"Même si c'est à 20 000 km de chez nous, c'est une histoire française aussi."
C'était en 1988. Un groupe d'indépendantistes kanaks retient en otage des gendarmes dans une grotte sur l'île d'Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie. Un symbole des tensions entre le peuple kanak et la France. Cette prise d'otages se terminera par un assaut final sanglant. Voici l'histoire de la tragédie de la grotte d'Ouvéa.
C'était en 1988. Un groupe d'indépendantistes kanaks retient en otage des gendarmes dans une grotte sur l'île d'Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie. Un symbole des tensions entre le peuple kanak et la France. Cette prise d'otages se terminera par un assaut final sanglant. Voici l'histoire de la tragédie de la grotte d'Ouvéa.
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00:00Ce jour est un jour de honte pour le peuple français.
00:04En Nouvelle-Calédonie, les forces de l'ordre ont lancé un assaut contre les preneurs d'otages.
00:0821 morts, 19 indépendantistes canarques et 2 militaires.
00:12Il y a malheureusement une minorité d'extrémistes, de terroristes,
00:16qui ne croient qu'en l'assassinat, qu'en la violence.
00:18Qu'ils sachent qu'ils ne trouveront pas au bout du chemin la réalité de ce qu'ils souhaitent.
00:22Tous les anciens colonies françaises ont payé le prix qu'il a fallu pour leur liberté.
00:27Nous parlons de peuples qui se posent la question du vivre ensemble,
00:29de la responsabilité de la République.
00:31Ceci restera, dans l'histoire de la République et en Nouvelle-Calédonie,
00:34une tâche noire sur le récit français.
00:36Nous sommes le 22 avril 1988 sur l'île d'Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie.
00:40Ce jour-là, des militants indépendantistes attaquent la gendarmerie de Fayahoué.
00:444 gendarmes sont tués, 27 autres sont pris en otage.
00:47Un homme lutte entre la vie et la mort.
00:50C'est le gendarme le plus grièvement blessé.
00:52Il a 3 balles dans la tête.
00:54Avec lui, 3 mélanésiens, eux aussi atteints par balles à l'abdomen et aux jambes.
00:58Il faisait partie du commando.
01:01Cette affaire ravive les passions à la veille des élections.
01:04Dimanche, les néo-calédoniens sont appelés aux urnes,
01:06à la fois pour l'élection présidentielle et pour les élections régionales.
01:10Pour les années 80, la Nouvelle-Calédonie connaît
01:13plusieurs mouvements sociaux revendicatifs pour tendre vers les indépendances.
01:16Et la Nouvelle-Calédonie souhaite, une partie, notamment le peuple kanak,
01:20souhaite dans les années 80 avoir son autonomie, voir son indépendance.
01:23Et vont naître des débats complexes entre des populations européennes de Nouvelle-Calédonie,
01:28qu'on appelle les kaldoches, et les kanaks,
01:30qui vont revendiquer à travers un mouvement, le FLNKS,
01:33quelque part leur indépendance à ce moment-là.
01:36Les gendarmes pris en otage sont divisés en deux groupes.
01:38Le premier groupe se dirige vers le sud de l'île.
01:40Il finira par se rendre quelques jours plus tard.
01:42Mais les otages du second groupe, eux, sont emmenés dans une grotte située au nord de l'île.
01:46Un dirigeant du FLNKS a dicté les conditions de leur libération
01:51qui passent par une annulation de l'élection régionale,
01:54une discussion sur un référendum d'autodétermination
01:57et un retrait des forces de l'ordre de l'île Louvéa.
02:00Si nos conditions ne sont pas satisfaites,
02:03c'est le gouvernement qui prend la responsabilité.
02:06Dans les jours qui suivent la prise d'otages,
02:07les tensions montent entre le gouvernement français et les militants indépendantistes.
02:11Le gouvernement ne peut pas accepter que l'on blesse,
02:16que l'on tue des gendarmes ou qu'on les prenne en otage.
02:18Il n'y a pas d'otages à Louvéa.
02:21Donc disons simplement que les gendarmes sont retenus à Louvéa.
02:25Je ne sais pas qui sont les terroristes,
02:27mais ce que monsieur Ponce n'a pas dit,
02:31c'est qu'en arrivant ici, il est arrivé avec un général de corps d'armée.
02:36Donc tout simplement, ça veut dire pour nous que le pays est en état de guerre.
02:40Le 5 mai 1988, à trois jours du second tour de l'élection présidentielle,
02:44l'ordre d'un assaut est donné pour libérer les otages de la grotte.
02:47L'opération Victor ensanglante l'île Louvéa,
02:4919 militants indépendantistes et deux militaires sont tués.
02:52L'assaut décidé depuis deux jours a été mené par des hommes du GIGN,
02:56des parachutistes, des commandos marines et le 11e régiment de choc,
02:59unité d'intervention rattachée à la DGSE.
03:02Une opération montée à la fois de l'extérieur et de l'intérieur de la grotte
03:05où se cachaient les ravisseurs.
03:06Les ravisseurs avaient installé des postes de combat
03:09avec une mitrailleuse et des fusils d'assaut FAMAS
03:13dérobés à l'armurerie de la gendarmerie Louvéa
03:16lors de la prise d'otages.
03:18La dignité et l'honneur de notre armée et de notre pays
03:23consistait à trouver les voies et moyens, en tous les cas,
03:27pour libérer nos otages dans les plus brefs délais possibles.
03:31Dans un contexte extrêmement troublé, vous avez un jeu politique,
03:34vous imaginez bien, à la veille d'une élection présidentielle
03:37où Bernard Ponce, comme Jacques Chirac, veut pousser au maximum
03:41l'intervention de la police à la veille de l'élection
03:43pour démontrer qu'ils ont rétabli l'ordre.
03:44Une ambiguïté avec le pouvoir socialiste et François Mitterrand
03:47qui joue un peu double jeu à l'époque
03:49et la situation se termine de manière dramatique.
03:51Plusieurs otages seront tués, des canards militants seront tués,
03:55des forces de l'ordre également seront tués.
03:56C'est un véritable massacre au final qui va marquer en profondeur.
03:59Marquer en profondeur parce que c'est certainement
04:01un des derniers grands moments, avec les événements en Guadeloupe de 67,
04:04d'une histoire coloniale, violente,
04:07qui d'un seul coup apparaît au premier plan de l'opinion publique.
04:09Dans quelles conditions ont été tués les indépendantistes ?
04:12Une polémique s'engage.
04:13Les armes à la main, répond le commandant Legorju du GIGN.
04:16Cependant, des témoignages infirment la version officielle.
04:19Dans la grotte, les militants du FLNKS
04:21auraient refusé dans un premier temps de se rendre,
04:24puis trois d'entre eux, dont le chef du commando,
04:26seraient sortis vivants, les mains derrière la nuque.
04:29Les trois insurgés seront retrouvés morts quelques heures plus tard.
04:32On ne sait pas encore aujourd'hui exactement ce qui s'est passé
04:35avant l'assaut, qui en fin de compte et comment est pris la décision.
04:39Il y avait plusieurs groupes qui négociaient en parallèle.
04:43On ne sait pas ce qui va se passer pendant l'assaut en tant que tel.
04:46Et on ne sait pas non plus ce qui passe dans les quelques minutes
04:49qui vont suivre l'assaut.
04:50Certains vont accuser les forces de l'ordre d'avoir abattu
04:53des preneurs d'otages.
04:54D'autres vont expliquer qu'ils ont été tués lors de l'assaut.
04:57En fin de compte, ça reste très opaque. Pourquoi ?
04:59Parce qu'on reste encore dans un moment,
05:01il faut bien l'avoir en tête, d'une violence incroyable.
05:03Ouvéa va amener la nécessité de retrouver un dialogue
05:06qui s'était perdu dans les années 80.
05:08Le drame, quelque part, va provoquer
05:11la nécessité d'éviter que la guerre s'installe
05:13de manière définitive en Nouvelle-Calédonie.
05:15Et c'est toute la force des interlocuteurs de l'époque,
05:17aussi bien La Fleur, qui représente les Kaldosh,
05:19que Djibahou, qui représente les Kanak,
05:21et, d'une certaine manière, Michel Rocard,
05:23qui va être l'homme politique,
05:25Premier ministre de François Mitterrand,
05:27qui va poser la capacité de reparler et de dialoguer.
05:31En juin 1988, ce dialogue aboutit à la conclusion
05:34des accords dits de Matignon,
05:35qui seront ratifiés au mois de novembre lors d'un référendum.
05:38Dix ans plus tard, en 1998,
05:41l'accord de Nouméa va plus loin.
05:42Il prévoit un référendum d'autodétermination
05:44ainsi qu'un transfert de certaines compétences
05:46de l'État français en Nouvelle-Calédonie.
05:48Ce qui s'est décidé en 1988, puis après en 1998,
05:51ont posé les jalons de l'histoire qu'on est en train de vivre aujourd'hui.
05:54Mais il ne faut jamais oublier que ce sont des hommes
05:56qui ont accepté de se mettre d'un seul coup
05:58à dialoguer autour d'une table
06:00pour arriver justement à essayer de construire ensemble,
06:02malgré la violence, malgré le poids de l'histoire coloniale
06:06qu'ils portaient sur leurs épaules,
06:07malgré aussi la difficulté de certains de leurs extrêmes
06:10qui les poussaient, je dirais à une ultra-violence
06:12ou à une guerre civile,
06:13d'avoir trouvé la voie de la négociation pour avancer.
06:15Nous ne parlons pas de quelque chose de théorique.
06:17Nous parlons de peuples qui se posent la question
06:19du vivre ensemble, de la responsabilité de la République.
06:21Même si c'est à 15 000, 20 000 kilomètres de nous,
06:24c'est une histoire française aussi.
06:26La France doit être capable, peut-être pour la première fois,
06:29d'imaginer une sortie d'une histoire coloniale
06:32intelligente, pacifique.
06:34C'est complexe, ça ne nous est jamais arrivé.
06:36Jusqu'à maintenant, ça se termine toujours mal,
06:37les histoires coloniales.
06:38Là, il y a quelque chose à chercher
06:40pour notre génération actuelle,
06:41pour trouver une voie médiane qui puisse entendre tout le monde
06:44et puisse trouver une voie du commun
06:46par rapport au destin de la Nouvelle-Calédonie.