• il y a 3 mois

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00:00De retour dans votre émission Angle de vue où nous recevons Jean-Noël Degrasse et nous allons parler maintenant de votre métier.
00:12C'est ce qui vous a amené sur ce territoire et c'est ce qui fait que nous sommes ici aussi ce soir tout d'abord prévisionnistes,
00:17météorologues ou spécialistes du climat. Les termes sont variés Jean-Noël Degrasse pour parler d'une seule et même passion
00:23que vous nourrissez depuis, on peut le dire, quasiment la plus tendre enfance.
00:27Première question, est-ce le même métier d'être météorologue dans l'Hexagone ou sur une île ?
00:34C'est le même métier mais on a des complexités quand on est outre-mer, on a des challenges qui sont beaucoup plus importants.
00:43Et puis moi j'ai toujours voulu sortir du carcan un peu météorologue-prévisionniste parce que faire des prévisions et les garder pour soi
00:52ou ne pas bien savoir les communiquer, ne pas savoir bien coopérer avec les îles voisines, ça veut dire qu'on rate quelque chose.
00:58Donc moi ce que j'ai voulu toujours c'est ouvrir un petit peu le domaine de travail d'un météorologue et être dans la gestion des risques,
01:05être dans la coopération régionale, dans la communication, l'éducation et dans la proximité.
01:10On a d'ailleurs souvent reproché aux instances, à Météo France ou d'autres experts,
01:18de ne pas savoir bien anticiper les tempêtes ou les dégâts.
01:23Je pense notamment à la tempête de 1999 où on a des référentiels comme ça.
01:27Est-ce qu'aujourd'hui les spécialistes ne pêcheraient pas par excès de précaution
01:32et ne seraient pas en permanence en train d'inquiéter la population ?
01:36Parce que c'est vrai qu'on parle beaucoup de vigilance, parfois on est en jaune, on est en orange
01:40et finalement on a l'impression qu'il ne se passe pas grand-chose au niveau du ciel.
01:44C'est une vraie question.
01:46La réponse, c'est la gestion d'un risque, d'un temps dangereux, elle est forcément probabiliste.
01:53Ce sont des probabilités, ça marche comme ça.
01:55Donc quand vous avez un ouragan qui ne passe pas loin ou qui arrive et où vous dites
02:01il y a 10% de risque qui l'impacte la Martinique, mais si l'impact ça va être catastrophique,
02:08typiquement l'ouragan Maria en 2017, qu'est-ce que vous faites avec ces 10% ?
02:13Ça veut dire qu'il y a 90% de chances qu'il ne se passe pas grand-chose.
02:17Pour autant, ça ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire.
02:19Et donc vous voyez la complexité de la communication sur des données un petit peu incertaines et probabilistes.
02:26Et juste, ce que je peux rajouter, c'est que plus on progresse dans la prévision,
02:30dans la connaissance du climat, plus notre société, entre guillemets, nous demande.
02:35C'est-à-dire qu'on est toujours en train, on est toujours un petit train de retard par rapport à ce qu'on sait faire.
02:40Mais est-ce que justement cet abus de vigilance, je vais résumer ça comme ça, n'est pas contre-productif ?
02:46Parce que finalement vous, ce que vous attendez c'est que la population se prépare,
02:49mais à force justement d'indiquer des vigilances, est-ce qu'en fait on ne produit pas le contraire ?
02:53Oui c'est ça, mais c'est un petit peu la corde rette sur laquelle on est quand on est responsable
02:58à Météo France justement de l'émission de vigilance et donc d'alerte éventuellement des préfectures.
03:04C'est ça, c'est de ne pas faire trop, mais en même temps de ne pas rater l'épisode.
03:08Et ne pas rater ça veut dire anticiper suffisamment.
03:11Vous voyez, on ne peut pas se permettre de passer en alerte orange ou en alerte rouge
03:15juste cinq minutes avant ou alors que c'est déjà catastrophique.
03:19Il faut qu'on puisse anticiper.
03:20Si on veut anticiper, on prend un risque quelque part, ce que j'appelle de fausse alerte,
03:24c'est-à-dire qu'il ne se passe pas grand-chose.
03:26Il faut accepter dans nos territoires français, particulièrement d'outre-mer,
03:30parce que les îles tropicales, c'est ça, il faut accepter d'avoir plus de fausses alertes
03:34que dans l'Hexagone ou sur un continent.
03:36Et ça, en France, on n'aime pas bien.
03:38Je dis en France, ce n'est pas uniquement Thillais, mais on n'aime pas ça.
03:41Les anglo-saxons n'ont aucun problème avec ça.
03:43Un anglo-saxon, il est en alerte, il ne se passe rien.
03:46Il va dire, ah Dieu merci, on a été épargné.
03:48Le français, on est en alerte, il ne se passe rien.
03:50Ouais, qui va me rembourser ma journée de travail ?
03:53Qui va me payer le fait que je devais emmener 80 touristes que je n'ai pas pu ?
03:56Mon restaurant a fermé, alors j'aurais pu travailler, patati, patata, voilà.
03:59– Justement, comment vous réagissez face aux personnes
04:03qui remettent en cause la fiabilité de vos prévisions ?
04:06Parfois avec humour, parfois avec une certaine agressivité.
04:10Les réseaux sociaux n'ont rien à ranger.
04:12Il y a parfois un déferlement d'agressivité, de messages agressifs.
04:17Est-ce que déjà, ça vous arrive souvent et que répondez-vous finalement ?
04:20– Alors souvent, c'est vrai que maintenant,
04:23la formation météo, pour faire de la prévision,
04:25est accessible à beaucoup de gens.
04:26C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de passionnés qui maintenant
04:29ont presque le même niveau d'information que des spécialistes.
04:32Ça, c'est la première chose.
04:33Ça veut dire que ce n'est pas sur la prévision même qu'il faut mettre le paquet,
04:38en termes de charge de travail et d'efficacité,
04:41mais c'est sur la capacité à bien communiquer,
04:44c'est-à-dire être réactif, à être percutant, à être clair
04:47et avoir les vecteurs de communication qui vont bien et ainsi de suite.
04:52Et ça, ce n'est pas encore bien passé partout.
04:55On voit bien que des fois, on a un petit peu de mal à faire ça dans les institutions,
04:58alors que c'est là qu'on est attendus.
05:00Alors justement, vous avez quand même passé 25 ans au sein de Météo France.
05:03Vous en êtes parti, pourquoi ?
05:05Parce que vous avez estimé que les outils n'étaient plus les bons,
05:07que la pédagogie n'était plus la bonne ?
05:10Non, que la stratégie même de l'établissement Météo France,
05:13particulièrement aux Antilles, n'était pas bonne à ce moment-là.
05:16Il y a eu un mauvais concours de circonstances.
05:18Je vais être franc, il y avait une direction générale qui ne comprenait pas
05:21pourquoi j'essayais d'investir un petit peu Météo France
05:24sur une meilleure communication, sur les réseaux sociaux par exemple,
05:28parce qu'on a été les premiers aux Antilles-Guyanes à avoir, par exemple,
05:31un compte Facebook et un compte Twitter propres aux Antilles-Guyanes.
05:34Après, les autres régions de l'Outre-mer l'ont fait,
05:36mais voilà, on a lancé ce genre de choses.
05:38La coopération, pareil.
05:40Moi, j'ai travaillé énormément avec les îles voisines,
05:42avec ce qu'on appelle l'organisation caribéenne de la météo,
05:45avec les Américains, avec le Canada, pour pouvoir aider aussi les îles.
05:50Enfin, je veux dire, c'est quand même, j'allais dire, pas normal
05:53qu'on ait une trentaine de prévisionnistes dans les îles françaises
05:55avec des capacités incroyables,
05:57et puis qu'on ne fasse rien pour la Dominique qui a un seul prévisionniste.
06:01Voilà, pour moi, c'était une évidence.
06:04Et quand on m'a dit, non, non, il faut arrêter ça,
06:06ce n'est pas comme ça que ça marche, ça va nous prendre des ressources,
06:09ce n'est pas notre stratégie, je me suis dit, mais on n'a rien compris, voilà.
06:13– Et aujourd'hui, est-ce que vous êtes plus heureux dans le privé ?
06:16– Aujourd'hui, je suis heureux, pas plus, pas moins,
06:19en fait, je ne me pose pas la question, je suis très bien dans ce que je fais.
06:23Alors, juste une chose, c'est que je suis heureux
06:25que Météo France soit revenu un peu sur cette position.
06:28Et donc, c'est vrai que s'il n'y avait pas eu cet épisode,
06:30peut-être je serai encore et je travaillerai mieux avec une direction générale.
06:34Si ce n'est pas fait, ce n'est pas grave.
06:35Le monde du privé, et je remercie le PDG de Citadel,
06:39parce que c'est lui qui m'a donné cette opportunité de découvrir
06:42les besoins du monde de l'entreprise par rapport au climat,
06:45par rapport aux risques, dans des domaines où,
06:47finalement, on n'est pas forcément attendus, je veux dire, voilà.
06:50– Qu'est-ce que vous y faites exactement, au groupe Citadel ?
06:52– Alors, je suis directeur de projet risque résilience, changement climatique.
06:57Alors, qu'est-ce que ça veut dire ?
06:58Ça veut dire que, vous savez, les entreprises, elles ont un enjeu important
07:01par rapport à l'adaptation au changement climatique,
07:04par rapport aux risques qui peuvent augmenter.
07:06Pourquoi ? Pour assurer la continuité de service,
07:08pour assurer des conditions de travail,
07:10pour informer leur personnel, ainsi de suite, ça c'est la première chose.
07:14Et la deuxième chose, c'est que par rapport au changement climatique,
07:16eh bien, il faut savoir s'adapter,
07:18mais il faut savoir aussi atténuer ces émissions de gaz à effet de serre.
07:21– Justement, quelle forme prend le changement climatique dans nos îles ?
07:25Parce que, bon, parfois, on a l'impression que c'est loin de nous,
07:27c'est surtout le continent qui subit le changement de saison.
07:31Ça prend quelle forme ici ?
07:32Et est-ce que vous estimez, aujourd'hui,
07:34que les Martiniquais prennent vraiment la mesure de tout ce que ça peut impliquer ?
07:38– Alors, comment ça prend de la mesure ?
07:40Oui, de tout ce que ça peut impliquer,
07:42pas forcément parce que cette communication, elle est compliquée.
07:45Et justement, je trouve très valorisant d'accompagner le monde de l'entreprise,
07:50mais de continuer aussi à faire un peu d'éducation citoyenne.
07:53On fait encore des conférences,
07:54je fais pas mal d'interventions aussi dans les médias pour ça.
07:59Et puis, au niveau des institutions,
08:00il y a des choses qui sont en train de se mettre en place aussi.
08:02Institutions, l'État et la CTM, par exemple, qui collaborent.
08:06On a une COP, peut-être que les gens ne le savent pas,
08:08mais il y a une COP martiniquaise pour justement gérer cette transition écologique.
08:13– Nos politiques mettent suffisamment l'accent sur ce changement climatique,
08:16selon vous, ou pas assez ?
08:17– Alors, pas assez et ce n'est pas encore bien structuré.
08:21Donc, il va falloir accompagner mieux les collectivités,
08:25les entreprises et le citoyen, ça fait beaucoup.
08:28Et c'est pour ça que vous l'avez dit dans le portrait,
08:32moi j'aime bien les challenges et être là dans le monde de l'entreprise,
08:35mais à travailler encore avec les collectivités, l'État,
08:39je trouve que c'est une vraie raison
08:41et ça donne un sens à cette lutte contre les changements climatiques.
08:45– Très concrètement, quelles pourraient être les conséquences sur nos pêcheurs,
08:49sur nos agriculteurs, à court, moyen ou long terme,
08:52qu'on comprenne bien justement les conséquences ?
08:54– Il y a des conséquences qui vont être assez rapides,
08:57alors qui sont déjà notables, quand on regarde la température de la mer qui monte,
09:01ça veut dire des coraux qui sont en danger,
09:03de la perte de plus en plus de récifs coralliens,
09:05les récifs coralliens c'est un quart de la biodiversité marine,
09:08donc ça veut dire plein de choses qu'on est en train de perdre.
09:11La santé, vous n'avez pas vu, l'année dernière déjà,
09:14mais là ça arrive aussi cette année, les périodes de fortes chaleurs,
09:19beaucoup de gens sont de plus en plus en difficulté par rapport aux chaleurs,
09:22parce que les températures elles augmentent,
09:23alors on dit un quart de degré par décennie,
09:26ça ne paraît pas grand-chose sauf que c'est gradérique à plein sac
09:29et puis finalement on se retrouve avec des températures qui sont plus supportables.
09:33Donc il faut que le milieu…
09:34– Le sable, le sargasse, est-ce que c'est vraiment à mettre
09:36sous le compte du réchauffement climatique ou pas ?
09:39– Le sargasse, là où c'est intéressant,
09:40c'est que justement il faut amplifier les études et notre connaissance.
09:44La naissance d'un risque, ça commence par bien le connaître,
09:46mais il y a quand même une relation entre ces sargasses qui augmentent
09:52et qui affluent vers nous et la température de l'océan,
09:55ce n'est pas le seul facteur,
09:56bien évidemment il y a les nitrates qui sortent des fleuves,
09:59il y a des choses comme ça,
10:00mais vous savez qu'on est dans beaucoup de choses qui contribuent à faire que.
10:04Donc il faut s'intéresser de plus près à ça,
10:06il faut se mettre tous ensemble,
10:08tous ensemble, je le redis, entreprises, Etats, citoyens, collectivités,
10:12pour qu'on puisse avancer.
10:13– Malgré tous ces phénomènes évidents et factuels,
10:16vous rencontrez encore beaucoup de climato-sceptiques
10:19et quand vous en rencontrez, qu'est-ce que vous leur dites ?
10:21– Alors, on n'est plus sur le climato-scepticisme d'il y a 20 ans,
10:24où les gens disaient non, mais la question c'était est-ce qu'il faut y croire ?
10:28Là on n'est plus dans la croyance, on sait ce qui se passe, on note,
10:31il y a déjà des changements, c'est mesuré, c'est factuel.
10:34Après c'est, est-ce que c'est dû à l'homme, vraiment ?
10:37Alors là déjà c'est un petit peu plus compliqué d'aller convaincre les gens
10:40que c'est dû aux activités humaines.
10:42Et ensuite c'est, si c'est dû à l'homme,
10:45est-ce que c'est vraiment bien important de réduire certaines choses,
10:48puisque de toute façon ça ne va pas changer vraiment ?
10:51Bon voilà, donc il faut convaincre à plusieurs niveaux,
10:55et convaincre sur des choses qui ne sont pas que des choses humaines.
10:57C'est-à-dire qu'on est maintenant, de nos jours,
11:00on est un petit peu centré sur l'humain, on oublie tout ce qui nous entoure
11:03et on oublie que ce qui nous entoure fait qu'on peut bien vivre.
11:07Donc c'est compliqué tout ça, mais il faut le faire.
11:09– Vous-même Jean-Noël Degrasse, à titre individuel,
11:11qu'est-ce que vous faites à votre échelle aussi
11:13pour lutter contre ce réchauffement climatique
11:15ou du moins le ralentir le plus possible ?
11:16– Je suis tellement loin de ce que j'aimerais faire, tellement loin !
11:20Non mais j'en suis tout le temps désolé, c'est terrible.
11:22– En même temps électrique ou en grandivergale ?
11:25– Je roule en hybride rechargeable et je fais en sorte de polluer le moins possible,
11:32parce que n'oublions pas, il y a l'émission et la pollution, c'est une chose.
11:35Mais ma petite pierre c'est justement…
11:38– Vous triez vos déchets, il y a tout ce qui est poubelle à la maison.
11:41– Je trie mes déchets, j'essaye de faire attention à la ressource en eau,
11:45des choses comme ça.
11:46Je n'ai pas voyagé cette année en avion, donc là je limite vraiment.
11:50Par exemple, ce matin j'enregistrais une vidéo d'une présentation Powerpoint
11:55pour La Réunion en disant, je ne vais pas aller à La Réunion
11:57pour faire une conférence ou un truc, je vais envoyer une vidéo.
12:01Voilà, c'est des petites choses mais…
12:02– Je crois que vous êtes passionné de jardinage aussi il me semble.
12:05Vous compostez ? Vous recyclez ?
12:08– Non, je ne composte pas parce que je ne bouge pas des grands terrains
12:11et je n'ai pas de matière à composter.
12:12Encore que si, je reprends un peu des vieilles feuilles pour faire un peu du terreau,
12:16donc un petit peu quand même, mais ce n'est pas…
12:18Non, c'est pour ça que je suis loin de ce que j'aimerais faire.
12:21En même temps, je ne voudrais pas non plus qu'on mette le focus sur le citoyen
12:26en disant, vous voyez le citoyen, si vous ne faites pas ça, vous ne faites pas ça.
12:29C'est-à-dire qu'il ne faut pas culpabiliser,
12:31il faut regarder ce qu'on peut faire de bien, mais tous ensemble.
12:34Et collectivement, il y a beaucoup plus de choses à faire.
12:37Individuellement aussi, les petits gestes sont importants, bien sûr,
12:40mais surtout, l'idée, ce n'est pas d'aller culpabiliser les gens.
12:43– Alors, nous allons marquer une dernière très courte pause de Jean-Noël Degrasse
12:46avant d'aborder la troisième et dernière partie de cette émission
12:49qui sera consacrée à votre histoire d'amour avec La Martinique.
12:53– Je ne bouge pas.
12:54– Sous-titrage ST' 501

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