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"Rentrer en Iran, c'est mon plus grand rêve et mon plus grand cauchemar."
La nécessité de s'engager, son rapport avec la France... L'actrice iranienne Golshifteh Farahani discute avec Augustin Trapenard. #Cannes2024
Transcription
00:00C'est moi, je remonte à chaque fois, je fais comme ça.
00:04Bonjour Golshifteh Farhadi.
00:05Bonjour.
00:06Pourquoi l'art et l'engagement, c'est indissociable pour vous aujourd'hui ?
00:12Je crois que l'art et la culture, c'est la colonne vertébrale d'une société.
00:18C'est l'âme d'une société.
00:20C'est les racines d'une société.
00:23C'est beaucoup plus puissant que politique.
00:25C'est beaucoup plus puissant que pouvoir.
00:28C'est pour ça, les dictateurs, les pouvoirs, ils veulent toujours...
00:31Le cible de pouvoir, les dictateurs, c'est toujours l'art et la culture.
00:35Parce que c'est bien lié à l'âme de masse, à l'âme de la société.
00:40Et je crois qu'on vit dans un monde tellement obscur aujourd'hui
00:44que chaque bougie compte.
00:46Et tant qu'artiste, on n'a pas le luxe aujourd'hui de ne pas s'engager.
00:52Il y a un prix, cet engagement ?
00:54Un prix à payer ?
00:55Un prix très très cher.
00:58Le prix que je paie, moi, c'est l'exil.
01:00Il y a des gens qui payent leur vie.
01:03Et il y a des gens qui payent d'être un peu à part,
01:07d'être banni, d'être jugé, d'être lapidé carrément, injustement.
01:14Le prix est très très très cher.
01:17Mais chaque changement a besoin d'un mort
01:22pour que quelque chose naître aussi.
01:25Femme, vie, liberté.
01:27Qu'est-ce que ces trois mots, qui sont au cœur de votre engagement,
01:30veulent dire pour vous, aujourd'hui ?
01:34À vrai dire, je crois, ce mouvement, la Femme, Vie, Liberté, en Iran,
01:38c'est pas lié à l'Iran seulement.
01:41Si quelqu'un se bat pour la liberté de femme,
01:44il se bat pour la liberté de toutes les femmes au monde.
01:47Et la femme, c'est aussi l'homme.
01:49Le droit de la femme, c'est le droit de l'homme, en vrai.
01:53Et chaque personne qui se bat pour n'importe quelle cause humanitaire,
01:57il se bat pour le monde.
01:59Vous en rêvez, de rentrer en Iran ?
02:02Rentrer en Iran, c'est mon plus grand rêve et le pire cauchemar.
02:06Des fois, vraiment, je rêve que je sois dans un avion
02:10qui va vers l'Iran et je ne dois pas être dans cet avion.
02:13En même temps que je rêve toujours de retourner en Iran.
02:16Vous êtes une artiste, vous êtes chanteuse, vous êtes actrice,
02:19vous êtes aussi une grande lectrice.
02:21Vous êtes une femme de mots, Goldshifte et Farhani.
02:24Qu'est-ce que les mots des poètes vous apportent aujourd'hui ?
02:27Avec les mots, on peut bouger le monde.
02:30Et quand je lis, vous voyez comme les textes
02:34qui restent pendant des millénaires, c'est pour ça que je dis
02:37que l'art est beaucoup plus puissant que politique,
02:40que l'art est beaucoup plus puissant que les pouvoirs.
02:42C'est pour ça que c'est toujours le cible des régimes dictatoriaux.
02:48Vous pensez à quel mot, vous pensez à quel poème
02:51qui résonne depuis toujours et que vous avez en vous ?
02:54Moi, en fait, quand je parle des mots,
02:58c'est toujours les mots d'amour que j'ai lus et j'ai entendus
03:04de mon amour qui vient à moi.
03:08La France, quel pays est-ce que c'est pour vous aujourd'hui ?
03:11La France, pour moi, c'est le pays qui m'a adoptée.
03:15Et quelle chance pour moi d'être adoptée par ce pays
03:18parce que je ne pouvais pas atterrir dans un meilleur endroit que la France.
03:23Ce beau pays, des fois, je me dis que ces enfants biologiques de ce pays
03:28ne savent pas la chance qu'ils ont.
03:31Pas par rapport à l'Iran ou l'Afghanistan ou l'Afrique, non.
03:35Par rapport à l'Espagne, l'Italie et Angleterre.
03:39Je veux dire la chance qu'on a dans ce pays, dans la France.
03:43C'est quelque chose qu'on ne réalise même pas.
03:46Et des fois, quand ils me demandent
03:48« Qu'est-ce que vous demandez à nous de faire pour les femmes iraniens ? »
03:51Je dis juste d'être reconnaissant.
03:53D'être reconnaissant de chaque jour et chaque moment de votre vie.
03:58Regardez où on est.
04:00Ça, c'est ce pays-là.
04:01Ça, c'est la France.
04:02On est à Cannes.
04:03Ça, c'est la France.
04:04Ça, c'est le pays qui a tenu les artistes pendant le Covid
04:07comme aucun autre pays.
04:11La France, pour moi, c'est une mère.
04:14C'est un père.
04:15C'est l'amour.
04:19C'est beaucoup de choses.
04:20Et je suis vraiment reconnaissant.
04:22Aujourd'hui, où est-ce que vous vous sentez chez vous ?
04:24Golshifteh Farhani ?
04:26Chez moi, c'est quelque chose aussi, c'est très relatif.
04:29C'est devenu quelque chose qui s'éloigne en même temps que ça approche.
04:33Je ne sais pas, au même moment qu'il s'éloigne,
04:36peut-être qu'il est en train d'approcher de plus en plus de moi.
04:39C'est intéressant parce que vous êtes une actrice extrêmement libre.
04:42On peut vous voir dans des films d'auteurs français ou américains,
04:45dans des super productions aussi, dans des clips, dans des comédies.
04:48Qu'est-ce que ça raconte de vous, ça, à votre avis ?
04:52Que je suis tout et rien.
04:57Je suis multitude, comme disait le poète.
05:00Et je ne rentre pas dans les boîtes, dans les cases.
05:05Même français, Moyen-Orient, langue, ça, tout ça, pour moi, ça n'existe pas.
05:11Cinéma d'auteur, cinéma...
05:14Personne ne peut dire que j'appartiens à un genre ou quelque chose.
05:18Je fais tout et aussi rien.
05:21Je suis un enfant de jungle et je vais dans les forêts au Brésil.
05:25Je suis un peu tout et rien.
05:29Vous avez toujours été libre comme ça ? Vous l'avez gagné, cette liberté ?
05:34Je crois que je suis née comme ça.
05:37Je ne peux pas dire un rebelle, mais de résister.
05:42De résister, de toujours pousser les limites.
05:46Pousser les limites pour gagner l'espace.
05:50Pour agrandir les possibilités.
05:53Tout ce qui n'était pas possible, ce n'était pas possible.
05:57J'ai juste essayé de...
06:00C'est possible, on peut rendre tout possible.
06:04C'est comme ça aussi que j'ai vécu en Iran.
06:08Parce que j'ai tout fait en Iran, tout.
06:12La liberté que j'ai vécue en Iran, je n'ai vécue nulle part.
06:15Parce que c'était un interdit, que ça n'existait pas pour moi.
06:19Vous voulez dire qu'on fait vraiment l'expérience de la liberté quand on nous l'a prise un petit peu ?
06:23Aussi, parce que chaque verre de vin, ça devient une victoire.
06:28Chaque fête, ça devient une victoire.
06:32On est des champions.
06:34On a fait une fête et on n'est pas attrapés, on n'est pas morts.
06:37Ouais !
06:38Et on vit tous les instants comme ça.
06:42Et moi, je crois qu'en Farsi, on a deux mots pour la liberté.
06:46C'est ozad et ozadeh.
06:49Ozadeh, c'est un mot où un prisonnier dans la prison, dans son cellule, peut être ozadeh.
06:56Ozadeh, c'est un genre de liberté où personne ne peut vous la prendre.
07:01C'est à vous.
07:02Et même dans une cellule, vous pouvez être libre.
07:07De quoi vous rêvez au cinéma, pour vous, aujourd'hui ?
07:10D'abord, je rêve que le cinéma continue à exister.
07:14Qu'on se réunit dans une salle noire ensemble et on éteint nos téléphones
07:20et on ne scroll plus et on regarde un film.
07:24Ensemble.
07:25Ensemble.
07:26De fêter cet art qui nous émue, qui nous apprend.
07:31Là, il y a une semaine de cinéma positif, il y a des films qui engagent, qui font des changements.
07:37Moi, en Iran, j'ai vu comment un film peut changer l'histoire.
07:42Oui, c'est vrai.
07:43Les films, ils peuvent changer l'histoire.
07:46L'art peut faire ça.
07:48Merci, Goldshifter.
07:49Merci à vous.

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