Si rien ne change dans les actions menées en faveur du climat, le changement climatique pourrait entraîner une perte de 20 % du PIB mondial cumulé d'ici à 2 100. Pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène, les cabinets CO2 AI et BCG ont publié en septembre 2024 un baromètre de la décarbonation. Charlotte Degot de CO2 AI et Francesco Bellino de BCG nous expliquent que cela doit permettre d’identifier les leviers de transformation à activer afin de minimiser le coût de l’inaction.
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00:00C'est le débat de Smart Impact, on va parler du coût de l'inaction climatique, de la nécessité de construire un baromètre de la décarbonation.
00:14Je vous présente mes invités tout de suite, Charlotte Degault, bonjour, bienvenue, vous êtes présidente co-fondatrice de CO2 AI, plateforme d'action pour le développement durable,
00:23et j'accueille également Francesco Bellino, bonjour, bienvenue, vous êtes directeur associé partenaire au Boston Consulting Group et vous avez publié un rapport sur ce thème,
00:32cette importance d'un baromètre de décarbonation, c'était au mois de septembre au dernier.
00:37Peut-être un mot du constat pour commencer, le coût de l'inaction climatique, je commence avec vous Charlotte Degault, est-ce qu'on a pu le modéliser ça ?
00:45On s'en rend compte un peu intuitivement les uns et les autres, encore en ce moment, on enregistre cette émission, on vient d'avoir des inondations dramatiques en Ardèche,
00:53donc on intuitivement le ressent, mais est-ce qu'on a pu le modéliser ?
00:56On le ressent, on sait que le coût de l'inaction climatique est bien plus élevé que le coût de la transition et donc on a en fait zéro raison de ne pas accélérer.
01:06Avec Francesco, on publie tout juste cette étude où on a interrongé plus de 2000 entreprises qui représentent 45% des émissions mondiales,
01:14on s'est concentré sur les entreprises les plus grosses pour représenter celles qui émettent le plus, et ce qu'on voit c'est que si elles se mettent à l'action
01:23et qu'elles bougent sur leur trajectoire de décarbonisation, non seulement elles tirent des bénéfices liés à la décarbonisation en soi,
01:31mais en plus elles tirent des bénéfices financiers de l'ordre en moyenne de 200 millions de bénéfices annuels nets.
01:38Ça c'est un levier évidemment, un argument évidemment très important, perte de 20% du produit intérieur brut mondial d'ici 2100 en cas d'absence de lutte contre le réchauffement.
01:50Francesco Bellino, est-ce qu'il y a une prise de conscience ? Parce qu'on se dit ok on est tous confrontés à des catastrophes climatiques,
01:57on se dit bah oui il faut faire quelque chose, sauf qu'ensuite quand il faut activer les investissements, que ce soit au niveau privé, les entreprises ou public, les états, c'est plus compliqué.
02:06Vous avez mentionné le chiffre de 20% du PIB, il est massif, il est à 2100 et souvent une des difficultés sur ces notions d'inaction,
02:15c'est on se projette dans un avenir et c'est sûr que travailler aujourd'hui pour 2100, ça paraît toujours conceptuel pour les gens.
02:22En même temps quand on parle de coûts de l'inaction, c'est une réalité aujourd'hui.
02:26Vous prenez en France, les assureurs payent tous les ans des dédommagements pour catastrophes naturelles, vous l'avez dit c'est d'actualité aujourd'hui.
02:37Dans les années 2000, les assureurs français payaient 2,7 milliards par an à cause des catastrophes naturelles.
02:46Sur les années 2010, c'était 3,7 milliards, un milliard de plus en moyenne par an.
02:52En 2023, plus de 6 milliards.
02:55Donc aujourd'hui c'est important, notamment sur la fréquence et l'ampleur de ces catastrophes naturelles, de se rendre compte que c'est un sujet actuel et c'est un levier d'action.
03:06Vous avez aujourd'hui des entreprises effectivement qui en prennent conscience, qui commencent à le voir dans leur bilan ce coût d'inaction
03:13et qui du coup mettent en regard des investissements pour s'y préparer au mieux mais aussi pour atténuer le futur.
03:20Est-ce que ça se ressent par exemple sur les infrastructures, les infrastructures routières, ferroviaires, mondiales, on sait à quel point elles sont exposées aujourd'hui ?
03:31Alors les deux secteurs où finalement on en parle le plus, parce que comme vous le dites on le sent et on le ressent, c'est les infrastructures.
03:3830% des grandes infrastructures mondiales sont aujourd'hui exposées aux effets du changement climatique.
03:46Quand on parle infrastructure, on pense routes, on pense ponts, les infrastructures électriques aussi sont un élément clé.
03:54J'étais récemment avec un grand dirigeant d'entreprise qui travaille sur les infrastructures électriques qui disait que tous les systèmes par exemple
04:02qui ont été conçus dans les années 60-70 pour durer 80 ans, en raison du changement climatique ont plutôt une durée de vie de 50 ans.
04:11Ce qui veut dire un besoin de renouvellement massif en infrastructure.
04:16Le deuxième secteur qui je pense est important à avoir en tête c'est l'agriculture.
04:21Vous parlez aujourd'hui à la plupart des agriculteurs, ils ne savent plus ce qu'est une année normale climatiquement puisque ça fait des années que rien ne se ressemble.
04:30L'exceptionnel est devenu la norme.
04:32Le GIEC a pas mal modélisé sur un avenir plus proche que 2100, ils ont pris à 2050 l'évolution aussi pour l'agriculture.
04:41Vous prenez une denrée essentielle pour l'industrie aussi agroalimentaire comme le blé.
04:46On anticipe à cause du changement climatique une hausse des coûts de blé de 30% à 2050.
04:52C'est des réalités économiques dont aujourd'hui les entreprises commencent à prendre l'ampleur et du coup commencent aussi à agir pour y faire face.
05:02Et alors je reviens au rapport sur lequel vous avez travaillé ensemble, avec un constat, le fait de rendre l'action climat et biodiversité d'ailleurs plus visible.
05:14Ça, ça vous semble un enjeu majeur aujourd'hui ?
05:18Si on ne réduit pas et si on n'est pas capable de mesurer ce qu'on réduit, on ne continue pas les efforts et c'est valable pour n'importe quel type d'effort dans la vie.
05:32C'est ce que les américains disent, what gets measured gets done.
05:34Donc il faut mesurer et quantifier ce qu'on réduit pour pouvoir le valoriser.
05:39C'est plus difficile sur la biodiversité ?
05:41C'est plus difficile sur la biodiversité, c'est déjà très difficile sur le carbone honnêtement, mais la biodiversité c'est encore plus intangible et donc c'est encore plus difficile de mesurer et donc de réduire.
05:52Et puis en plus on parle d'échelle locale sur la biodiversité donc c'est des dimensions de complexité qui s'additionnent.
05:59Quand on parle de baromètre de la décarbonation, quelle forme il pourrait prendre ce baromètre ?
06:04C'est exactement ce qu'on fait avec Francesco depuis 4 ans, c'est le fait de venir mesurer à grande échelle, comme je le disais, 2000 entreprises, plus de 40% des émissions mondiales.
06:13Donc vous évaluez la trajectoire en quelque sorte ?
06:18Exactement, on évalue la trajectoire en demandant aux entreprises où est-ce qu'elles en sont de la mesure, parce que c'est la base, et puis où est-ce qu'elles en sont des progrès de décarbonisation et de réduction.
06:26Ce qu'on voit c'est que malheureusement le constat n'est pas très positif, les efforts, on ne voit pas d'accélération sur ni la mesure ni la réduction, on voit plutôt une décélération.
06:37On discutait sur ce plateau avec Bertrand Badré, l'ancien directeur de la Banque mondiale, qui disait qu'il avait parfois, sur les levées de fonds notamment, sur la capacité à mobiliser de l'argent,
06:50une petite musique depuis 6-8 mois qui était « La mode est passée ». Vous voyez ce que je veux dire ? Je trouve ça désastreux, j'ai mes cheveux qui s'aérissent sur le crâne.
07:01Est-ce que vous entendez, est-ce que vous ressentez ça vous aussi ? Je commence avec vous Charlotte de Gaulle et je vous poserai la même question après.
07:06Je ne pense pas que la mode soit passée.
07:08Déjà ce n'est pas une mode, on le rappelle, mais bon.
07:10On est bien d'accord, ce n'est pas une mode, c'est là pour durer malheureusement le changement climatique.
07:15Mais je ne pense pas que la mode soit passée.
07:17Je pense qu'en revanche, c'est difficile et les entreprises s'en rendent compte et donc faire des progrès, ça prend du temps, ça prend des investissements, ça prend du focus stratégique de la part des équipes dirigeantes.
07:27Donc c'est pour ça que ça ne bouge pas en un claquement de doigts en fait.
07:31Votre avis là-dessus ?
07:34Pour moi, il y a deux choses qui sont en train de changer.
07:37La première est une notion de maturité.
07:42Moi je travaille beaucoup par exemple avec des directeurs financiers qui sont très confrontés à tous les sujets aussi de allocation de moyens, d'investissement, de reporting.
07:52J'avais un directeur financier récemment qui me disait, on est en train de faire dans le développement durable, même en termes de reporting et d'action, ce qu'on a fait sur la finance pendant 70 ans.
08:04On essaie de le faire en 10 ans et on doit le faire, c'est même pas on essaie de le faire, on doit le faire en 10 ans.
08:10Notamment avec la CSRD, le reporting extra financier imposé par France.
08:14Tout comme tout nouveau secteur, c'est normal qu'à un moment il y ait des grandes poussées, des moments de maturité.
08:22Je pense que beaucoup d'entreprises aussi aujourd'hui comprennent mieux la différence entre ce qui est volontariste ou du greenwashing versus ce qui a vraiment de l'impact.
08:33Donc je pense que les entreprises aussi sont plus sages dans ce qu'elles disent, dans ce qu'elles mettent en avant, en parlent peut-être moins et parfois c'est pas plus mal parce qu'au moins elles parlent des bonnes choses.
08:43Et après l'autre facteur effectivement d'évolution, et là où je vous rejoins sur le côté de la crainte, c'est le contexte économique.
08:51Au fur et à mesure où le sujet du pouvoir d'achat monte en puissance, où certains commencent à parler de crise économique,
09:00c'est sûr que dans la tête d'un dirigeant ou d'une entreprise, l'équation devient plus compliquée.
09:07Mais c'est une des valeurs d'ailleurs du rapport qui est comment à un moment on sort de cette opposition,
09:14est-ce que l'entreprise doit aller chercher l'argent ou l'environnement et comment on arrive à réconcilier les deux dimensions.
09:20C'est ce que vous disiez dès le début finalement, ça peut rapporter à relativement court terme aussi des bénéfices.
09:25Le rôle de l'IA, il nous reste deux minutes trente, il faut qu'on l'aborde évidemment et c'est important.
09:30Face à cette complexité, la bonne utilisation de l'intelligence artificielle, c'est un levier ?
09:35C'est clairement un levier parce qu'on voit bien, c'est complexe, c'est long.
09:38Donc tout ce qui nous rend plus efficace et qui nous permet d'aller plus vite, c'est essentiel.
09:42Et l'intelligence artificielle sur les sujets de comptabilité carbone, c'est un levier incroyable.
09:47On le voit dans l'étude, on pose la question, il y a un facteur de 4,5 entre les entreprises qui utilisent l'intelligence artificielle
09:54et celles qui ne l'utilisent pas sur leur capacité à aller chercher des bénéfices de décarbonisation et des bénéfices financiers importants.
10:01Pourquoi ? Parce qu'en deux mots, l'intelligence artificielle, en fait, ça permet de faire à très grande échelle, de manière très efficace,
10:08une comptabilité carbone de qualité qui permet de prendre les bonnes décisions.
10:11Par exemple, avec CO2 AI, on travaille avec Rekit Bankiser, une entreprise, on achète tous des produits de Rekit chez nous,
10:18ils font de la lessive, des produits pour la vaisselle, etc. Des produits, en fait, très complexes à fabriquer et à décarboner.
10:25Et avec l'intelligence artificielle, on a réussi à quantifier les émissions de manière précise de 25 000 produits en 4 mois.
10:31Donc, on passe un cap en termes de qualité de la donnée et derrière d'être capable de comprendre comment est-ce qu'on réduit l'empreinte carbone d'un produit une fois qu'on a la bonne donnée.
10:44Oui, ça rejoint ce que Francesco vient de nous dire, c'est-à-dire que comme on doit faire en 10 ans ce qu'on a fait auparavant en 70,
10:50grosso modo, sans cet outil, c'est quoi ? Impossible ? Trop compliqué ?
10:55C'est des mois, voire des années de travail pour faire l'équivalent.
10:58Alors, c'est la question bateau sur l'IA, mais elle se pose aussi en la matière, c'est-à-dire qu'il y a un moment où c'est l'humain qui va faire le choix,
11:07du levier sur lequel il va appuyer, vous voyez ce que je veux dire.
11:12Comment aller contre ce que l'intelligence artificielle propose ?
11:17Comprenez ma question parce que c'est très compliqué, on se dit on a un outil, moi je pense à ça pour la santé par exemple,
11:22une IA qui va proposer un diagnostic, quel médecin va oser aller contre ?
11:26Donc, qui prend la décision stratégique ? Voilà ma question.
11:29L'humain, toujours.
11:31Vraiment ?
11:32Bien sûr. En tout cas, dans ce que nous on fait et la manière dont on travaille avec les entreprises,
11:37l'idée c'est d'utiliser l'intelligence artificielle pour leur donner des suggestions, des informations,
11:41et puis après il faut confronter ça aussi à ce qui est faisable, à ce que les fournisseurs peuvent fournir comme type de matière première,
11:47est-ce qu'ils sont capables de passer à du recyclé rapidement ou pas,
11:50et de confronter ça à la réalité pour faire le plus vite, le plus optimal en termes de décarbonisation et d'enjeux aussi économiques.
11:59Mais ouais, donc...
12:01Gardons la main.
12:02Merci beaucoup, merci à tous les deux d'être venus nous présenter les résultats de ce rapport,
12:08et à bientôt sur Smart Impact, voilà tout de suite notre rubrique Startup.