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Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 13 décembre 2024 : la comédienne et réalisatrice Noémie Merlant. Son deuxième film "Les femmes au balcon" vient de sortir.
Transcription
00:00Bonjour Noémie Merlin, vous êtes de celles qui aiment à toucher à tout, à tout essayer,
00:04à avancer sans cesse sur des terrains parfois sinueux et accidentés, à la fois actrice,
00:10réalisatrice, chanteuse.
00:11C'est votre rôle de la peintre Marianne dans le film justement Portrait de la jeune
00:15fille en feu de Céline Sciamma qui a été le point de jonction entre vous et le public
00:19et entre vous et le métier également.
00:20Votre père a donc eu raison de vous pousser à monter sur scène au sein des cours Florent
00:25pour devenir comédienne.
00:26La passion du jeu est d'ailleurs née à ce moment précis.
00:29Depuis 2019, les plus grands réalisateurs ont fait appel à vous, cette actrice classée
00:34caméléon, engagée, passionnée, bosseuse, Jacques Odiard, Louis Garel, Hélène Lauras
00:40et encore Audrey Divan qui vous a offert le rôle d'Emmanuel, objet de fantasme, ancré
00:45dans la mémoire collective avec un axe qui apparaît dans votre deuxième film, Les femmes
00:50au balcon.
00:51Cet axe est celui de la quête du plaisir assumé qui dit plaisir dit implicitement
00:56liberté.
00:57C'est la deuxième fois que vous passez derrière la caméra.
00:59Que les choses soient claires, ce film n'est pas pour tous les publics.
01:02Il est gore, sanguinaire, parfois décalé avec un clin d'œil à Hitchcock ou l'histoire
01:07de trois filles accro aux très beaux mecs qui habitent en face de leur appartement.
01:11Vous dénoncez les violences faites aux femmes, les viols consentis, donc non consentis, le
01:16droit à l'avortement avec en toile de fond de meurtre, du sexe et un furieux besoin
01:20de liberté.
01:21Noémie, c'est un peu sex-héro, quel rôle quand même pour le deuxième film ?
01:25Sexe, rock'n'roll et puis, on va dire, sororité, liberté et un monde où on se
01:35défend.
01:36C'est étonnant parce que, en fait, vous ne transpirez pas ce film.
01:41Oui, on me le dit beaucoup.
01:43Et étonnamment, quand on voit les images et qu'on lit à travers les lignes, on comprend
01:51mieux qui vous êtes et pourquoi vous êtes aussi forte, finalement.
01:54Pourquoi le regard, il est aussi précis et aussi assumé ?
01:57Merci.
01:58Est-ce que ce n'est pas justement ce que vous vouliez raconter dans ce film, que votre force,
02:04elle vient de quelque part et que ce que vous racontez, c'est fort parce que, justement,
02:07vous l'avez vécu ?
02:08Parce que je l'ai vécu, parce que la force aussi, elle vient de ces trois femmes et de
02:16leur amitié.
02:17Et c'est quelque chose qui est très présent dans ma vie depuis longtemps et qui m'aide
02:20à puiser énormément de force, mais pas seulement d'humour, d'avancer dans la vie
02:28et d'avancer malgré les différentes agressions, viols ou autres que j'ai pu ou que mes amis
02:35ont pu subir aussi autour de moi.
02:37Donc ensemble, on s'entraide et on s'écoute surtout.
02:43Et je pense qu'il y a un manque d'écoute dans notre société par rapport à ça, au-delà
02:47de la justice et même des représentations au cinéma ou dans la littérature.
02:53Vous parliez du viol conjugal dans la présentation, dans le film.
02:56C'est vrai qu'on montre un viol conjugal.
02:58C'est des choses qui manquent.
03:01Donc, pardon, je pars en digression totale, mais il est différent de moi, ce film, parce
03:09que peut-être que, justement, toute la violence accumulée que j'ai pu accumuler, que je n'aime
03:14pas ressortir dans la vie réelle parce que je n'aime pas la violence.
03:17Malgré tout, dans un film, il y a un côté cathartique où, justement, je renvoie toute
03:23cette violence, mais en essayant de l'accoupler avec de l'humour parce qu'on est vraiment
03:27dans une comédie.
03:28D'ailleurs, une des références du film, c'est « Le Père Noël est une ordure ».
03:30Mais voilà, il y a un côté cathartique qui est un exutoire et qui, pour moi, est très
03:39important.
03:41Il y a quelques années, vous avez effectivement quitté votre chez-vous pour fuir un certain
03:44nombre de choses et vous avez trouvé des femmes, en vivant avec des femmes, des réponses
03:51et une sorte de pilier, quelque chose de très fort, de très solide.
03:55C'est ce qu'on découvre à travers ce film « Les femmes au balcon ».
03:58Je voudrais déjà qu'on parle du titre.
03:59Ça aussi, c'est un point d'humour parce que les femmes au balcon, quand on parle
04:02du balcon, en général, on parle de la poitrine des femmes.
04:05Ça, ça fait partie vraiment du film.
04:07L'humour, c'est essentiel pour avancer.
04:10Pour moi, en tout cas, dans ma vie, c'est essentiel et j'ai de la chance d'avoir
04:13des amis qui ont énormément d'humour.
04:15Et oui, pour moi, ça permet de se réapproprier les choses, de mettre à distance, de ne pas
04:25étouffer.
04:26Cet humour-là, il est vraiment présent dans mon quotidien.
04:29Donc, c'est pour ça que le film est teinté du début à la fin de cet humour, de ce côté
04:34aussi absurde.
04:35Il y a un côté UNESCO par moment, effectivement.
04:39Oui, et puis, je trouve que l'humour, la comédie, ça permet de parler de plus de
04:46choses, même plus en profondeur, et de rassembler aussi.
04:52Il y a un côté où l'humour et la comédie rassemblent, amènent au dialogue, aux discussions,
04:59aux prises de conscience peut-être plus faciles.
05:01Donc, je trouve que c'est vraiment un outil très important à tous les niveaux.
05:06Vous parlez, vous montrez du doigt les hommes, les agresseurs.
05:12Les agresseurs, très exactement, mais c'est une réalité.
05:14Ils sont toujours, en tout cas, quand les hommes apparaissent dans ce film, Noémie,
05:17ils sont toujours problématiques.
05:19Ils ne sont pas là dans un but de faire du bien aux femmes ou de les respecter ou de
05:24prendre soin d'elles, bien au contraire, de les abîmer.
05:26C'était important pour vous un peu d'inverser aussi, quelque part, le miroir.
05:32Oui, c'était important.
05:34Le film, comme je disais, on est dans l'absurde, on est comme dans une fable, presque.
05:40C'est le personnage de Nicole qui commence et qui écrit cette histoire.
05:43Elle est écrivaine, en fait.
05:44Oui, elle écrit son premier livre et donc, elle s'autorise à essayer différents genres.
05:49C'est pour ça que le film essaye différents genres aussi, parce qu'elle a envie de trouver
05:54sa liberté, sa manière de raconter.
05:56C'est vrai que parfois, dans mon film, il y a des réactions, alors moins que ce que
06:01je pensais et ça, j'en suis ravie.
06:05De la part de femmes et d'hommes, d'ailleurs, mais il y a toujours cette réaction où c'est
06:11contre nous, les hommes, alors que pour moi, pas du tout.
06:16Au contraire, c'est un film qui est fait pour rassembler, se questionner ensemble et
06:23en utilisant des renversements de codes qui ont été très présents.
06:30Est-ce que vous avez l'impression que les choses avancent, Noémie ?
06:32Je voudrais juste revenir sur ce film qui vous a révélé.
06:36Vous étiez aux côtés d'Adèle Haenel, à ce moment-là, qui est à l'origine d'une
06:41énorme avancée de dénonciation de ce qui peut se passer dans le milieu.
06:44La suite, effectivement, de ce président de festival qui avait été imaginé comme
06:50étant Roman Polanski.
06:52Est-ce que vous avez le sentiment que ce mouvement MeToo, il sert à quelque chose,
06:56qu'il fait avancer les choses ?
06:58Oui, je pense qu'il fait avancer les choses.
07:00Après, malheureusement, on le sait par rapport à l'histoire, dès qu'il y a eu des
07:06avancées féministes, il y a eu aussi des backlashs derrière.
07:10Il y a un endroit où il faut rester vigilant et vigilante, mais je trouve qu'il y a plein
07:16de choses de positives qui se passent.
07:18Comment ?
07:20Déjà, je pense qu'il y a quelques années, je n'aurais pas pu faire ce film, par
07:23exemple. Déjà, je trouve ça super.
07:27Je trouve, je ne sais pas, même s'il y a toujours des soucis sur certains plateaux,
07:34il y a toujours des comportements qui sont… comme s'il y a certaines personnes qui
07:38n'avaient pas du tout entendu parler du mouvement MeToo.
07:41Mais il y a d'autres personnes aussi, hommes et femmes, à qui ça a complètement
07:49changé leur rapport au travail et qui ont eux-mêmes ou elles-mêmes trouvé un
07:53apaisement. Et il y a plus de dialogues, en fait, il y a plus de respect des espaces
07:58de chacun. Mais on est au début, donc il y a énormément de choses à faire encore,
08:01mais ça donne de l'espoir.
08:07Vous avez démarré en tant que mannequin.
08:09Enfant, avec votre sœur, vous regardiez des films de Kung-Fu.
08:12Vous étiez fan de Bruce Lee.
08:15À Nantes, vous avez grandi et il y aura le chant, la danse contemporaine, la danse
08:18classique et effectivement les cours florants.
08:21C'est votre père qui vous a poussé.
08:24Il a compris très vite, lui, instinctivement, que vous étiez faite pour ça.
08:29Oui, alors que lui-même n'y connaît rien, ce n'est pas du tout son domaine, mais il
08:33a un don pour déceler chez les jeunes à chaque fois, vraiment être à l'écoute
08:42pour savoir quelles sont nos passions et nous le rappeler.
08:48Je dis ça parce qu'il fait ça aussi avec d'autres jeunes qu'il rencontre, des
08:54cousins, des cousines.
08:56Il est très comme ça.
08:59Et moi, tout de suite, il m'a dit, mais attends, tu ne vas pas te lancer dans des
09:02études. Parce que j'avais un côté bon élève, mais je faisais ça parce qu'il
09:07fallait faire ça, parce qu'à l'école, on nous apprend à réussir et être dans un
09:15truc un peu sécure, alors que lui, non, c'est la prise de risque pour être épanouie.
09:20Et c'est très beau, je trouve.
09:22On a eu un peu peur au début quand on a vu que c'était plus compliqué que ce qu'on
09:25pensait de faire ce travail.
09:27Mais au final, on ne regrette pas.
09:29C'était inévident. Je me sentais plus en vie sur un plateau que dans la vie réelle.
09:34Je me sentais plus libre.
09:36Tout ce que vous avez fait, quand on regarde bien, je me suis amusée à regarder tous
09:39les films que vous avez faits en tant qu'actrice.
09:41Il y a toujours un engagement.
09:43C'est vrai qu'on le lit régulièrement.
09:45Noémie, c'est quelqu'un de très engagé.
09:47Jacques Audière le dit, Louis Garrel le dit.
09:50Tout le monde le dit, finalement.
09:51Tous ceux qui ont réalisé des films dans lesquels vous êtes le disent.
09:56En même temps, ça dit des choses.
09:59Est-ce que ça, c'est une condition sine qua non, quasiment obligatoire, pour que vous
10:04disiez oui à un film, c'est qu'il fasse avancer les choses ou le regard des autres ?
10:08Parce que même dans Emmanuel, par exemple, vous incarnez, c'est dans la mémoire
10:13collective, c'est un objet sexuel, de fantasme, de tout.
10:17Vous allez affronter ça, entre guillemets.
10:19Donc, il y a aussi, encore une fois, une invitation à changer les mentalités.
10:25Et on a le sentiment que ça, ça fait partie de vous, Noémie, qu'il faut que ça dise
10:28quelque chose.
10:29Oui, oui, parce que sinon, vous soyez un transsexuel sourd.
10:34Enfin, voilà, il y a toujours quelque chose.
10:35Oui, il y a toujours quelque chose, parce que j'aime bien mettre du sens dans ce que
10:42je fais. Et si ça n'a pas de sens, enfin, oui, j'aime, en tout cas, trouver des
10:51histoires ou des personnages qui, peut-être, parfois dérangent ou sont différents ou
10:56justement, n'ont pas suffisamment d'espace dans la société ou dans les
10:59représentations. Et tout ça dans le but à chaque fois.
11:03Mais que ça soit, d'ailleurs, une comédie, quelque chose de plus commercial ou
11:06quelque chose de plus indépendant, ce n'est pas la question de la forme du film.
11:10Mais dans le fond, oui, il faut que ça crée du lien entre les gens et que ça fasse
11:14avancer les choses dans le sens, c'est un peu bizarre de dire ça, mais vers quelque
11:22chose de, oui, qui tend vers le mieux, vers le partage et l'acceptation de l'autre et
11:26de soi, du coup.

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