Aux côtés de 8 autres femmes, Clara attaque la France auprès de la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour déni de justice face à l'acquittement de son violeur.
Droguée à son insu par un ami de longue date, elle a été violée en juin 2018.
Sexisme, décrédibilisation, mise en faute, passivité des forces de l'ordre et de la justice : elle raconte le parcours difficile et pénible qu'elle a dû traverser.
Droguée à son insu par un ami de longue date, elle a été violée en juin 2018.
Sexisme, décrédibilisation, mise en faute, passivité des forces de l'ordre et de la justice : elle raconte le parcours difficile et pénible qu'elle a dû traverser.
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00:00Au procès, c'était un énorme cirque.
00:02Je veux faire condamner la France auprès de la Cour européenne des droits de l'homme
00:05pour déni de justice suite à l'acquittement de mon violeur.
00:07Je vais vous expliquer pourquoi.
00:08En juin 2018, je porte plainte pour viol
00:11parce que j'ai subi un viol lors d'une soirée chez un ami.
00:15Et donc, je porte plainte dès le lendemain.
00:16La toute première personne que j'ai vue au commissariat,
00:19c'était super parce que c'était la capitaine.
00:21Et elle, pour le coup, c'était vraiment bien.
00:23Elle était très pro.
00:24Elle m'a directement dit que je venais porter plainte pour des faits graves.
00:28Et en fait, dans la foulée, du coup, dans toute la nuit,
00:30j'ai vu ensuite des policiers
00:32où là, pour le coup, c'était fastidieux.
00:36Ils n'étaient pas concentrés.
00:37J'aimerais bien dire à l'heure des charges qu'il était tard,
00:40mais il était 19h, donc franchement, ça va.
00:43Ils étaient très peu humains.
00:44Moi, j'avais 19 ans à l'époque.
00:46Sans aucun scrupule, ils m'ont posé des questions quand même très déplacées.
00:49Notamment, je me rappelle qu'on m'a demandé deux fois si j'avais pris du plaisir.
00:53Là, ils réalisent que c'était la nuit dernière,
00:55donc il faut m'emmener aux urgences très, très vite pour avoir des relevés.
00:58En ce qui me concerne, j'ai été vraiment reçue par une gynécologue hyper attentionnée
01:02qui a tout de suite compris ce qui se jouait pour moi.
01:04Pour le coup, même si j'étais hyper vulnérable physiquement,
01:07c'est la seule fois, je pense, où j'ai été vraiment entendue et considérée.
01:09L'accusé a été mis en garde à vue.
01:11Il y a eu la confrontation.
01:12Et puis, par la suite, l'instruction s'est enchaînée.
01:15C'est-à-dire que j'ai rencontré la juge.
01:17Elle a demandé une expertise psychologique qui s'est très, très mal déroulée
01:21parce que c'était une femme...
01:22J'ai appris par la suite qu'elle n'avait pas du tout envie de prendre mon dossier.
01:25Elle était submergée.
01:27Donc, en fait, elle n'a pas lu mon dossier quand elle m'a rencontrée.
01:30Et en fait, elle a appelé mon agresseur votre amie pendant tout l'entretien.
01:34Moi, j'ai complètement dissocié.
01:35Donc, son compte rendu dit que je suis aphasique et que je ne ressens qu'une émotion,
01:39ce qui fait sens quand même par rapport à l'état dans lequel j'étais à ce moment-là.
01:42J'avais déjà fait une première tentative de suicide une semaine après ma plainte
01:45où je me suis dit, mais en fait, là, c'est trop...
01:48Moi, j'arrête les frais maintenant.
01:50J'en fais une seconde suite à la sortie de cette expertise.
01:53Et en fait, cette femme, elle s'est vraiment concentrée sur un élément
01:56qui, elle, je pense, l'a choqué ou sorti de sa norme,
02:00c'est que j'ai été adoptée à la naissance.
02:01Et en fait, tout son compte rendu s'appuie sur le fait que je n'ai pas eu de figure paternelle,
02:05chose qu'elle sort un peu de son chapeau parce que pour le coup, j'en ai eu.
02:08Et donc, elle explique que je suis prête à tout pour faire plaisir aux hommes
02:12et pour avoir leur aval.
02:13Pour moi, c'était assez évident que c'était surtout relié au viol.
02:16Et elle demande une expertise psychiatrique
02:19parce qu'elle considère que ça ne relève pas de son métier à elle.
02:22Je fais donc l'expertise psychiatrique avec une femme...
02:26Je ne sais pas trop si elle a volontairement essayé de me choquer
02:30ou si, tout simplement, c'était un peu un monstre.
02:32Donc, quand je lui explique tout mon parcours jusqu'à ce moment-là,
02:35là, elle me demande de voir mes cicatrices.
02:37Donc, je lui montre.
02:39Elle voit qu'il y en a qui sont très fraîches
02:41et elle me laisse repartir comme ça, sans me demander si je suis suivie,
02:46si j'ai besoin d'aide.
02:47Et puis, quand je rencontre la juge,
02:50rebelote toutes les questions qui, pour moi, sont vraiment d'ordre sexiste.
02:54On m'a quand même posé la question à plusieurs reprises de...
02:57Oui, mais c'était un garçon, vous étiez une fille.
02:59Qu'est-ce que vous faisiez à dormir avec lui ?
03:01Toute la victimisation secondaire, donc tous les propos sexistes
03:04ou racistes, d'ailleurs, que j'ai pu entendre,
03:06en me culpabilisant, je pense que j'ai entendu une bonne flopée.
03:09J'ai porté plainte en juin 2018.
03:10Le procès a eu lieu en avril 2022.
03:12L'instruction s'est terminée en mai 2020.
03:15Donc, à partir de ce moment-là,
03:17je reçois un appel de mon avocat qui me dit
03:19que la juge demande à ce que ce soit correctionnalisé.
03:22C'est-à-dire qu'on enlève la pénétration
03:25pour que ça passe comme agression sexuelle.
03:27Et c'est soit ça, soit non-lieu.
03:28Moi, je réponds que c'est hors de question.
03:30La question de la pénétration ne se pose même pas dans mon cas,
03:32puisque lui, il a admis.
03:33Et puis, j'ai des séquelles gynécologiques qui le prouvent.
03:35Et donc, la juge finit par dire
03:37« Ok, ce sera aux assises, vous allez attendre. »
03:39Les assises, c'est là où sont jugés les crimes.
03:41En gros, les crimes, c'est tout ce qui concerne
03:43les meurtres, séquestration,
03:45les violences qui sont considérées comme étant les plus graves,
03:47mais surtout graves par rapport au danger
03:49que ça représente pour la société.
03:50Moi, ça dure trois jours.
03:52Et au procès, c'était un énorme cirque.
03:54Vraiment, j'ai eu l'impression d'être
03:56dans une très mauvaise pièce de théâtre.
03:57Tout prouvait que mon agresseur m'avait agressée.
04:00Même s'il a admis quand on lui a demandé
04:02« Mais en fait, vous n'avez pas l'impression
04:05d'avoir fait l'amour tout seul ? »
04:06Que moi, j'étais endormie et c'est daté.
04:07Il a admis que oui, en effet,
04:09il ne s'est pas posé la question de mon consentement,
04:10qu'en effet, il a choisi de ne pas se protéger
04:14pendant ce rapport et c'est un choix qu'il a fait seul.
04:16Dans tout son discours, c'est lui qui dit
04:18« Je l'ai retourné, je lui ai fait ceci, je lui ai fait cela. »
04:20Et à aucun moment, il n'y a un signe,
04:22même dans son discours à lui, de réciprocité de ma part.
04:24Mais lui défend que je ne dormais pas,
04:27sans pour autant pouvoir dire autre chose,
04:29que j'avais les yeux ouverts,
04:30tout en disant la moitié du temps,
04:32je ne voyais pas son visage.
04:33Enfin, tout restait très flou.
04:35En fait, en creusant vraiment,
04:37on se rend compte que ses propos
04:39ne tiennent pas du tout la route.
04:40Pendant le procès, il y a eu aussi
04:41quand même des vices de procédure.
04:43Moi, je les appelle comme ça.
04:44Je ne sais pas si légalement, ça se nomme comme ça,
04:46mais l'expert toxicologique n'est pas venu.
04:48Donc, je ne sais toujours pas
04:49à quel point j'ai été droguée,
04:51combien de cachets on a mis.
04:53Moi, à ce moment-là, j'étais sous anxiolytique.
04:54Et en fait, ce mélange-là,
04:56il pouvait me tuer.
04:57Et j'ai eu la chance de les avoir oubliés chez moi ce jour-là.
05:00J'aurais aussi pu être retrouvée morte le lendemain matin.
05:02Il y a eu des phrases comme
05:03« L'amitié fille-garçon a toujours une part d'érotisme. »
05:06Lui a été présenté comme un jeune homme
05:09hyper inexpérimenté en matière sexuelle.
05:11Donc, le pauvre, il s'est vraiment retrouvé là,
05:13un peu sans savoir ce qu'il faisait,
05:15mais en le faisant quand même.
05:16Concernant les séquelles gynécologiques,
05:18son avocat a avancé que son client avait un énorme pénis
05:21et que donc, ça expliquait les lésumes.
05:23On ne m'a pas tant avancé la question des preuves.
05:25Lui, il a été acquitté sur la notion de l'intention,
05:27que du coup, on connaît un peu mieux depuis l'affaire Pélico.
05:30Ça a été ça, c'est qu'en fait, à l'issue du procès,
05:32on m'a dit « On vous croit. Vraiment, on vous croit.
05:35Et on entend que vous n'étiez pas consentante,
05:37mais ils n'avaient pas l'intention de vous violer. »
05:39Moi, en fait, je pensais pouvoir faire appel.
05:40J'ai su vraiment, une fois que le verdict est tombé,
05:43que je ne pouvais pas faire appel,
05:44parce que justement, en cours d'assises,
05:46le procès, il ne se passe pas entre la victime et l'accusé,
05:48il se passe entre la société et l'accusé.
05:50Et tant qu'il n'est pas condamné,
05:51la victime, elle n'est pas considérée comme victime.
05:53Donc, elle ne peut pas faire appel de quelque chose
05:54pour laquelle elle n'est pas considérée.
05:56Et donc, quand on me dit « Vous êtes victime,
05:58mais pas reconnue comme telle »,
06:00il repart acquitté quand même, ce qui est énorme.
06:02On nous annonce le verdict en une phrase.
06:04Moi, je sors de la salle.
06:06J'essaie de sauter par la balustrade.
06:07Et en fait, à ce moment-là, il n'y avait aucune sécurité.
06:09C'est-à-dire que les deux gendarmes qui étaient présents
06:12étaient assignés au passage des sacs, etc.
06:15Et tous les autres qui auraient dû être là étaient dans la salle,
06:17parce que je pense que ça les intéressait
06:18de savoir l'issue de ce procès.
06:20Et donc, c'est une femme du collectif féministe contre le viol
06:22qui me rattrape.
06:23Et ensuite, je dis à mes amis,
06:25« Mais en fait, pour moi, ce n'est pas possible.
06:27Ça ne fait aucun sens. »
06:29Il y en a un qui me dit,
06:30« Écoute, il y a Émilie Spenton,
06:32qui est la victime des policiers de l'affaire du Quai des Urfèvres,
06:36qui a fait un recours à la Cour européenne des droits de l'homme
06:38pour dénoncer tout ce qui s'est passé pendant le procès. »
06:41Et donc, moi, j'avais une trentaine d'amis
06:42qui sont venus pendant les trois jours,
06:43qui ont listé tous les manquements qu'il y a eu pendant ce procès.
06:46Et donc, je l'ai fait.
06:48Donc, je fais un recours à la Cour européenne,
06:49puisque c'est ma seule et dernière possibilité
06:52qu'une institution reconnaisse que j'ai été victime.
06:54Et là, ce n'est plus par rapport à mon agresseur.
06:57Lui, il restera acquitté.
06:58Mais c'est par rapport à la façon dont j'ai été traitée par la justice,
07:01qui représente l'État français.
07:02Neuf mois plus tard, la Cour européenne accepte mon recours,
07:05ce qui était déjà une grosse victoire,
07:07parce qu'il y a 85 % des recours qui sont refusés.
07:09Et donc, à partir de ce moment-là, la France est mise en cause.
07:12Donc, à l'image de quand un accusé est mis en garde à vue,
07:14on est huit à avoir fait ce recours-là
07:16et à avoir eu notre recours accepté.
07:19Et en fait, on dénonce toutes les mêmes choses,
07:21c'est-à-dire la victimisation secondaire qu'on a subie,
07:24tous les propos sexistes,
07:26le renversement de la charge auprès de la victime,
07:28et on dénonce aussi la lenteur du système.
07:30Je pense notamment à l'affaire Julie, qui a été violée par des pompiers,
07:33où dix ans plus tard, elle n'avait toujours pas de verdict.
07:35Bon, tout ça pour qu'au final, il soit relaxé.
07:37Quand le verdict va tomber, si la France est condamnée,
07:39il n'y a pas de révision de nos procès.
07:41Ce n'est pas du tout ça qui se joue.
07:42Par contre, si la France est condamnée,
07:43il y a vraiment un aspect symbolique, d'une part pour nous,
07:46parce que vraiment, c'est notre dernière possibilité
07:48d'être reconnus comme des victimes par une institution.
07:51Et d'autre part, ça permettrait de mettre un coup de pression à notre gouvernement,
07:55qui est censé avoir fait la grande cause des femmes pendant ce quinquennat,
07:58qui ne l'a toujours pas fait.
07:59Pourtant, il y a toujours 94% des plaintes qui sont placées sans suite,
08:02et qu'il y a 0,6% des viols qui sont condamnés.
08:04C'est vraiment urgent de faire quelque chose,
08:07et concernant le traitement des victimes,
08:08et concernant l'évolution des dossiers.