« On est nu, notre visage se déshabille ».

Konbini

Rayane est atteint d’alopécie. Il définit sa maladie, raconte son quotidien et comment il a vécu la perte de pilosité de son enfance à aujourd’hui.

Transcript

00:00J'ai perdu mes cheveux quand j'avais 7 ans, jusqu'à à peu près la vingtaine d'années.

00:05Bah je me détestais en fait.

00:06Pourquoi moi, je comprends pas, j'ai une tronche de pouce tu vois, j'ai pas envie d'avoir cette tête de pouce.

00:11J'ai pas de cheveux, ou alors très très peu, peut-être 5-6, même pas de quoi faire un petit match de foot.

00:16J'ai très peu de sourcils, les cils j'en ai pas, j'ai juste en bas et sous les bras, si vous voulez tout savoir.

00:20Et encore c'est pas non plus l'alopécie, c'est une maladie auto-immune.

00:24En gros, tes anticorps rejettent tes cheveux et tes poils de façon localisée ou de façon totale.

00:29Donc moi j'ai ce qu'on appelle une peladue universelle.

00:32Mais le premier manifeste c'est sur ta tête, c'est les cheveux.

00:34Donc j'avais des petits trous derrière comme ça.

00:36Les cils, je les ai perdus tôt.

00:37Et en plus ça, ça m'embête, aujourd'hui je le vis très très bien, j'aimerais pas du tout avoir des cheveux.

00:41Mais j'avais des super longs cils, ça me faisait des yeux bien élancés, tu sais.

00:45Je les ai d'abord perdus en bas à droite, ensuite je crois en haut à gauche.

00:48Donc ça c'est une petite symétrie un peu chelou.

00:50Et après j'ai tout perdu.

00:51Bah tu peux pas faire grand chose, tu les regardes tomber quoi.

00:53Et ce qui est marrant en fait, c'est que j'étais, à l'origine je suis hyper poilu.

00:56Donc moi j'ai perdu mes cheveux à 8 ans, ça a repoussé assez vite on va dire à 9 ans.

00:59J'ai 10-11 ans, je suis rentré au collège, ma mère m'épile la moustache.

01:03Tellement que c'est violent tu vois.

01:04Et j'ai des poils mais sur les jambes c'était une dinguerie.

01:06Donc c'est un peu l'ironie du sort.

01:08Et avant qu'en fait que je me rase la tête, je cachais mes trous.

01:10Je sais pas, il y avait tout un système où je me coiffais avec de la laque,

01:13je faisais tout un binge le matin, donc ça me prenait 30 minutes.

01:15Et ça c'était vachement anxiogène.

01:17Je me souviens d'un épisode où je m'embrouillais avec ma maman, la pauvre.

01:22J'arrivais pas à cacher mes trous.

01:23Je mettais des casquettes, je me jettais des capuches.

01:26Et donc un jour, un sombre jour, je décide de me raser parce que c'est plus possible.

01:31Non non mais ça commence là, c'est un front le truc.

01:34J'ai un front, on comprend pas pourquoi.

01:36Tu sais je me suis dit mais attends je préfère que les gens voient que j'ai un problème

01:38plutôt que que j'ai un front comme ça tu vois.

01:40Enfin bref.

01:40Et donc je décide de me raser et j'avais une petite copine à l'époque tu sais

01:43quand t'as 13-14 ans t'as des petites copines au collège.

01:45Ça se passait super bien et tout et du coup j'ai un truc à te raconter

01:48elle m'a toujours dit ah je te soutiens et tout.

01:50Elle voyait le truc mais elle imaginait pas comme ça.

01:52Le lundi j'arrive à l'école, elle m'a plus jamais adressé la parole.

01:55Elle m'a brisé le cœur.

01:57J'ai eu une prof d'anglais.

02:00Ma mère était devenue folle.

02:01J'ai toujours été discipliné en classe.

02:03Toujours.

02:03Bavard mais respectueux.

02:05Et un jour je fais un peu trop de bruit, le bruit de trop je pense.

02:07Et cette prof dit l'attention de Ryan elle tombe aussi vite que ses sourcils

02:11mais devant toute la classe.

02:12Bah bah bah bah bah.

02:13Ni une ni deux.

02:14J'appelle ma maman.

02:16On va en découdre.

02:17Les médecins ils ont toujours dit il y a un choc, il s'est passé quelque chose,

02:19il faut définir aussi ce que c'est.

02:21Et une fois que t'auras défini ce que c'était bah tu prends un procès

02:23c'est plus tes cheveux pour repousser.

02:24Et je me suis toujours dit en me coiffant, en cachant mes trous,

02:26devant le miroir le matin etc.

02:28Tu sais ce qu'il se passe mais tu le rejettes.

02:30Tu sais ce qu'il s'est passé.

02:31Faut que t'en parles.

02:32Et c'est tes cheveux pour repousser.

02:34Et j'ai jamais réussi en fait à trouver vraiment le courage

02:37et après t'as toujours une dualité en toi.

02:39Il faut que j'en parle.

02:40Je vais l'oublier de toute façon, c'est pas grave.

02:42C'est passé.

02:43Moi de mes 7 à mes 8 ans il y a eu des abus sexuels

02:45externes à ma famille.

02:46Mes parents travaillant, des fois ils me mettaient à regarder chez des gens

02:49et c'est là que ça s'est passé.

02:51Ça a duré quelques mois, presque une année je crois.

02:53J'ai plus trop de souvenirs, c'est quelque chose qu'on en fouille un peu tu vois.

02:55Et en fait moi ça je l'ai pas compris tout de suite

02:58et tu captes pas ce qu'il se passe en fait.

03:01Mais je l'ai toujours eu au fond de moi.

03:02C'est marrant, c'est dès que j'ai arrêté d'aller là-bas

03:04que j'ai commencé à perdre mes cheveux.

03:05Et donc voilà, autour de mes 25 ans, j'ai su qu'il fallait que je le dise à ma mère.

03:08J'ai su aussi qu'il fallait que je sorte ça de moi.

03:10Et donc je l'ai appelé, je lui ai dit écoute maman, je te donne ce rendez-vous là

03:13à telle heure, sur un banc, je vais t'expliquer pourquoi j'ai perdu mes cheveux.

03:16Je lui explique, voilà, ma mère fond en larmes.

03:19Le coeur brisé.

03:21Et donc voilà, aujourd'hui je suis ouvert au sujet, mes proches le savent

03:24et ça va beaucoup mieux.

03:25J'ai toujours refusé de mettre une perruque.

03:27Et on m'a proposé des super perruques à des prix astronomiques.

03:30Je pense que le mec qui m'a proposé ces perruques aujourd'hui,

03:32il a arrêté de travailler.

03:34Il s'est déplacé en hélicoptère.

03:35L'ironie du genre, c'est que j'ai des petits cils, des petits cheveux qui repoussent aujourd'hui.

03:37Ça repousse sur la tête à mon plus grand regret,

03:39parce que je ne me vois pas autre que comme je suis maintenant.

03:41Et quand on perd nos cheveux, nos sourcils, nos cils,

03:43qui sont quand même partie intégrante de notre visage,

03:46on est nu en fait.

03:47Notre visage se déshabille.

03:48Toutes les personnes qui sont atteintes d'alopécie ou de paladine rcl,

03:52on a un peu tous la même tête.

03:53On ressemble au...

03:55Il y a un mème d'ailleurs connu en ce moment au mec de Ayrobot.

03:57Jusqu'à à peu près la vingtaine d'années, je me détestais en fait.

04:00Pourquoi moi ? Je ne comprends pas.

04:02Je veux être comme lui.

04:03J'ai une tronche de pouce, tu vois.

04:05Je n'ai pas envie d'avoir cette tête de pouce.

04:07C'est quand même assez compliqué.

04:08Et puis le regard des autres aussi.

04:09Toi, tu as aussi envie de vivre avec et de te dire,

04:11OK, je l'accepte.

04:12Mais fondamentalement, les gens, ils n'arrêtent pas de te regarder.

04:14Donc, ils ne l'acceptent pas.

04:15Donc, c'est assez compliqué aussi d'opérer autour des autres.

04:18Et en plus, parallèlement à ça,

04:20j'avais ce qui s'était passé dans mon enfance,

04:22où tu as une certaine forme de culpabilité.

04:24Parce que quand tu es gamin, tu ne comprends pas.

04:26Tu te dis, mais c'est de ta faute, tu vois.

04:27Si ça ne m'était jamais arrivé, j'aurais des cheveux aujourd'hui.

04:29À la fin, j'ai juste, en fait, un peu de façon brute,

04:32mais j'ai juste lâché le steak.

04:33Alors, ouais, les gens me regardent dans la rue.

04:35Moi aussi, je suis 1m90.

04:36J'ai un peu un style qui est un peu différent de la norme.

04:40Donc, ouais, les gens se retournent.

04:41Les gens me regardent.

04:42Mais ce n'est pas du tout quelque chose qui me dérange.

04:44Et ce n'est pas non plus du tout quelque chose qui me remplit.

04:47Je m'en fous fondamentalement que les gens me regardent.

04:49Parce que j'ai appris à m'en foutre.

04:50Tout ça, en fait, ça te construit.

04:53Aujourd'hui, j'ai une identité.

04:55Je suis quand même assez à l'aise avec les gens.

04:57J'ai vachement confiance en moi.

04:59C'est aussi ma revanche sur la vie.

05:01J'ai perdu mes cheveux à cause d'événements qui étaient tristes, traumatiques.

05:05Et aujourd'hui, le fait que je m'accepte comme ça,

05:08c'est ma revanche sur la vie, tu vois.

05:09C'est ce petit garçon à qui on a fait du mal

05:11et qui aujourd'hui est en bonne santé.

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