamment de ceux qui travaillent
08:31ou qui ont travaillé de la classe moyenne
08:33que nous trouverons la solution
08:35à la réduction de notre déficit
08:37public. C'est d'abord par la baisse de la dépense
08:39publique, c'est extrêmement important, et qu'il puisse
08:41y avoir des contributions exceptionnelles de très grandes entreprises.
08:43C'est normal, après des années
08:45où l'État a protégé notre tissu
08:47industriel, notamment pendant la crise
08:49Covid, mais l'impôt n'est pas
08:51la solution à tout. Il faut absolument
08:53se désintoxiquer de cette croyance
08:55dans notre pays. C'est ce que nous avions fait,
08:57vous avez raison, déjà lors du budget
08:59présenté par Michel Barnier,
09:01et c'est ce que le gouvernement fait aujourd'hui
09:03avec la poursuite de ce projet de loi de finances
09:05qui ne doit pas taper nos classes
09:07moyennes. Et qui tapera les plus
09:09fortunés, on est d'accord. Enfin, qui tapera, si j'en prends votre terme.
09:11C'est une mesure de justice
09:13fiscale pour les plus fortunés
09:15d'entre nous. Merci beaucoup, Laurent Saint-Martin.
09:17C'est plus facile d'être ministre du Commerce extérieur ou d'être au budget ?
09:19Vous savez,
09:21je crois que dans ces temps-là, il n'y a pas
09:23grand-chose qui est plus facile. Ce qui est sûr,
09:25c'est qu'il faut qu'on soit concentrés, mais quand on
09:27est sur ce nouveau temps géopolitique
09:29que vous avez bien décrit,
09:31on a aussi beaucoup de travail au commerce extérieur.
09:33Merci Laurent Saint-Martin d'avoir été en direct avec nous
09:35ce matin. Je rappelle que vous êtes en direct de Davos
09:37où vous participez au Forum Économique Mondial.