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À l'occasion des 50 ans de la loi Veil, parce que oui, il y a plus de 50 ans, l'IVG était illégal en France.

Irène Jouannet est une ancienne militante du mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception. Elle raconte comment le droit à l’avortement est constamment remis en question et le combat qu’elle mène depuis des années aux côtés de centaines de femmes : "Il suffirait d’une crise politique, économique, religieuse, pour que les droits des femmes soient remis en question".

L’histoire du MLAC est racontée dans le film « Annie Colère » réalisé par Blandine Lenoir avec Laure Calamy, actuellement au cinéma. REDIFF

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Transcription
00:00Ces pro-life épouvantables, ils avaient écrit à la mémoire des fœtus non-nés.
00:04Et nous, on était en phase 2 et on faisait ça.
00:08Je fais partie de ces très nombreuses femmes qui ont participé à ce mouvement
00:12qui a été le MLAC, Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception.
00:16J'ai intégré le MLAC à ses tous débuts parce que j'étais, je suis toujours,
00:21la femme du médecin qui a assisté à l'avortement par la méthode par aspiration,
00:25la fameuse méthode Karmann.
00:26Ça consistait à dilater l'utérus mais avec des canules souples
00:31et non pas des trucs durs comme on utilisait autrefois qui faisaient tellement mal aux femmes,
00:34pour introduire une sonde reliée à un aspirateur.
00:39Et une fois que tout avait été retiré, l'avortement a été fait.
00:43Les femmes disaient « Ah bon, c'est fini, ça y est déjà ! »
00:46Ah oui, elles n'en revenaient pas.
00:47Et en tant que médecin, il s'est dit « Mais ce n'est pas possible,
00:49on nous a menti pendant toutes nos études. »
00:51Il a regroupé ses copains, ils ont décidé de faire une centaine d'avortements
00:55avant de publier un manifeste.
00:57La demande a été tellement colossale
01:00qu'il a fallu créer un mouvement qui fédérait plusieurs organisations
01:04et qui est devenu le MLAC qui s'est répandu dans toute la France
01:06puisqu'il y a eu à la fin trois centaines MLAC.
01:09Les avortements faits sur place, on ne pouvait pas répondre à toute la demande.
01:12D'abord il fallait que les femmes ne soient pas enceintes de plus de huit semaines
01:14et puis on n'était pas suffisant.
01:17Mais par contre, toutes les femmes qui se présentaient à nous,
01:20leurs problèmes étaient réglés.
01:22C'est-à-dire qu'elles partaient se faire avorter
01:25soit en Hollande, soit en Angleterre.
01:27Si elles pouvaient payer, elles payaient.
01:28Si elles ne pouvaient pas payer, il y avait une entraide collective.
01:30Aucune femme n'est restée sur le carreau, à ma connaissance.
01:33J'ai aidé les femmes, je les préparais à l'avortement,
01:36je les voyais éventuellement après.
01:38Et je me suis retrouvée spécialiste de la permanence d'accueil des femmes
01:43qui demandaient un avortement par centaines chaque samedi
01:47et accompagnement des voyages collectifs
01:49que le MLAC organisait vers la Hollande et vers l'Angleterre.
01:52Je me revois dans l'autocar qui allait à Londres.
01:55J'étais à la place de la guide touristique.
01:57Et au lieu de parler des monuments et tout ça,
01:59je parlais de la pilule, du stérilet.
02:01On veillait énormément à ce que les femmes
02:04repartent avec une information sur la contraception.
02:07Parce que l'avortement, c'était une chose, mais ce n'est pas une fin en soi.
02:11Donc, on faisait beaucoup d'informations à la contraception.
02:14Oui, on parlait des corps et puis on parlait de plein de choses.
02:17Ce n'était absolument pas caché.
02:18De même que les cars qui partaient en Hollande et en Angleterre,
02:21c'était au vu et au su de tout le monde.
02:22On avait mis un car devant les galeries Lafayette à Paris avec des banderoles.
02:26La Hollande, ce n'est pas le tourisme, c'est l'avortement.
02:28On a médiatisé notre action.
02:30On a compris qu'on était dans une société de spectacle
02:32et que plus on médiatiserait notre action et plus on avait des chances d'aboutir,
02:37plus on faisait exister le scandale
02:39et plus le gouvernement serait acculé à faire quelque chose.
02:42On foutait la merde, pour dire les choses clairement.
02:44Il n'y a pas eu beaucoup de répression.
02:46Parce que qui disait répression disait scandale.
02:49Donc le gouvernement était quand même un peu piégé.
02:51Et ça nous plaisait bien, c'est ce qu'on visait.
02:53On avait des ennemis bien sûr.
02:55Et parmi eux, l'association Laissez-les-Vivre,
02:58on ne les prenait pas très au sérieux.
03:00Et un bout de jour, on était à la permanence du MLAC à Paris
03:04et on apprend que Laissez-les-Vivre appelle à une manifestation à la gare du Nord,
03:09là où les femmes se rassemblaient avant de partir pour la Hollande.
03:13Et on se dit, nom d'un chien, ces pauvres femmes déjà qu'elles flippent,
03:15elles vont arriver, elles vont se retrouver face à ces pro-life épouvantables.
03:21Il faut qu'on fasse quelque chose.
03:22On a passé la journée au téléphone,
03:23on a réussi à rassembler à peu près 300 personnes,
03:25ce qui fait qu'on était à force égale avec les Laissez-les-Vivre.
03:30Les femmes qui devaient avorter avaient été discrètement évacuées.
03:33On s'est retrouvés face à 300 Laissez-les-Vivre,
03:37tous plus gris les uns que les autres, boutonneux, chapeau, cache-nez,
03:42qui avaient déposé des gerbes de lys blanc par terre
03:45devant l'endroit où les femmes avaient rendez-vous.
03:48Et sur cette gerbe de lys blanc, ils avaient écrit, à la mémoire des fœtus non nées.
03:52Et nous, on était en phase 2 et on faisait ça.
03:55Les flics étaient de chaque côté et nous regardaient se marrer parce que...
04:00Quoi faire d'autre ?
04:01Lorsque Pognatovski, le ministre de la Justice, a laissé son siège à Simone Veil,
04:05il lui a dit, dépêchez-vous de faire passer cette loi
04:07parce que sinon ils sont foutus de faire un avortement sur votre bureau.
04:09Ça voulait dire quoi ? Des cars qui partaient au vu de tout le monde sur les ferries ?
04:14Des femmes qui clamaient qu'elles avaient avorté ?
04:17C'était la Gabgi, le gouvernement ne pouvait pas accepter ça plus longtemps.
04:19Donc Simone Veil a été nommée et elle l'a fait avec beaucoup de courage.
04:22Le mouvement officiellement a été dissous en 1975
04:24et puis il y a des blagues qui ont continué parce que
04:26les mineurs n'avaient pas le droit d'avorter sans les parents,
04:29les étrangères non plus, donc il y avait encore du travail.
04:32Ça reste compliqué, il y a des endroits où c'est tellement difficile
04:35de trouver un rendez-vous pour un avortement
04:37que des jeunes femmes dépassent le stade auquel elles peuvent.
04:40C'est pour ça d'ailleurs que maintenant le délai a été proposé à 14 semaines
04:43parce qu'il n'y a pas assez de médecins.
04:46Ce n'est pas un acte glorifiant l'avortement.
04:48Simone de Beauvoir l'a tellement bien dit elle-même,
04:50elle a dit qu'il suffirait d'une crise politique, économique, religieuse
04:57pour que les droits des femmes soient remis en question.
04:59Il faut que les jeunes générations connaissent l'histoire de cet acquis
05:02pour pouvoir le défendre le cas échéant.

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