Les vastes États généraux de l'information voulus par Emmanuel Macron ont émis 15 propositions aux responsables politiques et aux acteurs du secteur, dans un contexte lourd d'incertitudes et après près d'une année de travaux.
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00:00Dans le grand entretien ce matin avec Marion Lourne, notre invité est le président d'Arte,
00:05président également des états généraux de l'information qui rendait public hier
00:10leur rapport.
00:11Lui vient tout juste de publier un petit essai passionnant chez Grasset, « Rire avec le
00:16diable ». Bonjour Bruno Patino.
00:18Bonjour.
00:19Bienvenue, nos auditeurs peuvent vous interroger sur la fabrique de l'information, exprimer
00:25leurs inquiétudes éventuellement sur la liberté d'informer, sur la liberté aussi
00:31d'exprimer toutes les opinions au 01-45-24-7000 ou sur l'application France Inter.
00:36Partons d'abord de ces états généraux de l'information, ils ont été lancés
00:42en 2023 en octobre, neuf mois de travaux, cinq groupes de travail, un énorme document
00:47de 350 pages et des propositions avec un titre « Protéger et développer le droit
00:53à l'information, une urgence démocratique ». On va y revenir.
00:57Mais d'abord une question, vous avez fait l'état des lieux, le patient, l'information
01:02va mal ? En tout cas, il ne va pas très bien.
01:04C'est-à-dire que, comme vous l'avez dit, s'informer, évidemment vous le faites
01:11chaque jour ici à France Inter, beaucoup le font, c'est certes le métier des journalistes,
01:16mais c'est surtout pour le citoyen une ressource absolument très importante.
01:23La capacité de s'informer, c'est ce qui fait que chaque individu peut à un moment
01:27donné exercer son rôle de citoyen.
01:29Le fait de partager une réalité factuelle commune nous permet ensuite d'avoir des
01:35divergences d'opinions et permet le débat démocratique.
01:38Et si on regarde la situation aujourd'hui, on s'aperçoit qu'il y a beaucoup de facteurs
01:42qui fragilisent cette information.
01:44Alors on peut y revenir, mais c'est le sentiment qui a été partagé par les 50
01:50personnes des groupes de travail, par les auditions, par les 500 contributions.
01:53C'est vraiment un sentiment d'urgence, il est en train de se passer quelque chose
01:57dans ce domaine.
01:58Parce que les mots sont lourds, les mots sont forts, il y a une dégradation du débat
02:02public avec les frontières qui se brouillent entre la fiction, la désinformation et la
02:06réalité.
02:07Ces mots, ce sont les autres.
02:09Il y a quelques mois, l'hebdomadaire américain Le New Yorker titrait sur l'extinction de
02:15l'information et du journalisme.
02:17On est vraiment face à une espèce en voie de disparition.
02:22Alors cet article du New Yorker a sonné l'alarme, mais si vous regardez bien ce qui se passe,
02:28on peut dire qu'on a quatre grands phénomènes qui sont à l'œuvre en ce moment et qui
02:32hélas se nourrissent les uns les autres.
02:34Le premier, c'est la marginalisation de l'information dans notre espace, on va dire,
02:41de tous les messages, images et autres qu'on reçoit.
02:43La part de l'information est de façon diminuant plus congrue.
02:47De plus en plus diminuée, effectivement.
02:49La deuxième chose, c'est sa décrédibilisation.
02:52Vous avez des acteurs étrangers, internes, technologiques qui, en permanence, attaquent
02:59toute réalité factuelle.
03:01Donc décrédibilisation.
03:02La troisième chose, c'est la polarisation.
03:04Alors que la société, à un moment donné, la politique se polarise, c'est une chose.
03:08Mais vous avez des mécanismes technologiques, les réseaux sociaux qui accentuent encore
03:12cette polarisation.
03:13Et la quatrième chose, c'est la paupérisation.
03:16C'est-à-dire qu'aujourd'hui, quand on regarde, il y a une très forte paupérisation
03:20à la fois des entreprises dont l'activité est d'informer, et notamment des médias
03:25indépendants qui ont de plus en plus de mal à vivre, et aussi paupérisation de ceux
03:30dont l'information est le métier, c'est-à-dire les journalistes.
03:33Alors pas tous les journalistes, mais les journalistes dans leur ensemble, avec la précarisation,
03:37paupérisation et conditions de travail.
03:38Et si vous mettez ces quatre facteurs ensemble, et qu'ils travaillent ensemble, vous vous
03:41apercevez qu'effectivement, cette dégradation, elle est accentuée et qu'il y a une forme
03:45d'urgence.
03:46Alors, vous, vous avez proposé un certain nombre de mesures, beaucoup, on va rentrer
03:50dans le détail, sur l'éducation aux médias, sur la taxation des géants du numérique
03:55pour financer des aides aux entreprises qui auraient une information de qualité, etc.
03:59Parlons de ce qui fâche un tout petit peu avant, parce que dans l'introduction du
04:03rapport, vous dites « le comité de pilotage a renoncé à des mesures contraignantes,
04:07plus contraignantes pour les actionnaires », et ça fait dire notamment à un historien
04:10des médias aujourd'hui, que les actionnaires pourront faire absolument ce qu'ils veulent.
04:14Qu'est-ce que vous lui répondez ?
04:15Non, d'abord, il ne me semble pas qu'on ait écrit ça ligne à ligne, en tout cas,
04:19je n'en ai pas le souvenir, parce que vous avez 353 pages.
04:22Alors, on regarde toujours ce qu'il n'y a pas dans un rapport, et on oublie de regarder
04:26ce qu'il y a.
04:27On va regarder, ne vous inquiétez pas.
04:28Non, non, je vais vous répondre, mais vous dire quand même, on est parti, parce que
04:32juste présenter les choses et après parler de ce qui fâche, si vous voulez, on est là
04:35pour ça.
04:36C'est parce que c'est dans l'introduction du rapport.
04:37Mais quand même, deux choses.
04:38Oui, mais dans l'introduction.
04:40On rappelle d'abord les deux principes intangibles, les deux principes, c'est liberté d'expression
04:45et pluralisme.
04:46C'est très, très important.
04:47Pour le citoyen, le fait d'avoir une information libre est importante, mais plurielle aussi,
04:52diverse et absolument essentielle.
04:55L'autre point qu'on rappelle, c'est qu'on a essayé de trouver, l'ensemble des groupes
05:00de travail et le comité de pilotage, un équilibre entre trois libertés.
05:03Et c'est comme ça qu'on va pouvoir parler de ce qui fâche.
05:06Un, la liberté pour le citoyen de s'informer sans être manipulé et d'avoir accès à
05:12l'information plurielle.
05:13Deux, la liberté pour le journaliste d'informer sans pression, qu'elle soit économique,
05:18politique ou actionnariale.
05:20Trois, la liberté d'entreprendre, car les actionnaires ou les entrepreneurs ont aussi
05:27leur liberté d'entreprendre.
05:28Et donc, on a, on pousse quatre grandes concepts et c'est comme ça qu'il faut voir.
05:34Le premier concept, c'est évidemment le droit à l'information.
05:38On va y reparler après.
05:39La responsabilité démocratique.
05:42Le nouveau pacte social.
05:43Nouveau pacte social dans lequel il y a la gouvernance, sur laquelle vous voulez m'interroger.
05:49Et la quatrième chose, c'est le rééquilibre, enfin plutôt la correction des déséquilibres
05:54entre plateforme et autres acteurs.
05:56On va en parler, mais malgré tout, il y a une forme de déception chez certains qui
05:59reprochent à votre rapport.
06:01Comme si vous étiez le Président de la République et le gouvernement réunis, de ne pas imposer
06:05des mesures plus sévères sur un certain nombre de questions, que vous fassiez des
06:10propositions contraignantes, Marion le disait, sur ce qu'on appelle par exemple le droit
06:14d'agrément des journalistes, la possibilité de s'opposer à la nomination d'un directeur
06:19de rédaction.
06:20C'est par exemple, tout le monde a l'exemple en tête, ce que réclamaient les journalistes
06:24du JDD quand Vincent Bolloré est arrivé et qu'il a choisi de nommer Geoffroy Lejeune
06:29à la tête du journal.
06:31Pourquoi avoir refusé cette liberté des journalistes et des rédactions, Bruno Patineau ?
06:36Elle n'a pas été refusée.
06:38D'abord, n'oubliez pas une chose, je vais un peu corriger les choses.
06:41Elle est totalement intégrée dans la proposition qu'on fait de création de sociétés d'information
06:46à mission.
06:47Donc dans ce statut qu'on propose, alors il n'est pas imposé,
06:52Qu'il y aurait des aides financières supplémentaires de l'État.
06:55Une bonification d'aide ou autre, ce statut de société à mission d'information prévoit
07:04très clairement une participation des journalistes mais aussi des citoyens aux grandes décisions
07:09du Média.
07:10La deuxième chose, c'est qu'effectivement de façon générale, vous avez un groupe 5
07:15qui propose la généralisation du droit de veto, donc c'est présent dans le rapport.
07:20Ça existe aux échos par exemple ?
07:21Aux échos, ça existe.
07:23Mais ça n'existe pas dans un très grand nombre d'endroits, y compris à France Inter.
07:27Et si vous voulez, ce qu'a mis en avant le comité de pilotage, c'est quand même
07:33une réforme importante de la gouvernance mais qui ne passe pas par ce droit d'agrément.
07:37Qui passe par des comités d'éthique paritaires, c'est-à-dire la moitié étant nommée par
07:42les journalistes, l'autre moitié par les actionnaires, qui ont un droit d'information,
07:48de transparence et de donner un avis lorsqu'un changement a lieu, que si ces comités d'éthique
07:56ne sont pas respectés, les amendes, encore une fois, deviennent très lourdes.
08:00Et par ailleurs, on a proposé une protection, j'allais dire comme salarié protégé, pour
08:05les présidents de SDJ.
08:06C'était très attendu.
08:07Et comme vous le savez, c'était très attendu.
08:08C'était les journalistes.
08:09Donc oui, le droit d'agrément n'est pas proposé, ou non si vous voulez, mais il n'est
08:14pas imposé généralement par tout le monde, de toute façon, on n'est pas législateur
08:18dans nos propositions.
08:19Mais il est présent.
08:20Ni le président, ni le Parlement, mais vous avez fait des propositions Bruno Patino, on
08:24va en parler, parce qu'il y a par exemple l'importance accordée à l'éducation aux
08:29médias.
08:30Qu'est-ce que ça pourrait vouloir dire très concrètement ?
08:32Mais oui, parce que c'est central, si vous voulez.
08:34C'est-à-dire qu'encore une fois, l'ensemble de ce rapport, en tout cas le consensus absolu
08:38qu'il y avait entre tous les membres de ce rapport, c'est qu'il faut un ensemble de
08:41mesures globales.
08:42On n'a pas cité ici le nom de Christophe Deloire qui a été l'inspirateur, l'ancien
08:49patron d'RSF qui est décédé en juin et qui a été l'inspirateur de cette démarche.
08:53Mais sa conviction qui a été partagée par tout le monde, c'est qu'il fallait un ensemble
08:57de mesures globales.
08:58On a parlé de tous les facteurs tout à l'heure qui jouaient là-dessus et qu'il fallait
09:03donc agir globalement, pas seulement sur un point ou un autre.
09:06Et agir auprès des citoyens est extrêmement important.
09:09Et donc si on agit auprès des médias sans à un moment donné développer la culture
09:16du fait, l'esprit critique, la culture des médias, savoir distinguer ce qui est une
09:22information et ce qui ne l'est pas, alors tout ce qu'on aura fait ne sert à rien.
09:25On a été très inspirés par le modèle finlandais dans lequel cette éducation aux
09:31faits n'est pas un cours parmi d'autres mais elle s'inscrit dans l'ensemble des
09:35cours que vous pouvez avoir, même au-delà de l'école.
09:38Et comme par hasard, en Finlande, c'est l'endroit où la confiance en l'information et ce qui
09:43la font est la plus grande.
09:44Ça va avec aussi l'évolution des technologies, notamment par exemple l'intelligence artificielle.
09:49Je pense à ces photos générées par l'intelligence artificielle.
09:52On se rappelle du pape avec sa doudoune, alors là, ça ne prête pas forcément à conséquences
09:55mais il peut y en avoir d'autres.
09:56Comment est-ce qu'on distinguerait ces photos, les photos réelles des photos trafiquées
10:03entre guillemets ?
10:04Vous proposez la création d'un label, c'est ça ?
10:06Non, on propose à un moment donné où on pousse à ce qu'il y ait une labellisation
10:12de ceux qui font de l'information dans ce métier.
10:14Mais un, on ne l'impose pas et deux, elle est plurielle.
10:17Mais ça existe déjà.
10:18Vous savez que dans la presse écrite, il y a des choses qui s'appellent le IPG, donc
10:23Information Politique et Générale.
10:25Il y a Éditeur en Ligne qui est reconnu aussi.
10:28Il y a la Journalism Trust Initiative qui est poussée par la réglementation européenne.
10:34Donc, pouvoir avoir des outils de labellisation qui distinguent une source de l'autre est
10:38importante.
10:39Mais par ailleurs aussi, savoir se poser la question immédiatement si une image est vraie
10:43ou fausse et apprendre à faire ça, c'est la meilleure façon à un moment donné de
10:48lutter contre la désinformation.
10:50Avant d'aller au standard de nombreuses questions d'auditeurs Bruno Patineau, question et réponse
10:54rapide.
10:5590% des grands médias appartiennent à 9 milliardaires en France, c'est un chiffre qui revient souvent.
11:01Est-ce que c'est un problème ?
11:03Mais si vous voulez que la concentration à un moment donné se réduise dans un très
11:07grand nombre de mains, bien sûr que c'est un problème.
11:09Ça ressemble à un fonctionnement oligarchique et pas démocratique.
11:12Et donc si vous voulez, là-dessus, on a une modification mais radicale de ce qu'on propose
11:20en tout cas, de l'appréciation des concentrations afin de garantir ce pluralisme-là et par
11:25ailleurs beaucoup de mesures pour consolider, développer, relancer le modèle économique
11:31des médias indépendants.
11:32L'Arkom, ça sert à quelque chose ? Est-ce que c'est un gendarme de l'audiovisuel pour
11:37reprendre l'expression consacrée qui est suffisamment armé pour faire respecter la
11:41loi ? Arte, c'est la seule chaîne télé qui n'est pas soumise à l'Arkom ?
11:45Oui, parce qu'on dépend d'un traité international.
11:47Mais l'Arkom, dans le rôle qui petit à petit lui est donné aussi par la réglementation
11:51européenne, on voit bien, si vous voulez, à un moment ou un autre, que son rôle est
11:57absolument essentiel.
11:58Mais il applique la loi.
11:59Et c'est bien pour ça qu'à un moment donné, notamment sur la loi sur les concentrations
12:02de 86, on propose de la modifier pour que le rôle change et qu'il ait les moyens,
12:07que l'Arkom ait absolument les outils et les moyens de garantir le pluralisme dans
12:11les opérations de concentration.
12:12En changeant notamment la définition de l'influence, de l'importance d'un média, en additionnant
12:16tous les médias d'une sphère, par exemple Bolloré, ensemble.
12:20Toutes ces propositions, alors l'éducation aux médias, il y a aussi des propositions
12:24de baisse de cotisations, des aides publiques qui seraient majorées, on en a parlé, ça
12:28a forcément un coût, ça va passer notamment par une nouvelle taxe, en tout cas vous le
12:33proposez, sur les géants du numérique, les GAFAM, ça fonctionnerait comment ça ?
12:38Non mais cet outil existe déjà, vous avez la taxe sur les services numériques, on rentre
12:42dans le détail ici.
12:43Nous, on propose une taxation des GAFAM, mais d'une certaine façon, elle existe maintenant.
12:47Donc il y aurait infectation.
12:49Et ensuite, si vous voulez, qu'il y ait un outil budgétaire particulier, on a été
12:53très inspiré d'un modèle qui était proposé en Californie à un moment donné, d'une
12:57taxation au-delà d'un chiffre d'affaires publicitaire, pour la réorienter dans l'information.
13:02Avant de rire avec le diable, on file au standard.
13:04Bonjour Gilles !
13:05Oui, bonjour.
13:06Bienvenue sur Inter, quelle voix de radio !
13:10C'est bien de t'appeler, mais c'est quand même… Essayez de changer vos pratiques
13:15radiophoniques.
13:16Ça fait quand même 14 minutes 22, j'attends le téléphone pour intervenir.
13:19Toutes nos excuses.
13:20Vous avez une question pour Bruno Pacino ?
13:22Oui, mais c'est toujours comme ça chez vous.
13:24Ah bah écoutez, vraiment, c'est que vous êtes très nombreux à appeler, et nos standardistes
13:28qui sont remarquables et qui sont levés très très tôt, font ce qu'ils peuvent pour
13:32que vous ayez la parole le plus vite possible.
13:34Votre question ?
13:35Non, mais nous appeler 2-3 minutes avant serait suffisant.
13:38Donc ma question, C8 va sans doute perdre un créneau, est-ce que c'est une bonne
13:44chose ou une mauvaise chose pour la pluralité de l'audiovisuel français ?
13:48Merci Gilles.
13:49Bruno Pacino, C8 va perdre son créneau, est-ce que c'est une bonne ou une mauvaise chose ?
13:54Mais c'est pas à moi de le dire.
13:55Je veux dire, les décisions de l'art comme, encore une fois, nous ne sommes ni régulateurs
13:59ni législateurs, donc c'est pas à moi de le dire.
14:01Il y a de nombreux auditeurs qui s'interrogent, qu'on soit par exemple, c'est ce que dit
14:07Noah ou Nicolas, qu'on soit aussi laxiste avec les fake news et la discrimination par
14:12exemple, notamment à la télé, sur certaines chaînes d'information.
14:15Vous trouvez que la loi n'est pas assez sévère pour punir ceux qui relèvent non seulement
14:21de l'erreur, mais de la manipulation, c'est un sujet sur lequel vous avez beaucoup travaillé ?
14:25Il y a beaucoup de sujets sur la désinformation ou autre.
14:28Moi je pense que la culture factuelle, elle doit être étendue, on a dit permettre aux
14:33citoyens de se former pour ça, et ça doit rester le socle de nos métiers.
14:37Mais encore une fois, nous ne sommes pas régulateurs.
14:40On propose un socle de proposition pour que les choses aillent mieux, ça n'est pas un
14:43catalogue pour tout régler.
14:45Vous êtes acteur et observateur, on a vu cette semaine un échange qui a divisé l'Amérique
14:49entre ceux qui en ont ri et ceux que ça a choqué.
14:51Ça se passait sur la chaîne ABC lors du débat entre Trump et Harris, l'ancien président
14:56américain parlait de ces migrants haïtiens qui mangent des animaux, et le journaliste
15:00lui répond qu'aucun rapport crédible, aucune plainte spécifique ne fait état d'animaux
15:05domestiques blessés, maltraités par des membres de la communauté immigrée.
15:08Qui remporte l'échange entre celui qui raconte n'importe quoi et celui qui rappelle les
15:13faits Bruno Patino ?
15:14C'est la grande question, puisque vous le savez depuis lors, Donald Trump ne cesse de
15:18dire qu'en fait, son interlocuteur était partiel, c'est-à-dire qu'en lui rappelant
15:22la vérité factuelle, la réalité factuelle, c'est-à-dire que ce phénomène n'existe
15:27pas, il a fait preuve de partialité, et Elon Musk, un des soutiens maintenant de Donald
15:31Trump, s'est même permis de tweeter sur la partialité.
15:34Et donc, de voir comment l'espace public reçoit ça est effectivement très important.
15:39Et c'est bien pour ça que je disais que la question de la culture factuelle et de
15:43la culture des faits est au centre de ce qu'on essaye de proposer.
15:46Alors, on a évoqué très largement ce qu'il y a dans ce rapport.
15:49Il y a quelque chose qui n'y est pas et qui nous concerne, nous, mais qui concerne
15:51aussi tous nos auditeurs, c'est la question du financement de l'audiovisuel public,
15:56qui est pour l'instant éphémère, puisqu'il se fait par une fraction de TVA, et ça va
15:59prendre fin.
16:00Est-ce que vous avez volontairement fait l'impasse sur ce sujet-là ?
16:04Non, on l'a rappelé hier dans la présentation orale, c'est-à-dire que d'abord, c'est
16:08un rapport qui devait être remis en juin, à l'époque il y avait une proposition
16:12de loi qui devait rétablir un financement, en tout cas après décembre 2024, rétablir
16:18un financement particulier, homogène et stable pour l'audiovisuel public.
16:22Nous avons dit très clairement hier de façon orale qu'à l'unanimité, évidemment,
16:27les membres des groupes de travail, des états généraux de l'information attiraient l'attention
16:31des pouvoirs publics sur la nécessité absolue d'avoir un financement bien clairement identifié,
16:38pérenne, qui permette à un service public d'agir en toute indépendance.
16:43Quand votre financement est aléatoire et dépend des circonstances politiques, alors
16:47votre indépendance peut être remise en question.
16:50« Rire avec le diable », c'est le titre de ce livre que vous publiez chez Grasset,
16:54c'est vous qui avez ri avec le diable, et en l'occurrence, le diable c'est le général
16:58Pinochet, l'homme du coup d'état au Chili, le 11 septembre 1973, le dictateur tel que
17:05vous le nommez.
17:06C'est un livre qui porte sur un moment d'histoire, de votre histoire de jeune journaliste de
17:1126 ans à Santiago du Chili en 1992, d'une interview totalement improbable.
17:17Pourquoi avoir écrit ce livre aujourd'hui ?
17:20Mais je l'ai écrit aujourd'hui, je l'ai écrit à cause d'aujourd'hui, c'est-à-dire
17:24qu'à un moment donné, en se posant la question toujours de qu'est-ce qui fait
17:29qu'on a parlé des réseaux sociaux, on a parlé du fait que la culture factuelle s'effondre
17:35d'une certaine façon, qu'à un moment ou un autre, nous pouvons tous, nous, être
17:39séduits par des discours extrémistes, par des nouveaux hommes forts, de ce que j'appellerais
17:44des caodilios numériques ou des dictateurs numériques en fait, qui n'utilisent plus
17:48la peur pour conquérir un pouvoir qui va devenir fort, mais qui utilisent leur propre
17:55séduction sur nos émotions et nos rages.
17:59Et ça a évoqué en moi, justement, les anciennes formes de dictature qui prenaient le pouvoir
18:06par la peur et la brutalité.
18:08Sur les corps ?
18:09Sur les corps.
18:10Et je me suis dit quand même que même eux, même quand vous êtes totalement convaincu
18:15que vous savez, que vous connaissez, que vous avez vu les endroits où il y a eu des charniers,
18:22des arrestations, etc., quand vous êtes en direct avec eux, à un moment ou un autre,
18:27vous pouvez baisser la garde et d'une certaine façon être séduit.
18:30Et donc ce rapport ambivalent que nous pouvons avoir avec un pouvoir absolu à un moment
18:35donné qui agit sur nos peurs et sur nos rages, ça m'a intéressé et du coup j'ai voulu
18:39raconter cette histoire, oui.
18:41Vous parlez de cet aspect méphistophélique, c'est comme ça que vous l'écrivez, de
18:46Pinochet qui, dans un sens, vous séduit en même temps qu'il vous révulse.
18:50Rétrospectivement, vous avez un regard un petit peu sévère, un petit peu critique
18:54sur le journaliste de 26 ans où vous étiez.
18:56Est-ce que vous auriez fait différemment aujourd'hui ou comment on fait différemment
18:59aujourd'hui ?
19:00Je ne sais pas si on peut faire différemment aujourd'hui, mais juste avoir toujours en
19:05tête, justement, c'est-à-dire que vous pouvez à un moment donné, effectivement,
19:13parce que pour certains, le charisme, pour d'autres, une espèce de changement presque
19:22d'atmosphère qu'ils peuvent avoir dans la relation directe avec vous, que le fait
19:26à un moment donné de s'adresser à vos tripes et à vos émotions passe par un lien
19:31qui peut être empathique même à votre corps défendant, moi je trouve que c'est
19:35une corde de rappel qui n'est pas liée dans le temps.
19:37Et que je pense qu'à 26 ans, qui était l'âge que j'avais à l'époque, ou un
19:41peu plus âgé aujourd'hui, cette corde de rappel, elle est présente.
19:44Et en tout cas, moi je suis heureux de la voir en permanence derrière moi.
19:47Donc effectivement, il y a une part de culpabilité que je raconte.
19:51Je pense qu'historiquement aussi, c'est assez étonnant, en tout cas j'ai trouvé
19:56intéressant de témoigner de cette époque-là et de ces rencontres-là.
20:00J'allais dire, les entretiens avec les dictateurs forment toujours des récits importants.
20:03A quoi ça sert, justement, Bruno Patino ? Vous avez été journaliste, est-ce que ça
20:08sert à quelque chose d'interviewer le diable ?
20:10D'abord, ça sert toujours à quelque chose d'aller au plus près de l'événement
20:15et de ceux qui font l'événement.
20:16Parce que ça vous permet d'essayer de le comprendre et de l'approcher.
20:20Mais en même temps, il faut cette corde de rappel.
20:22Donc ça sert, oui, bien sûr.
20:24Encore une question, il y a le 11 septembre 1973, c'est le coup d'état de Pinochet,
20:30la mort de Salvador Allende.
20:31Il y a le 11 septembre 2001 qui est l'entrée dans une nouvelle ère.
20:36Quoi de commun entre ces deux dates ? Il y a concordance des temps ?
20:40Alors c'est un hasard.
20:41En plus, c'était deux mardis, figurez-vous.
20:44C'est-à-dire, c'est même le même jour.
20:45Le mardi 11 septembre 1973 et le mardi 11 septembre 2001.
20:49Mais je dis, en résumant un peu dans le livre, d'un côté, c'est un rêve qui s'arrête
20:54ou qui s'effondre.
20:55C'est avec la fin de l'expérience d'Allende.
20:58Et de l'autre, c'est un cauchemar qui commence.
21:00Rappelez-vous, puisque c'est dans notre sujet.
21:03C'est un moment de cauchemar pour l'information.
21:04C'est la naissance des faits équipés.
21:05Le 11 septembre 2001, rappelez-vous de Thierry Messant.
21:08Il n'y a pas eu d'avion, il n'y a pas eu de tout ça.
21:11C'est le moment où on bascule dans une ère de la désinformation.
21:16Le numérique est déjà là.
21:18Moi, j'étais au monde.fr à l'époque, c'est la première fois qu'on commence à
21:22s'informer vraiment sur Internet.
21:24C'est une rupture à ce moment-là.
21:26Et c'est l'arrivée, justement, des fake news et de la désinformation.
21:30Et je pense qu'en tirant le fil du 11 septembre 2001, c'est aussi l'arrivée de ces nouveaux
21:34hommes forts, Trump, Bolsonaro ou autres, qui s'amorcent petit à petit.
21:38Vous dites que c'est le début de l'ère numérique et le début de la désinformation.
21:43Et en même temps, Augusto Pinochet, dans le livre, il vous montre des faux documents.
21:45Tout à fait.
21:46À l'époque, si j'ose dire, c'était artisanal.
21:48C'est-à-dire qu'il nous montre, parce que ça a toujours eu lieu, la désinformation,
21:51la manipulation ou autre.
21:52Mais nous sommes beaucoup plus complices, nous tous, en retweetant, en regardant, etc.
21:58de cette accélération-là.
21:59Évidemment, avec l'aide et surtout avec, j'allais dire, l'action des algorithmes
22:05qui poussent ça parce que ça nous séduit, que nous ne pouvions l'être auparavant.
22:0970% de l'information des Français vient d'Internet aujourd'hui.
22:12Oui.
22:13Ça fait dix ans que Netflix est arrivé en France.
22:16Un mot au président d'Arte ? Bonne ou mauvaise nouvelle sera la dernière question.
22:19Ce n'est ni une bonne, ni une mauvaise nouvelle.
22:23Ça a été un changement de paradigme et de comportement.
22:25Donc Netflix, c'est l'acteur, mais c'est aussi le moment où on commence tous à regarder
22:30la télévision autrement.
22:31Et ça, c'est un nouveau paradigme qui s'est ouvert.
22:36Et donc, qu'on le veuille ou non, c'était le début d'une nouvelle époque.
22:39Merci infiniment Bruno Patineau d'avoir été l'invité d'Ater.
22:42Merci à vous.
22:43« Rire avec le diable » s'est publié chez Grasset et de nombreux auditeurs demandent
22:47où on peut se procurer le rapport des Etats Généraux de l'Information.
22:50Alors, il est évidemment en ligne de façon gratuite.
22:53C'est un PDF un peu lourd puisque c'est 353 pages, mais vous faites…
22:57Vous venez d'en faire un bon résumé ? J'espère, mais il faut le lire en détail
23:02parce que beaucoup de propositions changent la donne et je pense qu'ensemble elles changent
23:05le paysage.
23:06Vous tapez dans un moteur de recherche « Etats Généraux de l'Information » et vous
23:09aurez un lien immédiatement pour télécharger le rapport.
23:12Merci Bruno Patineau.