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"Il y a une injonction à se remettre vite mais on n’est pas obligé d’aller bien tout de suite"

BRUT BOOK. Avec 7 millions d'exemplaires vendus depuis ses débuts, Virginie Grimaldi est l'une des autrices les plus lues en France. Son dixième roman "Plus grand que le ciel", elle l'a écrit après la mort de son père, comme pour garder un lien avec lui. Elle raconte.
Transcription
00:00J'ai lu que vous aviez écrit votre premier roman à 8 ans et que c'était une histoire
00:03de coucher de soleil.
00:04C'est vrai ?
00:05Oui, c'est vrai.
00:06Alors ce n'était pas un roman, c'était 3 pages d'un roman, donc c'était un début
00:09de roman sur un cahier de brouillon et j'écrivais juste l'histoire d'un coucher de soleil donc
00:14c'était très chiant.
00:15Et mon père me l'a dit et j'ai renoncé pour la première fois à mon rêve d'écriture.
00:20Il vous a dit que c'était chiant ?
00:21Oui, oui, je me souviens qu'il m'avait dit oui, c'est un peu long, il ne se passe pas
00:25grand-chose.
00:27C'est votre dixième roman, c'est un roman très personnel puisqu'il est question de
00:32diverses choses et notamment c'est en lien avec la mort de votre père.
00:36Mon père est décédé en juillet et dès juillet, je n'ai pas accepté, je n'ai toujours
00:41pas accepté aujourd'hui son départ et donc j'ai eu besoin de poursuivre cette relation
00:48je crois et de lui écrire, donc je lui écrivais en évoquant plein de souvenirs, j'avais besoin
00:55de noter tous les souvenirs que j'avais avec lui avant qu'il s'évapore parce que
00:59je sais que le temps emporte tout ça et je crois que c'était extrêmement douloureux
01:05et que ça me plongeait dans une espèce de chagrin dont je n'arrivais pas à me sortir
01:11et très naturellement, mais c'est difficile à expliquer parce que c'est quelque chose
01:15qui n'est pas pensé, il y a des personnages qui sont venus se rajouter, il y a de la fiction
01:19qui est venue adoucir cet acte d'écrire et c'est devenu un roman.
01:23Mais au départ, après cette épreuve, je n'avais pas prévu d'écrire un livre et
01:29surtout pas sur ça parce que là c'est très difficile pour moi d'en parler et d'en faire
01:34la promotion et en même temps ce livre m'a été nécessaire, alors il ne m'a pas réparée
01:45parce qu'on en est loin, mais il m'a quand même accompagnée et les personnages justement
01:49que j'ai créé m'ont accompagnée pendant ce processus.
01:54– Mais le fait d'écrire un livre, ça veut dire que pendant des mois, tous les jours,
01:58vous devez vivre avec ça et se confronter à ça, est-ce que c'est pas dur ?
02:01– C'était pas une bonne idée, j'ai pris beaucoup de poids parce que j'ai beaucoup
02:05mangé, j'ai un peu mangé mes émotions pendant l'écriture et c'était pas une
02:10bonne idée et en même temps quand j'ai fini de l'écrire, j'ai plongé encore
02:14plus parce que ce lien-là que je maintenais en lui écrivant, même si c'est enrobé
02:22de fiction, il n'existait plus donc je me suis retrouvée un petit peu désœuvrée,
02:27c'est comme si la relation s'arrêtait vraiment là, donc c'est le moyen que j'ai
02:33trouvé, mais c'était pas l'idée du siècle, j'aurais peut-être dû attendre
02:36quelques années avant de m'y plonger et ce qui a été hyper dur aussi c'était
02:40la relecture parce qu'on relit les romans pour les corriger plusieurs fois et il y
02:44a des passages que je n'ai pas pu relire parce que même s'il y a beaucoup de fiction,
02:48il y a aussi, je me cache derrière la fiction parce que je sais que les lecteurs ne sauront
02:52pas ce qui est vrai et ce qui est faux, mais il y a aussi beaucoup de vrai et de relire
02:57certaines scènes ça a été assez douloureux.
02:59– Vous l'avez commencé à écrire en juillet, en août ?
03:02– En août.
03:03– D'accord, donc un mois après le décès de votre père, vous commencez à l'écrire
03:06et vous avez écrit pendant combien de temps ?
03:08– Moi je l'ai terminé en février ou mars, donc ça a pris plusieurs mois et c'est
03:16celui que j'ai mis le plus de temps à écrire, pourtant je passais des nuits entières devant
03:23mon écran mais il y avait des choses qui ne sortaient pas et d'autres fois où ça
03:29jaillissait c'était vraiment, oui ce souvenir de l'écriture de ce livre ça restera un
03:35souvenir particulier.
03:36Dans tous les romans que j'ai écrits ça a été, je vivais les choses en même temps
03:41que je les écrivais, je digérais sa mort pendant que je l'écrivais et c'est vraiment
03:47particulier et en même temps c'est ce qui m'a permis de vraiment être au plus proche
03:53de ce qu'on ressent dans ces moments-là, d'être au plus juste, pour moi c'est super
03:57important d'être juste, je crois que c'est le truc que je veux le plus réussir dans
04:01mes romans, c'est d'être juste avec les émotions, je veux jamais tomber ni dans
04:05le pathos, ni dans le mièvre, ni dans c'est fabuleux tout s'arrange à la fin, ni dans
04:11quelque chose non plus d'excessif ou de grotesque et je crois qu'en étant au plus
04:17proche des émotions comme ça, c'est là où je suis le plus juste.
04:22Comment on fait pour trouver la distance entre le sujet et ne pas être dans une sorte de
04:28chose extrêmement déversoire quelque part, il y a une distance à trouver, ça passe
04:33par la fiction, par les personnages ?
04:34Oui, la fiction m'a permis de conserver une pudeur qui est très importante chez moi
04:39et donc cette fiction-là, ces personnages, Elsa, Vincent, ils m'ont permis de mettre
04:44une distance entre l'écriture et moi et ça m'a permis aussi de créer des scènes
04:53un peu drôles, d'ajouter de l'humour à des moments où je n'avais pas très envie
04:57de rire en vrai.
04:58Mais de toute manière, ça a toujours été mon issue de secours, je m'évade de la réalité
05:06dans la fiction, dans celle que je lis et dans celle que j'écris, c'est quand j'étais
05:12ado, d'ailleurs mon personnage le raconte dans le livre, mais quand j'étais ado je
05:16ne regardais pas la télé le soir, je ne lisais pas, j'allais dans ma chambre, je
05:19me couchais, je me couchais plus tôt pour pouvoir juste fermer les yeux et imaginer
05:23des scénarios qui impliquaient souvent le beau gosse du collège, mais je me racontais
05:29des histoires comme ça pour m'évader de la réalité et c'est quelque chose qui
05:32restait.
05:33Je me revois, c'est bête, c'est une anecdote vraiment nulle mais où j'étais en train
05:37de passer une IRM et j'étais hyper angoissée, je sentais la crise d'angoisse arriver,
05:42j'étais couchée dans le truc avec tout le bruit et je me suis dit, vas-y, va dans
05:48ton imagination et j'ai trouvé la scène hyper importante d'un livre dans une IRM,
05:56dans un tube comme ça, parce que j'étais partie dans mon imagination pour m'évader
06:01de cet instant désagréable.
06:02Et c'était quelle scène ?
06:03C'était un ancien livre, c'est la scène, c'est le dénouement de Et que ne durent
06:09que les moments doux.
06:10Papa, je me suis réveillée avec le manque dans la gorge, j'ai bu de l'eau, du café,
06:16j'ai avalé de la mie de pain roulée en boule, mais il reste coincé, planté en
06:19travers, à chaque respiration, ça me transperce.
06:22L'intensité demeure intacte, la même qu'au premier jour, insoutenable, insondable.
06:27On ne s'habitue pas à l'absence, on la tolère, on la supporte.
06:32Qu'est-ce qu'on pourrait faire d'autre ? Il n'y a pas de courage dans cette affaire,
06:36de la résignation oui, de la capitulation peut-être.
06:39Ça ne fait pas moins mal avec le temps, ça fait mal moins souvent.
06:43C'est un des passages que j'ai beaucoup de mal à relire, parce que justement là je
06:48parle à mon père, qui me manque cruellement, j'apprends à vivre sans lui, c'est quand
06:56même je crois le sujet principal de ce livre, même s'il y a tout le reste autour, et c'est
07:03extrêmement douloureux, mais je ne suis pas la première, et voilà, c'est un chemin assez
07:10difficile avec des hauts et des bas, mais je crois que ce que j'avais envie de dire,
07:17c'est qu'on n'est pas obligé d'aller bien tout de suite, parce qu'il y a une injonction
07:20comme ça à se remettre vite, dès que je dis à quelqu'un je ne suis pas au top, c'est
07:25tout de suite tu ne veux pas faire du yoga, tu prends des médicaments, tu veux essayer
07:31la sophrologie, tout de suite pour aller mieux, j'ai envie aussi de dire qu'on peut prendre
07:36le temps d'aller mal, que si après la perte d'un être cher, on n'est pas mal, on ne
07:41le sera jamais, j'ai envie de m'autoriser ce chagrin là, même si ce n'est pas très
07:46confortable, et qu'on n'est pas obligé de se remettre tout de suite, c'est vraiment,
07:53je crois que c'est ce que je dis dans ce livre, c'est qu'on n'est pas obligé de se remettre
07:58tout de suite, et que de toute manière je crois que c'est à peu près impossible de
08:01se remettre tout de suite de la perte de quelqu'un qu'on aime.
08:06Merci d'avoir regardé cette vidéo !

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