Aujourd'hui, Charles a choisi la question de Cécile, qui voudrait savoir si on peut réparer, une fois adulte, les conséquences des carences affectives de son enfance...
La question philo par Charles Pépin dans le 6/9 de France Inter (2 Mars 2024)
Retrouvez toutes les chroniques de Charles Pépin sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-de-charles-pepin
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00:00 Il est 9h10, la question philo, Charles Pépin vous répondez aux questions des auditeurs d'Inter.
00:05 Et aujourd'hui, Cécile vous pose cette question.
00:08 Oui bonjour, je voudrais savoir si l'on peut réparer, une fois adulte, les conséquences des carences affectives de son enfance ? Merci.
00:16 Merci donc Cécile. Charles ?
00:18 Eh bien on a tellement envie de vous répondre oui Cécile, tant il est vrai que l'enfant carençait affectivement,
00:23 que nous avons parfois été survie dans l'adulte que nous sommes devenus.
00:27 Cet enfant qui a manqué de l'amour inconditionnel d'un parent, qui a été mal accueilli dans la vie,
00:31 pas suffisamment sécurisé dans sa légitime détresse infantile, pour reprendre le mot de Freud,
00:37 qui a manqué des liens qui enveloppent et qui s'est retrouvé nu, vulnérable dans le vaste monde,
00:42 eh bien c'est cet enfant qui survit dans l'adulte abandonnique.
00:45 L'adulte abandonnique, alors le mot n'est pas évident.
00:48 Qui a peur d'être abandonné, de n'être jamais suffisamment aimé.
00:51 C'est cet enfant qui survit dans l'adulte jaloux, possessif ou dans l'adulte qui manque de confiance en lui.
00:55 Il ne trouve jamais la force de se lancer, de se risquer à aimer vraiment,
00:59 parce qu'au fond de lui, il se dit que de l'amour, il n'est pas digne.
01:02 Eh bien cette survivance de l'enfant carencé dans l'adulte fragilisé,
01:07 est à la fois une mauvaise et une bonne nouvelle.
01:09 Ça peut être une bonne nouvelle, sérieusement, expliquez-nous alors d'abord la mauvaise.
01:13 C'est d'abord une mauvaise nouvelle, bien sûr.
01:15 Car ce passé qui ne passe pas, engendre des souffrances, des peurs, des inhibitions.
01:19 C'est même à se demander d'ailleurs si le propre du passé n'est pas,
01:22 comme l'ont montré aussi bien Freud que Proust ou Bergson, de ne jamais passer,
01:27 de n'être jamais simplement du passé.
01:29 C'est paradoxal, mais on le comprend.
01:31 Ça reste comme ça, ça nous hante, ça nous traverse, ça nous travaille.
01:34 Mais c'est aussi une bonne nouvelle.
01:36 Parce que si ce passé ne passe pas, il se trouve à disposition, dans notre cerveau,
01:41 sous forme de souvenirs, de règles de vie implicites, de vérités émotionnelles,
01:45 de conceptions du monde, autant de chaînes de connexions neuronales
01:49 qui sont là, prêtes à être retravaillées, revécues, réagencées.
01:53 Notre cerveau est en effet défini par sa plasticité neuronale,
01:57 ce qui veut dire que tout ce passé présent peut être recomposé.
02:01 Nos souvenirs, par exemple, ne sont pas du tout comme des fichiers PDF sur un disque dur,
02:06 mais plutôt une image, comme des textes qu'on pourrait un peu réécrire,
02:09 des partitions qu'on pourrait un peu rejouer.
02:12 D'où l'espoir de Cécile, merci pour votre question, de réparer l'enfant que nous avons été,
02:16 c'est-à-dire évidemment l'adulte que nous sommes devenus.
02:19 - Ah bon, alors, donc comment on fait, tout simplement ?
02:22 - Bonne question ! Parfois, on ne fait rien, et la vie suffit à nous prodiguer cette réparation.
02:28 Ça peut être une belle rencontre qui fait qu'enfin, pour la première fois,
02:31 on se sent aimé inconditionnellement.
02:34 Alors, soudain, cette vérité émotionnelle qui avait traversé les décennies
02:38 et que l'on trimballait depuis son enfance carencée,
02:41 à savoir que je ne mérite pas d'être aimé, elle se trouve d'un coup désamorcée.
02:45 - Mais ça ne marche pas à tous les coups, et ça relève aussi du hasard.
02:48 - Tout à fait, il peut se passer d'autres choses dans la vie, par exemple, paradoxalement,
02:51 un échec que l'on redoutait plus que tout, et dont on ressort reboosté,
02:55 fort d'avoir trouvé au fond de soi une ressource insoupçonnée.
02:59 Alors, de la même façon, cette vérité émotionnelle que l'on traînait depuis des décennies,
03:03 depuis son enfance carencée, à savoir que je n'ai pas les épaules pour affronter l'adversité,
03:08 elle se trouve d'un coup désamorcée.
03:10 Mais je vois votre soupçon matinal, parfois, bien sûr, la vie ne suffit pas.
03:14 - Oui, nous-mêmes ne nous suffisons pas.
03:17 - Et voilà, et parfois, il y a le besoin des autres, il y a la thérapie et même les thérapies.
03:22 La psychanalyse, bien sûr, mais également, plus précisément sur ce sujet,
03:26 ces autres formes de psychothérapie, notamment celles qui utilisent l'outil de la reconsolidation de la mémoire.
03:33 - Alors expliquez-nous ça, parce que ça, ça relève de la révolution des neurosciences, c'est pas intuitif.
03:38 - Voilà, c'est une conséquence de cette révolution qui nous montre que des schémas sont restés dans notre cerveau,
03:43 prêts à être recomposés. Je ne peux pas rentrer dans le détail de la méthode,
03:46 mais le principe est le suivant, voyager dans son passé et en revenir en comprenant
03:51 que la règle de vie qu'on en a inférée n'a peut-être plus de raison de continuer à nous pourrir la vie,
03:56 qu'elle est peut-être devenue anachronique ou en tout cas incohérente.
04:00 L'idée, c'est que si on ne peut pas changer le passé, on peut changer les traces que ce passé a laissé dans notre cerveau,
04:07 telle une présence en nous de notre histoire, qu'il s'agisse par exemple de ces émotions douloureuses
04:11 associées à nos pires souvenirs ou de ces règles de vie implicites que nous avons inférées de ces souvenirs.
04:17 - On leur donne un nouveau sens. - On les casse parfois carrément, on s'en débarrasse.
04:21 Au fond, la découverte des neurosciences, c'est qu'on ne peut pas effacer les mauvais souvenirs,
04:25 mais on peut se débarrasser des règles de vie handicapantes qu'on en a inférées.
04:30 On pourrait finir sur une métaphore... - Oui, une image en tout cas.
04:32 - Voilà, pensez aux joueurs de rugby, ils n'ont pas le droit de se faire des passes en avant.
04:36 Et donc pour aller de l'avant, ils se tournent vers l'arrière, en se faisant des passes arrière.
04:40 Joli symbole, jolie invitation, nous devons trouver, nous aussi, la manière de nous tourner vers notre passé
04:46 qui nous permet de retrouver de l'allant, la manière de vivre, cher Cécile, avec notre passé qui nous permet d'aller de l'avant.
04:53 - Vivre en rugbyman en somme ! - Exactement.
04:56 - Merci Charles Pépin, ça peut parfois être douloureux, mais ça peut marcher aussi, on peut remporter des victoires.
05:03 On rappelle que c'est précisément d'ailleurs ce dont vous venez de parler avec Cécile, le sujet de votre dernier livre
05:09 vivre avec son passé aux éditions Alari.