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Sa musique traverse les époques. Un timbre de voix unique, des mélodies phares, inévitablement entendues quelque part. « La boîte de jazz », « Je voulais te dire que je t’attends », « Les vacances au bord de la mer ». Dans son répertoire, il y a des chansons pour toutes les situations. Pour danser, pour accompagner des amours déçus, pour exorciser la mélancolie du temps qui passe. En parlant de lui, il parle de nous. Mais en dehors des chansons, il se raconte peu. Pourquoi reste-t-il si discret sur sa vie privée ? Quel doit être le rôle d’un artiste à ses yeux ? En quoi la musique recèle-t-elle d’un pouvoir salvateur ? Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit Michel Jonasz, pour la centième de l’émission « Un monde, un regard ». Année de Production :

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00:00Pour vous présenter mon invité, je pourrais me contenter de prononcer ces quelques mots
00:26joueur de blues, super nana, la boîte de jazz, dites-moi. Ces titres ont une telle place dans
00:32notre mémoire collective qu'on a le sentiment qu'il fait partie non pas de notre famille encore que,
00:37mais disons de notre histoire ou de nos histoires. Plus de 50 ans qu'il enrichit la chanson française
00:43ainsi que le théâtre et le cinéma. Plus de 50 ans qu'il nous accompagne, jeunes et moins jeunes,
00:48dans les aléas de nos vies, dans nos joies, dans nos chagrins. En 50 ans il a tissé un lien très
00:53fort avec nous, avec son public. Pourtant sur lui on ne sait pas grand-chose. À une époque où
00:58beaucoup dévoilent tout sur leurs réseaux sociaux, lui assume d'être un artiste discret et pudique.
01:04Ce qu'il confie sur lui, sur sa vie, ses états d'âme, il l'exprime dans ses textes, il le transmet
01:09dans ses compositions, sur scène et bien sûr dans sa voix si singulière. Quelle est la chanson qui
01:14dit le plus de lui ? Quel est le titre qui nous permettrait de mieux le cerner, de mieux le
01:19comprendre, à moins que ce ne soit un rôle ? Posons-lui toutes ces questions, bienvenue dans
01:23Un Monde à un Regard, bienvenue Michel Jonas, merci d'avoir accepté notre invitation ici au Sénat,
01:28au Dôme Tournon. Si on veut vous connaître vous, quel titre faut-il écouter ? Si vous deviez
01:32choisir un titre, celui qui parle le plus de vous, dans lequel vous avez mis le plus de vous-même,
01:37ce serait lequel ? Je dirais peut-être Les fourmis rouges, qui est une chanson qui s'est
01:44fait connaître grâce à la scène et c'est ça qui compte pour moi. Elle n'a pas connu un succès
01:51médiatique mais elle s'est fait connaître et les gens l'aiment bien et c'est la seule chanson que je
01:58peux jouer sur scène au piano. Et elle parle de vous cette chanson ? C'est celle qui dit le plus
02:03de votre intériorité, qu'on connaît peu ? Je ne sais pas si c'est celle qui parle le plus de moi,
02:08vous savez une chanson c'est toujours un mélange assez subtil entre l'autobiographie et de la
02:16fiction, mais comment on ne peut pas chanter des émotions ou des sentiments qu'on ne connaît pas,
02:24donc forcément on les vit évidemment. Quelquefois on me demande, par exemple, je veux pas que tu
02:30t'en ailles, est-ce que tu as vraiment connu ça ? Ça ne veut rien dire, c'est pas possible. Il y a
02:35vraiment, tu as dit ça à une fille, je veux pas que tu t'en ailles, etc. C'est pas ça. Le truc c'est
02:39qu'avec une histoire qui peut m'arriver moi dans ma vie, j'en ai eu des histoires évidemment,
02:45mais avec une histoire d'amour par exemple, vous pouvez écrire 50 chansons évidemment, donc il n'y a
02:51pas une chanson qui pourrait... Et ce n'est pas forcément les chansons qui sont les plus connues,
02:57qui me ressemblent le plus. Je peux vous citer des chansons qui ne sont pas connues.
03:04Vous le sentez ce paradoxe entre le fait que vous ayez à ce point intégré les foyers français,
03:09tout le monde chante vos chansons, vous faites partie de nos vies, mais sur vous on sait peu de
03:15choses. Je disais discrets, pudiques, c'est vrai vous êtes ? Oui, mais je crois comme beaucoup
03:20d'artistes. Moi je vois autour de moi mes confrères et beaucoup d'artistes qui montent sur scène sont
03:26des gens pudiques et même timides. C'est peut-être un paradoxe, mais c'est peut-être le moyen de vaincre
03:32cette pudeur et cette timidité aussi. On se dit bon alors là il faut que j'y aille parce que sinon
03:36j'y arriverai pas. Pourtant à l'époque n'est pas à la pudeur. Je parlais des réseaux sociaux, tous ces
03:41artistes dont vous parlez, ils ont aussi des comptes Instagram, ils dévoilent des choses sur eux-mêmes, ce
03:44que vous ne faites pas ? Oui, mais c'est très curieux, enfin je sais pas, moi j'étais aussi admirateur
03:49de gens comme Brel, comme Piaf, les gens de ma génération, Ferré, Brassens, j'avais aucune envie
03:59de savoir comment ils vivaient et même j'aimais bien ne pas savoir quoi. Pourquoi savoir ? Pourquoi
04:07connaître ça ? Ça veut pas dire qu'il n'y a pas un lien, évidemment qu'une création artistique
04:13est comme un miroir et comme le reflet de ce qu'on est vraiment à l'intérieur, c'est vrai.
04:18C'est même un don de soi. Oui, exactement, c'est un miroir. Donc pourquoi en plus rajouter
04:23alors voilà ma famille, voilà mes enfants, voilà comment je vis. Je sais pas, je trouve que ça
04:29pourrait peut-être même casser quelque chose d'un peu sacré dans la création artistique.
04:36Dans ma présentation j'ai parlé des titres qui vous ont fait connaître et même plus que connaître,
04:42on pourrait me reprocher de vous reparler encore et encore et toujours de vos anciens titres,
04:46mais ils continuent de vous porter. La preuve, vous continuez de les chanter en tournée et vous
04:50sortez cet album, Soul, un album avec ces titres-là remis au goût du jour. Est-ce que ce sont comme
04:56des nouveaux titres ? Non, ce ne sont pas des nouveaux titres, ce sont des titres qui sont
05:00réarrangés complètement, que je chante un petit peu différemment. Je dis un petit peu parce qu'il
05:07y a quand même une sorte de continuité avec la version originale, mais l'arrangement étant
05:13l'environnement, effectivement elle me porte à chanter autrement. Donc ça c'est, voilà, c'est
05:20une revisite qui était intéressante. Vous avez un processus d'écriture que je trouve intéressant.
05:24Vous dites, mon rituel à moi c'est d'être seul dans le silence pour écrire, pour recevoir
05:28l'inspiration. C'est un chemin initiatique d'écrire et de composer, tu pars à la rencontre de toi-même.
05:34Il y a presque un petit côté retraite spirituelle, non ? C'est partir à sa propre découverte d'écrire.
05:40Oui, c'est vrai que j'ai besoin de ce rituel-là, d'être seul, évidemment, j'ai besoin de ça,
05:47mais ça me paraît, enfin je ne sais pas, je ne comprends pas qu'on puisse travailler d'une
05:50autre façon. C'est vrai, quand par exemple je dis que mon travail c'est d'abord d'écrire,
05:56quand je prépare un album, d'écrire tous les textes de cet album avant d'écrire,
06:02avant de faire la première note de musique. Et ça, ça peut me prendre beaucoup de temps,
06:06ça peut, une chanson peut s'étaler sur des années. Je l'abandonne, je la reprends,
06:12je n'avais pas trouvé quelque chose, mais ça m'inspire. Par contre les musiques, c'est plus
06:17associé pour moi comme un acte physique, plus physique, vous voyez, et donc il faut que ça aille
06:23vite, il faut que ça aille vite. Je mets mon texte là devant le piano, voilà, je compose,
06:27si je ne trouve pas dans la journée ou le lendemain, je laisse tomber, ça veut dire que
06:32je vais galérer. Alors que ça ne m'embête pas du tout de travailler effectivement sur des textes
06:37sur de longues périodes. Et c'est vrai que j'ai souvent dit que je comparais ça à ce qu'on peut,
06:43je ne sais pas, comme une femme, l'inspiration c'est comme une femme, parce que je me suis rendu
06:48compte que si elle ne vient pas, il ne faut pas être fâché, il ne faut pas se fâcher avec
06:53l'inspiration. Elle ne vient pas, mais si vous vous fâchez, là elle peut être, ça peut vous
07:00contrarier, parce qu'elle peut mettre du temps à revenir. C'est simplement se dire bon ben c'est
07:04pas là, je laisse tomber, vous savez c'est comme des fois vous avez besoin de résoudre un problème
07:08et vous n'y arrivez pas, puis vous allez y arriver dans la nuit en rêvant ou des trucs comme ça,
07:11et ben voilà je me dis bon ben non c'est pas grave, et puis elle va revenir. Est-ce qu'elle
07:17revient facilement l'inspiration dans ce monde bruyant ? Est-ce qu'il vous inspire encore ce
07:21monde bruyant ? Je n'ai pas d'autres mots. Oui, il est un petit peu bruyant, pour ne pas dire violent
07:27des fois. Pour ne pas dire violent. Oui. Et continue de vous inspirer ce monde, cette époque, elle continue
07:31de vous inspirer ? Mais oui, parce qu'au contraire même, parce que je pense qu'on est dans une
07:37période cruciale sur cette terre. Pourquoi ? Parce qu'on est dans une période de
07:45violence et de guerre, et que dans des périodes de guerre, il n'y a pas que les soldats qui se
07:50battent. Tout le monde se bat. Tout le monde se bat, même on se bat contre nous-mêmes, et de se
07:57battre contre des vieux démons, de l'égoïsme, de la colère, du racisme, de l'antisémitisme.
08:05C'est quoi notre problème ? C'est le manque de fraternité. Ce vieux mensonge, c'est un vieux
08:10mensonge de penser que moi je peux être heureux même si celui-là, là il n'y est pas. C'est quand
08:15même un mensonge qui peut vous rattraper quand même. Donc il y a ça, mais moi ce qui m'embête,
08:21c'est que moi je regarde des fois les actualités comme ça, et il y a beaucoup une espèce de
08:28contagion de peur. C'est-à-dire que vous êtes là, vous vous dites, on parle de plus en plus de guerre,
08:34maintenant de guerre mondiale, maintenant de guerre nucléaire, vous vous rendez compte ? Moi je crois à la
08:39force de la pensée et de nos émotions. Ça a une force. C'est-à-dire que si tout le monde a peur de
08:46ça, ça peut venir, ça peut arriver. Donc moi je pense que le rôle des artistes, et c'est ce que
08:51j'essaye de faire aussi très humblement, c'est justement d'être contagieux d'autre chose que ça.
08:57D'être contagieux de quoi ? D'une joie de vivre, et puis d'un vrai amour entre les
09:02êtres humains, et d'une vraie fraternité qui est la seule façon... Enfin, on ne peut pas survivre
09:10sinon. C'est la seule manière de survivre. Pour nous, c'est la vraie fraternité. C'est-à-dire qu'on
09:14est tous, tous les êtres humains, c'est-à-dire cette famille humaine, on est tous reliés. Voilà,
09:20c'est la seule issue possible. Et oui, moi je me dis, bon, moi je suis né à une période où tout
09:28était possible, vous voyez ? Les enfants d'après-guerre, tout était là, on pouvait tout
09:33construire. Et là non ? Là plus rien n'est possible ? Ben c'est devenu plus violent, c'est devenu un peu
09:38plus difficile. Je pourrais m'inquiéter, mais je veux pas être dans cette énergie-là, parce que
09:42justement je pense que c'est des histoires d'énergie, ça. Contagieux de joie de vivre et contagieux
09:47d'authenticité aussi, je lisais. Vous dites, on triche plus facilement avec la voix parlée qu'avec
09:52la voix chantée. La voix chantée est reliée à ton être profond. Tu ne chantes pas avec la tête,
09:56tu chantes avec ton cœur. Oui, oui. Il y a aussi cette recherche-là d'authenticité, peut-être qu'à
10:02l'époque. Ben oui, comment dire ? C'est pas la forme qui compte. Vous voyez, si vous écoutez un ami
10:10qui vous parle, il veut vous dire quelque chose d'important pour lui. Quelle forme ça va prendre,
10:15on n'en sait rien. Peut-être qu'il va murmurer, peut-être qu'il va parler fort, peut-être qu'il
10:20va s'énerver, peut-être qu'il va faire des gestes, peut-être qu'il va faire des trucs... Et qu'il va
10:23se taire. Peut-être qu'il va se taire, qu'il va y avoir des silences. Tout ça, c'est au service de
10:29ce qu'il veut vous dire. Et c'est ça qui compte. Vous voyez, c'est ça qui compte. Peu importe les
10:33arrangements, peu importe. Mais la façon de chanter, elle est reliée aussi à l'intention.
10:37C'est-à-dire que ce qui compte effectivement dans une chanson ou dans une création ou dans un
10:42bouquin ou dans une peinture ou dans une danse, c'est quelle est l'intention ? Qu'est-ce que je
10:48suis en train de raconter ? Est-ce que ce que je suis en train de raconter est forcément relié à
10:52effectivement mon être profond ? Une chanson, ça se prend... C'est simple. Une chanson, c'est
10:58comme un... Ça ne se prend pas la tête, une chanson. C'est le miroir de ce que nous sommes. Et je crois
11:04que c'est pour ça que la chanson est un art populaire, parce qu'elle parle à tout le monde de
11:08ce qu'ils sont, de ce que nous sommes. Mais qu'est-ce que chanter dit de plus juste ou de plus
11:13franc ou de plus authentique que le parler ? Enfin moi, je le vis comme ça. C'est-à-dire qu'avec le
11:20parler, je peux prendre des détours. Vous voyez ? On peut... Oh là là, il ne faut pas que je dise ça, parce que
11:25attention, il faut que je fasse attention, parce qu'il ne faut pas que je la blesse, cette personne, ou bien
11:29elle m'a blessé, ou bien blablabla... On se met plus de freins. En chanson, on ne peut pas faire ça. Parce que la voix, encore
11:35une fois, c'est vrai, je l'ai dit, je me rappelle très bien, elle est reliée à ce qu'il y a de profond en nous.
11:40Cette chose profonde, elle ne peut pas tricher, elle ne peut pas mentir. Sinon, on est en représentation, on fait
11:49une espèce de métier, et ça, ça se sent tout de suite. Je pense que le succès... Je me souviens qu'Asnavour disait
11:56que le succès, ce n'est pas d'avoir un succès, le vrai succès, c'est de pouvoir durer. Oui, mais pourquoi ça dure ?
12:02Parce que je pense que c'est ça, l'histoire. C'est que le public, il sent qu'il y a là, dans les chansons, quelque chose
12:08d'une certaine forme de vérité qui est dévoilée de la personne. Et cette vérité-là fait comme un miroir à sa propre histoire.
12:18Quand on vous entend parler de l'acte de chanter, moi je m'interroge du coup sur l'acte de jouer, parce que vous ne faites pas que chanter
12:23sur scène, vous jouez, vous faites de la comédie, vous êtes acteur. Parlez-nous peut-être de ce rôle, dans la pièce écrite par
12:27Samuel Benchetrit, la famille au théâtre Edouard VII se perd à Vachy dans un fauteuil, qui se nourrit de documentaires
12:33animaliers et de cacahuètes, attention, sucrées. Alors là, quelle est la vérité dans ce rôle, alors que c'est le texte d'un autre,
12:41la mise en scène d'un autre, mais c'est vous, vous ne chantez pas, qu'est-ce que vous dites là ?
12:44Oui, mais moi j'ai toujours aimé jouer la comédie, j'ai toujours aimé ça. Voyez, moi, quand j'étais môme, le plus beau cadeau qu'on pouvait
12:50me faire pour un Noël, c'était une panoplie. Je ne sais pas s'il existe encore ce mot-là, la panoplie. C'est-à-dire que c'était sur un
12:57carton, on pouvait se déguiser, par exemple, en Zorro. Il y avait le masque, il y avait l'épée en plastique et il y avait des trucs comme ça,
13:04ce qui s'appelait la panoplie. Il y avait une panoplie d'Indien, une panoplie de cow-boy, une panoplie de Zorro, etc.
13:08Donc, entrer dans la peau d'un autre.
13:09Oui, et j'adorais ça. Quand je jouais avec mes petites voitures, les petites Dinky Toys ou les NoRev, je dis ça parce que ça n'existe plus.
13:16Ce qui m'intéressait, ce n'est pas de faire le bruit des voitures et de faire brum brum, j'aimais bien ça, mais ce qui m'intéressait, c'est que j'imaginais
13:23tous les scénarios possibles. Pourquoi ce mec dans cette petite voiture ? Où est-ce qu'il va ? Qui va rencontrer ? Je faisais déjà comme des espèces de petits scénarios.
13:31Et c'est vrai que jouer la comédie, que ce soit au théâtre, où là je généralise un peu, on peut revenir plus précisément, ou au cinéma, il y a un truc qui est assez magique.
13:41C'est-à-dire, par exemple, au cinéma, le moment où, juste avant de tourner, quand vous entendez silence, moteur, alors là, on sait qu'il va y avoir action, il y a un truc qui se crée entre les comédiens,
13:57comme un lien où chacun devient l'autre qui va jouer, parce qu'on n'oublie jamais qu'on est acteur. Mais c'est ça toute l'histoire.
14:05Quand je suis sur scène, je n'oublie pas que je chante, mais je dois être quand même à 100% dans l'histoire que je raconte. Un comédien, c'est pareil, il doit être à 100% dans le personnage qu'il incarne, mais il n'oublie pas, évidemment, qu'il incarne.
14:19Cette pièce, alors ?
14:20Cette pièce, oui.
14:21Sur la famille ?
14:22Moi, j'aime bien, j'aime bien jouer les pères, et même les grands-pères.
14:27C'est pas vous, c'est pas du tout vous d'être avachis sur un fauteuil, c'est tout l'inverse de vous.
14:32Non, c'est vrai, mais il y a quelque chose du père qui est là, tranquille, qui n'aime pas les conflits, ça se voit quand même, ça c'est moi ça.
14:40Moi, je déteste les conflits.
14:42Ça, ça vous ressemble ?
14:43Ah oui, ça, ça me ressemble, vraiment. Mon rêve, c'est que tout le monde autour de moi s'entende bien, parce que je me dis toujours que si les membres d'une famille ne peuvent pas s'entendre, comment il peut y avoir la paix sur terre ?
14:55Et pourtant, on n'est pas obligés de s'aimer en famille.
14:58Non, c'est ça l'histoire, on n'est pas forcément obligés de s'aimer, c'est vrai.
15:02Sauf face à l'adversité.
15:04Voilà, c'est ça. En fait, c'est quoi d'aimer quelqu'un ? C'est ça l'histoire. Dans une famille, c'est ça.
15:12Cette personne de ma famille n'a pas la même vision des choses que moi, elle n'a pas peut-être même les mêmes valeurs que moi, etc. Mais c'est ça, aimer. Il faut aimer l'autre.
15:24Malgré ?
15:25Malgré. Pas malgré, ce qu'il est. Pas comme moi je voudrais qu'il soit.
15:29Malgré les différences, disons.
15:30Voilà, c'est ça, exactement. Et donc, je pense que cette pièce-là parle de ça. Bien sûr, il y a une soirée, il y a un événement qui va bousculer beaucoup cette famille-là, mais ce qui est le cœur de cette pièce, c'est ça.
15:44C'est cette complexité dans ces liens entre les membres de cette famille. Et de toute façon, oui, c'est une vraie histoire d'amour.
15:53J'ai un document à vous proposer, Michel Jonas, je vais le décrire pour vous et pour les gens qui nous écoutent, parce que vous n'avez pas vos lunettes, alors je vais vous le décrire.
16:01C'est un document délivré par nos partenaires, les archives nationales. Il s'agit d'un graffiti sur carreau de plâtre retrouvé sur les contre-cloisons du camp d'internement de Drancy, après la seconde guerre mondiale.
16:11Ah, vous avez déjà un commentaire ?
16:12J'ai le livre. J'ai un livre, parce que j'ai été au mémorial, là-bas. Vous parlez de Drancy, là ?
16:18Absolument.
16:19J'ai été à Drancy, et donc ils m'ont remis le livre qui regroupe tous les mots qui étaient comme ça écrits sur les murs.
16:27Je le reprécise un peu pour les gens qui nous écoutent, donc c'est par ce camp de Drancy que 80% des juifs rafflés en août 1941 ont transité avant d'être déportés, et ces gens ont voulu laisser une trace de leur passage à Drancy.
16:38Là, les quelques mots qui sont lisibles sur cet archive que je vous montre, c'est « Rachel Levy arrivée ici le 8 avril 1944, ici était installé le juif Grundstein, Armand, arrivé à Drancy le 16 novembre, on avait un très bon moral, destination inconnue ».
16:54Et pour beaucoup, cette destination inconnue, c'était Auschwitz. Et je vous le montre parce que vous êtes un descendant d'une famille touchée par la Shoah, et que vous êtes né à Drancy.
17:03Oui, pas pour ça, mais oui, effectivement, je suis né à Drancy, et je suis effectivement petit-fils de déporté, du côté de ma mère, puisque ma mère a perdu ses... c'est une longue histoire, mais bon, elle est partie de Hongrie, donc mes parents étaient hongrois, donc je suis d'origine hongroise.
17:23Il y avait mon grand-père Abraham, dont j'ai raconté l'histoire à travers une pièce que j'ai jouée qui s'appelait « Abraham », avec des chansons, et ils étaient là-bas avec sept enfants.
17:35Cinq de ces sept enfants sont venus en France, parce qu'il y avait ce qu'on appelait le « numerus clausus », enfin c'était très difficile d'étudier en Hongrie pour les juifs, ils sont venus en France, il y en a cinq qui sont venus en France, dont ma mère, et les deux parents et les deux petits ont été directement déportés de Hongrie, parce que vous savez, les hongrois, ils ont dégusté, ils ont été pris.
17:57Donc ils sont partis directement de Hongrie, mais ceux qui sont venus en France, deux frères et trois sœurs, les deux frères ont été effectivement déportés de France, puisque vous le savez, la police française faisait du zèle à cette époque-là, et effectivement ils sont passés par le camp de Drancy.
18:19Un surtout, je ne sais pas si l'autre, je crois qu'il s'est fait arrêter à Lyon, l'autre, mais un est passé, et j'ai un paquet de lettres très émouvantes de mon oncle, donc Louli, qui écrivait à ma mère, Charlotte, très émouvantes, c'est une histoire qui m'a profondément marqué, qui fait que...
18:42Ça vous émeut à chaque fois qu'on vous parle ?
18:44Ça m'émeut, et c'est mon combat, c'est-à-dire, mon combat, c'est le racisme et l'antisémitisme, voilà.
18:51Votre premier contact avec la musique passe par vos grands-parents, tous les dimanches, vous alliez écouter la musique zygane hongroise, et vous dites quelque chose de très beau, pour moi la musique transformait les gens, ils étaient rescapés de la joie, donc ils vivaient la vie comme un miracle, avec une joie, une intensité incroyable, et en même temps, une douleur.
19:09Et je trouve que ça fait penser à votre musique, à vous, qui est à la fois, évidemment, joyeuse, vous parliez de joie de vivre tout à l'heure, mais il y a aussi une fêlure, il y a toujours quelque chose comme ça, même un peu triste, au fond, ça vient de là, ça vient de tout ça, ça vient de votre histoire ?
19:23Oui, ça vient de là, mais effectivement, il y a une déchirure, mais je me souviens très bien de ça, oui.
19:29Je me souviens très bien de ça, oui. Je voyais les visages de mes grands-parents, alors ceux que j'ai connus, c'était mes grands-parents paternels, puisque les grands-parents maternels, évidemment, je les ai pas connus.
19:39Et eux venaient de Hongrie, n'ont pas connu... Non, ma mère apportait effectivement les toits jaunes, et je voyais bien que la musique zygane hongroise qu'on écoutait à la fin du repas, préparée avec amour par ma grand-mère, je regrette de ne pas avoir noté ses recettes,
19:57je voyais bien que la musique, oui, elle transformait le visage, parce que ça leur rappelait leur pays, etc., mais en même temps, c'était pas, moi, la musique dans ma vie qui me touche, c'est la musique triste, non.
20:12Ce qui m'émeut, moi, c'est la beauté, c'est pas la tristesse. C'était beau, ce que j'entendais, vous voyez ? Je voyais bien que ça pouvait mettre les larmes aux yeux des gens, mais c'était beau, surtout.
20:25Et quand mon père m'a amené voir Piaf sur scène, parce qu'il n'y a plus beaucoup de gens qui ont vu Piaf sur scène, c'était pareil que la musique zygane hongroise.
20:36C'était beau, ça pouvait être triste, déchirant, avec cette voix qui remplissait la salle de l'Olympia, mais il y avait une beauté.
20:44Ray Charles, le blues, pour moi, effectivement, on peut dire que c'est comme une forme de complainte, le blues, dans ce qu'on raconte, mais il y a une beauté, c'est ça qui est émouvant, c'est pas la tristesse.
20:55À l'allure de celui que vous êtes aujourd'hui, quel conseil donneriez-vous au petit garçon que vous étiez ? Qu'est-ce que vous lui diriez avant qu'il ne se lance dans la vie ?
21:04Tiens, c'est marrant, ça.
21:08Quoi ?
21:09Non, mais parce que j'y ai pensé il n'y a pas longtemps, de ça.
21:11Ah ?
21:12Oui, oui. J'y ai pensé parce que je me disais, je ne sais pas, je parlais de spiritualité avec quelqu'un, et puis je me disais que la spiritualité, c'est un enfant qui regarde le ciel, qui regarde les étoiles.
21:27Et qui se dit, mais c'est quoi, ça ? C'est incroyable, c'est incroyable, c'est qu'est-ce que je fais là-dedans, moi ? Et qu'est-ce que je vais vivre ? Et quelle place je vais avoir ?
21:41C'est ça la spiritualité, c'est-à-dire c'est des questions qu'on se trimballe, et on essaye d'y répondre à travers, des fois, des chemins différents, des bouquins, des rencontres, des stages, des religions, peu importe, mais c'est juste ça.
21:54Et moi je me souviens que quand j'étais môme, j'étais très confiant, j'étais très optimiste, je me disais que ce que la vie allait m'offrir, ça allait être très bien, ça allait être très beau.
22:08Alors je peux pas dire que j'ai vécu que des belles choses, il y a eu des épreuves aussi, mais je me disais je vais vivre, je le disais pas avec des mots, je le dis maintenant en analysant en tant qu'adulte, mais une intensité de vie.
22:26Et je pense que c'est ça aussi la spiritualité, c'est-à-dire je veux vivre cette intensité-là, et si j'en ai envie, c'est que ça existe, je peux pas avoir envie de... et c'est quoi ? C'est-à-dire comme un autre air qu'on a besoin de respirer, comme une autre façon de vivre, cette intensité-là.
22:43Et donc peut-être que je lui dirais, te casse pas, ça va être comme tu l'imagines.
22:47Ça va aller. J'ai des photos à vous proposer, Michel Jeunas.
22:50La première, la voici. Il s'agit de Didier Lockwood, grand violoniste de jazz français, décédé en 2018. En 2016, vous avez participé au rapport que Frédéric Mitterrand lui avait commandé, un rapport qui disait le nécessaire démocratisation de l'enseignement, de l'apprentissage de la musique. Est-ce que vous avez l'impression que la musique est mieux enseignée aujourd'hui ?
23:13Je l'espère. Et d'ailleurs, le violon, je me souviens d'une anecdote que j'ai racontée il y a pas longtemps. Ma fille, Anna, quand elle avait un an et demi, ou deux ans à peine, elle voit Ivry Gitlis à la télévision. Et elle nous dit, j'ai déjà fait ça.
23:34Moi je me dis, c'est un truc, j'ai déjà fait ça. Alors je l'inscris, je lui achète un petit violon, je l'inscris à un conservatoire, je ne citerai pas, parce que ça s'est très mal passé. Parce qu'elle est tombée, ma fille est gauchère, et au lieu de bouger l'archer, elle bougeait le violon. Et elle se faisait engueuler par la prof, et ça l'a…
23:56Traumatisé.
23:58Découragée complètement du violon. Alors après elle a appris le violon, et un jour, tout à fait par hasard si ça existe, je suis dans le train avec ma fille, et on rencontre Ivry Gitlis. Et donc, on se connaissait un petit peu, et je lui raconte cette histoire.
24:14Je lui dis, elle t'a vu jouer, elle a eu envie d'apprendre le violon, la prof l'a découragée. Et il m'a dit, ça, ça m'énerve beaucoup, parce que ça arrive très souvent, parce que c'est un instrument très difficile, et que beaucoup de jeunes sont complètement découragés.
24:29Donc ça, je me rappelle de ça, grâce à Didier, ça, et puis il avait une école d'ailleurs, j'avais été visiter son école, c'était super, ça, j'espère effectivement que ça a changé, et qu'on donne le goût de l'étude.
24:43J'ai une deuxième photo à vous proposer. Sylvie Vartan, qui a annoncé le 23 janvier 2024 une tournée d'adieux, intitulée « Je tire ma révérence ». Et vous, un adieu sur la scène un jour ou pas ?
24:53Pas pour l'instant.
24:54Non, mais l'idée de la tournée d'adieux ?
24:56Non. Pour faire ça, il faut être brel, qui dit « j'arrête ». Et il l'a vraiment arrêté, parce qu'il avait d'autres objectifs, il avait envie de voyager, il avait envie de conduire un petit avion, un bateau, un machin, un truc.
25:13Moi, ma joie de vivre, c'est de jouer la comédie, c'est d'écrire des chansons, c'est de composer et de chanter. Pourquoi j'arrêterais ça ? Peut-être qu'un jour, je vais me dire « tiens, là, je suis un peu plus fatigué, je commence à avoir 95 ans », peut-être, mais pas pour l'instant. J'aime toujours ça.
25:30Vous savez, je me suis programmé pour ça. Je le dis souvent, je me suis programmé pour ça. Quand j'ai commencé à toucher au plaisir, bêtement, vraiment le plaisir physique d'être sur une scène et de faire de la musique avec des copains, etc., je me suis dit « ce truc-là... »
25:44Jusqu'au bout.
25:45Jusqu'au bout. Je veux pas le perdre. Et j'ai réussi ça.
25:49Et ça marche.
25:50J'ai réussi ça. Ça marche. Voilà, donc c'est ce que je vis. Tant que je vis ça, je vois pas pourquoi...
25:55J'annoncerais.
25:56C'est ma tournée d'adieu.
25:58J'ai une dernière question qui est en lien avec le lieu dans lequel nous sommes, Michel Jeunas. Nous sommes entourés de quatre statues qui représentent chacune une vertu. Il y a la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence. Est-ce qu'il y a une de ces vertus qui vous parle particulièrement, que vous avez envie de défendre ou qui vous caractérise, peut-être ?
26:15Oh, qui me caractérise, je ne sais pas. J'aimerais bien, mais moi je me tournerais forcément vers la justice.
26:21Vous voyez, ça me paraît être celle qui peut peut-être le mieux englober toutes les autres. Bien sûr, je crois, mais la justice... Bien sûr, entre les membres de cette famille humaine, évidemment, mais aussi celle qui est intérieure, c'est-à-dire est-ce que c'est juste ce que je dis ?
26:46Vous savez, il y a les quatre accords Toltec. Le premier, c'est que ta parole soit impeccable. C'est aussi une histoire de justice, c'est-à-dire est-ce que ce que je dis, ce que je fais, est-ce que c'est juste ?
27:01C'est-à-dire d'avoir des valeurs. Je pense que c'est important, ça, dans la vie, d'avoir des valeurs. Et quand on a, je ne sais pas, des choses à faire ou des décisions à prendre, de se référer à ces valeurs-là. Est-ce que je suis en accord avec telle ou telle valeur ? Voilà. Et donc ça, c'est la justice qui me paraît importante.
27:22La justice. On s'arrêtera sur ce mot. Merci infiniment, Michel Jonas, d'avoir été avec nous dans ce Dôme Tournant et de vous être livré comme vous l'avez fait. Merci beaucoup.
27:29Merci à vous.
27:30Et merci à vous de nous avoir suivis, d'avoir été attentifs à ce bel entretien. Émission que vous pourrez retrouver en replay sur publicsena.fr, mais aussi en podcast, vous le savez maintenant. Merci, à bientôt.
27:52Sous-titrage Société Radio-Canada

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