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Charles Pépin répond tous les samedis aux auditeurs d'Inter. Aujourd'hui, il a choisi celle de Léa : "A quelles conditions un échec peut-il être vertueux ?"

La question philo par Charles Pépin dans le 6/9 de France Inter (23 Novembre 2024)
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Transcription
00:00La question philo Charles Pépin, tous les samedis vous répondez aux questions des auditeurs d'Inter
00:05et en l'occurrence aujourd'hui, vous avez choisi de répondre à une auditrice qui est aussi une lectrice d'un de vos livres
00:11« Les vertus de l'échec », tout est dans le titre. Écoutez ce que vous demande Léa.
00:16Une question de Léa à Paris pour Charles Pépin.
00:19Même si je suis d'un naturel optimiste, je me demande à quelles conditions un échec peut être vertueux ?
00:26A quelles conditions un échec peut-il être vertueux ?
00:28Très bonne question Léa, je devine votre soupçon, mais je vais tout de suite vous rassurer, je ne suis pas si optimiste que cela.
00:34Jamais je ne vous dirai, comme certains auteurs américains apôtres de la pensée positive, que l'échec est une chance, une fête, un diplôme.
00:41Je pense, comme vous semblez le penser, qu'il y a des échecs parfaitement négatifs,
00:45des chutes qui ne sont suivies d'aucun rebond, des portes fermées qui n'ouvrent aucune fenêtre,
00:50des panneaux sans interdit qui ne sont en rien indicateurs d'une autre route possible.
00:54Donc vous pouvez être pessimiste de temps en temps ?
00:56Voilà, je ne suis en effet pas Hegelien, la nuit n'annonce pas nécessairement l'aube qui permettra de la dépasser.
01:02Alors expliquez d'abord ce que Hegel dit de la dialectique, l'échec, ça peut être une nuit sans lumière du négatif pur, absolu dont on ne sort pas.
01:12C'est vrai que pour Hegel, un contraire appelle le dépassement par son contraire, dans ce cas-là, il n'y a pas de pur négatif.
01:17Mais je pense qu'il y en a, en effet, et que l'échec n'est vertueux que sous conditions.
01:22Et tout mon travail vise justement à définir les conditions pour que cet échec puisse être fructueux.
01:28Première condition, pas de déni de l'échec. Il ne peut y avoir vertu de l'échec s'il y a déni.
01:33L'élève qui vient d'avoir 6 sur 20 balance sa copie en disant que le prof note n'importe comment et ne la relira jamais, déni de l'échec.
01:40Le grand patron qui part avec son parachute doré malgré ses mauvais résultats, déni de l'échec.
01:45Quand on est dans le déni, on ne peut pas tirer un apprentissage de son ratage, on ne peut gagner ni en intelligence du réel, ni en humilité.
01:52Donc ça c'était le premier point, pas de déni, c'est la première condition. Deuxième condition ?
01:56Pas d'identification à son échec. Mon échec n'est pas moi. C'est l'échec de mon projet, l'échec de ma boîte, l'échec de ma chronique.
02:03Mais c'est pas l'échec de mon moi. Là vous auriez dû me rassurer.
02:07Non, non, je vous laissez vous enfoncer tout seul.
02:09J'ai peut-être raté, mais je ne suis pas un raté. D'ailleurs c'est pareil avec le succès.
02:14J'ai réussi un truc, je ne suis pas le king pour autant.
02:18De toute façon, nous ne sommes pas, comme le disait Sartre, nous ne faisons que devenir.
02:23Alors si nous ne sommes pas, nous ne pouvons pas être nuls.
02:27En résumé, c'est mon échec, mais ce n'est pas mon échec.
02:30Troisième condition ?
02:32Non, c'est la deuxième. C'est mon échec, parce que je l'assume avec courage et sans déni.
02:36Mais ce n'est pas mon échec, car ce n'est pas l'échec de mon moi.
02:39J'allais un peu vite, mais troisième condition donc ?
02:41Prendre le temps, justement, d'entendre ce que mon échec doit me dire.
02:47Au début, on n'entend pas.
02:49La blessure de l'ego, les jacasseries des uns et des autres font trop de bruit.
02:53Et puis après, l'échec me dit-il de continuer dans la même voie, de persévérer ?
02:57Ou au contraire, de bifurquer, de faire autre chose et d'aller voir ailleurs ?
03:01Mon échec me dit-il que ce truc est fait pour moi, parce que j'ai encore envie ?
03:05Ou au contraire, qu'il n'est pas fait pour moi et qu'un autre chemin d'existence me tend les bras ?
03:10Quatrième condition ?
03:12Être accompagné par un ami, une, un thérapeute, un coach, quelqu'un qui pose les bonnes questions et envoie les bonnes ondes.
03:18Et donc, cinquième et dernière condition ?
03:20Sortir de la pensée binaire, dichotomique.
03:22La vie n'est pas un tableau à deux entrées.
03:24Ce n'est pas échec ou succès.
03:26Souvent, c'est les deux en même temps.
03:28On peut réussir en se comportant mal.
03:30Ou rater en comprenant plein de trucs.
03:32On peut réussir en faisant comme tout le monde.
03:34Et donc, échouer dans sa singularité.
03:36Ou rater d'une manière qui nous ressemble.
03:38Et alors, on a quand même réussi quelque chose.
03:40Rater et être sur un chemin de progrès.
03:42Souvenons-nous du mot de Beckett.
03:44Que le philosophe suisse Stanislas Wawrinka s'est tatoué sur l'avant-bras.
03:48Tu as échoué ? Essaye encore.
03:50Échoue encore, mais échoue mieux.
03:52C'est quand il a compris ça.
03:54En progressant.
03:56C'est quand il a compris ça que Wawrinka s'est mis à battre Federer et à gagner des grands chlemmes.
04:00Échouer de mieux en mieux, c'est déjà réussir, non ?
04:04Quand on gagne la coupe Davis avec Federer, vous n'avez pas le droit de dire du mal.
04:06Donc, cinq conditions, pas de déni.
04:08Je résume pour être très précis.
04:10Pas de déni, pas d'identification, pas de précipitation, pas d'isolement, pas de pensée binaire.
04:16L'échec ne sera pas pour autant une fête.
04:18Mais il y a de fortes chances qu'ainsi, il ne soit pas non plus une défaite.
04:22Merci Charles Pépin et merci à Léa pour sa question.

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