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Vivre en ville ou à la campagne, c’est ne pas être logé à la même enseigne en termes de transport… En milieu urbain, bus, trains ou encore métros permettent aux citadins de se déplacer, tandis qu’en milieu rural, la voiture est souvent le seul moyen de parcourir moyennes et grandes distances.D’ailleurs 70% des déplacements en dehors des villes se font en voiture, le permis de conduire est donc souvent indispensable. Alors, en quoi la voiture est-elle le sésame vers l’indépendance en milieu rural ? Vers l’émancipation ? Peut-être même vers la réussite ? Et en quoi la mobilité est-elle un enjeu crucial pour une certaine France et pour une certaine jeunesse ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat. Année de Production :

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Transcription
00:00Liberté, égalité, permis B de Guillaume Estivi, un film très original qui dit l'importance de la voiture en territoire rural mais qui va bien au-delà des questions de mobilité.
00:12C'est aussi un documentaire qui dresse le portrait non pas de la France mais d'une France, non pas de la jeunesse mais d'une jeunesse et c'est éclairant à plus d'un titre.
00:21On va explorer tout cela avec nos invités. Olivier Jacquin, bienvenue à vous.
00:24Vous êtes sénateur socialiste de la Meurthe-et-Moselle, membre de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, agriculteur de métiers.
00:31Vous êtes à l'origine d'un rapport d'information au Sénat intitulé « Mobilité dans les espaces peu denses en 2040, un défi à relever dès aujourd'hui ».
00:40Salomé Berliou, bienvenue à vous également. Vous êtes fondatrice et directrice générale de Chemin d'Avenir, association qui œuvre en faveur de l'égalité des chances
00:47et qui lutte contre la fracture entre les jeunes des zones rurales et des petites villes et ceux des grandes métropoles.
00:53Vous avez publié deux essais, « Les Invisibles de la République » chez Robert Laffont, « Nos campagnes suspendues » aux éditions L'Observatoire,
00:59ainsi qu'un roman « La peau des pêches » chez Stock.
01:02Hervé Lebras, bienvenue. Vous êtes historien, démographe bien connu, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales,
01:09chercheur émérite à l'INED, Institut national d'études démographiques, auteur de très nombreux ouvrages.
01:15Je vais citer le plus récent, « Atlas des inégalités » aux éditions Autrement.
01:19Cédric Calandro, bienvenue. Vous êtes photographe documentaire, récompensé à de multiples reprises pour vos enquêtes photographiques immersives au long cours.
01:27Depuis plusieurs années, vous observez et photographiez les habitants de Charente, d'où vous êtes vous-même originaire.
01:33Je citerai par exemple cette enquête, « Le reste du monde n'existe pas » réalisée sur et avec les jeunes Charentais qui grandissent
01:40et qui restent habités sur ce territoire, territoire que vous, vous avez quitté.
01:44Merci beaucoup à tous les quatre d'être ici. C'est un film qui dit beaucoup de choses sur la France, les Français, les jeunes.
01:50Mais aussi, on va commencer par cela, sur l'importance de la voiture en milieu rural.
01:55Le permis de conduire comme condition sine qua non de liberté, d'émancipation, d'indépendance financière, peut-être même de réussite.
02:03Salome Berliou, c'est tout cela la voiture en milieu rural ? Ça représente tout cela ?
02:07Oui, ce qui est vrai, c'est que dans la ruralité, le quotidien est déterminé par une histoire de kilomètres et par la question de comment franchir ces kilomètres.
02:18Dès lors qu'on se trouve dans un hameau, un village et même une petite ville éloignée d'une grande métropole, à fortiori avec une faible densité de population,
02:29il va falloir bouger, que ce soit pour aller chez le médecin, pour aller à l'école, pour travailler, pour aller à un cours de judo, faire de la musique ou voir des amis.
02:39Et ça, c'est un impératif catégorique qui fait qu'avoir son permis de conduire est fondamental et on aura l'occasion, je pense, d'y revenir.
02:50Et d'ailleurs, le documentaire le montre très bien. Mais ce qu'il faut comprendre, je pense, c'est que cette question de la mobilité et cette obsession du fait de pouvoir bouger dans la ruralité,
03:01elle est, comment dire, ce n'est pas un caprice, ce n'est pas optionnel, ce n'est pas accessoire, c'est essentiel, c'est vraiment cardinal.
03:11Avec Chemin d'Avenir et l'Institut Éram, on a fait une enquête d'opinion il y a quelques mois sur la mobilité sociale et géographique des jeunes ruraux.
03:19Et pour vous donner un chiffre qui marque, je pense, les jeunes ruraux, par exemple, passent 2h37 par jour en moyenne dans les transports.
03:29Soit 42 minutes, presque trois quarts d'heure en moins, pour lire, jouer, faire ses devoirs, voir des amis, se reposer, par rapport aux jeunes urbains.
03:39Et de cela dépend l'émancipation, la liberté de mouvement, on l'a dit, mais pas que. C'est une question presque existentielle.
03:47Et c'est là où, très mécaniquement, va se poser la question de l'offre de transport.
03:52Or, on voit bien que dans ces territoires, à nouveau pour citer la même enquête, quand on parle des bus, quand on parle du train,
03:59on a par exemple 53% des jeunes ruraux qui estiment être mal desservis par l'offre de bus, 64% d'entre eux qui estiment être mal desservis par le train.
04:10C'est à chaque fois 38 ou 39 points de plus que les jeunes urbains. Et donc ça, forcément, ça reporte le besoin de ces jeunes-là et de leurs parents, d'ailleurs, vers la voiture.
04:22– Différence fondamentale entre le milieu urbain et le milieu rural, Olivier Jacquin, c'est…
04:26– Ah oui, tout à fait, oui. Et moi, je trouve ce documentaire absolument remarquable, je pèse mes mots.
04:33Il met en évidence les assignés à résidence. Je reprends l'expression du sociologue Éric Le Breton.
04:39Parce que quand on est à la campagne, il n'y a rien d'autre que la bagnole pour se déplacer.
04:43Et moi, on me l'a dit de très nombreuses fois. C'est pour ça que j'ai fait ce rapport sur la mobilité dans les espaces peu denses.
04:48On était après la loi d'orientation des mobilités et on se retrouvait sans solution pour les zones rurales autres que la voiture.
04:56Voiture qui est, par ailleurs, fustigée, à juste titre, pour des raisons écologiques.
05:01Et là, on a un beau portrait, pas seulement des jeunes, mais de l'ensemble de ceux qui ne peuvent pas se déplacer en voiture,
05:07alors qu'il n'y a que la voiture pour se déplacer. Et c'est super intéressant.
05:11– Ce n'est pas cosmétique, Hervé Lebras, la voiture pour ces jeunes qu'on découvre,
05:15d'ailleurs pour tous ces habitants qu'on découvre dans ce documentaire ?
05:18– Non, les intervenants qui me précèdent l'ont bien souligné.
05:23Mais c'est aussi, ça a été une mutation profonde, parce que ça n'était pas vrai jusqu'au début des années 80,
05:30où l'équipement en voiture était encore relativement faible dans les campagnes.
05:34– Alors, comment faisait-il ?
05:37– Il restait beaucoup... Il y avait deux choses.
05:39Il restait beaucoup sur place, d'abord, bien sûr, mais il y avait aussi une vie locale beaucoup plus importante.
05:45La vie paysanne était... On allait au bourg, si vous voulez, donc, on y allait à bicyclette,
05:51ou on pouvait aller en tracteur, éventuellement, mais il y avait assez peu de voitures.
05:57Je parle pour ce qui concerne plutôt le sud et l'ouest de la France,
06:02où le nord, déjà, c'était un autre paysage.
06:06– Alors qu'aujourd'hui, c'est crucial, on vient de le voir.
06:09– Aujourd'hui, c'est crucial, mais du coup, la voiture a vidé aussi les espaces,
06:15elle les a vidés de ce qui était des petits commerces.
06:19Les personnes bougeaient très peu à cette époque-là.
06:22– Qu'est-ce que vous voulez dire ?
06:23Que, paradoxalement, la voiture a apporté liberté et mobilité, mais a aussi vidé les campagnes ?
06:27– Elle a vidé, bien sûr.
06:28– Parce qu'on fuit avec la voiture ? On fuit et on ne revient pas ?
06:30– Ce n'est pas qu'on fuit, c'est qu'on perd, au fond, tous les agréments de la vie,
06:35puisque, peut-être quelque chose de plus grave encore,
06:41on perd aussi des contacts qu'on avait quotidiennement,
06:44parce qu'on va travailler nettement plus loin.
06:48Donc, on a ce qui faisait la sociabilité locale,
06:52et profondément perturbée par l'arrivée de la voiture,
06:57mais en même temps, c'était un gage de modernisme,
07:00et puis, ce qui vient d'être dit, ça permettait justement d'accéder
07:04à toutes les possibilités culturelles, à toutes les possibilités commerciales.
07:10Mais voyez qu'il y a… – C'est intéressant.
07:12– Les deux choses se sont…
07:13– Vous apportez un élément intéressant dans un débat où on aurait pu se dire,
07:17évidemment, la voiture est symbole d'émancipation de liberté.
07:20Ça, vous l'avez vu, observé, photographié, Cédric Calando ?
07:23– Moi, j'ai suivi des jeunes entre 15 et 25 ans, pendant 5 ans.
07:28Je suis allé les photographier dans tous leurs espaces sociaux,
07:32et la mobilité, ça revenait tout le temps.
07:34La voiture, la moto aussi, parce que le scooter ou la moto,
07:37ce n'est pas qu'à partir de 18 ans,
07:39on a besoin de se déplacer aussi quand on est adolescent.
07:42Moi, j'ai commencé mon enquête, justement, en m'intéressant au sport mécanique.
07:47Je suis allé photographier les jeunes sur le terrain motocross
07:51ou sur les routes de campagne, quand ils allaient rouler ensemble
07:54pour passer le temps, pour être ensemble, simplement.
07:57Évidemment, il y a cet aspect utilitariste avec la moto et la voiture
08:02où on en a absolument besoin pour se déplacer,
08:05tout le temps, dans tous les moments de la vie.
08:07Mais j'ai vu aussi, auprès des jeunes que j'ai rencontrés,
08:10un aspect un peu plus ludique, en fait, qui faisait de la moto,
08:13de la voiture, leur passion, c'était aussi un prétexte
08:16pour passer du temps ensemble, de réparer les motos,
08:19réparer les voitures, faire du...
08:21Oui, vous parlez de loisir utile, on pense au tuning, en fait.
08:24Voilà, j'ai suivi des jeunes qui faisaient du tuning, mais pas que.
08:27Et donc, même dans le loisir, la voiture avait une importance primordiale.
08:33La voiture et la moto.
08:35Et ça doit nous faire changer de regard, un regard qui peut parfois
08:37être un peu méprisant pour cette activité autour du tuning,
08:39qui, en fait, dit beaucoup de l'activité qu'on peut avoir
08:42en zone rurale ou petite ville.
08:43Oui, et d'ailleurs, sur le changement de regard,
08:45c'est là où il faut essayer de ne pas être à côté de la plaque
08:47quand on traite de cette question de la mobilité,
08:49parce qu'évidemment, en tant qu'urbain, quand on se demande
08:52comment aller travailler en cours ou faire nos courses,
08:56on peut avoir le luxe de se demander si on veut prendre le bus,
09:00le métro, y aller en voiture, ou peut-être même en trottinette
09:04ou à vélo.
09:05La réalité dans ces territoires-là, c'est que si on n'a pas sa voiture,
09:10soit il faut... Alors là, je parle des jeunes,
09:12mais c'est le cas même pour des moins jeunes qui vont travailler.
09:15Il faut prendre le bus ou le car qui passe à 6h du matin,
09:19soit comment fait-on ?
09:21Et donc, c'est là où vraiment le débat autour de ces questions-là
09:25peut cristalliser beaucoup de tensions et un vrai sentiment...
09:27Il est majeur, il est récurrent, ce débat.
09:29On vous dit qu'il ne faut pas être à côté de la plaque,
09:30mais j'imagine que vous pensez aux responsables politiques
09:33qui pourraient regarder ce sujet au travers d'un prisme très urbain,
09:36voire parisianiste.
09:37Exactement.
09:38Et là où vous avez raison, c'est que ça n'est pas récent,
09:40mais tout ça vient aussi d'une absence de regard sur ces territoires-là,
09:47ou en tout cas sur leurs habitants, plutôt,
09:49de manière à la fois suffisamment offensive et volontariste
09:54pour rattraper des décennies de retard sur le développement
09:58de solutions opérationnelles pour adresser cette réalité-là.
10:02Parce qu'en fait, les jeunes dans ces territoires,
10:05ils sont loin des opportunités de tout.
10:08Et ça n'est pas faire preuve de misérabilisme
10:10à l'égard de ces territoires que de le dire.
10:1270% des formations aujourd'hui se situent dans les grandes métropoles.
10:16Ça veut dire qu'un jeune dans un village de Bretagne,
10:19de Normandie, des Vosges, de la Nièvre,
10:21s'il veut étudier, il va devoir bouger.
10:23Je trouve ça important d'ailleurs de dire « bouger »
10:25plutôt que « partir ».
10:26Parce que ça ne veut pas forcément dire partir notamment pour toujours.
10:29Ça ne veut pas dire qu'on ne revient pas.
10:30Exactement.
10:31En tout cas, être libre de faire des choix à la hauteur de son potentiel.
10:34Les jeunes ruraux, ils voient bien qu'un jeune parisien,
10:37il va pouvoir avoir un terrain de jeu qui va de Paris à Marseille
10:40en passant par, je caricature un peu,
10:42mais un peu seulement Londres ou Singapour.
10:44Alors que lui, je vous recite la même enquête
10:47parce qu'elle est vraiment innovante sur ces questions de mobilité
10:51des jeunes ruraux.
10:52Mais voilà, le jeune dans la ruralité aujourd'hui,
10:557 jeunes sur 10 estiment que s'ils perdent leurs moyens de transport,
10:58ils perdront leur emploi.
11:00C'est de cet ordre-là.
11:01Et peut-être leur avenir.
11:02Exactement.
11:03Et leur réussite professionnelle qui est en jeu.
11:05Avoir une voiture pour ces jeunes-là.
11:07D'ailleurs, dans le cadre de cette émission,
11:09j'ai voulu interroger, vous savez, avec Chemin d'Avenir,
11:11on a accompagné 13 000 jeunes dans la ruralité individuellement
11:14dans la construction de leur parcours.
11:16Et hier, j'ai fait le travail de leur écrire pour leur demander
11:18justement pour eux ce que ça représentait,
11:20le permis de conduire et la voiture.
11:22Et en fait, la plupart du temps, ils ne disent pas
11:24j'ai envie d'avoir une voiture pour aller faire un road trip à Barcelone.
11:27Quand on leur demande c'est quoi la première chose que vous avez faite
11:29ou que vous allez faire en obtenant le permis de conduire,
11:32je pourrais vous citer les exemples.
11:34Aller chercher ma petite sœur à l'école.
11:36Emmener ma mère faire ses courses.
11:37Aller chez le médecin.
11:38Aller à une soirée avec des copains.
11:40Ou des activités de base.
11:41Voilà, aller travailler.
11:42J'ai aussi trouvé des chiffres que j'ai trouvés assez intéressants
11:45qui disent aussi beaucoup de l'importance de la mobilité.
11:47Ils datent de mars 2022.
11:48Faute de moyens pour se déplacer.
11:5028% des demandeurs d'emploi ont renoncé au moins une fois à un emploi.
11:5423% des étudiants ont renoncé à des activités de loisirs.
11:5842% des seniors qui ont exprimé un renoncement
12:01l'ont fait pour un rendez-vous médical.
12:03Olivier Jacquin, c'est synonyme de renoncement
12:05quand on n'a pas cette possibilité de bouger.
12:07On se rend compte, on est après la loi d'orientation des mobilités de 2019
12:10et la précarité dans la mobilité a augmenté.
12:13Elle est mesurée par l'association We Move.
12:16On est passé de 13 millions de précaires en mobilité en 2022
12:20à 15 millions en 2024.
12:23Et on a un vrai problème.
12:24Alors là, c'est bien pointé parce qu'il n'y a que la bagnole pour se déplacer.
12:28Mais je reproche peut-être qu'on ne voit pas assez les alternatives à la voiture.
12:32On vient de citer la moto, la bicyclette.
12:34Et quand on est jeune, à la campagne, on a un vélo très très tôt
12:38et ensuite on a un scooter.
12:40Oui, mais quand on a 20 kilomètres à faire, peut-être qu'un vélo c'est plus compliqué.
12:42Et après, on a le permis de conduire.
12:43Alors, 30 kilomètres par jour en moyenne dans les espaces peu denses.
12:47Mais la moitié des déplacements du quotidien font moins de 5 kilomètres.
12:51Et donc, la solution du vélo électrique ou de la marche pour aller chercher le pain,
12:57ce n'est pas un truc qu'il faut rejeter d'embaîte.
13:00D'accord, donc vous, les nouvelles mobilités, pour vous, elles sont valables aussi en milieu rural ou dans les petites villes ?
13:04Oui, il faut les pousser.
13:05D'ailleurs, il y a un gros mouvement d'équipement des territoires ruraux en voie sécurisée pour le vélo.
13:10Mais quand Salomé Berliou dit attention à ceux qui sont un peu à côté de la plaque
13:13et on pense aux responsables politiques qui parleraient de nouvelles mobilités
13:17dans des endroits où elle n'est pas possible, qu'est-ce que vous répondez à cela ?
13:19Non, je dis qu'elle a raison.
13:21Actuellement, c'est les communautés de communes qui deviennent autorités organisatrices des mobilités,
13:25c'est-à-dire responsables des mobilités sur un territoire.
13:28Vous allez dans un conseil communautaire,
13:30vous avez là, en général, des hommes d'un certain âge qui viennent tous en voiture.
13:35Et donc quand vous parlez de précarité mobilité,
13:37il faut que les gens soient directement concernés avant qu'ils réagissent.
13:42Et on a une vraie question de sensibilisation.
13:44Donc ce documentaire fait un très bon travail.
13:48Il faut poursuivre ça pour amener des solutions nouvelles à la campagne.
13:51Mais c'est quand même Hervé Lebrun, un documentaire, qui dit
13:53la voiture, là-bas, on en a vraiment besoin.
13:55Et c'est valable dans plein de régions de France.
13:57Oui, forcément.
13:59Mais c'est encore plus valable dans une partie de la France
14:03qu'on appelle la diagonale du vide.
14:05C'est une partie qui est très peu peuplée.
14:07Ça s'étend, grosso modo, ça ne passe pas loin de chez vous.
14:11Ça s'étend des Ardennes jusqu'à la Creuse, ça descend un peu,
14:16mais ça s'est replé un petit peu plus bas.
14:19Et dans cette zone-là, non seulement la population est très peu dense,
14:24mais c'est la seule partie de France qui perd des habitants.
14:28Donc ça devient de moins en moins dense.
14:30Donc là, il y a véritablement un désert.
14:33Le terme de Paris et le désert français était un terme qui a eu
14:37beaucoup de succès dans les années 50.
14:39Mais ce désert s'est maintenant raréfié.
14:42Mais tout ce qu'on dit là montre aussi et explique pourquoi
14:45c'est un sujet si politique, la mobilité et la voiture.
14:47C'est un sujet très politique, vous avez raison,
14:49mais c'est un sujet sur lequel les politiques ont été
14:53assez peu attentives dans les années récentes.
14:55Parce qu'au fond, il y avait une sorte de contrat implicite
14:59pour que les personnes puissent rester dans les régions
15:03très peu denses ou dans des populations.
15:06On facilitait en principe leur circulation.
15:08C'est-à-dire qu'il y avait le diesel,
15:10le réseau routier était bien entretenu.
15:13On était un peu plus tolérants sur les contrôles des voitures.
15:19Et puis, il y a au fond, depuis 7 ou 8 ans, ça s'est transformé.
15:24Pourquoi ? De quand vous le datez ?
15:26C'est lié au fait que les politiques qui prenaient des décisions
15:32n'ont pas vu que ce contrat implicite existait.
15:36D'abord, ce sont des politiques beaucoup plus jeunes.
15:39Pour eux, ça ne faisait pas partie de leur univers mental.
15:43Et ils ont accumulé, dans ces régions-là,
15:46les mesures qui ont, au fond, accentué le sentiment d'isolement.
15:51Il y a eu la menace d'avoir un contrôle renforcé.
15:55Si vous êtes dans, vous l'avez vu,
15:58si vous êtes dans une zone très peu peuplée
16:01où vous avez besoin de la voiture, c'est pas d'une voiture.
16:04Souvent, quand on voit les statistiques de l'INSEE,
16:07c'est deux voitures.
16:09Mais sur ces deux voitures, il y en a une qui est une voiture...
16:13Et puis, il y a l'autre, c'est la vieille voiture qu'on a gardée,
16:16dont on sert si il y a une panne,
16:18si il y a telle ou telle chose pour les enfants.
16:20Et là, c'est une menace qui a été ressentie.
16:23Ensuite, il y a eu cette histoire de la taxe,
16:25il y a l'histoire des 80 km sur les routes secondaires.
16:28Donc, il y a eu le sentiment qu'on rompait ce contrat implicite.
16:33J'avais fait une carte de la fréquence des gilets jaunes
16:36pour la première grande manifestation,
16:38qui a été la plus grande, qui devait être le 17 novembre.
16:41Et on voyait les départements qui étaient le plus touchés,
16:46c'était ces départements de la diagonale du vide.
16:49Parce que c'est là qu'au fond, ce changement...
16:52On peut dire que c'est pas un changement,
16:55mais cette non prise en compte de la manière
16:58dont on cherchait à garder la population dans ces territoires,
17:02ce qui est déjà difficile,
17:04n'avait pas été perçu au niveau politique.
17:07Cédric Allendroit, il y a un élément qu'on n'a pas donné aussi.
17:10Alors, ça va avec, la voiture, c'est synonyme d'accident.
17:14Et vous nous disiez, en préparant cette émission,
17:16que les jeunes vivaient avec ce risque.
17:18Parce que, de fait, ils sont plus exposés que les urbains.
17:21En fait, moi, j'ai été très étonné, tout au long de mon enquête,
17:25quand je rencontrais des jeunes, qu'on parlait des trajets,
17:27de la mobilité, de se déplacer.
17:31Au final, très vite, la discussion tournait autour des accidents,
17:35de l'expérience des accidents.
17:37Soit de leur propre expérience, soit de l'expérience des proches.
17:39Et c'est vraiment des discours qui traversaient
17:42toutes les rencontres que je faisais.
17:44Et ça montre qu'on est plus exposés à ça
17:47quand on est en milieu rural, évidemment.
17:49Et ils font leur vie en fonction de ça.
17:50C'est un espèce d'indicateur, en fait,
17:52de l'importance de la voiture en milieu rural.
17:54C'était très, très étonnant et très fort.
17:56Et ça, je l'ai rencontré beaucoup.
17:58– D'ailleurs, il y a une jeune, dans le film,
18:00qui parle de la mort d'un ami, de son petit ami,
18:02même de son ex-petit ami sur la route.
18:04Je le disais en introduction, ce film va bien au-delà
18:06des questions de mobilité.
18:07On a un moniteur d'auto-école qui se transforme parfois en psychologue
18:11et un siège conducteur qui se transforme parfois en divan.
18:14Viennent se confier à lui des femmes maltraitées,
18:16des jeunes dépressifs, des gens qui ont un problème avec l'alcool.
18:19Je voudrais qu'on regarde cet extrait
18:21où une jeune personne lui raconte les conséquences
18:23de sa transition de genre.
18:25C'est un moment assez émouvant aussi.
18:28– J'ai tendance à beaucoup...
18:32faire d'analogies entre le suicide et le changement du genre.
18:36Comme je suis transgenre, ça me concerne directement.
18:39C'est un peu...
18:42tuer son ancien soi pour devenir quelqu'un d'autre.
18:47– Et dans ton entourage, comment ils ont réagi ?
18:50– J'ai eu pas mal de problèmes avec ma mère.
18:53Elle n'a pas accepté mon changement de genre.
18:57Je me suis notamment retrouvé à la rue.
19:00– Ça a été une sacrée épreuve...
19:03que vous avez subie.
19:05– Disons que je m'y attendais un petit peu.
19:09– Vous aviez anticipé ?
19:10– Oui.
19:11J'avais déjà eu des menaces que je serais mise à la porte.
19:17– Et alors matériellement, ça s'est traduit par quoi ?
19:20Il a fallu trouver un hébergement ?
19:22Il a fallu trouver d'autres... ?
19:26– C'était compliqué au début,
19:28parce que j'avais littéralement personne à aller voir.
19:31Je me suis retrouvé dehors en pyjama.
19:35– C'est ça que je trouve très beau dans ce film,
19:36c'est que c'est un peu le deuxième volet de la narration.
19:40C'est-à-dire qu'on n'est plus sur la question de mobilité.
19:41Là, on est sur le portrait d'une jeunesse
19:43qui a l'air de vivre les mêmes choses,
19:44qu'elle soit en milieu rural, en milieu urbain,
19:46dans les petites villes.
19:47Cédric Allendro, c'est assez frappant.
19:48Les jeunes rencontrent exactement les mêmes problématiques,
19:51partout, finalement.
19:52– Moi, je pense qu'au final, il y a plein de points communs
19:54entre des jeunes ruraux de classe populaire, je dirais.
19:58C'est plus un truc de classe que de territoire.
20:01Moi, je pense qu'il y a plein de points communs
20:03entre les jeunes ruraux de classe populaire
20:05et les jeunes urbains de classe populaire.
20:07Après, la grosse différence, c'est l'isolement géographique.
20:11– D'accord.
20:12Ça reste un sujet dans ce genre de configuration ?
20:14– Je pense que ça reste un sujet.
20:16Ne serait-ce que pour faire ses études,
20:18on est obligé de partir.
20:20Les établissements d'enseignement supérieur,
20:26ils sont dans les villes.
20:27Les jeunes, ils n'ont pas les mêmes ressources pour partir.
20:31Il y a aussi beaucoup d'autocensure.
20:34Est-ce que c'est pour moi ? Est-ce que c'est fait pour moi ?
20:38– Et puis, tout le monde se connaît.
20:40Il y a un anonymat dans les villes qu'il n'y a pas,
20:42effectivement, j'imagine, dans les petits villages.
20:44– Il y en a un, à un moment, qui dit
20:46« si je vais au bistrot, je vois toujours les mêmes personnes.
20:48Comment vous les rencontrez du monde ? »
20:50Mais là, ce film a le mérite de montrer une jeunesse
20:53qui n'est pas à la fête dans notre époque, d'une manière générale.
20:56Je parle de toute la jeunesse qui est vraiment
20:58dans une position difficile de précarité.
21:01Je pense aux travaux de Salomé Saké,
21:03avec son livre « Sois jeune et tais-toi ».
21:06Et je pense que les temps sont vraiment rudes
21:08pour les jeunes dans notre contexte.
21:12– Et le film le montre, oui, Hervé le montre.
21:14– Oui, je trouve, pour aller dans le même sens,
21:16c'est que la question de la rencontre
21:18était posée par une des jeunes personnes.
21:20Elle disait « mais au fond, comment est-ce
21:22que je vais rencontrer quelqu'un pour le fréquenter ? »
21:26Et on ne se rend pas compte, là aussi,
21:29que quelque chose comme la voiture peut modifier profondément
21:34la manière dont on forme une famille,
21:36la manière dont on vit, la manière dont on va rencontrer,
21:40se mettre en couple.
21:42Il y a un anthropologue, Bernard Vernier,
21:44c'est un peu différent, mais il a étudié la transformation
21:48de la manière dont on se mettait en couple
21:51dans des villages du nord de la Grèce,
21:53en liaison avec, alors ce n'est pas la voiture,
21:55l'arrivée des mobilettes.
21:57Et ça a changé complètement la manière dont,
22:00juste avant la mobilette, au fond,
22:02les mécanismes de cours se faisaient dans les villages,
22:05à l'intérieur des villages.
22:07Donc ça a transformé la manière dont la société se construisait.
22:11Souvent, on se dit, la voiture, une fois,
22:14dans un petit travail, j'avais dit,
22:16pour les politiques très haut placés,
22:18souvent, la voiture, c'est comme la machine à laver,
22:21c'est un instrument.
22:22Un accessoire de plus.
22:23Un accessoire de plus.
22:24Mais pas du tout.
22:25Ce n'est pas un accessoire, ça transforme la société.
22:28Et donc, des vies.
22:29Oui, c'est là où ça fait partie des lieux de sociabilité,
22:32presque à la campagne.
22:34Parce que parfois, il n'y en a pas.
22:37Ce n'est pas une caricature de dire,
22:39on l'a vécu, vous parlez de la diagonale du vide,
22:41moi, j'ai grandi dans l'allier,
22:43donc on est au cœur du sujet et du territoire.
22:45Et effectivement, on se retrouvait sous l'abribus
22:48du ramassage scolaire pour boire des verres entre amis,
22:51parce qu'évidemment, il n'y a pas de boîte de nuit,
22:53il n'y a pas de restaurant, il n'y a pas de café,
22:55on se retrouvait.
22:56Et donc, la voiture peut être un lieu comme ça.
22:58Mais pour revenir sur ce que vous disiez, Cédric,
23:01c'est là où, quand on parle de ces territoires-là
23:03et de la mobilité dans ces territoires-là,
23:05on est, à mon avis, au cœur du lien
23:07entre les questions sociales et territoriales,
23:11et on ne peut pas, d'ailleurs, détacher les deux.
23:14C'est-à-dire qu'aujourd'hui, 80% des milieux modestes
23:17vivent en dehors des grandes métropoles et de leurs banlieues.
23:19Donc, dans ces territoires-là, on parle des ruraux.
23:22C'est quand même un tiers des Français qui vivent dans la ruralité.
23:26On a tendance, quand on est à Paris, à penser
23:28que c'est une poignée de filles et de fils d'agriculteurs
23:31qui sont dans ces territoires-là.
23:32C'est un tiers des Français qui vivent dans ces territoires.
23:35Est-ce qu'on peut s'offrir la même vie ou rêver la même vie
23:38quand on grandit en ruralité ?
23:40Je pense à vous, puisque vous avez grandi dans des zones plutôt...
23:43Non pas vides, mais rurales, en tout cas.
23:45Est-ce que vous vous êtes autocensurée ?
23:47Vous vous êtes dit qu'il n'y avait pas de raison ?
23:49Moi aussi, je vais m'offrir la même vie que les autres,
23:50je vais rêver de la même chose.
23:51À fond. Moi, je me suis autocensurée.
23:53Et d'ailleurs, l'autocensure, c'est là où c'est contagieux.
23:57C'est-à-dire que les professeurs vous disent
24:00que quand même, bien sûr, vous avez envie de faire des études supérieures,
24:03mais ne demandez jamais Paris, c'est pas fait pour vous.
24:05Demandez Dijon, Clermont-Ferrand,
24:07mais à Paris, vous ne serez jamais acceptés.
24:09Et si vous êtes acceptés, vous allez vous casser les dents
24:11par manque de codes, de compétences transversales.
24:14Vous ne vous habillerez pas comme vous devriez vous habiller.
24:17Vous n'aurez pas lu ce qu'il fallait lire, pas vu ce qu'il fallait voir.
24:19Et ça, c'est très puissant.
24:20Moi, je rejoins totalement ce qui vient d'être dit,
24:23à l'autocensure, le manque d'informations aussi,
24:26et le manque de ressources.
24:30Je pense que c'est important de souligner
24:32que les jeunes ruraux, même au sein des jeunes ruraux,
24:34ils n'ont pas tous les mêmes ressources.
24:36Et en ce qui concerne le permis de conduire,
24:38moi, j'ai l'anecdote, récemment,
24:41j'ai donné un atelier photo dans une mission locale,
24:45avec un groupe de jeunes plutôt précaires,
24:48et ils me disaient, nous, quand on fait des entretiens d'embauche,
24:53on nous dit qu'il faut avoir un permis, le permis et la voiture.
24:56Mais pour financer ce permis, ou financer cette voiture,
25:00il faut travailler.
25:01Et pour travailler, il faut avoir le permis.
25:02Il faut être mobile.
25:03En fait, ils se trouvent un peu coincés,
25:05et un peu assignés à résidence, comme vous disiez tout à l'heure.
25:08528 euros par mois, le budget transport des jeunes ruraux,
25:13dans notre enquête Chemin d'Avenir et Terram,
25:16versus 307 dans les grandes métropoles.
25:18Moi, je fais de la politique, et je suis étonné
25:20que la question politique n'ait pas été posée
25:22dans le documentaire aux jeunes,
25:24alors que l'étude géniale de l'Institut Terram
25:27montre une corrélation très forte
25:29entre le temps de transport par jour
25:32et le vote Rassemblement national.
25:34Parce qu'ils se sentent exclus, vous pensez ?
25:36C'est pas à moi de conclure ça,
25:38mais l'étude Terram montre une corrélation très forte.
25:42Ceux qui sont à 2h37 de temps de transport par jour
25:45votent plus Rassemblement national
25:47que ceux qui sont à 1h15.
25:49Et il y a un lien qui semble assez direct là-dessus.
25:53Oui, on en a parlé tout à l'heure,
25:55mais le lien plus fort, encore,
25:57c'est entre la taille de la commune,
25:59le nombre d'habitants de la commune.
26:01Là, on démarre à 5 % de vote RN à Paris,
26:07et dans les villes de plus de 100 000 habitants,
26:09on est à 12 %,
26:11et quand on tombe au-dessous de 1 000 habitants,
26:13on est à 40 %,
26:15et c'est dans pratiquement toute la France.
26:17Mais les deux choses sont complètement liées.
26:19Si vous êtes dans une très petite commune,
26:21bien sûr, vous aurez la nécessité
26:23de vous déplacer, vous êtes loin,
26:25le temps de transport est important,
26:27mais assez curieusement, ça veut dire
26:29que c'est aussi une question
26:31de possibilité de la vie.
26:33Si vous êtes dans une très petite commune
26:35de 200, de 300 habitants,
26:37il n'y a que des habitants.
26:39Quelles sont les perspectives ?
26:41Vous avez le sentiment d'être coincé.
26:45Enfermé, finalement.
26:47Je pense aussi que tout n'est pas aussi noir.
26:49Il y a plusieurs jeunesses rurales,
26:51il y a plusieurs types de jeunes,
26:53et il y a aussi des jeunes...
26:55Moi, je me suis surtout intéressé à ceux qui restent,
26:57ou ceux qui vont être amenés à rester,
26:59et eux, ils sont plutôt attachés
27:01à leur territoire, ils ont aussi
27:03des vies sociales assez riches.
27:05Donc ils restent par choix.
27:07Oui, ils restent par choix,
27:09et il y en a qui sont fiers
27:11de leur territoire,
27:13il y a même chez certains un rejet de la ville.
27:15Voilà, chez certains.
27:17Et donc, voilà.
27:19Oui, pas de misérabilisme,
27:21vous avez complètement raison.
27:23Mais c'est la question du choix
27:25qui est essentielle.
27:27Mais il y a peut-être une chose importante,
27:29vous l'avez souligné, le coût de la voiture
27:31est tout à fait important, mais pour les urbains,
27:33c'est le coût du logement qui est très important.
27:35Oui, il y a d'autres coûts, en tout cas, c'est vrai.
27:37Je voudrais qu'on met avec des opportunités
27:39juste à côté, quand on est urbain.
27:41Je voudrais qu'on prenne quelques minutes
27:43pour zoomer sur
27:45les femmes de ce film,
27:47et les femmes, en général,
27:49divorcées, veuves ou maltraitées, la voiture,
27:51la mobilité, tout cela est particulièrement crucial
27:53quand elles sont aussi isolées
27:55géographiquement,
27:57et on le sent à plusieurs reprises dans le film.
27:59Petit extrait.
28:01Je l'ai foutue dehors ce matin.
28:03Ah oui, c'était radical.
28:05Je lui ai laissé trop de chance.
28:07C'est fini.
28:09C'est cassé.
28:11Je ne peux plus.
28:13Vraiment, je n'ai pas eu de chance.
28:15Je n'en peux plus.
28:17À 35 ans, merde, j'ai gâché ma vie
28:19avec des bonhommes qui faisaient n'importe quoi.
28:21Je pensais que vous alliez l'autre fois vous redonner
28:23une autre chance, parce que tu me disais que ça avait l'air d'aller...
28:25Ça allait, mais on est des potes,
28:27limite, à la maison, donc ce n'est pas possible.
28:29Cohabitation ?
28:31Non, ce n'est pas possible.
28:33Écoute, maintenant que tu es seule,
28:35on va se battre pour que tu puisses te déplacer.
28:39Maintenant que tu es seule,
28:41on va se battre pour que tu puisses te déplacer.
28:43On n'en a pas encore parlé, mais c'est aussi crucial pour les femmes.
28:45Bien sûr.
28:47La précarité est bien plus grande pour les femmes.
28:49On le voit au travers de quelques portraits dans ce film.
28:51Il y a quelques décennies,
28:53la voiture, c'était masculin.
28:55La femme n'y avait pas le même accès.
28:57Maintenant, heureusement, ça va de mieux en mieux
28:59de ce point de vue-là.
29:01Mais c'est renforcé.
29:03Je me suis un petit peu intéressé à la question des filles
29:05à travers un chapitre,
29:07et plutôt aussi au niveau de l'adolescence,
29:09comme je disais tout à l'heure,
29:11même quand on est adolescent, on a besoin de se déplacer.
29:13Là, on voit que les garçons et les filles
29:15ne sont pas égaux à ce niveau-là,
29:17puisque les filles ont moins souvent
29:21des scooters ou des motos que les garçons.
29:23Pourquoi ? Parce que les parents ont davantage peur ?
29:25Exactement.
29:27Ce n'est pas rationnel du tout,
29:29mais c'est le cas.
29:31Quand je vais dans les collèges et les lycées,
29:33j'aime bien faire à main levée qui a un scooter,
29:35qui a une moto.
29:37Donc, dès l'adolescence, elles sont assignées à résidence
29:39un peu plus que les garçons, en tout cas.
29:41Oui, plus que les garçons.
29:43C'est aussi une question de représentation,
29:45je pense, dans l'imaginaire collectif,
29:47notamment dans la ruralité.
29:49Avoir un scooter, avoir une mobilette,
29:51ça fait partie des leviers d'émancipation.
29:53Vous aviez un scooter, vous ?
29:55Et moi, oui.
29:57C'est incroyable.
29:59C'est vrai que là où vous le disiez très bien,
30:01c'est souvent plus dur pour les femmes,
30:03et la question du territoire
30:05ne fait pas exception.
30:07Il peut y avoir un triple déterminisme
30:09géographique, social et de genre.
30:11Et des gens comme Benoît Cocard
30:13le montrent très bien aussi
30:15dans son livre Ce qui reste.
30:17Des femmes qui, notamment,
30:19vont avoir tendance plus que les garçons
30:21à aller se former ailleurs,
30:23et qui parfois, quand elles ont envie, elles,
30:25de rentrer chez elles, pour des tas de raisons,
30:27y compris pour être proches de leurs parents,
30:29parce que leur amoureux est là,
30:31ou parce qu'elles sont attachées à leur territoire,
30:33il va y avoir une inadéquation
30:35entre leur niveau de formation,
30:37le métier qu'elles peuvent trouver sur place,
30:39et s'en suivent alors des conséquences
30:41qui vont être de... Alors forcément,
30:43comme le travail est plus loin,
30:45et le travail qui correspond à son niveau
30:47de diplôme est plus loin,
30:49il faut prendre la voiture, et ça coûte cher.
30:51Quand on a des enfants, ça veut dire que mécaniquement,
30:53il faudra payer des frais de garde,
30:55et donc, est-ce que ça vaut le coup de le faire ?
30:57Et finalement, dans le portefeuille du foyer
30:59et le portefeuille de cette jeune femme-là,
31:01ça peut conduire à se mettre à mi-temps
31:03plutôt qu'à temps plein,
31:05avec toute une série de conséquences
31:07qui peuvent amener à long terme.
31:09Mais sur la question féminine,
31:11elle se pose quand même un peu différemment
31:13dans la mesure où, à nouveau,
31:15c'est la contrainte du transport qui compte énormément.
31:17Mais du coup, quand on regarde
31:19où vivent les familles monoparentales,
31:21qui sont à 90 % des familles...
31:23Le parent, c'est une femme.
31:25C'est des familles
31:27qui sont beaucoup plus urbaines,
31:29pour une raison assez simple,
31:31c'est que si on doit s'occuper
31:33à la fois des enfants, du ménage
31:35et avoir un boulot,
31:37il faut pas qu'on soit trop loin
31:39de son lieu de travail.
31:41Donc, quand on fait une cartographie
31:43de là où sont les familles monoparentales,
31:45là où elles vivent,
31:47c'est les périphéries urbaines,
31:49très largement, beaucoup plus que les zones rurales.
31:51Mais la raison est la même que celle dont on parle,
31:53c'est que c'est une question
31:55de possibilité de déplacement.
31:57La deuxième question qui est liée,
31:59c'est que les familles monoparentales
32:01sont les plus pauvres en France, et de loin.
32:03– Quelques chiffres encore,
32:05et on va arriver à la conclusion de cette émission,
32:07qui nous viennent cette fois des centres d'information
32:09sur les droits des femmes et des familles.
32:1121 % des femmes salariées en ruralité
32:13sont en contrat précaire,
32:15contre 13 % en milieu urbain.
32:17Près de 50 % des féminicides
32:19ont lieu en milieu rural,
32:21alors qu'un tiers des Françaises
32:23vivent dans ces territoires.
32:25On est en train de mettre le doigt
32:27sur un sujet qui est
32:29beaucoup plus large et beaucoup plus subtil
32:31et profond. Quel serait le dernier
32:33message à faire passer sur l'importance
32:35de la voiture pour ces personnes,
32:37et le déséquilibre qu'elles pourraient vivre
32:39par rapport au milieu urbain ?
32:41– Notre principe d'égalité est mis en cause
32:43sur cette question de mobilité
32:45à la campagne. On ne peut pas,
32:47sous prétexte que la voiture a coûté
32:49moins cher qu'il y a quelques décennies,
32:51considérer que c'est la seule solution.
32:53Il y a des bouquets de solutions
32:55de mobilité à mettre en œuvre
32:57en milieu rural,
32:59dont un des premiers,
33:01c'est le rabattement vers les transports
33:03en commun qui existent encore.
33:05Le deuxième, c'est la socialisation
33:07de la voiture, c'est faire en sorte
33:09que les voitures soient mieux utilisées.
33:11Il y a plein de solutions autour du covoiturage,
33:13de l'autopartage, des différentes formes
33:15de transports à la demande.
33:17– Pas mal de pistes quand même, il y a des choses à faire.
33:19Hervé Lebrun ?
33:21– Il faut repenser, il faut aussi que
33:23les décideurs de l'État
33:25prennent sérieusement la question.
33:27J'ai assez longtemps travaillé
33:29à la Dattar,
33:31c'était un organisme
33:33qui prenait très sérieusement
33:35ces questions,
33:37qui était un organisme assez puissant
33:39et bon, il a été dissous
33:41pour des raisons politiques
33:43comme le plan français
33:45et on manque d'un organisme d'État
33:47puissant,
33:49la Dattar dépendait
33:51du Premier ministre
33:53qui était capable de proposer
33:55des choix importants.
33:57Là, je ne vois pas très bien
33:59qui prend les décisions et du coup
34:01on oublie de les prendre le plus souvent.
34:03– Et on n'a plus de vision globale ?
34:05– Comme je le disais tout à l'heure,
34:07les jeunes ne sont pas tous égaux face à ces questions-là,
34:09peut-être repenser
34:11l'aide au financement
34:13du permis de conduire,
34:15ça existe déjà,
34:17peut-être l'élargir,
34:19je pense que ce sera important.
34:21– Et pour conclure ?
34:23– Oui, je pense que ce qui est essentiel
34:25c'est de bien comprendre à tous les échelons
34:27que cette question de l'éloignement kilométrique
34:29ne va pas disparaître,
34:31que toutes les opportunités ne vont pas se rapprocher
34:33des habitants de ces territoires
34:35ni de ces jeunes et que donc il importe
34:37quand on pense des politiques publiques
34:39y compris à l'échelle nationale
34:41et d'ailleurs, là je parle des politiques publiques
34:43mais c'est le cas quand on pense
34:45à un plan d'action au niveau de l'économie sociale et solidaire
34:47toujours se demander si
34:49telle ou telle action, tel ou tel dispositif
34:51va pouvoir toucher
34:53les habitants de ces territoires
34:55qui ont ces problématiques de mobilité
34:57sinon on passe encore une fois à côté de un tiers des Français.
34:59– Toutes ces problématiques qu'on a pu aborder
35:01avec vous quatre, merci infiniment
35:03d'avoir été avec nous pour cette belle émission,
35:05merci à vous de nous avoir suivis, très beau documentaire
35:07à retrouver sur notre plateforme publicsena.fr
35:09de même que l'échange que nous venons d'avoir
35:11sur ce plateau, à très vite sur Public Sénat,
35:13merci. – Merci.
35:15– Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org

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