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"J'allais vraiment mourir à quelques heures près…"
BRUT BOOK — La mort, David Foenkinos l'a vue de près. À 16 ans, il raconte être descendu dans un "tunnel de lumière" lors d’une opération du coeur. Ça a bouleversé sa vie et sa passion pour les livres est née. Alors que sort son nouveau roman 'La Vie heureuse', il raconte comment il est devenu "mystique"…
Transcription
00:00Moi, à l'âge de 16 ans, j'ai eu une très grave maladie du cœur.
00:02J'ai eu une infection de la plèvre et à ce moment-là,
00:04juste avant l'opération, j'ai eu une éclatance de mort.
00:07Voilà, je suis descendu dans un tunnel de lumière
00:08et puis ma mère, qui était à côté de moi,
00:11m'en raconte à quel point j'étais parti.
00:14Et je me suis arrêté dans ce tunnel et je suis remonté.
00:17Donc pendant quelques secondes, j'ai eu le sentiment vraiment d'être mort.
00:20Je suis connecté en permanence à ce moment-là de ma vie.
00:23Mais la vraie particularité, c'est qu'après l'opération,
00:25j'ai passé des mois à l'hôpital en convalescence
00:28et j'ai eu le sentiment d'être devenu une seconde personne.
00:31C'est vrai que comme si l'expérience de mort avait déverrouillé ma sensibilité,
00:35je me suis mis à lire d'une manière boulimique.
00:37Alors on était en 1991, donc c'est vrai que je n'avais pas non plus
00:40de l'ouverture sur les réseaux sociaux, le téléphone portable.
00:44Donc à ce moment-là, les livres m'ont sauvé, m'ont accompagné.
00:47Ce qui a changé à ce moment-là, c'est que j'ai senti que j'arrivais à m'exprimer.
00:51J'étais plutôt un adolescent assez timide, introverti.
00:54J'avais du mal parfois à mettre des mots sur mes émotions.
00:57Et c'est vrai qu'avec les lettres, avec les mots,
01:00avec la façon dont j'exprimais ce que je vivais,
01:02j'ai senti que ça a été la première pierre de l'édifice.
01:06Je me suis dit tiens, je m'approche d'une certaine manière de ce que je ressens.
01:11Et donc j'écrivais, alors j'écrivais aussi des lettres d'amour.
01:13J'étais un adolescent romantique.
01:15J'adorais les films de François Truffaut à ce moment-là.
01:18Bon, je devais être assez pathétique, mais j'ai senti que voilà,
01:22c'était le début d'une sorte de vocation.
01:24Puis j'ai commencé à écrire des nouvelles et puis des romans.
01:27Je me suis senti très, très heureux dans la fiction.
01:31En fait, je n'écrivais pas du tout des choses personnelles dès le départ.
01:35Et c'est vrai que l'imagination, c'est quelque chose qui m'a animé
01:38très fortement à ce moment-là.
01:40Pour moi, la mort est une obsession permanente,
01:42mais pas du tout comme quelque chose de morbide.
01:45Et c'est vrai que j'ai le sentiment que justement,
01:47parce que j'ai eu cette expérience de mort, je la connais.
01:50J'ai le sentiment que ça me propulse dans une nécessité
01:54de savourer les moments de la vie.
01:56Moi, je suis très, très connecté à ça, à la vieillesse,
01:58à l'idée de me dire que chaque heure, chaque jour peut compter.
02:04Ce n'est pas lié du tout à ma vie littéraire.
02:06Je ne pense pas du tout ni à la postérité,
02:08ni à l'idée d'écrire des choses qui puissent me survivre d'une certaine manière,
02:12mais simplement dans le rapport permanent aux choses de la vie.
02:19C'est-à-dire que je vis tout à travers le prisme du temps qui passe.
02:22C'est difficile de raconter ça,
02:24parce que hormis les quelques éléments qu'on peut raconter,
02:26qui offrent ce tunnel de lumière où on tombe.
02:28Alors, il faut savoir que je souffrais beaucoup physiquement.
02:30J'avais une compression du cœur.
02:32Donc, j'allais...
02:34Si j'ai été sauvé, j'allais vraiment mourir à quelques heures près.
02:37Et c'est vrai que cette mort-là a été un soulagement extraordinaire,
02:41une extase et je suis totalement connecté encore à cette extase.
02:44C'est vraiment un bain de lumière qui vous soulage.
02:46Mais il faut dire que j'avais une grande douleur physique.
02:48Et puis, j'ai glissé, j'ai glissé.
02:51Et alors, je ne sais pas pourquoi je me suis arrêté à un moment donné.
02:53C'est sûrement mon destin.
02:54C'est le destin d'avoir survécu.
02:56Et puis, je suis remonté.
02:58Bizarrement, c'est étonnant parce que moi, j'adorais à l'époque,
03:00je suis de cette génération-là, j'adorais les films Le Grand Bleu.
03:03Et c'est très, très proche à l'idée de descendre dans les profondeurs
03:06et puis de remonter.
03:08Mais la vraie particularité, ce que j'ai beaucoup moins raconté,
03:12c'est que forcément, quand vous revenez,
03:16vous êtes armé d'une sorte de mysticisme un peu étrange,
03:19comme si vous aviez été sauvé.
03:22C'est un peu grandiloquent.
03:23Mais en tout cas, il y a quelque chose de l'ordre des forces de l'esprit,
03:28des forces étranges qui font qu'après, moi, je suis devenu extrêmement mystique.
03:33C'est présent d'une manière très, très, très, très...
03:39Comment dire ?
03:39Dans quelques livres, j'évoque, notamment dans Charlotte,
03:42j'évoque à quel point je suis porté par les signes de la vie,
03:46l'étrangeté d'être soumis à des choses qui surpassent la conscience
03:51d'une certaine manière.
03:52Et c'est vrai que je suis incroyablement sensible aux signes.
03:56J'ai eu quelques visions à ce moment-là.
03:58Donc, c'est vrai que je n'ai pas trop raconté.
04:00Mais en tout cas, ça m'a propulsé dans une énergie extrêmement mystique.
04:04Je suis David Frenkinos.
04:06Je suis écrivain et je suis chez Brut pour parler de mon dernier livre,
04:11La vie heureuse, paru chez Gallimard.
04:14C'est une histoire entre Eric et Amélie sur une trentaine d'années,
04:18avec au cœur de ce livre un rituel coréen très particulier.
04:22Parlons-en.
04:23Effectivement, c'est un rituel, on peut dire, assez particulier.
04:27De quoi s'agit-il ?
04:28Le point de départ, c'est vrai que c'est un rituel que j'ai découvert en Corée du Sud,
04:31qui est devenu un phénomène, une sorte de thérapie de choc
04:34qui consiste à vivre physiquement son enterrement.
04:37Vous vous retrouvez face à votre cercueil,
04:40vous mettez votre photo, il y a vos dates de vie et de mort,
04:44vous rédigez votre épitaphe, ne serait-ce que ça,
04:46écrire quelques mots sur sa vie, se résumer.
04:49Qu'est-ce qu'on dirait de nous ?
04:50Et puis, vous entrez dans le cercueil pendant une heure,
04:53l'obscurité, le silence, on referme le couvercle.
04:56Et c'est vrai que c'est une thérapie de choc.
04:58C'est l'idée de se dire que rencontrer la mort, vivre physiquement la mort,
05:02ça peut vous propulser après dans une façon de relativiser la vie
05:06et peut-être de savourer un peu mieux les choses de la vie.
05:10Pour les personnes qui regardent cette vidéo et qui n'ont pas encore lu le livre,
05:12déjà, ça s'appelle « La vie heureuse », on parle de mort là,
05:14mais bon, ça s'appelle quand même « La vie heureuse »
05:16et puis quand on le lit, effectivement, c'est pas du tout…
05:19c'est plutôt léger.
05:20Depuis que j'ai sorti ce livre et que je parle de ce rituel d'enterrement,
05:24je vois des mines effrayées.
05:26Les gens sont totalement angoissés, voient un truc morbide,
05:29le sentiment qu'on va être enterré, de son vivant.
05:32On sent qu'il y a quand même, ici en Occident en tout cas,
05:35un rapport extrêmement angoissé à la mort.
05:38Ce n'est pas le cas dans les pays asiatiques,
05:40ce n'est pas le cas dans plein de civilisations.
05:42C'est vrai qu'il n'y a pas très longtemps, j'étais au Mexique,
05:44c'est extraordinaire de voir à quel point la mort est célébrée.
05:47Pas le fait de mourir, bien sûr, mais les morts,
05:50souvent, il y a des squelettes partout, c'est coloré,
05:51on fait des fêtes autour des morts.
05:53Quand on voit, par exemple, les débats sur l'euthanasie,
05:56à quel point c'est crispé, c'est compliqué,
05:59voilà, c'est quelque chose d'extrêmement difficile.
06:02Moi, je pense que cette thérapie de choc, dans mon livre en tout cas,
06:05je la fais venir en France.
06:07Je pense qu'elle serait essentielle.
06:10On voit bien, notamment, il y a beaucoup de jeunes
06:11qui ont beaucoup de mal-être lié aussi aux angoisses existentielles
06:17liées à l'avenir, aux conditions...
06:19On parle de la santé mentale, beaucoup.
06:20Santé mentale, écologie, enfin, beaucoup d'inquiétudes.
06:23Je pense que cette thérapie serait extrêmement bénéfique.
06:27Moi, j'ai lu tous les commentaires sur les forums coréens,
06:32avec Google Trad, c'est vrai que c'est extraordinaire
06:35de voir à quel point ça fait du bien avec la vie heureuse.
06:39Page 21.
06:40Même au restaurant d'entreprise où il se rendait régulièrement
06:43dans le souci de paraître proche des salariés,
06:46la moindre décision lui demandait un effort abyssal.
06:50On l'avait parfois vu comme figé pendant plusieurs secondes
06:52devant le buffet des entrées,
06:54happé par la vision des œufs mayonnaise.
06:57Il avait du mal à comprendre ce qui était en train de lui arriver.
07:02Alors, j'ai essayé de mentionner ce passage,
07:03parce que c'est un des passages qui m'y a fait penser,
07:06mais il y en a plusieurs dans le livre,
07:07ça m'a fait penser à l'extension du domaine de la lutte de Walbeck,
07:10le monde de l'entreprise.
07:11Et j'ai lu, j'ai vu que vous-même, vous aimez Walbeck,
07:16notamment l'extension du domaine de la lutte.
07:17Ça n'a rien à voir avec notre discussion,
07:18mais je voudrais vous poser cette question.
07:19Qu'est-ce que vous aimez chez Walbeck ?
07:21C'est étonnant parce que souvent, d'ailleurs,
07:23moi, Walbeck était un écrivain,
07:26les grands écrivains,
07:27ce sont les écrivains qui empêchent les autres écrivains, pour moi,
07:30qui délimitent le territoire des autres.
07:33C'est-à-dire qu'on ne peut plus écrire sur la misère sexuelle,
07:36même là, cette page d'entreprise,
07:38on est walbeckien dès qu'on se rapproche.
07:41C'est dire le niveau de puissance d'un écrivain.
07:43Des grands écrivains comme ça, qui changent la langue,
07:45il n'y en a pas beaucoup, je pense qu'au XXe siècle,
07:46il y a Proust, il y a Céline et puis il y a Walbeck.
07:49Ce sont des gens qui modifient finalement.
07:51Quand on lit l'extension du domaine de la lutte,
07:53dès les premières pages,
07:54on sent qu'on est dans une nouveauté littéraire,
07:56une nouvelle langue,
07:57une façon d'aborder les choses qui est absolument inédite et magistrale.
08:01J'adore le mélange, l'aller-retour entre cette forme de classicisme,
08:04il se revendique beaucoup du XIXe siècle,
08:06et en même temps, il y a une modernité, une crudité.
08:10Et puis voilà, les thèmes qu'il aborde, j'adore.
08:13Moi, parfois, c'est étonnant d'ailleurs,
08:15parce qu'on m'a parfois associé,
08:16c'est ce que vous disiez tout à l'heure, à la bienveillance, à l'optimisme.
08:18Alors, je me sens beaucoup plus proche de la dépression, de la mélancolie,
08:22mais peut-être que les choses sont liées.
08:23Je suis totalement une sorte de dépressif, de bonne humeur.
08:27Ce qui est marrant quand même,
08:28parce que les premières choses qui vous viennent à l'esprit
08:30quand on parle de Welbeck, c'est le style, la langue.
08:33Et alors, c'est très personnel, évidemment.
08:34Moi, quand je pense à David Fuenquinos,
08:36c'est l'imagination, l'intrigue, éventuellement les personnages.
08:41Ça dépend aussi de ce qu'on cherche dans un livre.
08:43Oui, c'est vrai.
08:43Est-ce qu'on cherche un style, est-ce qu'on cherche une histoire ?
08:47Comment vous naviguez là-dedans ?
08:49Oui, c'est très juste.
08:50Alors moi, clairement, pour moi,
08:52la langue, c'est ce qui est le plus important quand je lis un roman.
08:54Bien sûr, il y a des romans dont je suis fasciné par...
08:57Il y a des romanciers comme Joel Dicker
08:58dont je suis fasciné par l'imagination, par le sens narratif.
09:02Ça m'impressionne.
09:03Mais c'est vrai que la plupart des écrivains que j'admire,
09:06je souligne leurs phrases.
09:08Je trouve que la langue, c'est ce qui est le plus important.
09:10Moi, quand j'écris une histoire, c'est vrai que j'ai un souci narratif.
09:14J'ai envie qu'il y ait un début, un milieu, une fin.
09:15C'est peut-être aussi pour ça que j'ai pas mal de mes livres
09:18qui sont devenus des films,
09:20même si je n'ai pas envie que tous mes romans deviennent des films, loin de là.
09:24Mais mon obsession principale, pour revenir sur l'obsession,
09:26ça reste quand même la langue.
09:28Travailler, travailler en permanence la particularité.
09:31Ce qui est important, qu'on n'aime ou qu'on n'aime pas le travail d'un écrivain,
09:34c'est qu'il ait sa particularité.

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