Charles Pépin répond tous les samedis aux auditeurs d'Inter. Et parmi les très nombreuses questions, il a choisi celle de Nathalie : "Je voudrais savoir si la liberté inclue toujours une forme de solitude...".
La question philo par Charles Pépin dans le 6/9 de France Inter (27 Janvier 2024)
Retrouvez toutes les chroniques de Charles Pépin sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-de-charles-pepin
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00:00 C'est la question philo avec vous Charles Pépin.
00:02 Tous les samedis vous répondez à quelques-unes des questions.
00:05 Les auditeurs d'Inter et elles sont extrêmement nombreuses qui vous sont adressées, comme celle-ci.
00:10 Bonjour Nathalie, je voudrais savoir si la liberté inclut toujours une forme de solitude ? Merci.
00:17 Merci Nathalie. Réponse Charles Pépin.
00:19 Écoutez, étonnante question.
00:21 D'abord parce que nous sommes des animaux sociaux qui vivons en collectivité
00:24 et donc devons apprendre à être libres ensemble, à faire cohabiter la liberté des uns avec celle des autres.
00:29 C'est même peut-être une définition de la société.
00:31 Alors Nathalie, elle veut savoir si la liberté inclut toujours une forme de solitude.
00:36 On peut aussi dire que la liberté des uns commence là où s'arrête celle des autres.
00:39 Oui, c'est d'ailleurs une expression bizarre. En vérité c'est ensemble et en même temps…
00:42 Enfin c'est dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
00:45 Je me permets un peu de sens critique quand même.
00:47 En fait c'est ensemble et en même temps qu'il faut être libre.
00:51 La question est aussi étonnante parce que nous ne sommes capables d'être libres
00:55 et de conduire notre vie librement qu'à la condition d'avoir été bien attachés aux autres êtres humains
01:01 lors des premières années de notre existence.
01:03 Bien attachés ! C'est quel drôle de mot là pour le coup ? Parce que l'attachement c'est pas la liberté.
01:08 Justement les théories de l'attachement, des travaux de John Bolby à ceux de Boris Cyrulnik,
01:13 montrent bien combien sont décisifs nos premiers liens aux autres,
01:17 combien la manière dont nous sommes au début de notre vie enveloppés par ces liens sécurisants,
01:22 donc attachés aux autres, nous lance dans l'aventure de notre existence
01:26 et rend notre liberté tout simplement possible.
01:29 Alors expliquez-nous ça.
01:30 En fait on est libre si on est capable d'être sécurisé dans cette angoisse et cette détresse infantile.
01:34 On est sécurisé par les autres.
01:36 Ensuite si nous entendons la liberté comme une autonomie,
01:39 la capacité à se donner soi-même la loi de son existence et donc par-delà à s'orienter dans son existence,
01:44 nous nous apercevons qu'on ne devient pas autonome seul,
01:47 mais en étant éduqué par les autres, des parents, des professeurs,
01:50 nous apprennent à utiliser notre raison, notre jugement,
01:53 bref tout ce qui va nous permettre de devenir autonome.
01:56 Et éventuellement de devenir des citoyens éclairés.
01:58 Alors à quoi est-ce qu'on reconnaît une éducation réussie ?
02:00 Bonne question Ali, à cela même que la personne bien éduquée n'a plus besoin de celles et de ceux qui l'ont éduquée,
02:06 a son autonomie donc, mais qu'elle a conquise grâce aux autres et surtout pas dans la solitude.
02:11 Résumé de tout ça, la liberté, Nathalie, semble moins l'affaire d'un homme seul que d'un homme bien entouré.
02:17 Ah pas mal !
02:18 Mais je crois que tout cela, chère Nathalie, vous le savez,
02:21 mais que comme vous le dites, la liberté nous demande en même temps une forme de solitude.
02:26 Alors là pour le coup expliquez-vous, parce que c'est l'inverse de ce que vous disiez précédemment.
02:29 Alors exactement, sur le plan moral par exemple, la liberté de faire le bien ou le mal,
02:33 ou plutôt de vouloir faire le bien ou le mal, implique en effet une conscience seule face à elle-même.
02:39 Quand on se regarde dans le miroir.
02:40 Exactement, tout ce choix lexical, on se regarde devant sa glace,
02:43 on a sa conscience pour soi, on a la conscience tranquille.
02:46 C'est seulement dans la solitude de sa conscience morale que nous savons si nous avons été ou pas à la hauteur de notre liberté morale.
02:54 Peut-être qu'il faut avoir été éduqué par des autres pour pouvoir devenir un être moral,
02:58 mais à l'heure d'exercer ma liberté morale, bref, de bien me comporter ou pas, je suis en effet seul face à ma conscience.
03:06 Enfin, chère Nathalie, si la liberté est comme l'affirme Bergson,
03:10 la capacité à poser des actions qui me ressemblent, qui expriment ma personnalité,
03:15 qui me permettent de reconnaître, ce que Bergson appelle joliment, la mélodie intérieure de ma subjectivité,
03:20 alors en effet, personne d'autre que moi ne peut savoir si je suis libre,
03:24 si mes actions expriment ou non ma personnalité, et si ma vie me ressemble vraiment ou pas.
03:29 Mais donc on vit avec les autres ?
03:31 C'est ça, il y a une conclusion un peu paradoxale, c'est parce que nous vivons avec les autres, au milieu des autres,
03:36 de ces autres qui peuvent aussi bien entraver notre liberté que la reconnaître,
03:39 que la question de notre liberté se pose.
03:41 Mais Nathalie a raison, cela n'empêche pas notre liberté de venir nous convoquer dans notre solitude,
03:47 dans le sentiment de notre liberté, dans le cœur vibrant de notre conscience morale,
03:51 dans cette certitude que nous avons parfois, que notre vie nous ressemble,
03:55 qu'elle est ce qu'elle doit être, et bien Nathalie a raison, nous sommes en effet seuls avec nous-mêmes.
04:01 Merci Charles Pépin.