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00:0013h-14h, Europe 1 13h. 13h26 sur Europe 1, Europe 1 13h, édition spéciale, Céline Giraud, suite au décès de Jean-Marie Le Pen, et pour en parler avec vous Gabrielle Cluzel, Paul Melun et aussi Louis Dragnel du service politique d'Europe 1.
00:16Et avec vous chers auditeurs d'Europe 1 jusqu'à 14h, évidemment on va revenir sur cet événement, on peut le dire comme ça, on va en débattre, on va décrypter tout ce qui se passe, on aura des réactions tout au long de l'émission jusqu'à 14h,
00:28mais pour le moment je vous propose d'écouter cette archive sonore. Nous sommes le 26 février 2001 et Jean-Marie Le Pen au micro de Jean-Bierre Elkabache prédit une surprise pour les élections présidentielles qui se déroulent en 2002.
00:42Dans toutes les élections qui se sont passées nous avons fait 15%, moi j'ai fait 2 fois 4,5 millions de voix aux présidentielles, ce n'est pas rien.
00:50Autrefois.
00:51Autrefois, bien sûr le passé est derrière nous forcément, mais je vais vous démontrer que l'avenir est aussi devant nous.
00:56Je serai candidat et je pense que ceci constituera peut-être une grande surprise dans une élection qu'on préjuge aujourd'hui et dans laquelle on comprétend devoir se jouer entre Jospin et Chirac.
01:08Personne ne peut jurer aujourd'hui que Jospin ou Chirac seront candidats à ce moment-là et au deuxième tour.
01:14Voilà, Jean-Marie Le Pen au micro d'Europe 1 de Jean-Bierre Elkabache, c'était en 2001, une réaction Paul Melun.
01:21À cette époque-là ce n'était pas évident, il y avait eu la scission avec les maigretistes, Jean-Marie Le Pen n'était dans absolument aucune enquête d'opinion placée au second tour.
01:29Et je me rappelle aussi d'une interview de Lionel Jospin, où Lionel Jospin avait ri quand on lui avait dit « Monsieur le Premier Ministre, pourriez-vous ne pas être au second tour ? »
01:37Donc personne n'envisageait que Jean-Marie Le Pen puisse accéder au second tour.
01:40Pour autant, et ça a été dit par Louis et je pense que c'est aujourd'hui ce qu'on peut dire de plus important concernant sa mort, c'est que c'est une figure majeure de la Ve République et aussi une figure de la IVe République.
01:50Rappelons qu'il a été élu de son premier mandat sous la IVe, à l'époque il était Poujadiste, après il y a eu le mouvement nationaliste Ordre Nouveau et après il fonde le Front National en 1972.
02:05Donc il a une carrière politique d'une longévité extraordinaire, il est cinq fois candidat à l'élection présidentielle et c'est une des dernières grandes figures majeures de la Ve République qui s'éteint aujourd'hui.
02:19Donc c'est évidemment un séisme politique, ce qui va être très intéressant c'est d'observer les réactions, de regarder comment se positionnent les uns et les autres.
02:28C'est aussi, ça a été dit par Catherine Ney, un personnage qui sentait le souffre et toute sa vie il a gardé ça.
02:33Un paradoxe vivant disait Gilbert Collard.
02:35Un paradoxe vivant effectivement, entre certains messages qu'il a eus qui ont pu être prophétiques et d'autres qui ont franchement entaché sa vie entière politique
02:43et qui entache aujourd'hui encore l'image qui est corne, l'image du Rassemblement National sur le détail, sur du rafo-crématoire, toutes ces choses-là,
02:50qui sont restées autant de cailloux dans la chaussure du Front National pendant des décennies.
02:55Et je pense peut-être avait-il des regrets à ce sujet-là à la fin de sa vie, mais en tout cas c'est évidemment une figure majeure qui s'éteint aujourd'hui.
03:02Gabrielle Cluzel, que restera-t-il de Jean-Marie Le Pen ?
03:05Oui, c'est intéressant de se poser la question. Alors, ce qui va sans doute se passer, c'est que chez certains médias, on va tourner en boucle sur ces sujets très polémiques, toutes ces déclarations sulfureuses.
03:15On m'avait dit que le point de détail, du reste, son entourage, mais Catherine Ney l'a dit elle-même, lui avait demandé de présenter ses excuses avec sa tête de breton.
03:23Pendant deux heures, il s'est dit je vais le faire et puis deux heures plus tard, il a dit non finalement, je ne vais pas le faire.
03:28Tout en sachant qu'il avait fusillé quelque part sa carrière ce jour-là.
03:32Néanmoins, il ne faudrait pas que tout cela occulte trois points qui me semblent essentiels chez Jean-Marie Le Pen.
03:41Jean-Marie Le Pen, c'est d'abord le tribun, il a vécu comme un tribun, c'est comme ça qu'il a percé, c'est comme ça qu'il s'est maintenu, c'est comme ça qu'il a imposé, c'est l'idée.
03:48C'est sans doute un des très très grands tribuns du XXe siècle, du XXIe un peu plus, mais sans doute du XXe siècle.
03:56Il a été quand même lanceur d'alerte sur l'immigration et ça, nul ne peut le lui retirer.
04:03Alors certains ont dit oui, mais une fois qu'il en avait fait son fonds de commerce, plus personne ne pouvait en parler.
04:08Oui, sans doute, mais il était le seul à un moment à en parler.
04:11Et puis, il a eu cette intuition, il a fait naître le populisme en Europe.
04:14Il a eu cette intuition qu'il y avait des gens qui se sentaient sur le carreau et qu'il pouvait, en tant que lui-même réprouvé, les attirer à lui.
04:24Et c'est extrêmement intéressant, c'est la déclaration, vous savez, en 2002, quand il est arrivé au second tour, il a cité l'aiglon d'Edmond Rostand.
04:31Vous savez, cette tirade qui dit de flambeau le personnage de l'aiglon, nous les petits, les sangrades qui allions sans espoir de dotation.
04:41Et il a dit finalement, vous êtes avec moi les sangrades.
04:44C'était un peu un Trump avant l'heure, un Trump français avant l'heure.
04:49Et dernier point, vous savez, on dit beaucoup des French Theories, qu'elles ont été apportées par la France aux Etats-Unis et sont revenues vers la France.
04:55Eh bien, on peut dire que ce populisme, c'est un peu Jean-Marie Le Pen qui l'a inventé avec des méthodes que l'on retrouve chez Trump, de provocations successives, de clashs successifs,
05:03et qui se retrouvent aujourd'hui aux Etats-Unis. Peut-être reviendront-elles en France ensuite.
05:08Provocateurs sulfureux, c'est intéressant ce que dit Gabriel, sur le personnage aussi.
05:13Oui, provocateurs sulfureux. Et en même temps, moi ce que je trouve très intéressant, c'est qu'aujourd'hui, quand on voit des politiques de tous bords, même des macronistes,
05:20ils vous disent, bon, dès qu'on parle d'immigration, eh bien, en fait, Jean-Marie Le Pen avait raison.
05:24Alors, c'est des choses qu'il ne dirait pas publiquement, qu'il n'assumerait pas.
05:28Mais ce qui est vrai, c'est que Jean-Marie Le Pen a complètement fait voler en éclats des postulats de départ,
05:34à une époque où la France était obsédée par l'idée de la mondialisation, de désindustrialiser le pays, de tout faire basculer dans une économie de service.
05:42Eh bien, lui, en fait, incarnait une forme de rupture par rapport à tout ça.
05:45Et c'est vrai qu'il a eu une forme de vision sur, à la fois, la place de la France dans l'Europe, la place de la France dans le monde.
05:52C'est quelqu'un qui, toujours en magnant, comme l'a dit Gabriel, toujours avec un goût immodéré pour la provocation,
05:59et surtout un goût immodéré pour l'absence d'excuses, parce que c'est quelqu'un qui ne s'excusait absolument jamais, qui ne disait jamais qu'il s'était trompé.
06:07Aujourd'hui, on le voit bien, par rapport à toutes les questions qu'on se pose dans la société, la place de l'islam, l'immigration, l'industrie,
06:15même la question aussi de l'outre-mer, de la place de l'outre-mer dans la France.
06:22Toutes ces questions, ce sont des questions que Jean-Marie Le Pen a labourées toute sa vie, en passant parfois par des chemins un peu tortueux, en se prenant parfois des gamelles.
06:32Mais force est de constater que tous ces sujets n'ont pas été réglés, et qu'il n'y a que lui qui les portait il y a 35 ou 40 ans.
06:38Et sur tous ces sujets, il a fait montre, qu'on l'aime ou qu'on le déteste, d'une incroyable constance.
06:43C'est-à-dire qu'entre ses premières prises de parole de jeune député poujadiste, il a toujours été plutôt national-libéral.
06:52C'est une période très pro-business, très antipresse, anti-Etat.
06:57La rupture, je dirais, elle vient plutôt de sa fille en matière d'économie, puisque Marine Le Pen a une vision peut-être plus à gauche de l'économie que Jean-Marie Le Pen.
07:05Mais Jean-Marie Le Pen a été assez constant sur l'ADN poujadiste aussi, sur cette défense du petit commerce, des petits paysans, de la ruralité.
07:13Et puis c'était premier à dire, ses premiers slogans c'était les Français d'abord, puis Le Pen le peuple.
07:19Mais c'est ça, c'est un Trump français avant l'heure.
07:24C'était les mêmes modes de fonctionnement, Trump ne s'excuse jamais non plus, vous l'aurez noté.
07:28Et c'est vrai qu'il avait un côté, alors pour parler d'un autre président, riganien à un moment.
07:32Dans les années 80, il était vraiment sur une politique qui se mariait un peu avec le poujadisme,
07:38qui s'harmonisait dans la défense, vous savez, de l'artisan qui aimerait que l'Etat, vous savez c'était la formule de Reagan,
07:45descendre de son dos et sortir les mains de ses poches.
07:48Et ça, ça a été un vrai sujet.
07:50Par ailleurs, je voulais dire aussi sur la fondation du Front National, on renvoie souvent à la deuxième guerre mondiale, etc.
07:59En fait, le vrai acte fondateur qui a rassemblé ceux qui se sont alliés, parce qu'il y avait aussi des résistants, c'est l'OAS.
08:06C'est la défense de l'Algérie française, c'est la question algérienne.
08:09Et ça, ça a été vraiment l'intuition de départ du Front National, et d'où son attachement très fort avec les Harkis,
08:18et aussi une relation du reste avec l'Islam, pas du tout aussi manichéenne qu'on peut le dire.
08:2313h34 sur Europe 1, si vous nous rejoignez, édition spéciale consacrée à la disparition de Jean-Marie Le Pen.
08:28On l'a appris il y a quelques minutes à l'âge de 96 ans avec Paul Melun, avec Gabriel Cluzel, avec Louis de Ragnel,
08:34le chef du service politique d'Europe 1, et avec Alexandre Chauveau, qu'on va entendre dans quelques instants.
08:39Alexandre Chauveau y suit le déplacement de Marine Le Pen, qui était durant trois jours sur l'archipel de Mayotte.
08:45Elle a fait escale, Marine Le Pen, à Nairobi, au Kenya.
08:49Et Alexandre Chauveau nous explique à la fois comment elle a appris de la triste nouvelle, et comment elle va désormais devoir s'organiser.
08:56C'est évidemment une situation très spéciale. Marine Le Pen n'est qu'à quelques mètres de nous, à l'avant de l'avion,
09:01mais elle s'est isolée quelques minutes après l'annonce du décès de son père, tout près de la cabine du pilote,
09:07avant de revenir à sa place en pleurs. Situation, vous l'imaginez, tout à fait particulière.
09:12On respecte évidemment son deuil. Elle a fait passer le message qu'elle ne souhaitait pas s'exprimer pour l'instant,
09:17mais l'information a circulé parmi les passagers de l'avion et jusqu'à l'équipage de l'avion,
09:23qui ne devrait pas prendre de dispositions particulières pour l'instant, mais qui est prévu initialement à 22h50,
09:28avec un retard assez important qui s'accumule depuis notre départ de Mayotte en fin de matinée.
09:39Merci Alexandre Chauveau qui vient de réagir il y a quelques minutes.
09:44On l'entend, Louis Dragnel, réaction de Marine Le Pen dans l'ambiance que vient de nous décrire Alexandre Chauveau,
09:52et le communiqué désormais du Rassemblement national que vous venez d'avoir.
09:56Je ne peux pas vous le lire en entier parce qu'il est un tout petit peu long, mais je peux vous lire les premiers mots si vous voulez.
10:01Le communiqué de presse du Rassemblement national.
10:03Jean-Marie Le Pen nous a quittés, avec lui se tourne une page de l'histoire politique française,
10:08et compte tenu de l'impulsion continentale qu'il donna au combat pour les nations,
10:12de l'histoire politique européenne, privée de père par la guerre,
10:15il est resté toute sa vie un enfant du peuple, ce peuple de la terre et de la mer de sa Bretagne natale,
10:20ce peuple français oublié et parfois méprisé dont il fut, avec une éloquence reconnue et une culture immense, le tribun.
10:27Avec lui s'éteint l'un des derniers députés de la Quatrième République,
10:30un combattant d'Indochine et d'Algérie qui défendit de toute son âme et au risque de sa vie,
10:35l'idée de la grandeur française, un parlementaire certes indocile et parfois turbulent,
10:40mais toujours respectueux des institutions républicaines.
10:43Ensuite le communiqué revient sur la fondation du Front National,
10:48et en lisant le début de ce communiqué je me suis souvenu d'une chose,
10:51c'est que figurez-vous que Jean-Marie Le Pen avait demandé, il était député français,
10:56et il avait demandé une dérogation à l'Assemblée Nationale pour pouvoir partir combattre en Algérie,
11:01et objectivement c'est vrai que ce sont des comportements qu'on n'a plus beaucoup revus.
11:07En mémoire, je n'ai pas d'autre exemple de député qui demande à quitter provisoirement ses fonctions,
11:14et donc il avait obtenu une autorisation de l'Assemblée Nationale de 6 mois pour aller combattre en Algérie.
11:20Il avait un rapport à la nation, et ça s'incarne par l'exemple que donne juste titre Louis,
11:24il avait un rapport à la nation extrêmement charnel, même physique en fait, c'est ça.
11:29Le prolongement du raisonnement moral, intellectuel, jusqu'à l'engagement physique.
11:34Et on le voit d'ailleurs en lisant ses mémoires, il avait aussi,
11:38c'est peut-être là que je suis un petit peu moins d'accord sur la comparaison d'ailleurs avec Reagan et Trump,
11:42c'était aussi un homme qui était pétri de culture classique, et d'une culture classique je dirais nationaliste.
11:48Quand on lit ses mémoires, il n'y a aucun doute d'ailleurs sur son positionnement politique,
11:52il n'est pas de gauche, il n'est pas de la droite orléaniste, il est évidemment un authentique nationaliste,
11:57mais il a cette architecture de l'esprit que l'on retrouve, et je le déplore, à droite comme à gauche aujourd'hui,
12:03moins chez la nouvelle génération de politiques.
12:05C'est pour ça que tout à l'heure je parlais de sa constance à travers toute sa vie politique,
12:09et ses mémoires en témoignent, il y a une cohérence idéologique,
12:14il y a un véhicule intellectuel solide, et derrière ce menhir de la 5ème République,
12:20il y avait effectivement toute, comment dirais-je, une cohérence dans le combat depuis le début.
12:26Cohérence, Louis l'a dit, sur l'engagement par rapport à l'Indochine et l'Algérie évidemment,
12:30par rapport à l'OAS aussi, et ensuite cohérence sur un certain nombre de sujets civilisationnels,
12:35sur la nation, sur le rapport au monde, sur la place de la France dans le monde,
12:39et ça, qu'on soit d'accord ou pas avec ses postulats, avec ses constats, avec ses analyses,
12:44il est vrai que ça manque un peu aujourd'hui, à une époque où les politiques peuvent changer d'avis selon le moi,
12:49donc c'est quand même assez remarquable, ça tient aussi à cette génération d'hommes politiques,
12:53parce qu'on pourrait dire ça du reste, d'autres politiques disparues,
12:56mais il est le dernier de cette trempe à partir aujourd'hui.
12:59Gabrielle Cluzel ?
13:00Oui, vous parlez de l'aspect culture, alors c'est aussi générationnel,
13:03mais de fait c'est un homme qui avait une grande culture classique,
13:07moi j'ai deux petites anecdotes à raconter, j'étais dans une rédaction au tout début de ma carrière si j'ose dire,
13:13il avait dit deux choses, et il y a un jeune journaliste qui est venu me dire,
13:16enfin deux jeunes journalistes d'ailleurs, parce que c'était à quelques mois d'intervalle,
13:19qui sont venus me dire, mais qu'est-ce que ça veut dire en fait ?
13:21Le journaliste d'une chaîne publique lui avait dit,
13:24qu'est-ce que vous diriez si votre fils, fille, devient présidente ?
13:28Et il avait dit « Et nunc dimittis »
13:30« Et nunc dimittis » c'est une parole du prophète Salomon, du Cotic des Cantiques,
13:36qui dit « Maintenant je peux partir quand on lui présente le Christ »
13:38vous voyez d'ailleurs c'est d'actualité,
13:40donc il avait dit que c'est une façon de dire « Maintenant j'ai vu, je peux m'en aller »
13:44et une autre fois il avait dit « Vous mentez par prétérition »
13:47et mentir par prétérition aussi c'est une figure de style qui veut dire qu'on ment en disant qu'on ne ment pas,
13:53et c'est en disant sur le hiatus entre la culture de Jean-Marie Le Pen,
13:58de sa génération et de l'homme, et puis celle des petits jeunes journalistes d'autrefois,
14:02d'aujourd'hui pardon je leur jette pas la pierre mais c'est ainsi.