SMART IMPACT - Vers une filière de la décarbonation en France

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En mars 2024, l’organisation Carbon Gap carbon publie une étude sur le potentiel de déploiement des méthodes d’élimination de CO2 en France. Sylvain Delerce, directeur associé de la recherche de l’organisation, nous livre les résultats. Il explique notamment que la France a la capacité de déployer une filière de la décarbonation, mais qu’il lui faut encore élaborer une stratégie.

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Transcription
00:00C'est le Zoom de ce Smart Impact. On s'intéresse aux puits de carbone naturel et technologique avec Sylvain Delers. Bonjour, bienvenue.
00:14Vous êtes directeur associé de la recherche chez Carbon Gap. Présentez-nous Carbon Gap pour commencer.
00:20Alors Carbon Gap, c'est une ONG européenne complètement indépendante qui a été lancée à la COP de Glasgow, donc un peu plus de deux ans.
00:28Et donc la mission de l'ONG est d'accélérer le développement des méthodes d'élimination du dioxyde de carbone en Europe de manière à la fois ambitieuse et rigoureuse. J'insiste sur les deux aspects.
00:39Donc élimination du carbone, de quelle technologie ou de quels moyens on dispose ? Alors on va être très pédago, il y a déjà les puits de carbone naturel, on peut en parler.
00:51On va rappeler quels sont les puits de carbone naturel, pardon de revenir vraiment à la base.
00:55Oui, tout à fait. Donc l'élimination du dioxyde de carbone, c'est défini par le GIEC dans son dernier rapport comme l'ensemble des activités humaines qui permettent de retirer, donc de prélever du CO2 déjà présent dans l'atmosphère et de le stocker de façon durable.
01:08Et donc ça couvre un panel assez large de techniques. Comme vous le dites, il y a d'abord les méthodes naturelles qui sont basées par exemple sur les forêts, en général sur les écosystèmes.
01:18On a aussi les écosystèmes marins, les sols agricoles par exemple, les tourbières peuvent stocker du carbone, les mangroves. Donc ça c'est pour la partie naturelle.
01:29Et ensuite on a un panel de méthodes qu'on peut regrouper dans les quatre familles. Donc la première est celle qu'on vient de décrire.
01:34Ensuite on peut convertir la biomasse par exemple pour en faire de l'énergie en la brûlant. On peut la pyrolyser pour la transformer en des formes plus stables.
01:42On a des méthodes géochimiques qui en fait se basent sur le cycle naturel du carbone où on va avoir des réactions entre les gaz de l'atmosphère, l'eau et les roches présentes sur la croûte terrestre qu'on peut chercher à accélérer avec certaines méthodes.
01:54Et enfin on a des méthodes très industrielles qu'on voit de plus en plus passer dans les médias avec des gros ventilateurs où on va en fait traiter des volumes d'air conséquents pour en extraire de façon sélective les gaz à effet de serre et dans ce cas précis le CO2.
02:07Donc on parle de captation ou de capture du carbone, ça se fait en usine parfois et ça se fait dans l'atmosphère. Il y a les deux options c'est ça ?
02:17Tout à fait. Donc en fait ce qu'on connaît plus parce que c'est un secteur qui a été développé depuis plus longtemps c'est la capture sur site.
02:25Donc en fait sur la cheminée de l'usine on pourrait dire, c'est le cas sur les cimenteries, sur les acieries par exemple où on va chercher à laver les fumées on peut dire également, extraire le CO2 et le stocker.
02:36Donc là ce qu'on fait c'est qu'on intercepte du CO2 avant qu'il ne rejoigne l'atmosphère.
02:40Et donc c'est souvent, on se réfère à ce secteur d'activité avec l'acronyme CCS pour capture et stockage du carbone.
02:48Et l'élimination du dioxyde de carbone est donc un autre secteur d'activité un peu plus nouveau où là on va directement chercher dans l'atmosphère.
02:56Donc voilà ça a des rôles différents parce qu'au final on a des émissions évitées d'un côté et on a des émissions négatives avec l'élimination du dioxyde de carbone.
03:02EDC c'est l'acronyme ?
03:03EDC c'est l'acronyme barbare français.
03:05Le dioxyde de carbone atmosphérique.
03:07Vous avez publié une étude il y a quelques mois, je crois que c'était au printemps dernier au mois de mars, sur le potentiel de la France pour déployer ces filières.
03:17On en est où ? C'est l'année zéro ?
03:21Alors presque, donc en fait oui on a publié cette étude parce que si vous voulez, depuis le rapport de 2022 du GIEC,
03:28on sait à peu près les volumes dont on aura besoin collectivement au niveau global si on veut essayer de tenir l'objectif d'1.5 degrés de réchauffement qui se compte en gigatonnes.
03:37On est entre 6 et 9 gigatonnes de CO2 qu'il faudrait éliminer chaque année à l'horizon 2050.
03:42Donc c'est très conséquent, sachant que pour donner une référence, aujourd'hui on élimine environ 2 gigatonnes par an dont 99% est réalisé avec les forêts en fait.
03:54Donc il y a seulement moins d'un pour cent qu'on est capable d'éliminer avec des méthodes plus permanentes que celles qu'on a décrites.
04:00Donc on a publié ce rapport parce qu'on a un manque de visibilité sur en fait ce qu'il est possible de faire également dans les pays.
04:07Donc dans l'étude ce que l'on fait c'est qu'on prend certains pays, donc la France en a fait partie dans le premier batch,
04:13et on regarde vraiment chacune des ressources disponibles, donc la biomasse, l'eau, l'énergie décarbonée dont on a besoin pour faire tourner ces activités,
04:22combien on en a, combien on pourra en développer, en regardant également évidemment les usages existants, parce qu'il faut éviter les phénomènes de compétition.
04:29Et donc pour la France, on a produit trois scénarios, deux sont vraiment intéressants parce qu'ils nous permettraient d'atteindre l'objectif climatique de la France,
04:37qui est la neutralité carbone à l'horizon 2050, et on voit qu'avec des hypothèses quand même assez conservatrices sur l'utilisation des ressources, c'est important,
04:45on arrive à dégager un potentiel allant jusqu'à 146 mégatonnes de CO2 éliminés chaque année à l'horizon 2050, avec des politiques un peu ambitieuses,
04:56sachant que dans la stratégie nationale bas carbone, qui est donc un peu notre feuille de route de décarbonation,
05:02les volumes qu'on anticipe jusqu'à aujourd'hui c'est environ 80 mégatonnes de CO2 à l'horizon 2050.
05:09Donc en fait si on fait un bon travail sur la décarbonation, on tient la SNBC, et qu'en parallèle on développe le DC de façon ambitieuse,
05:15la France pourrait même devenir nette négative avant 2050.
05:19Mais alors ça suppose quoi ? Pardon de poser des questions de Béossien, mais c'est des usines à construire ? Cette filière elle pourrait ressembler à quoi ?
05:30Alors comme sur la question énergétique, il faut adopter une approche portefeuille, où on va chercher à jouer sur plusieurs méthodes pour distribuer le risque,
05:37distribuer la contrainte sur les ressources, et aussi distribuer les opportunités sur différentes filières et différents territoires.
05:42C'est aussi important parce qu'on a un nouveau secteur d'activité, donc il y a des opportunités économiques à saisir.
05:47Donc dans les scénarios qu'on a produits par exemple, on a un mélange du puits naturel, qu'on va chercher à préserver, plus qu'autre chose.
05:54Déjà préservons nos forêts, notre terrain pour qu'on puisse jouer son rôle.
05:58Voilà, il est dans un déclin un peu structurel, donc le but c'est de lutter contre ça pour le préserver.
06:02On a ensuite les pratiques stockantes, notamment en agriculture, qu'on va chercher à développer, notamment avec des mécanismes de financement de ces crédits carbone pour inciter les agriculteurs.
06:13On a la partie création de nouvelles forêts également.
06:18On a la capture directe dans l'air, qui sont donc ces usines où on va traiter des volumes d'air.
06:23Donc ça c'est des filières à créer qui vont se greffer probablement sur des sites industriels qui auront des infrastructures de transport et de stockage de CO2 pour pouvoir évacuer le CO2.
06:34On a la bioénergie avec capture et stockage également.
06:37Donc là, plus que créer des nouvelles infrastructures, il y a beaucoup à faire déjà en faisant du rétrofit, on appelle ça en anglais, c'est-à-dire greffer des unités de capture et des moyens de capture sur déjà toutes les centrales qui fonctionnent à la bioénergie.
06:52Les technologies, elles existent ou il faut un gap technologique ? Il y a quelque chose à inventer ?
06:58Comme vous l'avez vu, c'est assez divers, donc on a différents niveaux de maturité.
07:03Mais dans l'ensemble, toutes les techniques existent et sont disponibles.
07:08Il y a un défi de financement et de modèle économique à créer parce qu'évidemment, retirer du CO2 de l'atmosphère, c'est bien pour la planète.
07:17Mais en soi, c'est un peu comme un service de gestion des déchets.
07:20Qu'est-ce qu'on en fait ?
07:21Ce CO2, il n'a pas de valeur derrière ? D'ailleurs, il est stocké sous quelle forme ? Liquide ? Solide ?
07:27Bonne question.
07:28En fonction de la méthode utilisée, il peut devenir de la biomasse stabilisée avec le biochar par exemple.
07:33C'est quelque chose qui ressemble à du charbon de bois qu'on va pouvoir utiliser dans des matériaux de construction et pendre dans les sols agricoles.
07:39Si on utilise la bioénergie avec capture ou la capture directe dans l'air, on obtient du CO2 concentré sous forme pressurisée
07:48qu'on va pouvoir conduire dans des tuyaux et enfouir dans des stockages géologiques.
07:52La France a enfin démarré un peu son exploration de ce côté-là pour créer des réservoirs.
07:58Et dans les écosystèmes, ça prend la forme de biomasse vivante qui a tout un tas de co-bénéfices mais qui est aussi relativement fragile, comme on le sait, aux différents aléas climatiques.
08:09Est-ce qu'il n'y a pas un effet pervers du développement de cette filière ? Je vois très bien l'utilisation et ce que ça ouvre comme perspective.
08:19Mais de nous faire croire qu'on ne peut continuer à rien changer à nos modes de vie.
08:23Oui, en français, on parle d'aléa morale. En anglais, on parle de mitigation deterrence.
08:28C'est un risque qui existe. C'est un risque sérieux.
08:31Néanmoins, on a des possibilités pour le contrôler, notamment par le biais de la réglementation.
08:38En créant des règles du jeu sur comment on peut utiliser ces méthodes et pourquoi.
08:42C'est quelque chose que nous, on pousse activement, au niveau européen mais aussi dans les différents pays membres,
08:47pour que cette réglementation soit créée le plus tôt possible et que tout le monde y voit clair sur quelles vont être les règles du jeu.
08:54Si on tarde, on laisse un peu un champ libre et des pratiques contre-productives peuvent se développer avec un bénéfice climatique quasiment nul.
09:02Donc il faut le contrôler, en effet.
09:04J'ai bien compris qu'il y avait plein de filières et d'options technologiques.
09:08Votre réponse va dépendre de ces filières, j'imagine.
09:12Mais est-ce qu'il y a des pays beaucoup plus avancés que la France ?
09:14Oui, notamment les États-Unis qui ont engagé un plan de financement très ambitieux sous le mandat actuel depuis 2020
09:24avec des crédits d'impôts, des hubs d'infrastructures qui ont été créés à différents endroits.
09:30Ils ont un écosystème de start-up très vivant et très divers et de plus en plus puissant.
09:36Je pense qu'ils ont très clairement identifié aussi l'opportunité économique.
09:39Il faut voir aussi que quand on voit les chiffres proposés par le GIEC,
09:44prenons 10 gigatonnes à l'horizon 2050, disons, pour faire simple,
09:48le prix cible pour ces crédits carbone est de 100 dollars la tonne.
09:53C'est ce qu'on vise, ce n'est pas la réalité d'aujourd'hui.
09:56Ça fait un marché très conséquent de quasiment un trilliard de dollars pour ces activités.
10:01Donc voilà, des acteurs se positionnent, des pays poussent leurs entreprises pour se positionner.
10:05Mais alors, là encore, j'assume une question peut-être à côté de la plaque,
10:09mais si ce CO2 n'a pas de valeur, donc vous dites on crée des crédits carbone,
10:15mais qui paye pour ces crédits carbone ?
10:17Voilà, mais ça c'est une question très importante parce que jusqu'à aujourd'hui,
10:19disons dans les trois dernières années, il y a une croissance portée par le marché volontaire.
10:23Donc c'est des entreprises qui volontairement vont faire évoluer leur stratégie climatique.
10:28Et on a des exemples, comme par exemple Google ou EasyJet,
10:32qui ont choisi d'arrêter d'acheter des quantités importantes de crédits peu chers,
10:37notamment suite aux scandales qui ont été révélés en 2023 sur la nature de ces crédits,
10:42et qui vont préférer en fait réduire davantage leurs émissions
10:45et combiner avec de l'EDC, plus cher éventuellement, pour avoir une stratégie plus sérieuse.
10:51Donc ça c'est jusqu'à aujourd'hui. Maintenant, ce marché s'essouffle un peu,
10:54parce qu'on a en réalité un nombre d'acheteurs un peu concentré et réduit.
10:58Et ensuite, à l'horizon 2030, on a des mécanismes réglementaires qui vont se profiler,
11:03avec des obligations qui vont être créées pour distribuer l'effort de participation à ce marché.
11:10Et entre les deux, il y a un peu une période d'hiver, on va dire,
11:14qui se profile pour le secteur, avec un risque de perte de projets d'EDC par manque de demande.
11:20Donc c'est là que les entreprises peuvent faire une différence,
11:22en investissant dans ce secteur à ce moment-là, en suivant l'exemple des entreprises que j'ai mentionnées.
11:27Il y a aussi Microsoft, Shopify, Stripe, de grandes entreprises qui ont fait ce pivot depuis un moment.
11:32Merci beaucoup EDC, élimination du dioxyde de carbone atmosphérique.
11:36Merci Sylvain Delers et à bientôt sur Be Smart For Change.
11:39On passe à notre rubrique consacrée aux startups éco-responsables et socialement responsables.

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