Dans cette troisième séquence, je voudrais expliquer pourquoi il n’y a pas à choisir entre les deux grandes voies nous permettant de faire face aux défis écologiques : l’efficacité (du côté de l’offre) et la sobriété (du côté de la demande). Les deux sont complémentaires et indispensables. [...]
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00:00Je voudrais expliquer pourquoi il n'y a pas à choisir entre les deux grandes voies
00:12qui nous permettent de faire face aux défis écologiques, l'efficacité plutôt du côté
00:16de l'offre et la sobriété plutôt du côté de la demande.
00:20Contrairement à ce que pensent beaucoup, les deux sont complémentaires et les deux
00:24sont indispensables.
00:26La recherche d'efficacité, d'abord, c'est l'ADN même de l'industrie.
00:30Être efficace, c'est produire plus et mieux, avec moins d'énergie, moins de matières
00:37premières, moins de ressources en général, etc.
00:41Évidemment, le premier grand enjeu, c'est de passer de l'efficacité un peu à l'ancienne,
00:46à l'éco-efficacité, en intégrant les prélèvements et les rejets dans la nature,
00:51longtemps considérés comme gratuits et donc ignorés dans le calcul économique de
00:55l'entreprise.
00:56Il faut aussi considérer l'ensemble du cycle de vie des produits, du berceau à la tombe,
01:01comme on dit.
01:02Quelquefois, sur ces points, il reste énormément à faire, notamment parce que notre économie
01:09reste désespérément linéaire.
01:10On prélève, on transforme, on consomme et on jette.
01:14Ceci dit, nos économies n'ont cessé depuis deux siècles au moins de faire des progrès
01:19spectaculaires dans ce domaine de l'efficacité.
01:21En France, par exemple, le PIB par tête a augmenté de 30% depuis 1990, alors que les
01:28émissions de gaz à effet de serre, en l'occurrence, ont baissé de près de 30%, même en intégrant
01:34les émissions cachées dans nos importations, les émissions non territoriales, comme on
01:38dit.
01:39Beaucoup de techno-optimistes de la croissance verte s'en tiennent là, fondant tous leurs
01:46espoirs dans ces gains d'efficacité.
01:48C'est le cas de beaucoup d'entreprises, de beaucoup d'ingénieurs.
01:50Or, il y a là une illusion.
01:52Il faut continuer à travailler sur l'efficacité, mais il faut aussi apporter un grand bémol
02:00à cet optimisme.
02:01Pourquoi ? Parce que l'essentiel des gains d'efficacité est en réalité mangé par
02:07l'augmentation de la consommation, ce qu'on appelle l'effet Jevons, ou l'effet rebond
02:12en français, et aussi par un deuxième phénomène, beaucoup moins souligné, mais auquel j'attache
02:18beaucoup d'importance, qui est l'augmentation incontrôlée de la sophistication technologique
02:22de nos produits.
02:24Le mécanisme de l'effet rebond est archi simple.
02:27Les produits sont moins coûteux, donc on en consomme plus, parfois beaucoup plus.
02:31C'est vrai dans pratiquement tous les domaines.
02:33Le transport aérien, par exemple, consomme beaucoup moins d'énergie au voyageur kilomètre.
02:38On a fait beaucoup de progrès sur les moteurs.
02:40Résultat, les prix baissent et la demande explose ou a explosé.
02:44L'éclairage est champion.
02:46Une LED d'aujourd'hui est cent mille fois plus efficace que les premières lampes d'Edison.
02:54Résultat, on voit la Terre éclairer depuis l'espace, comme dans les belles photos que
02:59vous connaissez de Thomas Pesquet.
03:01L'Ouad Mour Edan, le numérique, fait aussi des gains fantastiques permanents d'efficacité.
03:08Il consomme moins de matière, d'énergie, etc. par unité de production.
03:13Résultat, avec les réseaux sociaux, les vidéos en streaming, demain l'intelligence
03:18artificielle, les consommations explosent et l'impact écologique ne cesse de croître.
03:22Il faut donc impérativement un contrepoint du côté de la demande, autrement dit ce
03:27qu'on appelle aujourd'hui la sobriété.
03:29Le terme est rentré en force dans le débat public, mais il reste très flou dans sa définition.
03:35On peut, à mon avis, distinguer quatre niveaux.
03:38Le premier concerne la conception même des produits, la demande étant, comme chacun
03:42sait, largement formatée par le marketing des offreurs.
03:46La trajectoire absurde est celle qui illustre cette photo que vous avez peut-être vue de
03:51Biden lorsqu'il promeut l'électromobilité en conduisant fièrement devant la presse
03:57un monstrueux Hummer.
04:00La conception de produits plus simples, réparables, peu coûteux à l'usage, débarrassés de
04:07fonctionnalités inutiles, comme il y en a beaucoup, par exemple dans nos voitures, est
04:12le sujet clé, trop peu abordé.
04:14Le deuxième niveau, près de la conception des produits eux-mêmes, c'est celui des comportements
04:20individuels, de nos modes de vie et de consommation, les fameux bons gestes, etc.
04:23Ce niveau est souvent le seul mis en avant quand on parle de sobriété.
04:27Il est d'ailleurs présenté souvent de manière relativement moralisante, ou carrément moralisante,
04:32en faisant abstraction au passage des inégalités sociales considérables en matière d'émission
04:36individuelle.
04:37En réalité, nos changements de comportement sont très importants, mais ils ne peuvent
04:42régler qu'une petite partie du problème.
04:44De l'ordre, alors selon les auteurs, du quart au du tiers, au mieux, si chacun est très
04:49vertueux.
04:50Le troisième niveau, qui est fondamental mais peu exploré, est celui de la sobriété
04:54collective, que moi j'appelle systémique.
04:56En réalité, l'essentiel de nos gaspillages découle de notre organisation collective
05:03qui est défaillante.
05:04Par exemple, en matière d'aménagement du territoire.
05:06Les gens habitent dans des endroits où il n'y a pas d'autre solution que de prendre
05:09la voiture, de la tarification, du manque d'équipement collectif, c'est le chantier
05:14prioritaire aujourd'hui.
05:15Et j'ajoute un quatrième niveau, que j'appelle structurel, celui qui découle de nos priorités
05:20économiques et sectorielles globales.
05:23On retrouve ici la piste de l'économie « humano-centrale » qui propose un horizon
05:28de société qui est structurellement plus sombre, de par la nature même des activités.