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"À 18 ans, quand j'ai découvert la littérature, j'ai pété un câble en fait."
BRUT BOOK - Vous aimez lire des livres, tranquille sur une chaise ? Pas sûr que cette vidéo vous plaise. Par contre, si vous aimez être surpris, jetez un oeil à cette interview de Victor Malzac. Diplômé de la prestigieuse école Normale Sup et aussi fan de One Piece et Call of Duty, il déboule à seulement 26 ans avec son premier roman, “Créatine”, après avoir publié trois livres de poésie.
Transcription
00:00On a une conception du livre qui est très comme ça, c'est un peu la messe quoi, on est assis, on regarde quelqu'un assis aussi qui lit un truc comme s'il lisait la Bible et on s'ennuie.
00:11Moi je voulais me mettre debout et lire fort et regarder les gens et les captiver. Le livre écrit ce n'est qu'une partie du livre pour moi.
00:19Bon, alors on va lire quelques passages, enfin vous allez lire quelques passages, moi je vais écouter, vous pouvez le faire debout si vous voulez ou assis, c'est vous qui voyez.
00:25Je veux bien lire debout mais...
00:27Bah je vais m'arranger.
00:28J'étais déjà trop différent des autres, donc les autres ne voulaient pas me parler.
00:32Les autres restaient en eux, tous ces minables, tous ces cons là, tous ces cons, ils allaient faire des choses entre eux.
00:38Hein ? Alors ça fait quoi maintenant ? Hein les cons ? Ils n'avaient pas compris qui j'étais, qui j'allais être, qui j'allais devenir.
00:45Ils ne savaient pas, tous ces cons, que je serais plus beau que l'acteur américain Brad Pitt qu'ils allaient voir au cinéma.
00:50Hein ? Ils ne savaient pas que je ferais le triple de son poids aujourd'hui.
00:54Enfin là, sur la photo, ah ah ah, bien fait, hein ? Allez, ça fait quoi maintenant, hein ? On se sent comme une merde, hein ?
01:00Tous ces cons qui ne voulaient pas se mêler à moi, je me demande ce qu'ils doivent penser aujourd'hui de moi quand ils me voient sur la photo, je me demande.
01:06Je suis sûr, je suis même sûr qu'il y en a qui sont morts. Enfin, enfin bref.
01:11Je m'appelle Victor Malzac, je viens de sortir un livre qui s'appelle Créatine dans la collection Scribd des éditions Gallimard.
01:19Et ça parle d'un mec qui fait beaucoup de sport pour devenir comme Schwarzenegger, dans l'idée que ça va l'aider à séduire toutes les femmes,
01:26et que ça fera de lui le modèle idéal de ce qu'est un homme très viril.
01:31Pour préparer cette interview, je vous ai Google-isé, et puis j'ai marqué aussi votre nom dans mon YouTube.
01:35Alors là, c'est étonnant. Vous avez 26 ans, vous êtes un poète, puisque vous avez écrit plusieurs livres de poésie,
01:41notamment Vacances et Dans l'herbe, que je recommande à tout le monde.
01:45Et puis vous êtes aussi, il y a des vidéos que vous avez faites il y a longtemps, des montages de jeux vidéo.
01:52Et par ailleurs, vous avez fait Normal Sup, etc.
01:55Moi j'ai tapé ça, et puis je me suis dit, mais c'est qui ce mec ?
01:58Alors je vous pose la question, vous êtes qui ?
02:01Je ne sais pas, mais pour répondre vite, moi je suis un mec un peu obsessionnel.
02:06Donc j'ai des passions qui me viennent comme ça, je les exploite jusqu'au bout, et puis je me lasse, et alors j'arrête.
02:12Quand j'étais adolescent, moi je jouais beaucoup aux jeux vidéo, je faisais des compétitions, alors à petit niveau, mais j'en faisais quand même.
02:19Et puis je jouais à Call of Duty, aux jeux de tir, absolument que les jeux de tir.
02:25Vers l'âge de 12-13 ans, je me suis rendu compte que les jeux de tir, c'était aussi assez esthétique, les mouvements, la rapidité.
02:31Alors j'ai fait en autodidacte du montage vidéo de mes 13 à mes 18 ans, à peu près.
02:36C'était bien, ça m'a beaucoup plu.
02:39Et puis à 18 ans, quand j'ai découvert la littérature, ça a été une sorte de mantra, j'ai pété un câble en fait.
02:49Je me suis dit, la littérature peut englober tout.
02:52Alors je me suis dit, pourquoi pas aller à la source et écrire moi-même mes livres.
02:56Alors je ne viens pas d'un milieu lettré, mais je me suis dit, et alors peu importe, moi si je kiffe quand j'écris, il faut y aller.
03:06Et comment on passe de Call of Duty à Normal Sup ?
03:09J'ai beaucoup travaillé, j'avais énormément confiance en mon travail, en moi, et puis la passion.
03:16Parce que moi, quand j'ai découvert les livres et j'ai vu, ah ouais on peut faire ça, tout a changé pour moi.
03:23Quand on a lu jeune, ou quand on fait une prépa en se disant, je vais lire Racine, je vais lire Shakespeare et tout ça,
03:30on ne se rend pas compte que ces gens ont été vivants.
03:33Ça c'est systématique.
03:35Les gens qui font des études de lettres ont un blocage en général quand ils arrivent.
03:41Ils se disent, je m'attaque à des monuments.
03:43Et pour moi ça n'a jamais été des monuments.
03:45C'était moins des monuments que Schwarzenegger ou que One Piece ou que des choses comme ça.
03:52Parce que One Piece, c'est ce que vous lisiez à l'époque ?
03:54Quand j'avais 10 ans, moi je ne lisais pas Stendhal et Dostoevsky.
03:59Comme beaucoup de gens de l'âge de 10 ans dans les années 2000, on lit One Piece, on lit Naruto, on lit Hunter x Hunter.
04:07Des trucs accessibles, populaires, pas chers.
04:10Les mangas, en fait, c'est la littérature la plus accessible.
04:13Ça va à l'essentiel, c'est beau, il y a une histoire hyper tissée, il y a plein de personnages.
04:18Moi je suis entré par la littérature.
04:21En fait, quand j'ai compris que la poésie intégrait le monde, mais aussi que les mangas avaient une part poétique.
04:28Quand j'ai compris que le mot poétique voulait tout et rien dire, tout s'est libéré pour moi.
04:33On dit que les gens ne lisent plus.
04:34Ça, je ne suis pas sûr que les gens ne lisent plus.
04:36Je pense qu'ils lisent autrement et qu'ils ne vont pas lire ce qu'on appelle des romans traditionnels.
04:41En fait, si on réfléchit bien, un téléphone, c'est quasiment que de l'écriture tout le temps.
04:46Je ne pense pas que les jeunes lisent moins.
04:48Je pense en revanche que ça les ennuie, les livres qui sont écrits, qui sont un peu datés.
04:53C'est-à-dire qu'ils ne prennent pas en compte les réalités du monde.
04:58On fait des lettres, on est sérieux.
05:01Nous, on est là pour réfléchir, on est là pour dénoncer, on est là pour parler de la guerre, de la politique, du truc.
05:07En fait, les mots, c'est déjà en soi un privilège.
05:10De pouvoir parler, de pouvoir écrire, c'est un privilège.
05:14Les auteurs et autrices doivent écrire sérieusement, rigoureusement, mais doivent s'adresser aux gens.
05:19Ils doivent aller vers les gens, doivent parler des gens, sinon on va créer une fracture.
05:24Et d'ailleurs, elle est à peu près déjà là, cette fracture.
05:27On devrait un peu remettre la littérature dans ce qu'elle est, c'est-à-dire quelque chose de purement ludique.
05:44Donc, ma méchanceté, ça va deux minutes.
05:47Je peux hausser le ton aussi, je peux te péter la gueule aussi.
05:51Non, je ne ferai pas ça, je dis ça comme ça un peu.
05:54Mais ma mère, oui, ma mère, moi, ma mère, elle était fade comme un plat de la cantine.
05:59Ma mère, elle était fade comme un plat de la cantine.
06:03C'est un truc qui vous vient naturellement ou c'est un truc intellectualisé ?
06:08En fait, moi, j'écris des flux, un flux d'un coup.
06:15Et après, je retravaille ce flux.
06:17Et ce n'est pas intellectualisé.
06:19Quand j'écris, je ne me dis pas, tiens, je vais faire une métaphore ou je vais parler de la cantine.
06:23En fait, je me plonge dans la tête de mon personnage.
06:25J'écris, j'écris, j'écris.
06:27Je me mets dans sa tête et je pense comme lui.
06:29Donc, j'écris des tonnes et des tonnes de choses.
06:31À la fin, là, en fait, il y a 30% de ce que j'ai écrit vraiment.
06:36Moi, j'écris à partir de rythme.
06:38En fait, avant d'écrire, c'est très simple.
06:41J'ai une autre obsession, c'est la musique.
06:45En fait, je prépare à l'avance des playlists de musique.
06:47Et ça me met dans un état particulier que je traduis avec des mots
06:51parce que c'est le médium que je sais utiliser et qui me plaît le plus.
06:55Vous écoutez en écrivant ?
06:56Oui, j'écoute en écrivant.
06:58J'ai une routine d'écriture très stricte.
07:00C'est toujours la même.
07:02Il y a la playlist, il y a la même table.
07:05Et je mets ces musiques en boucle.
07:07Dans le désordre, mais c'est toujours les mêmes musiques.
07:09Et tant que le livre n'est pas fini, j'écouterai les mêmes musiques.
07:12Jusqu'à l'épuisement, d'ailleurs.
07:13Et pour ce roman-là, Créatine, vous allez écouter quoi ?
07:15Sébastien Tellier, essentiellement.
07:17Beaucoup de techno un peu dark, un peu techno allemande, un peu énervé.
07:22J'aime bien l'idée d'une cadence.
07:24En fait, les belles images, les belles descriptions,
07:27on les contemple, on les regarde, c'est très bien.
07:29Mais elles n'entrent pas en nous.
07:31Moi, je n'ai pas le sentiment que ça entre en moi.
07:33Et moi, j'aime bien l'idée de contaminer les gens avec le mouvement.
07:36Et alors, là, pour ça, la musique rythmique sans paroles, c'est la meilleure.
07:41Mon père, il me demandait en rigolant si je pouvais être sympa
07:45et lui montrer des photos de mes copines sur l'ordinateur à lui aussi.
07:49Bref, il voulait comprendre pourquoi je regardais ses photos tous les soirs et tous porno.
07:54J'allais voir toutes les catégories pour comprendre, pour avoir de l'expertise.
07:59Mon père criait à table sans s'arrêter.
08:10Il disait ça à table et ma mère ne riait pas, ne parlait pas.
08:13Elle ne disait rien, ma mère.
08:15Ma mère se contentait de boire son vin rouge sans rien dire.
08:18Et mon père continuait comme ça en riant de son rire atroce et graveleux.
08:22Est-ce que vous avez voulu parler des hommes d'aujourd'hui à travers ce livre ?
08:26Oui, parce que je ne vais pas me prétendre féministe,
08:32alors que c'est beaucoup plus compliqué que ça.
08:36Déjà, au vu de ma gueule et de mon genre, je ne peux pas me permettre de récupérer des discours.
08:40En revanche, je peux parler de ce que je connais, c'est-à-dire le monde masculin,
08:45surtout pour les jeunes adultes masculins.
08:47C'est un monde qui est encore très bloqué dans des préjugés virilistes du type
08:52« il ne faut pas pleurer », « il faut être musclé », « il faut parler comme ça aux femmes ».
08:57Et ça, c'est quelque chose dans lequel je ne me retrouve absolument pas.
09:00Il y a dans tout ce bassin viriliste un sous-bassement qui est l'homophobie.
09:05Et ça, dans Créatine, c'est important, c'est-à-dire
09:09comment les salles de sport montrent des hommes à poil tout le temps,
09:13mais tout en disant qu'il ne faut pas être homo, que ça c'est pédé,
09:18qu'il ne faut pas mettre de lits, qu'il ne faut pas se raser les poils.
09:21Et en fait, il y a plein de paradoxes comme ça, pas réglés,
09:24alors que les salles de sport, c'est quand même le temple des mecs musclés, beaux.
09:29Moi, je trouve les hommes de salles de sport très beaux, très attirants,
09:32mais il ne faut pas non plus...
09:34C'est rare, en fait, les clubs où on peut être bienveillant, inclusif
09:38et où on tolère la présence homo-érotique, en fait.

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