L'Art Aborigène _ Écho vivant d'une culture ancestrale - Documentaire complet -

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Paddy Bedford, Gulumbu Yunipingu et Judy Watson, devenus aujourd’hui des artistes célèbres, travaillent comme par le passé au nom de leurs communautés respectives. Fixés par les artistes sur la toile, les songlines (littéralement « pistes chantées »), ces « chants d’itinéraires » aborigènes transmis de génération en génération depuis des siècles, racontent la genèse de chaque colline, rivière, site du continent australien. Leurs œuvres nous ramènent au « Temps du Rêve », l’époque mythique où les Esprits Ancestraux façonnèrent le monde avant de se couler dans ses éléments, en un voyage qui peut désormais être accompli par tous.

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Transcription
00:00Un soir d'été à Paris, des sons étranges résonnent sur la scène.
00:26Ce petit groupe a traversé le monde pour découvrir la France et le dernier-né des
00:35musées parisiens, le musée du Quai Branly. Mais ce ne sont pas des touristes ordinaires.
00:43Descendants d'un peuple vieux de près de 50 000 ans, un des plus méconnus de la planète,
00:55ce sont des aborigènes d'Australie. Ils font partie d'un groupe d'artistes choisis par
01:02l'architecte Jean Nouvel pour créer des œuvres monumentales destinées à être intégrées dans
01:07l'architecture des bâtiments administratifs du musée du Quai Branly. Une rencontre étonnante
01:14entre architecture moderne et un art ancestral et secret. Tommy Watson, Patti Bedford,
01:26Gulumbu Yunupingu et Judy Watson sont des artistes majeurs de l'art aborigène
01:31contemporain. Ils sont le lien qui rattache leur peuple à leur culture ancestrale.
01:36Ils sont les guides, les passeurs entre leur monde et le nôtre.
01:47Gulumbu Yunupingu vit avec sa famille et son clan en terre d'Arnhem à l'extrême nord-est de l'Australie.
02:06Peu d'étrangers ont pénétré sur cette terre sacrée du peuple Yolngu,
02:10là où l'eau douce rencontre la mer.
02:28La tribu de Gulumbu croit que la vie est un cycle qui se perpétue au-delà de la mort.
02:34Elle suit tout simplement le courant de l'eau. La mort n'est que le dernier grand
02:41saut du vaste océan jusqu'à l'immensité du ciel. Et quand il pleut, le cycle recommence.
02:49Les Yolngu ont ce savoir comme l'eau qui tombe et se mélange. La pluie tombe du ciel,
03:05elle apporte de l'eau pour que les gens puissent boire, pour le renouvellement de la mer et de la
03:15rivière. L'eau douce et l'eau salée ouvrent l'esprit et l'entendement.
03:46Les Yolngu sont partout. Yolngu, c'est aborigène.
03:55Ça, c'est notre crocodile. Il est gentil, c'est un animal de compagnie. On le nourrit tout le temps.
04:11C'est notre système, notre vie, nos noms de peau, notre culture.
04:21Gulumbu prend son inspiration de la terre sur laquelle elle vit. Elle fixe sur l'écorce de
04:32l'arbre la matière des voies du rêve. Ces chemins sacrés qui transmis de génération en génération
04:39depuis des siècles racontent la jeunesse de chaque arbre, chaque colline, chaque rivière de son pays.
04:44Mes peintures sont une part de mon corps et de ma vie. C'est ce que mon peuple a vu auparavant,
05:02ce qui se passait et ce qui s'était passé.
05:06Gulumbu peint l'univers entier rempli d'étoiles de sa terre d'Arnhem.
05:13Les Yolngu croient dans les étoiles. On a des contes et des chants sur les étoiles.
05:28C'est sacré pour nous.
05:33Une nuit, on campait. C'était du vivant de ma mère.
06:01Il n'y avait aucun nuage. Le ciel était entièrement dégagé.
06:08Quelques gouttes sont tombées du ciel et j'ai dit, tiens, il pleut.
06:18Maman était assise à côté du feu. Elle a répondu, ce n'est pas de la pluie.
06:31Ce sont juste les étoiles qui pleurent.
06:33Les peintures de Gulumbu nous ramènent au Djukurpa, le temps du rêve.
06:42L'époque mythique où les esprits ancestraux façonnèrent le monde avant de se couler dans
06:47ses éléments, en un voyage qui peut désormais être accompli par tous.
07:02Je ne savais rien des étoiles, ni de la peinture, avant que mon père ne s'en aille,
07:12avant qu'il ne meure. À ce moment-là, j'ai commencé à faire des rêves et à avoir des visions.
07:22Je me suis mise à peindre les mêmes étoiles que celles que peignait mon père.
07:36Les récits du temps du rêve sont transmis d'une génération à l'autre à l'intérieur de la famille
07:43et du clan. Ils constituent une cosmogonie sans cesse renouvelée. Ils sont la force qui
07:50unit les aborigènes à la terre et à leurs semblables.
07:52J'espère que mes petits-enfants apprendront et qu'ils suivront mes pas.
08:09J'ai des filles, des petites-filles et des enfants. C'est la prochaine génération,
08:26c'est un cycle. Les familles restent ensemble.
08:39J'espère que mes petits-enfants apprendront et qu'ils suivront mes pas.
09:09Le peuple aborigène est en plein bouleversement face au monde moderne qui le menace d'extinction
09:26culturelle. Les pratiques artistiques, pendant si longtemps accomplies dans le secret des cérémonies
09:33rituelles, au sein de la nature, sur des supports éphémères, sont aujourd'hui réalisées sur des
09:38toiles avec des peintures acryliques et exposées dans les galeries d'art du monde entier.
09:42Mais Gulungbu continue de vivre et travailler de façon traditionnelle, trouvant ses couleurs
09:55et supports pour ses œuvres dans la nature. Elle perpétue ainsi les rites que son père
10:00et ses ancêtres lui ont appris. Le savoir des Yolngu se transmet de père en fils.
10:12Je préserve la force de la culture et de la tradition comme me l'a appris mon père.
10:27C'est comme ça qu'on prend l'écorce. On choisit la meilleure et la plus solide. Ensuite,
10:52on la découpe et on dessine les étoiles et les points. J'adore peindre. C'est pour ça que je n'ai
11:12pas du tout envie d'abandonner. Tout continue. C'est ma vie, ma force et mon art. Tous les
11:31artistes sont des gens importants parce que c'est nous qui montrons le chemin au monde en racontant
12:14près de 600 tribus aborigènes vivent aujourd'hui sur le continent australien avec une multitude
12:19de dialectes et réalités différentes. Mais depuis la nuit des temps, tous ces peuples
12:24sont reliés par un héritage ancestral fondamental. Un mythe premier de la création qui imprime
12:30profondément leur vision de la nature environnante. Le temps du rêve où les grands ancêtres
12:36comme le serpent arc-en-ciel ou les hommes éclairs se promenant sur une terre où rien
12:41n'existait encore donnèrent naissance à toutes les choses du monde en les chantant. Aujourd'hui,
12:49chaque tribu détient une voie du rêve, un chemin qui lui est propre et qui raconte l'histoire de
12:56la création de son lieu. Ces chemins du rêve sont sacrés. Mis bout à bout, ils forment un réseau qui
13:06couvre la totalité de l'Australie. Une carte du visible et de l'invisible où les lieux sont à la
13:12fois décrits et racontés. Des représentants du musée du Quai Branly ont dû voyager jusqu'au
13:26centre de l'Australie dans le bush pour rencontrer Tommy Watson et lui faire découvrir l'adaptation
13:31de son oeuvre à l'échelle monumentale du musée.
13:34Monsieur Watson est content.
13:40Vous voyez ce tableau ? Il comprend. Nous voulons emporter ça à Paris et leur dire que
13:53Monsieur Watson est d'accord. Et comme ça, je saurais que Monsieur Watson est content.
13:59Monsieur Watson pense-t-il que c'est une bonne chose que son tableau soit exposé là-bas et que
14:08beaucoup de gens en Europe le voient ? C'est bien pour votre culture et votre histoire.
14:16Vous pourriez venir à Paris pour voir ce grand tableau quand il sera fini ?
14:24Peut-être.
14:25C'est très loin.
14:30Moi j'y vais.
14:31Sans doute est-ce le poids de plus en plus lourd de la société occidentale dans ce pays où les
14:38aborigènes ne représentent plus que 2% de la population qui a conduit ceux-ci à accepter
14:43de montrer leurs oeuvres aux profanes dans un réflexe ultime de survie.
14:47Instrument de catharsis collective d'un peuple persécuté pendant deux siècles par les
14:53colonisateurs, l'art est aujourd'hui la voie qui mène les aborigènes à la reconnaissance
14:58culturelle et à la richesse économique.
14:59Ouverte au monde extérieur, la production artistique aborigène n'en conserve pas moins
15:17sa dimension sacrée.
15:18Ce n'est pas un hasard si les peintres révélés au cours des 20 dernières années sont pour
15:24la plupart des gens âgés, anciens de leur tribu.
15:27Le choix de prendre le pinceau pour matérialiser les récits du rêve ne pouvait être fait
15:33que par eux, car ce sont les anciens qui sont seuls habilités à prendre la décision de
15:38révéler et transmettre les légendes sacrées.
15:41La rencontre avec Judy Watson, une artiste diplômée de l'université de Tasmanie qui
15:54vit dans la ville de Brisbane, nous montre combien la notion d'art aborigène s'est
15:59élargie avec la montée d'une nouvelle génération d'Australiens indigènes, beaucoup plus ancrés
16:04que leurs aînés dans le monde d'aujourd'hui.
16:05Judy est la fille d'une mère aborigène et d'un père écossais.
16:11Ce métissage la place au croisement de deux cultures qui se sont longtemps affrontées.
16:16En tant qu'artiste, je cherche sans cesse des choses qui me touchent et qui m'inspirent.
16:25J'utilise la métaphore de l'artiste jetant son filet pour remonter les choses à la surface.
16:33Autrefois, j'associais la culture aborigène à la famille de ma mère, c'est là que je
16:43situais cette part de mon expérience et puis j'ai compris qu'elle était sous mes pieds,
16:48partout dans la ville.
16:49Dans son œuvre, Judy Watson mélange le temps du rêve avec la mémoire d'un passé plus
16:55récent.
16:56Ce sont ces couches de sens et tout ce qui nous entoure en tant que personne, ce que
17:03nous emportons avec nous.
17:09Quand je voyage, j'ai l'impression d'emporter ma culture et mon pays avec moi.
17:17C'est en moi, c'est la source de mon travail.
17:22Judy utilise principalement des pigments de bleu, bleu ultramarine, bleu de Prusse.
17:31Ce ne sont pas des couleurs traditionnelles, mais pour elle, ces tons de bleu représentent
17:36l'essence de l'eau et de la mémoire, le bleu, couleur de l'inconscient.
17:40Ces peintures sont la transcription d'une histoire contemporaine mêlée à un passé
17:46ancestral, comme deux univers parallèles, fait d'une multitude de connaissances et d'informations
17:52vieilles de plus de 50 000 ans.
17:54L'art me nourrit, il m'enrichit.
18:02Quand je réalise une œuvre, il y a un moment où je commence à travailler sur quelque
18:10chose et soudain, je suis dans le monde du rêve.
18:14Et l'œuvre, enfin pas l'œuvre, quelque chose à l'intérieur te prend et t'entraîne
18:20sous la surface.
18:21On sait toujours si ça fonctionne ou pas.
18:28C'est une conversation avec moi-même.
18:31J'ai l'impression que ma vie intérieure est une sorte de conversation assourdissante
18:38qui ne s'arrête jamais et j'ai parfois envie de dire « silence ». Mais ça te dit ce qu'il
18:43faut faire après.
18:44Avant que la Terre ne soit créée, le temps du rêve précéda le temps des hommes.
18:57Tout n'était alors que spirituel et immatériel.
19:01Les fourmis vertes créèrent la vie consciente, puis se retirèrent au fur et à mesure que
19:08le temps du rêve s'évanouissait.
19:10Depuis, elles dorment, le temps que le monde de la surface soit de nouveau propice à leur
19:17règne, mais elles utilisent le rêve pour téléguider pensées et gestes de ceux qu'elles
19:22ont créés.
19:23C'est ce que je vois quand j'avance doucement et tranquillement et que je découvre soudain
19:43un truc très fort et puissant.
19:45Et c'est ce que je ne fais pas assez en ville et dans ma vie quand je cours pour déposer
19:57les enfants à l'école, aller les chercher, pour respecter un délai, régler un problème,
20:03payer une facture.
20:04Judy vit dans une grande ville ultramoderne, Brisbane, sur la côte est de l'Australie.
20:14Un choix de modernité donc, mais aussi une coupure physique avec sa famille, son clan
20:20et ses ancêtres, qui sont au nord dans le territoire du Wahnee, dans le Queensland,
20:26là où l'eau est toujours fraîche.
20:27Quand je reviens ici, c'est toujours vraiment spécial, pas seulement parce que j'y ai
20:35vécu enfant, mais aussi parce que je connais l'histoire de ces endroits.
20:39C'est un lieu très spirituel, c'est très puissant, mais c'est presque comme cette
20:53épopée entre l'eau et l'air, cette connexion qui monte, c'est très émouvant et ça te
21:02pénètre jusqu'au cœur.
21:03L'eau t'entraîne en profondeur, sous la surface, comme si à l'intérieur de nous-mêmes
21:16et à l'intérieur de la terre et du sol, il y avait toute cette eau souterraine.
21:21Notre corps est fait à 90% d'eau, et à chaque fois que je me promène dans un paysage désertique,
21:32j'ai l'impression d'être une outre d'eau qui avance en faisant… et tout ce qu'il
21:37y a autour fait… c'est un sentiment extraordinaire.
21:42On sent vraiment la limite entre la peau du corps et ce qu'il y a à l'extérieur.
21:48C'est presque comme ces bassins, je veux m'y enfoncer de plus en plus profondément.
21:54Judi fait partie de cette nouvelle génération qui s'est à nouveau intéressée aux objets
22:04de ses ancêtres, maintenant enfermés dans les archives des musées.
22:08Un statu quo toujours difficile entre ceux qui veulent conserver et préserver et un peuple
22:14qui perd ses connexions à ces objets rituels et sacrés.
22:16Dans ce travail de mémoire qui est le sien, Judi va souvent au musée de Brisbane où
22:23est conservée une importante collection d'objets rituels aborigènes.
22:26Là, elle étudie, dessine, apprend et transcrit le début d'un processus qui est le moteur
22:41de son art.
22:42Un jour, un ancien de son clan lui avait dit, un musée est comme une immense grotte dans
22:52laquelle on place ses objets sacrés en sécurité.
22:55Judi avait répondu, ces objets ont été sauvegardés en notre nom, mais combien de
23:02membres de mon peuple pourront à nouveau les tenir entre leurs mains et les regarder.
23:07Pour une artiste, c'est une source d'inspiration inépuisable.
23:26Le simple fait de voir, de toucher et de côtoyer tous ces objets, ils ont tant de force en eux.
23:41Il suffit de les regarder et soudain, c'est une source qui gère.
23:45C'est l'étincelle qui met le feu à ton imagination, ton enthousiasme et ton énergie pour réaliser une œuvre.
23:52Ce sont toutes ces choses que je n'ai pas connues enfant qui m'intéressent aujourd'hui.
23:59Je n'ai pas l'impression d'être uniquement dans le passé.
24:02Le passé est en moi et je veux mieux le connaître.
24:22Il y a de nombreuses pièces du puzzle qui manquent dans l'histoire de Judi.
24:26Le lac de ses ancêtres est rempli de trous noirs.
24:29Et une rupture terrible qui remonte à l'enfance de son arrière-grand-mère aborigène.
24:34Petite fille, elle fut arrachée de force à sa famille pour aller travailler dans un ranch pour un régisseur blanc.
24:42Une femme de Moorston Station voulait une petite fille pour la former.
24:49C'est comme ça que Nan est partie là-bas.
24:51Au début, elle était terrifiée.
24:58Quand sa mère est venue, la femme a dit « ce n'est pas ta mère, ce n'est pas ta fille » et elle les a séparées.
25:05Nan appelait souvent sa mère en pleurant.
25:21Le drame des générations volées est un des chapitres les plus sombres de l'histoire australienne.
25:26Les enfants métis furent enlevés de force à leur mère dès le XIXe siècle et ce, jusqu'à la fin des années 60
25:31pour les placer dans des orphelinats ou les confier à des familles de race blanche,
25:35soi-disant pour leur bien, les intégrant ainsi à la société des colons
25:39en les coupant de leur famille d'origine, de leur langue et de leur culture.
25:44J'ai l'impression que je porte ça en moi, je porte ces blessures
25:48et c'est pour ça que je peins ce que je peins.
25:50L'œuvre audacieuse de Paddy Bedford, « Horreur de la Suisse » a été réalisée en 1921
25:55en l'occasion de la première année de la présidente de la collège.
25:58La première année, Paddy, en 1853, a été la première année de la création de l'œuvre.
26:03C'était l'année de la première édition, place à la première édition de « La Révolte »
26:07qui a été créée par Paddy Bedford.
26:11À la fin de la première édition de la colonne, il y avait enfin la première édition de « La Révolte »
26:15et c'était le premier épisode de la première édition de « La Révolte »
26:19ressemble bien peu à l'idée qu'on se fait ordinairement de la traditionnelle peinture à poings.
26:35Paddy n'a pas fait le voyage à Paris.
26:40Il quitte rarement la source de son inspiration, le Kimberley, dans le nord-ouest de l'Australie.
26:50La terre du Kidja est celle de la communauté des Warnhom.
26:54Une succession de collines de couleur rouge ocre où l'étouffe de spinifex forme de petites tâches.
27:01Pays lumineux au relief accidenté qui est au coeur de la vie et de l'inspiration de cet artiste au grand âge.
27:13Il vit là avec son manager Tony Oliver.
27:20Ça ne fait que neuf ans qu'il se consacre vraiment à la peinture.
27:26Il n'a pas fait d'école d'art.
27:29Il a fait un autre genre d'école. Il n'est pas prisonnier de son identité de peintre.
27:36Dans la tradition occidentale, on est souvent étiqueté, on est peintre ou danseur.
27:43Mais pour lui c'est juste une extension d'autres aspects et c'est pour ça qu'il ne se limite pas à être peintre.
27:50J'aime ce détachement.
27:54S'il fait une nouvelle peinture et que le vent la renverse, il trouve ça drôle.
28:03On est à Bedford maintenant. C'est Bedford. C'est le pays de Bedford.
28:11Paddy visite le ranch sur lequel il est né et où il a travaillé comme garçon de ferme toute sa vie. Bedford Downs.
28:20Paddy Bedford.
28:22Paddy Bedford, oui, enchanté.
28:26Quel bel endroit, j'adore travailler ici. Je suis né ici. Oui, c'est ce que m'a dit Jane, ma femme.
28:32Là-bas, près de la rivière ?
28:34Ça fait combien de temps ? Oh, longtemps.
28:37Longtemps ?
28:40Du temps du vieux Paddy Gilty, mon patron, le vieux Paddy Gilty.
28:44Oui.
28:45C'était son ranch, je suis né ici.
28:48Et vous venez vous promener ici pour retrouver les endroits que vous avez connus ?
28:54Bonne journée, on se revoit dans une quinzaine de jours.
29:08Les peintures de Paddy sont une superposition d'histoires qui voyage à travers l'espace et le temps.
29:14Il peint son pays, le Kimberley oriental, en une stylisation de routes, rivières, clôtures, parquats bestiaux.
29:21Adjunctions contemporaines qui renouvellent profondément la vision des paysages hérités du temps du rêve.
29:38Il peint l'histoire de la frontière,
29:41du temps de la colonisation,
29:44quand blancs et noirs se sont rencontrés pour la première fois.
29:51Il peint le temps où Paddy Gilty, le patron du ranch, faisait la loi sur la terre, comme sur les gens.
30:07Mon père et mon oncle sont tous les deux là, dans le cimetière.
30:12De l'autre côté de la rivière.
30:16Je suis né ici, juste ici.
30:21C'est là que je suis né.
30:24Sous cette arme.
30:29Tu es né ici et le vieux Paddy Gilty est passé et il t'a entendu pleurer ?
30:33Oui. En fait, le vieil homme leur a demandé, c'est un garçon ou une fille ?
30:38Un garçon.
30:40Alors appelez-le Paddy.
30:42C'est pour ça qu'on m'a appelé Paddy Bedford.
30:44C'est le nom du ranch.
30:48C'est ici que je suis né et c'est ce que je peins.
31:04Paddy est fier de porter le nom du ranch, car Paddy fait partie de cette terre.
31:10Dans la cosmogonie aborigène, la pensée a créé toute matière.
31:15La terre, les hommes, les animaux et les plantes ne sont que des parties d'un même tout.
31:21Donc les hommes ne peuvent pas posséder de terre ni d'animaux.
31:25Ceci a pour conséquence que la terre ne soit pas une partie d'un même tout.
31:30Les aborigènes ne comprenaient pas les notions d'élevage ou de propriété privée.
32:01C'est ici que Paddy Kelty a tué tous ces gens.
32:05Juste là.
32:08Ceci est un lieu de massacre.
32:11D'après les archives historiques, les hommes du clan de Paddy furent assassinés à cet endroit pour avoir tué un bœuf.
32:19C'était pas un mauvais bougre Paddy.
32:22Mais quand ils ont tué ce bœuf, ça l'a rendu fou.
32:26C'était pas un mauvais bougre.
32:28Quand Kelty, le patron, a pris la nouvelle, sa réaction fut si effrayante qu'une génération après, personne dans le clan ne l'a oublié.
32:36Il a dit, il faut faire quelque chose.
32:40Je vais tous les tuer.
32:42Ouais.
32:47Vous voyez ces arbres là-bas ?
32:51Ils les ont tous coupés.
32:53Et ensuite, ils les ont mis en tas pour faire un feu.
33:00Ils ont empoisonné la bouffe et ils leur ont dit, venez manger un morceau après avoir coupé les arbres.
33:06Ils ont mis de la strychnine dans la nourriture.
33:10Ils les ont tous empoisonnés.
33:14Je ne peux plus.
33:16Je ne peux plus.
33:18Je ne peux plus.
33:20Je ne peux plus.
33:22Je ne peux plus.
33:24Je ne peux plus.
33:26Je ne peux plus.
33:28Je ne peux plus.
33:30Je ne peux plus.
33:32Je ne peux plus.
33:34Je ne peux plus.
33:36Je ne peux plus.
33:38Je ne peux plus.
33:40Je ne peux plus.
33:43Ensuite, ils les ont abattus.
33:48Ils ont pris un fusil et ils ont abattu tout le monde.
33:57C'est ici que ça s'est passé.
34:00Ils ont fait un grand feu et ils ont balancé tous les corps dans les flammes.
34:06Juste là.
34:13Les os et tout le reste, la tête, les pieds, tout.
34:18Le feu les a entièrement consommés, il ne restait rien du tout.
34:26Voilà toute l'histoire.
34:30C'est ce que je peins, vous voyez.
34:36C'est ce que je peins.
34:40Je ne peins rien d'autre.
34:43Je ne peins que mon pays, ma loi.
35:10Ça aurait pu être ma famille.
35:15Alors j'ai écrit quelque chose.
35:18J'écoute et j'entends ces mots à cent ans de là.
35:21Ça coule dans mon sang et dans ma mémoire.
35:24Et ça imprègne le sol.
35:26C'est comme cette blessure, peu importe que ça soit arrivé dans les années 1800 ou 1900.
35:33Je cherche ces histoires cachées, à la fois en Australie et dans d'autres pays.
35:38Ce qui s'est passé avant et encore avant continue à t'affecter.
35:42Ça fait partie de toi.
35:44C'est ta terre, ta famille.
36:03L'histoire récente des aborigènes d'Australie
36:06est celle d'une succession de douleurs et de morts.
36:09Depuis l'arrivée des colons à la fin du XVIIIe siècle,
36:12ils ont été systématiquement décimés par la maladie,
36:15les enlèvements, l'esclavage et les massacres.
36:24Mais c'est aussi l'histoire de la survie d'un peuple grâce à la force de ses croyances
36:28et de sa culture.
36:30La peinture avait initialement un but religieux.
36:33A partir des années 50,
36:35elle est devenue un moyen d'affirmer les droits historiques des communautés sur leur territoire.
36:40Aujourd'hui, c'est un mode d'expression artistique en tant que tel,
36:44un art sacré, ainsi qu'un outil de revendication,
36:47ce qui confère au peintre une importance majeure au cœur de la tribu.
36:51Il suffit de tendre la main.
36:53J'ai mon pays, ma communauté, j'ai tout.
36:59Et ces peintures disent,
37:01« Hé ! Regardez mon travail ! »
37:07Je représente tout le monde.
37:12Je raconte leur histoire et je la montre.
37:15Je raconte leur histoire et je la montre pour leur dire,
37:19« Levez la tête ! Ne la baissez pas ! »
37:23Levez-la !
37:25Soyez fiers ! Soyez forts !
37:46Pour ces artistes qui, pour la plupart, n'ont jamais quitté leur bouche et leur pays,
37:50traverser l'Australie puis la moitié de la Terre pour aller dans un lieu étrange et inconnu,
37:54découvrir leurs œuvres,
37:56était un acte de courage emprunt de curiosité.
38:03Mais c'était par-dessus tout
38:05une expérience unique qu'ils vivaient pour l'ensemble de leur tribu,
38:09créant ainsi une nouvelle voie du rêve qui relirait l'Australie.
38:15L'Australie à la France.
38:46Au musée du Quai Branly,
38:48dans l'espace réservé aux arts et cultures d'Océanie,
38:51les œuvres ancestrales aborigènes collectées et rapportées au cours des deux derniers siècles
38:56par les explorateurs, les anthropologues et les marchands
38:59apparaissent dans la semi-pénombre comme figées dans le temps.
39:16C'est à côté de la grande galerie qui met en scène les œuvres de leurs ancêtres
39:20que le travail de Judi, Paddy, Tommy et Gulumbu
39:23a été intégré à l'architecture même des bâtiments administratifs du musée.
39:46J'ai rêvé un jour qu'un grand rideau de pluie venait vers nous.
39:50Nous nous sommes tous dispersés.
39:52Le rideau de pluie a traversé la plage,
39:54laissant dans son sillage une grande conque et un plastron de tortue.
40:02Depuis, j'utilise les coquillages comme métaphore.
40:06Pour moi, le bleu est la couleur de la mémoire.
40:09C'est la couleur des rêves.
40:11C'est une couleur très liquide et viscérale.
40:19Ça reflètera l'amour que nous avons donné de notre pays au leur.
40:23C'est de ça que ça parle.
40:41À Paris, on a vu la tour Eiffel le soir du Vernissage.
40:49À la nuit tombée, ils ont allumé la tour Eiffel.
40:54Les anciens m'ont dit que quand on voit des étoiles scintillées partout,
40:59c'est qu'on voit des étoiles scintillées.
41:02C'est comme si on voyait des étoiles qui s'éclatent dans le ciel.
41:06C'est comme si on voyait des étoiles qui s'éclatent dans le ciel.
41:09À Paris, on a vu la tour Eiffel le soir du Vernissage.
41:16À la nuit tombée, ils ont allumé la tour Eiffel.
41:20Les anciens m'ont dit que quand on voit des étoiles scintillées partout,
41:24c'est signe qu'un grand vent arrive.
41:50Seul dans la nuit, Gulumbo chante.
42:06Ce qu'elle dit, nous regardons tous le même ciel rempli d'étoiles.
42:14Nous sommes peut-être de couleurs différentes.
42:17Peut-être de couleurs différentes, mais en cet instant, nous sommes tous les mêmes.

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