• hier
BRUT BOOK. C'est une histoire d'amour entre un homme et son chien, une histoire de vie et de mort. C'est une façon de voir le monde où prime le respect de la nature. C'est un livre écoulé à plus de 300 000 exemplaires. Cédric Sapin-Defour raconte son chien Ubac et "Son odeur après la pluie"…
Transcription
00:00Tout compagnon d'un animal, d'un chien, a connu cette scène où il a perdu, son chien est mort,
00:06il est profondément triste, accablé, et il va croiser quelqu'un qui va lui dire
00:11« dis donc, tu as une triste mine aujourd'hui, j'ai perdu mon chien ».
00:15On ne va peut-être pas le dire tout de suite, et puis à un moment quand même mince, on le dit,
00:19et on va recevoir une tape amicale et on va dire « quand est-ce que tu en prends un autre ? ».
00:23Et ça, évidemment, que si demain je dis que j'ai perdu ma femme, on va me prendre dans les bras.
00:33Je ne suis pas certain qu'on me dise « alors, quand est-ce que tu en reprends une ? ».
00:37Je suis Cédric Sapin-Defour, j'ai écrit « Son odeur après la pluie » aux éditions Stock,
00:42et c'est une histoire d'amour, une histoire d'amour entre un être humain et un autre être vivant,
00:51mais c'est véritablement une histoire d'amour.
00:54– Et l'autre être vivant est un chien qui s'appelle Hubak ?
00:57– Et l'autre être vivant est une espèce différente,
00:59est un chien qui s'appelait, qui s'appelle encore Hubak, ouais.
01:04– Est-ce que vous faites une distinction entre un être humain et un animal,
01:07un chien en l'occurrence, ou est-ce que vous les mettez exactement au même niveau ?
01:12– Moi, j'ai quand même tendance à horizontaliser un peu tout.
01:18Évidemment, ce n'est pas un bouvier bernois qui a inventé le vaccin contre la rage,
01:24mais quand même, déjà, je m'interroge sur les raisons qui ont fait qu'à un moment,
01:31dans l'histoire du monde et dans l'histoire de l'humanité,
01:35tout d'un coup, nous, nous sommes devenus un peu les patrons.
01:37Ça, ça m'interroge, je ne vois pas tout à fait ce que l'on a de supérieur aux autres.
01:41Je crois, les anthropologues avec qui je discute beaucoup en ce moment
01:46m'expliquent un peu qu'on n'a pas une immense qualité,
01:50on n'a pas un point fort, vraiment, mais on est assez bon partout.
01:54– Nous, les êtres humains ? – Nous, les êtres humains.
01:55Quand, pour survivre à quelques heures, quelques jours,
01:58à 3500 mètres, l'hiver, dans la neige, avec mes skis de randonnée,
02:03je suis obligé de m'enplumer de milliers d'euros de technologie
02:08et que je sors, j'ouvre l'abside de ma tente,
02:12et je suis là à essayer de trouver des stratégies pour à peu près
02:17survivre dans cet endroit-là, sans aller en plus dans des contrées vraiment hostiles,
02:22et que je vois mon Hubak ou mon chien sortir de cette tente
02:26comme il irait à la plage de Bonifacio,
02:31et qu'il s'ébroue et qu'il se couche dans la neige.
02:35J'ai quand même peu d'éléments factuels sur ce moment-là,
02:38me disant que le rapport ne doit pas être tout à fait horizontal et équilibré.
02:44Le chien, lui, il habite complètement la minute qu'il est en train de vivre.
02:50Avec une conviction, une vigueur, une ferveur, il ne refuse strictement rien
02:57de ce qui va pouvoir lui égayer, lui animer, lui remplir cette minute-là.
03:02Et on s'en fiche de ce soir, et on s'en fiche de qu'est-ce qu'on fera à Noël,
03:08et on s'en fiche aussi de ce qu'on a bien fait ou de ce qu'on a mal fait
03:12une heure, un jour, dix ans auparavant.
03:16Et ça, c'est très inspirant.
03:20En fait, c'est très inspirant d'être capable de se réaligner au temps et d'être pleinement...
03:27En fait, c'est une politesse, c'est une courtoisie à ce qui nous entoure.
03:33La compagnie d'un animal nous réapprend, parce que je pense qu'on l'a su.
03:39Je pense que le père de mon père, de mon père, de mon père, donc, ça remonte
03:43à des siècles et des siècles, savait parler au vent, aux arbres, aux fougères,
03:49savait entendre, savait sentir, savait...
03:54Nous, on sait encore beaucoup voir, mais le reste, on l'a un peu perdu.
03:56Donc, je tenais à ce que le parlement des sens s'élargisse,
04:01parce que c'est la vérité, en fait.
04:05C'est la simple et suffisante et puissante réalité de la vie avec un animal,
04:09c'est-à-dire qu'il nous réapprend à percevoir le monde avec une palette beaucoup plus large.
04:15Hubak, le chien, dans l'ouvrage, il arrive à prévoir les séismes.
04:21À deux reprises, vous racontez qu'en fait, il sort de la maison,
04:25parce que vous dites en tout cas qu'il a perçu le séisme avant que le séisme arrive.
04:29Et le fait qu'il y ait à la fois une ode à la nature et une place au surnaturel,
04:35qu'est-ce que vous en pensez, vous ?
04:36– Pour moi, finalement, ça n'est pas si contradictoire,
04:38c'est-à-dire que je considère, j'observe, j'ai vécu le fait que Hubak, en l'occurrence,
04:48était tellement en nature, tellement à la nature, tellement dans la nature,
04:54enfin, il faisait tellement partie de ce que nous, je souhaiterais que nous sommes,
04:58que nous soyons, c'est-à-dire, de nouveau, considérant la nature comme un alter ego,
05:06et que, en fait, nous considérant comme faisant partie de la nature.
05:09Mais en fait, je l'ai tellement vu lié à cette nature
05:12que le surnaturel n'est pas si loin que ça, en fait.
05:16– Oui, c'est-à-dire que ce que nous, on pourrait juger surnaturel,
05:18quelque part, c'est lui qui est en lien avec la nature.
05:19– Oui, et je crois, en fait, que justement, on a tellement perdu pied
05:23et on a tellement perdu cette connexion,
05:25on nous dit les êtres les plus connectés aujourd'hui,
05:27une génération hyper connectée, mais on est la génération,
05:31en tout cas, la génération qui est en train de perdre la connexion la plus flatteuse
05:36et la plus vitale et la plus nécessaire, la plus essentielle à mes yeux.
05:40Mais je crois qu'en fait, ce que l'on taxe de surnaturel,
05:43c'est une proximité à la nature, mais comme nous, on a fait ces pas de retrait,
05:47ces pas de retrait, mais finalement, on perçoit ça comme extra, supra, naturel,
05:53mais c'est peut-être tout simplement naturel et peut-être que ces antennes-là,
06:01ces récepteurs-là aux vibrations telluriques, aux forces du ciel,
06:07à ce qu'il va advenir, peut-être que nous les avions
06:10et que nous les avons un peu laissés de côté.
06:13– Sur le style littéraire, le style n'est pas forcément simple,
06:16il vise à une certaine élégance.
06:18Est-ce que c'est une question que vous vous êtes posée ?
06:21Pourquoi vous l'avez écrit ainsi ?
06:24– Ce n'est tout simplement pas une question que je me suis posée
06:26parce qu'il n'y a pas de construction, il n'y a pas de travail, il n'y a pas d'intention.
06:33Je crois véritablement que nous avons des façons d'écrire qui sont des façons de marcher,
06:43des façons de danser, des façons de tenir sa cigarette, des façons de s'asseoir.
06:47On a chacun nos styles, on a notre rapport au corps
06:51et ce rapport au corps, il va jusqu'à la façon même que l'on a d'écrire.
06:55Un chien réinvente vos lieux.
06:58Il fait peu cas de vos usages, de votre sens de circulation et de votre place préférée.
07:04Ubak ne va pas du tout où je pensais qu'il irait.
07:07Il redéfinit l'endroit vu de ses yeux et de son importance des choses.
07:13Je n'aurais de cesse d'observer sa vision du monde pour me souvenir
07:18comme la mienne n'en est qu'une parmi d'autres.
07:22Il ne faut pas grand-chose en fait pour ça, il suffit de s'asseoir par terre.
07:28Une des façons d'être qui m'a le plus manqué lorsque mes chiens,
07:31parce qu'il y a eu Ubak et d'autres chiens, sont morts,
07:33c'est de ne plus m'asseoir par terre.
07:35J'ai mis beaucoup de temps à m'asseoir de nouveau sur des fauteuils, sur des chaises
07:39parce que j'ai passé le clair de mon temps assis par terre à me mettre à leur niveau.
07:49Ça ne se joue à rien si on sortait un mètre entre la hauteur de notre regard debout ou assis
07:59et lorsqu'on se vautre par terre.
08:02En fait, ça change beaucoup de choses.
08:05Ça change notre façon de voir notre environnement, le monde et presque ce qui importe.
08:13Hier, j'ai bu un coup avec un ami à moi qui s'appelle Anthony,
08:17que je salue s'il regarde cette vidéo.
08:19Et je lui ai dit, demain j'interdoue, c'est vrai que ça peint de four pour son livre,
08:23son odeur après la pluie, le livre avec le chien.
08:27Alors sa réaction à lui c'était, ah non mais c'est ridicule.
08:32Les gens qui écrivent sur le deuil animal, je ne comprends pas, il faut que tu lui dises.
08:37En fait, il ne comprenait pas.
08:39J'imagine qu'il n'est pas le seul.
08:41Qu'est-ce que vous lui dites à Anthony, mon ami ?
08:44Est-ce que vous comprenez que des gens ne comprennent pas ?
08:47Ah mais moi je comprends toujours.
08:49Déjà je salue Anthony, je serais très demandeur d'aller boire un coup avec lui parce que...
08:58Il n'était pas agressif.
09:00Ah non mais je le sens, même jusqu'ici je ressens l'allemand d'agressivité d'Anthony.
09:04Mais je préfère, je crois à la compagnie des personnes qui ne sont pas tout à fait d'accord avec moi.
09:12Sinon c'est un ennui profond.
09:15Évidemment, je peux tout à fait comprendre que l'on ne comprenne pas.

Recommandations