Velibor Čolić reçoit le Prix Victor Rossel de littérature 2024 pour Guerre et Pluie (Gallimard). Adeline Dieudonné, présidente du jury littéraire, s'entretient avec lui pour évoquer son roman, son histoire personnelle et sa victoire.
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00:00Le soir, repensons notre quotidien.
00:04A Dignes de Donnez, Velibor Kolitsch, bonjour, merci beaucoup d'être là, présidente du jury, lauréat du Rosselle de littérature 2024.
00:12Monsieur Kolitsch, d'abord, ça vous a fait quoi ? C'était quoi votre premier sentiment à l'annonce du résultat ?
00:17Ah, très content, bien évidemment. Et en deuxième niveau, je me suis dit, tiens, on fait quelque chose à domicile.
00:25À domicile, en Belgique ?
00:27En Belgique et à Bruxelles. Je suis arrivé à Bruxelles en 2020.
00:33On se rappelle quelques années compliquées, quelques saisons très très compliquées, comme une sorte de cauchemar, comme le cinéma B.
00:43Voilà, pour mon livre, ça c'est le cinquième prix pour mon livre. Avant le dernier prix, il fallait prendre le train, sortir de la gare du Nord, de la gare de Montparnasse et aller à Bordeaux.
00:55Là, je suis sorti à Botanique, je suis arrivé à pied. Voilà, quelque chose, ça fait chaud au cœur que mon livre plus personnel, parmi les romans que j'écris, a trouvé l'écho ici, à Bruxelles, un peu chez moi.
01:13Adeline, c'était logique de décerner ce prix agréable ?
01:18Oui, en tout cas, on était assez unanimes dans le jury sur Guerre et Pluie. C'est le livre qui nous a plu à tous. Après, on avait des coups de cœur, on n'était plus divisés sur les autres ouvrages.
01:36On était tous d'accord sur Guerre et Pluie. Ce qui nous a frappé, c'est qu'il faut quand même soulever la prouesse d'écrire aussi bien en français, alors que quand vous êtes arrivé, et vous le racontez dans Guerre et Pluie, vous arrivez en France, vous avez 28 ans.
02:02Vous ne parlez pas un mot ? Si, si, vous savez dire, c'était quoi ?
02:06Trois mots en français, Jean-Paul Sartre.
02:08Jean-Paul Sartre.
02:11Oui, merci d'abord, merci encore une fois. C'est le combat que je mène depuis des années, vivre dans une langue.
02:24Pendant des années, je viens de Yougoslavie. Nous, les vieux, on se rappelle ces guerres, plusieurs guerres tragiques, fratricides en Yougoslavie, par l'écho, comme toujours, comme parmi les vagues de réfugiés à l'époque.
02:45Je suis arrivé à Paris. Je trouvais Paris trop à l'est, alors je suis allé à Rennes, en Bretagne. En fait, je me considérais, je me sentais comme un homme effacé, c'est-à-dire retrouver l'état primaire de l'homme illettré.
03:06C'était le gifle suprême. On perd connaissance, on perd dignité, vite fait, si on peut le dire, vite fait, on est con. Mon combat était mené dans la langue, dans le territoire de la langue, ô combien belle et ô combien compliquée pour nous cela, dans la langue française.
03:28Bien évidemment, je n'ai pas l'excuse si mon roman est mauvais, je ne veux pas dire, s'il vous plaît, mon roman est mauvais parce que je suis pauvre réfugié africain. C'est une langue, c'est une langue adulte, j'ai appris à maîtriser à 30 ans.
03:43Ça ajoute les problèmes supplémentaires, comme si on n'avait pas à nous romancer, c'est-à-dire pour moi la langue, c'est le territoire. J'essaie de traduire une autre langue, ma langue natale, une autre douleur, des blessures de guerre, traduire dans un autre territoire que la langue française.
04:05Mais donc vous avez écrit directement en français ?
04:08Toujours, toujours, même au moment de la création d'un manuscrit, 4 ans, je me suis retrouvé comme ça, je pouvais voir sur mon écran à quel moment je pensais à ma langue maternelle, la phrase complètement manicale.
04:30Pour vous c'est peut-être naturel, en Belgique peut-être, il y a des gens qui sont nés bilingues ou comme ça, mais pour la plupart de mes collègues étrangers en français c'est tout à fait naturel, on ne me pose même pas de questions.
04:44Je me mets, je prends le stylo, peu importe quoi, et j'écris dans ma langue. Là c'est une autre langue qui n'a rien à voir avec nos langues slaves, et il faut penser, j'écris déjà 5 romans chez Gallimard, il faut penser de A à Z dans la langue française, sinon on est perdu.
05:05Et vous l'avez écrit chronologiquement, parce qu'il y a d'abord le point de départ qui est 2020, pandémie, ça se passe à Bruxelles, et puis après on part 30 ans en arrière, et donc je me suis demandé si les récits de guerre c'était éventuellement des choses que vous aviez déjà un petit peu écrites auparavant, ou est-ce que…
05:31Je grignotais un petit peu, mais comme dit mon éditeur chez Gallimard, j'ai inconsciemment, probablement inconsciemment, contourné cette guerre. J'écris sur l'exil, j'écris sur mon enfance, j'écris sur ce qui arrivait après l'exil, mais la guerre était venue dans mon corps d'abord, la guerre était inscrite dans cette maladie rare.
05:57On était deux à Bruxelles. Spectaculaire, panfugus vulgaris, qui se manifeste sous la peau, sous la langue et dans la gorge. Cette fois-ci je ne parlais pas, mais avantage de cette fois-ci je pouvais écrire.
06:18Donc je me suis dit à quel moment la guerre s'arrête. La guerre qui était inscrite dans mon corps, il fallait l'inscrire dans le papier.
06:27Depuis, avec l'aide de la médecine moderne, je… haute mon chapeau, la clinique, comment on peut dire, je ne sais pas, la publicité Saint-Luc, qui m'a soigné, vous voyez, je dis maintenant je suis normalement laid comme avant.
06:41Et la guerre est devenue quelque chose sous le papier, devenu un livre, il va vivre dans plusieurs langues, une sorte de purification par la douleur. Je suis athée, voilà.
07:06Et à la fin, je vois qu'il y a plusieurs noms de villes, je ne me rappelle plus d'ailleurs exactement lesquelles, mais c'est tous les endroits où vous avez écrit « Guerre et paix ». C'est quoi, c'est des résidences d'écriture ?
07:20Mes voyages, un peu résidences d'écriture, mes voyages, j'essaie de noter le lieu, pour moi la géographie est aussi importante que le voyage dans le temps. J'écris quelque part, j'appelle les romans.
07:34Oui, c'est ça, j'ai vu.
07:36J'écris beaucoup dans une résidence en Suisse, beaucoup, beaucoup. Rien de tout ça n'est pas montré dans le roman et justement, l'expérience me dit que même les versions romanes qui sont finies dans la poubelle sont importantes.
07:50C'est une sorte de... Voilà, donc, « Guerre et pluie », parfois, vous avez dit inconsciemment « Guerre et paix ».
07:59J'ai dit « Guerre et paix », pardon.
08:01Parfois je rigole.
08:02Désolée.
08:03Une fois, j'ai une interminable tournée partout en France, en Suisse, dans mon public, il m'a demandé « Monsieur, est-ce « Guerre et pluie » ? Et c'est pas « Guerre et paix » ?
08:16Au départ, je voulais appeler mon livre « Les Misérables » et il m'a regardé.
08:23Je lui ai dit « C'est comme ça que vous rentrez dans la librairie, vous dites « Je veux les misérables ». La librairie est obligée de dire « Oui, de qui ? De Victor Hugo ou de Vali Vartulic ? »
08:34Voilà, « Guerre et pluie », je rends hommage à la nature.
08:39J'étais dans le tranché, j'espérais pendant de longues années être le dernier Européen dans le tranché.
08:49Hélas, non.
08:50L'histoire de guerre, c'est l'histoire européenne.
08:53Et dans le tranché, finalement, avec une distance de 30 ans, j'ai découvert que j'avais un regard privilégié sur la nature.
09:00Chaque insecte, chaque fleur, prenait une proportion quasi mythique.
09:06C'était l'homme qui pensait mourir, mais pas de maladie.
09:14Je ne croyais pas que je voulais mourir, que je voulais sortir vivant.
09:18Je commençais à faire attention.
09:20Il n'y avait pas autant de très beaux couchers de soleil de matinée.
09:28Je rends hommage à la pluie.
09:30Dans un moment, je suis enfermé dans un stade.
09:33On m'a maltraité par l'extrême droite.
09:36J'aime beaucoup le foot, mais l'extrême droite aime différemment le stade.
09:42J'ai profité d'un orage.
09:44L'été, dans le balcon, il était très chaud.
09:47Par conséquent, l'orage était très, très, très violent.
09:50J'ai profité de l'orage pour sauter le mur.
09:53Là, il faut oublier, bien évidemment, Bruce Willis.
09:56J'ai cassé la gueule.
09:57J'ai sauté le mur.
09:58J'ai couru et j'ai senti.
10:01Je suis hâté, je le répète.
10:03J'ai senti qu'il y avait au moins deux mains de pluie qui protégeaient les petits soldats.
10:11J'étais inconsciemment vers l'ouest.
10:14Quelques années après, j'ai lu un poète mystique, Sufi II,
10:21qui a dit que quand la pluie tombe, dans chaque goutte se cache un ange.
10:27Donc, par ce titre, je rends hommage à dix mille, cent mille anges
10:31qui protégeaient les petits soldats vélibles
10:33et qui les menaient vers l'ouest, vers Paris, Bruxelles, vers la littérature française.
10:37Voilà pourquoi la pluie.