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00:00Mesdames et Messieurs, cher Jonathan Arfi,
00:27je suis venu vous parler du deuil.
00:32Un an, c'est, pour tous les Juifs du monde, le temps du deuil.
00:39Il y a les sept jours, avec leur sévérité presque insoutenable,
00:45il y a le mois où la souffrance dessert un peu l'étreinte,
00:51et puis il y a l'entière et pleine année
00:54où, quand l'on a pu œuvrer,
00:59quand le travail mystérieux et secret du deuil a pu opérer,
01:06une petite voix vous murmure,
01:10le temps est venu de sortir de la tristesse,
01:15le temps est venu pour un peu de consolation et de retour à la vie.
01:22Nous avons tous cela, nous avons tous vécu cette épreuve du deuil dans nos vies privées.
01:29Depuis un an, depuis le 7 octobre, nous avons eu à la vivre,
01:35tous ensemble, collectivement et avec tout notre peuple,
01:40tout le peuple français, à propos des morts du 7 octobre.
01:46Or, tel est l'horrible paradoxe de cette année terrible d'où nous sortons,
01:55de cette année diabolique,
01:58où nous avons été balottés tous comme dans une tempête sans fin,
02:07que ce deuil, nous n'avons pas pu le faire,
02:10il a été empêché, interdit, impossible.
02:16Le deuil des morts du 7 octobre a été empêché d'abord par le fait que,
02:23tandis que nous tentions de faire ce deuil,
02:28certains, nombreux, de Rio de Janeiro au Pakistan, de Paris à New York,
02:36continuaient de les souiller.
02:40De jeunes écrivains, à l'orée du siècle dernier,
02:45posaient la question, avez-vous déjà giflé à mort ?
02:49Et bien, depuis un an, on a giflé, les jeunes du Festival Nova,
02:57en insinuant, en écrivant parfois, qu'ils étaient des provocateurs
03:04et qu'on n'allait pas faire un festival de musique à la frontière de Gaza.
03:09On a giflé les âmes pures des kibbouts, de Béhéry et de Kfaraza,
03:18en insinuant, en écrivant qu'ils étaient des colons et des voleurs de terre.
03:25On a insulté les femmes israéliennes,
03:31violées, assassinées pendant qu'on les violait,
03:35déchiquetées pendant qu'on les violait,
03:39on les a souillées, en posant la question qu'on ne pose jamais,
03:46mais dites-moi, dites-en plus, racontez, êtes-vous certaines ?
03:52Avant de s'apercevoir que la plupart du temps, elles étaient mortes.
03:58Et on a giflé, enfin, toutes les victimes du 7 octobre,
04:03en insinuant, en vertu de ses préversions, les rôles dont parlait Yonatan Harfi,
04:09qu'elles étaient responsables de ce qui leur était arrivé.
04:13Cela est infâme et cela empêche, bien entendu, à empêcher ce travail du deuil.
04:21La deuxième raison pour laquelle le deuil n'a pas œuvré,
04:27c'est qu'au même moment, des millions de juifs dans le monde
04:32étaient, se sentaient et étaient, de fait, en sursis.
04:38Je pense à ces armées du crime qui, dès le 8 octobre, ont déclaré la guerre à Israël
04:47et ont entrepris leur projet, ont commencé de mettre en œuvre, je pense au Hezbollah,
04:54leur projet d'éradication du petit État juif.
04:58Je pense à la grande Perse dont nous savons aujourd'hui qu'elle est au bord de se doter de la plus terrible des armes
05:09et dont on sait que son premier objectif, lorsqu'elle s'en sera dotée, sera d'annihiler Israël.
05:18Je pense à tous les juifs du monde qui ont été l'objet de vitupérations, de discours de haine
05:31par des foules de furieux, d'enragés, de salopards, dans le monde entier,
05:36hurlant qu'ils devaient dégager, que la Palestine devait être libre, c'est-à-dire sous la botte,
05:45c'est-à-dire libérée de ses Juifs, débarrassée de ses Juifs, de la rivière à la mer.
05:52Tout cela, tous ces Juifs qui, brusquement aussi, ont été chargés de tous les péchés du monde,
06:01qui sont devenus du jour au lendemain génocideurs, complices d'Apartheid, massacreurs de civils
06:09et que l'on a livré ainsi à la vengeance des peuples,
06:13tout cela, encore une fois, est le contraire de ce qui est requis de la solidarité, de la fraternité élémentaire
06:24qui permet à un deuil de s'opérer.
06:28Et puis, bien sûr, la question des otages.
06:33Le fait que les otages nous hantent tous et que nous soyons nombreux ici à penser à eux soir et matin,
06:44mais il y a autre chose encore de très singulier.
06:48Je crois que c'est la première prise d'otage de l'histoire
06:55où les familles, les proches, les amis des proches et des familles ont été privés de toute preuve de vie,
07:05comme on dit dans les prises d'otages.
07:09Les 101 otages encore détenus par la masse, sont-ils seulement vivants ou sont-ils morts ?
07:17On ne sait pas.
07:18Ils sont morts-vivants, ils sont à demi-morts, peut-être à demi-vivants.
07:26Ils sont balottés de tunnel en tunnel, de cache en hôpital où l'on cache aussi des requêtes,
07:35mais on ne sait pas s'ils sont vivants ou s'ils sont morts.
07:40Eh bien, il y a là aussi quelque chose qui est très adverse à l'âme juive et sans doute à l'âme de l'humanité.
07:51L'âme juive n'aime pas ses états intermédiaires.
07:56L'âme juive et l'âme de l'humain n'aiment pas les zombies ou les limbes,
08:03dont un grand poète français Charles Baudelaire disait qu'elle ne pouvait inspirer que l'horreur au vrai vivant.
08:14La Torah dit que lorsqu'un être est manquant, une épouse, un époux,
08:21il faut jusqu'au dernier moment ne pas s'y résigner et faire comme s'il était encore vivant.
08:29Eh bien, cet état d'incertitude, cet état d'incertitude absolue, là encore, a été l'un des facteurs qui ont interdit, empêché ce deuil.
08:47Or le deuil, mes chers amis, il faut qu'il s'opère.
08:53C'est capital pour les victimes et pour leur mémoire et pour l'honneur que nous leur devons.
09:01C'est capital pour leurs proches et leurs familles et pour la réparation des survivants, la réparation des vivants.
09:09Et je crois aussi que c'est essentiel pour le monde.
09:14Tant que le deuil des morts du 7 octobre ne sera pas opéré, la vérité sera, comme disent nos sages, en exil.
09:26Tant que le deuil des morts du 7 octobre ne sera pas achevé, la paix sera impossible.
09:34Cette paix dont nous parlent les vats en paix, cette paix dont on nous parle dans les chancelleries, elle sera impossible, impensable, tant que continuera de bailler cette paix au cœur de l'humain.
09:51Voilà, je crois très profondément que le monde continuera de grincer, continuera de saigner.
10:02Je crois que le monde continuera de pleurer tant que nous ne pourrons pas pleurer enfin, comme il se doit, les morts du 7 octobre.
10:13Merci.