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Éloïse Quétel est responsable des collections médicales et du patrimoine artistique de Sorbonne Université. En d'autres termes, elle gère un "musée" dans lequel sont entreposés des archives médicales et des restes humains présentant des maladies, conservés à des fins scientifiques.
Œil déformé, dents abîmées, crâne infecté, presque toutes les anomalies de l'anatomie humaine résident dans cette bibliothèque un peu particulière.
Elle nous raconte son métier.
Transcription
00:00Quand je parle de mon métier à des gens que je rencontre, ils sont souvent très surpris.
00:03Ici, ce que l'on va trouver, c'est que des maladies.
00:05Une mèche de cheveux qui faisait 75 cm de long,
00:08retrouvée à l'intérieur d'un ovaire en 1856.
00:11Là, par exemple, une fracture et en plus, on a encore la balle à l'intérieur de l'os.
00:14C'est assez impressionnant.
00:15Une espèce de bibliothèque humaine.
00:17Il ne faut pas avoir peur de se salir les mains, ça clairement, c'est sûr.
00:19Et puis, aimer ses collections.
00:22Donc ici, on est dans les réserves
00:25où sont conservées les collections médicales et d'anatomies pathologiques.
00:28Ici, ce que l'on va trouver qui est vraiment la singularité,
00:31c'est que c'est que des maladies.
00:36On a presque 30 000 objets, personnes dans ces collections.
00:40Des préparations sèches, des squelettes,
00:42comme on peut les connaître dans les cours de SVT.
00:45Des préparations humides, donc ça, c'est les pièces qu'on trouve dans les bocaux.
00:48Un fond de neuroanatomie et neuropathologie.
00:51Donc là, c'est des tranches de cerveau sur des petites lames histologiques.
00:54Typiquement, les lames qu'on peut observer au microscope.
00:57On a aussi des archives.
00:59Beaucoup de dossiers de patients, de photographies cliniques,
01:02de dessins, de peintures, de gravures.
01:09On va aussi avoir les cires anatomiques qui sont derrière moi.
01:13Donc ça, c'est des moulages faits avec de la cire qui sont faites sur le vivant.
01:19Donc les premières pièces, elles arrivent au XVIIIe siècle
01:22parce que ce sont des morceaux de corps qui ont été préparés
01:25dans l'ancienne Académie royale de chirurgie.
01:27Donc là, c'est 1700 et des brouettes.
01:29Et les dernières pièces rentrées en collection,
01:31c'est plutôt les années 1930 à 1950.
01:35Alors dans cette allée, il y a une pièce vraiment intéressante.
01:37C'est le corps entier d'une personne qui s'appelait Anne-Elisabeth Suppiot.
01:41On a le crâne, la cage thoracique, le bassin qui est ici.
01:44Et en fait, on a les deux jambes qui sont rétroversées et un des bras qui est là.
01:48Et donc elle, elle date de 1752,
01:50où elle est observée par le chirurgien du roi de France.
01:53Et donc lui, il détermine ce qu'on appelle une ostéomalacie,
01:56qui est la forme un peu du rachitisme, mais de l'adulte.
01:58Et son corps a été énormément vernis aussi
02:00pour qu'elle puisse être préservée en toutes ces années.
02:02Donc elle, c'est vraiment super intéressant parce qu'elle est beaucoup décrite.
02:05Elle va notamment aussi être dessinée.
02:07Donc on a la gravure originale.
02:09On apprécie beaucoup ici le fait qu'elle soit très sereine,
02:12ce qui ne devait pas être le cas.
02:14L'intérêt de ces collections, de ces gros morceaux de corps
02:16qui sont là présents sur des étagères,
02:18s'est éteint progressivement parce qu'on s'est de plus en plus intéressé à la microscopie.
02:22On sait aujourd'hui que c'est pertinent de garder ce genre de pièces
02:25parce qu'elles nous racontent une histoire,
02:27celle de l'individu, celle de la maladie, celle de l'institution,
02:31celle de la pratique en anatomie pathologique, celle des médecins aussi.
02:34Les pièces humides, ça permet vraiment de pouvoir faire des prélèvements
02:36et aussi des déterminations ADN.
02:38Et donc ça, c'est très important aussi de continuer à les préserver
02:41pour ces études justement des maladies.
02:47Donc là, on est sur une radiographie qui date de 1897,
02:50donc deux ans seulement après l'invention du procédé.
02:52Le problème, c'est qu'on ne va pas se rendre compte tout de suite
02:55que la quantité des rayons que les techniciens vont se prendre
02:59en réalisant des radiographies est trop importante
03:03et surtout extrêmement dangereuse.
03:04Et donc, ils vont déclarer une pathologie, des pathologies,
03:07qu'on va pouvoir justement retrouver dans la collection.
03:12Donc là, on a une main d'un technicien de laboratoire en radiographie
03:16qui présente une gangrène sur le dos de la main.
03:20Justement parce qu'il a subi beaucoup trop de rayons X
03:23et donc sa main a progressivement été brûlée et a gangrénée.
03:27On a été obligé de lui amputer la main.
03:29Et donc, ça va prendre une bonne trentaine d'années
03:32avant qu'on se protège efficacement contre les rayons.
03:35Ce qui fait qu'on va avoir pas mal de laborantins
03:37qui vont se voir amputer des membres supérieurs.
03:41Alors, on peut trouver différentes maladies au sein de ces collections.
03:43On a pas mal de fractures, on a pas mal de cancers évidemment,
03:46plein d'infections virales, bactériennes,
03:48plein de choses comme ça.
03:50Donc ici, on a le crâne d'un syphilitique.
03:53Donc la syphilis, c'est une affection bactérienne
03:56qui se transmet sexuellement.
03:58Et là, ce qui est assez intéressant, c'est qu'on a
04:00ce qu'on appelle le stade tertiaire.
04:02Et le tertiaire, il va attaquer l'os.
04:04Et en fait, c'est le moment aussi où on commence à avoir
04:06ce qu'on appelle des lésions neurologiques.
04:08Et donc, les gens vont progressivement devenir un peu fous aussi.
04:10Donc, on perd une partie de son visage et on devient un peu fou.
04:14Maintenant, grâce aux antibiotiques et notamment à la pénicilline,
04:18elle a majoritairement disparu.
04:21Mais c'est vrai qu'à ce moment-là, c'était assez virulent.
04:25Donc moi, je suis responsable des collections médicales
04:27ici depuis bientôt sept ans.
04:29C'est à la fois de l'inventaire, assister de collègues,
04:31techniciens de conservation, prendre les pièces une par une
04:33et puis les redécrire entièrement,
04:35notamment dans la base de données.
04:37C'est aussi donner des cours, participer à des conférences,
04:39la photographie.
04:48Réalisation
04:57Ensuite, moi, j'interviens pour restaurer les pièces qui le nécessitent,
05:00qui sont en trop mauvais état.
05:02On a vraiment un potentiel de dangerosité qui est présent.
05:05Le Formol, c'est une solution qui est cancérigène, mutagène,
05:10héroprotoxique, donc hyper, hyper toxique.
05:12Donc, il faut à tout prix que je porte des équipements
05:14de protection individuelle pour pouvoir me protéger au mieux.
05:17Donc là, on a un cerveau, du coup, qui est dans une préparation
05:20à base de Formaldehyde.
05:23Et voilà, pour ne pas faire de bêtises,
05:26je vais continuer sans forcément vous expliquer tout ce que je fais.
05:34C'est une spécialité qui est tellement particulière
05:36qu'on est vraiment très peu nombreux à l'exercer.
05:38Il ne faut pas avoir peur de salir les mains, ça clairement, c'est sûr.
05:43Et puis, je pense qu'il faut, j'allais dire,
05:46aimer ses collections.
05:47En tout cas, les traiter avec respect
05:52et en prendre soin au quotidien.
05:53Il faut vraiment avoir envie de ça.
06:01En fait, la plupart des collections qui sont ici,
06:03elles proviennent du musée du Pitrein.
06:05Il y a un musée qui a ouvert en 1835 et qui a fermé définitivement en 2016.
06:08Petit à petit, le public qui s'est mis à visiter ce musée
06:12venait voir des choses curieuses.
06:14Ces pièces comme ça et tout, c'était toujours un peu difficile.
06:16Et c'est aussi pour ça que le musée, en 2016, il ferme.
06:18Les collections, elles sont toutes transférées ici sur le campus.
06:21Elle commence à être gérée par le pôle des collections scientifiques et patrimoines
06:25qui lui est rattaché à la direction des bibliothèques de Sorbonne Université.
06:28Le but pour nous aujourd'hui, c'est vraiment de reprendre complètement
06:30la valorisation de tous ces spécimens
06:33et sortir complètement du côté sensationnel
06:36ou un peu morbide, justement, de ces collections.
06:39J'avoue que je n'ai absolument aucun problème
06:41avec le fait d'être avec ces collections.
06:43C'est vraiment une spécialité que j'ai volontairement, clairement choisie.
06:47Je crois que ce que je préfère dans mon métier,
06:49c'est vraiment de pouvoir, paradoxalement, passer du temps avec des gens.
06:52Je ne dis pas que je ne me rends pas compte qu'ils sont morts.
06:56C'est simplement que j'ai vraiment une manière de les rencontrer,
06:59de les accompagner et de les valoriser.
07:01Ça me rend extrêmement fier, en fait,
07:03parce que c'est aussi sortir de l'ombre des collections
07:05qui ont un intérêt scientifique fondamental
07:08et qui ont peut-être trop longtemps été oubliées ou mises de côté.
07:13Sous-titrage Société Radio-Canada

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