“À Gaza, avoir une tente, c'est le luxe", raconte le journaliste palestinien Rami Abou Jamous

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Triple lauréat du Prix Bayeux des correspondants de guerre, Rami Abou Jamous, journaliste palestinien, rapporte son quotidien dans la bande de Gaza.

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Transcription
00:00Il est 7h48, Sonia De Villers, votre invitée a remporté 3 trophées au prix bailleux des
00:07correspondants de guerre pour son journal de bord de Gaza sur Orient 21 et pour son
00:12reportage grand format diffusé sur BFMTV.
00:15Voilà, mon invité est palestinien, il vit à Gaza avec sa famille où nous le joignons
00:21par téléphone.
00:22Il est journaliste et il transmet sans relâche ses informations et ses analyses à 150 journalistes
00:28français qui saluent unanimement son courage physique et son sens de la précision journalistique.
00:34Je rappelle que ce travail accompli au péril de sa vie est d'autant plus essentiel que
00:38les journalistes étrangers sont interdits d'entrer dans la bande de Gaza.
00:44Bonjour Rami Abou-Jamous.
00:46Bonjour Sonia.
00:48Alors, toujours en vie ? Oui, toujours vivant.
00:52C'est le message que vous envoyez chaque jour aux 150 journalistes et humanitaires
00:58français qui sont connectés avec vous via WhatsApp.
01:03Quand vous commencez votre journée de travail, Rami, vous avez quitté votre villa où vous
01:08vivez avec votre épouse, Sabah, ses enfants et le petit garçon que vous avez eu tous
01:12les deux, Walid.
01:13Vous pourriez nous décrire cette villa ? C'est une tente à peu près de 3, 4 mètres
01:21de taille.
01:22Dans un bout de terrain, un peu ce bout de terrain là où je suis, c'est un bout de
01:28terrain privé.
01:29On est à peu près 7 familles, 8 familles, mais entouré de ce bout de terrain, il y
01:34a un mur.
01:35Mais derrière ce mur, il y a un compte de fortune de déplacer avec des centaines de
01:40tentes collées les unes à côté de l'autre et dans des conditions de vie très très
01:45très dures.
01:46Et c'est déjà une chance d'avoir une tente à Gaza aujourd'hui ?
01:49C'est pas une chance, c'est un privilège.
01:51Avoir une tente, c'est un grand privilège.
01:54C'est parmi le luxe de Gaza aujourd'hui.
01:56Si on peut avoir une tente, c'est quelque chose de luxe.
01:59D'autant que l'automne a commencé, les pluies ont commencé.
02:04Oui, parce que vivre une tente, c'est aussi affronter directement le changement des saisons.
02:10Pendant l'été, c'était l'enfer, la journée c'est beaucoup plus qu'un sauna.
02:19Et là, on est entré dans l'automne où il a plu la dernière fois, juste même pas
02:23une heure, deux heures, et on était inondés.
02:26On était inondés, l'eau est entrée à l'intérieur de la tente, a entouré la tente.
02:32Il y avait de l'eau partout et Walid, d'habitude, il aime la pluie et quand il a vu ça, il
02:38a commencé à jouer.
02:39Moi, je lui dis, mais papa, on est en train de se faire inonder, mais je contenais de
02:42jouer avec lui pour ne pas lui montrer qu'on est vraiment dans l'humiliation.
02:46Ramy, en fait, vous viviez avec Sabah et avec Walid dans un appartement en centre-ville
02:54que vous avez dû quitter.
02:55Pourquoi ?
02:56On était obligés de quitter parce qu'on était encerclés par l'armée d'occupation
03:02qui sont venus juste presque en bas de chez moi.
03:05Ils ont encerclé tout le quartier.
03:07On était juste des dizaines de personnes.
03:09On était presque cinq ou six familles qui sont restées.
03:12Mais cette nuit-là, on s'est réveillés le matin avec un appel téléphonique d'un
03:17capitaine de l'armée qui nous demande de quitter tout de suite parce qu'il a dit que
03:22tout le quartier va être dévasté et qu'on a juste dix minutes pour partir.
03:26Et là, on était obligés de partir.
03:28Et quand on est partis de notre appartement, je n'avais pas d'autre alternative que chez
03:34un ami à moi au sud.
03:36Donc, on était partis à Rafa.
03:37Et puis à Rafa, pareil, c'est le même scénario.
03:40On était encerclés pendant la nuit et on était obligés de quitter le lendemain matin
03:45pour aller à Deir el-Bala.
03:46Et on est fini par notre villa, la villa de la fierté, juste au bord de la mer.
03:51Il n'y a pas de place, il n'y a pas d'endroit vide, il n'y a pas un mètre carré qui est vide.
03:56C'est pour ça que les gens, ils ont mis leur tente à la plage et ils subissent à
04:00chaque fois qu'il y a la pleine lune, ils subissent toujours la marée haute, la marée
04:04basse, mais ils n'ont pas le choix.
04:07Vous vous êtes posé la question de quitter le pays, vous vous êtes posé la question
04:10de partir, Ramy ?
04:12De partir définitivement depuis, non.
04:15Mais j'avais promis aux enfants de Sabah et à Sabah que si on va sortir vivant de
04:21cette guerre-là, on va sortir et changer un peu d'air.
04:24Et surtout que les enfants de Sabah, et surtout Mouaz, il a toujours rêvé d'aller en France
04:29et surtout pour la Tour Eiffel parce qu'il a entendu parler, il a vu ça sur les réseaux sociaux.
04:35Et surtout, il voulait manger dans le resto à la Tour Eiffel.
04:39Vous, vous avez appris le français en France parce que vous avez fait vos études en France.
04:45Votre père a été journaliste, vous vous étiez promis de ne pas devenir journaliste
04:52à votre tour.
04:53Ramy, qu'est-ce qui fait que la vie a changé ?
04:55C'est un peu le destin comme on dit chez nous, parce que moi, je ne voulais pas du
05:01tout être journaliste parce que le travail de journaliste, je l'ai vu avec mon père
05:05et pour moi, le journalisme, c'est la deuxième famille de mon père, donc on était un peu
05:10jaloux de cette deuxième famille et moi, à chaque fois, quand je voulais le taquiner,
05:16je dis « ouais, t'étais chez ta deuxième femme, là, t'étais en retard ».
05:20Et donc, je ne voulais pas vivre cette vie-là pour moi et pour mes enfants, mais ça fait
05:25du sorte que j'ai fini par prendre la flamme de mon père et continuer le chemin et j'espère
05:31qu'il sera ou qu'il est fier de moi.
05:33La maison de la presse, vous avez relancé la maison de la presse, pourquoi ?
05:39C'était une idée avec moi et mon ami et mon frère, Bilal Jadaba, qui a été tué
05:47cette année pendant cette guerre-là par l'armée israélienne.
05:50On était ensemble, on travaillait ensemble comme journalistes et comme fixeurs et après,
05:54on a eu l'idée-là avec une troisième personne qui s'appelle Orma Chaban de faire la maison
05:59de la presse et l'idée, c'était, malheureusement, la majorité des médias en Palestine, ils
06:04sont tous reliés à des factions et que les nouveaux déplômés, ils n'auront pas la
06:11possibilité d'être libres parce qu'il y en a beaucoup qui ne sont pas idéologiquement
06:16appartenant à telle ou telle faction, mais ils travaillent avec eux parce qu'ils veulent
06:21trouver un travail.
06:22C'est-à-dire que, en fait, vous faites votre travail de journaliste avec des exigences
06:29qui sont les nôtres tout en conjuguant ce quotidien, Rami Abou-Djamouz, qui est tantôt
06:37kafkaïen, tantôt cauchemardesque, comme vous le racontez presque chaque jour dans
06:42le journal de bord.
06:44J'ai une dernière question parce que vous nous avez annoncé dans le journal de bord
06:49que vous attendiez un bébé, que Saba est enceinte.
06:52C'est pour quand ce bébé ?
06:54Normalement, si tout va bien et si on est toujours vivant, ça va être au mois de mars.
06:58Donc, si tout va bien, on va avoir une oeuf-le-fleur qui va être naître.
07:04On ne sait pas si c'est un garçon ou une fille, moi je dis une fleur parce qu'il y
07:07en a beaucoup des fleurs, malheureusement, qui se sont fanées.
07:10Je parle des enfants qui ont été tués pendant cette guerre.
07:13Et donc, Saba et moi, on a eu l'idée et la décision de dire qu'il faut montrer que la
07:19vie continue.
07:20Il faut dire que même sous une tente, il y a toujours l'amour.
07:23Même sous une tente, il y a une nouvelle fleur qui va naître et que la vie va continuer
07:28même après ce génocide.
07:30C'est notre façon de résister, c'est notre façon de dire qu'on est toujours là et qu'on
07:36est raciné dans ce bout de terrain, dans la Palestine.
07:40Et si ce n'est pas nous qui allons avoir le jour d'avoir un Etat palestinien indépendant,
07:46ce sera nos enfants.
07:47Merci Rambi Hamoudjamous.
07:49Quand vous avez reçu le prix, vous l'avez dédié aussi à tous les journalistes palestiniens
07:55qui sont morts dans l'exercice de leur métier ces derniers mois.
07:58Oui, bien sûr, parce que pour moi, c'est continuer le travail qu'ils ont eu.
08:03Je ne sais pas si c'est une chance de rester vivant ou pas, mais en tout cas, on est toujours
08:09vivant.
08:10Donc, c'est la moindre des choses à rendre hommage à ces journalistes qui ont perdu
08:13leur vie justement pour transmettre la réalité, pour dire ce qui se passe, pour parler des
08:17massacres et des boucheries, et malheureusement qui sont finis à être tués par l'armée
08:22israélienne.
08:23Et ça a été récompensé par un prix prestigieux pour vous, pour votre travail et pour le journalisme.
08:32Eh bien, je vous ai perdu, je vous ai perdu Rambi.
08:36Ah voilà, je vous ai retrouvé.
08:38Eh bien, je vous dis à demain toujours vivant.
08:40À demain toujours vivant.
08:42Allez, à demain toujours vivant.
08:43Bonne journée.
08:44Voilà.
08:45Le journal de bord de Rami Abou-Djammou, c'est à lire sur le site de Lorient 21.
08:50Merci Sonia et merci à Anaïs Reynard pour la réalisation de cet entretien.

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